Valerie Melou_Paul Jean-Pierre Dupeyrot



FAMILLE DUPEYROT : NOS ASCENDANTS

Valérie Melou & Paul Dupeyrot

Dessins de Jean Brua et de Fred (D.R.)
Fond d'écran : vendanges, dessin de Charles Brouty.



Valérie, il y a longtemps, et Paul, il y a encore plus longtemps.

      J'écris cette page en mars 2019. J'ai 72 ans depuis quelques mois. Comme on dit, je n'ai pas vu le temps passer. Mon fils Raphaël et moi avons créé ce site Es'mma en 2000, voilà bientôt vingt ans. J'avais cinquante trois ans. Depuis, ici, nous avons produit des tas et des tas d'écrans consacrés à d'anciens Algérois. Nous avions en plus créé une rubrique "Myosotis", sorte de mémorial à coeur ouvert, où chacun aurait pu faire figurer le nom d'un "cher disparu" (pas forcément un parent), renvoyant à une notice à son sujet, plus ou moins longue, plus ou moins documentée. Une opportunité qui n'a pas eu beaucoup de succès. J'imaginais que nos visiteurs auraient à coeur de vouloir prolonger la mémoire de leurs proches. De l'installer pour qu'elle perdure au delà des limites de nos vies. En plus, c'est aouf ! Eh bien, non, je suppose qu'ils ont d'autres moyens de donner quelque part à ces disparus une place pour qu'on se souvienne d'eux. Longtemps. Tant mieux. Je conçois aussi tout à fait qu'on puisse très bien s'en fiche et considérer que c'est de peu d'importance. La vie et rien d'autre ? Juste le grand sommeil, le grand silence, le grand oubli, le grand plus-rien ? Oui, c'est bien aussi.

   Je viens de m'apercevoir que si j'ai consacré quelques écrans à ma famille proche, père, mère et tantes (oui, dont la désormais impérissable Philomène Pons CLIQUEZ, ou Sylvia Pons, dont il sera question plus bas sur cet écran CLIQUEZ ENCORE), il est quelques parents dont il me reste encore à leur bâtir un écran, histoire que si certains, dans ma descendance, étaient tentés par des recherches généalogiques, ils trouvent au moins quelques informations sur leurs proches ascendants. La généalogie juste sous forme d'arbres secs avec des noms sans rien autour, c'est pas mon truc. Voici donc le premier de ces écrans, dédié à mon grand-père paternel, Paul Jean-Pierre Dupeyrot, et à son épouse, ma grand-mère, Valérie Melou.

   Cet écran va être assez factuel, limité surtout à des dates et à des lieux. Je n'ai pas connu ce grand-père (pas plus que l'autre d'ailleurs), puisque Paul Jean-Pierre est décédé en 1927, presque 20 ans avant ma naissance. Je ne peux donc pas dire grand chose de sa personnalité, pas plus que de la façon dont il se comportait avec sa famille, comment il pratiquait son métier, ce qu'étaient ses goûts, bref, tout ce qui compose une vie d'homme, tout ce qui nous aiderait à le faire revivre. Et c'est bien dommage. Le peu qui subsiste de lui ce sont les souvenirs de vieilles remarques émises ici et là, par les uns, par les autres… Voyons que je me souvienne… Voici, en vrac…

   Ce que sa photo ci-dessus ne peut nous apprendre mais qu'indique sa fiche militaire, c'est qu'il était de petite taille (1,60 m) et qu'il avait les yeux bleus et le poil blond. C'était un homme puissant, sanguin, rude, dur au mal, travailleur acharné, parlant assez couramment l'arabe, portant djellabah et siégeant comme juge local, je ne sais dans quelle instance. Il montait à cheval et aimait ça. Il participait activement à la vie de l'amicale des "enfants du Quercy". Je ne me souviens pas qu'on lui ait attribué d'autres activités sociales. "Pour faire de la politique, il faut avoir tué père et mère", c'est ce que mon père lui entendait dire parfois. Bien qu'âgé de 34 ans au début de la guerre de 14-18, il a bien été mobilisé (3), mais a été dispensé de service actif, et donc n'a pas quitté l'Algérie. En 1914 il avait déjà cinq enfants ! Incontestable "soutien de famille", donc. Pourtant, il aurait fait un rude guerrier ! La tante Paulette se souvenait qu'un jour il était rentré à la ferme avec une cuisse largement ouverte par une branche d'arbre, il avait dessus répandu de la terre, "pour désinfecter", grognait-il, et refusait qu'elle le soignât plus que ça.

   Dur en tout, Paul Jean-Pierre l'était aussi en affaires. Il allait en France acheter lui-même chevaux et bétail, pas question de laisser ce soin à qui que soit. Ce goût du marchandage se manifestait en toutes occasions, même les plus anodines. Les jours de marché, il s'y rendait très tôt le matin, et du coup, premier client de plusieurs vendeurs, sa technique imparable consistait à marchander à outrance. Comme il l'expliquait, une sorte de superstition voulait que si le marchand rate sa première vente, sa journée serait fichue. Alors pas question de laisser repartir le premier client ! C'est ainsi que Paul Jean-Pierre ne rentrait jamais bredouille, peu importait l'objet de la transaction. "C'est ainsi que tata Paulette et tata Nénette (Blanche) gardaient le souvenir mitigé d'un certain lot de drap violet qui a habillé durablement les trois filles de la maison. Elles racontaient en riant qu'elles avaient dû toutes les trois s'afficher dans le village avec les mêmes robes violettes." (Monique, juillet 2019)

   Aux repas, Paul Jean-Pierre grignotait des piments, ces petits poivrons fuselés d'un rouge vernissé qu'on dispose sur la table en fagot dans un verre à boire. Des costauds. Quand il en croquait un, papa était impressionné de voir une moitié verticale du visage de son père s'empourprer et se couvrir de goutelettes de sueur, tandis que l'autre moitié restait impassible. Vraisemblablement la trace d'un ancien AVC. Un souvenir souvent rapporté, c'est que le grand-père "faisait chabrot" : il laissait un fond de soupe ou de potage dans son assiette, il rajoutait du vin rouge pour diluer, puis il portait le plat à la bouche, et il aspirait à longues goulées. Avec des grands "slurp" ? Ce ne fut pas dit. À table encore, le grand-père s'emportait contre sa femme qui servait, desservait, lui et toute cette marmaille, allant de la table aux fourneaux et des fourneaux à la table : "mais enfin, tu es toujours debout !". Avec ma vision d'homme de bien plus tard, il me semble les voir tous deux s'éloigner comme s'éloignerait le couple de forains du Petit Cirque du dessinateur Fred : lui renfrogné et rugueux, courant de chimère en déboire, elle miracle de grâce et de jonglerie domestique, et de ténacité muette. Mais c'est juste une vision fugace, peut-être pas trop exacte de ce que fut leur réalité.

   Et Valérie, alors ? On disait qu'elle et Paul Jean-Pierre avaient été promis l'un à l'autre dès leur plus jeune âge. C'était, semble t-il, la coutume. Enfant, Valérie était bergère sur le causse. Un autre petit berger qu'elle connaissait avait un jour vu disparaître l'un de ses moutons, il était tombé dans un gouffre. Une histoire qui semblait avoir beaucoup impressionné la petite Valérie. Il est vrai que Padirac, et ses réseaux d'impressionnantes grottes souterraines à fleur de pâtures, n'est pas bien loin de Loubressac. D'elle, je me souviens avoir entendu dire qu'aux fêtes de famille ou de village, elle valsait sur l'étroite piste d'un guéridon, tournant et tournant sur elle-même avec une grâce et une adresse sans égales. Autre souvenir musical de Valérie : aux mêmes fêtes, et aussi à celles organisées par l'amicale des enfants du Quercy, elle chantait, avec une bien belle voix disait-on, "Se canto", la nostalgique chanson de tous les peuples de langue occitane. "Se canto, que canto, Canto pas per you, Canto per mamio Qu'ès alen de you", ce devait être joli, en patois dans sa bouche de petite fille.

   Avec mon père, l'intello de la famille (il allait même plus tard, c'est tout dire, décrocher son certificat d'études ! Et dans la foulée, un C.A.P. de comptabilité !), le grand-père n'était pas tendre, et les coups de ceinturon n'étaient pas rares, ce qui chagrinait considérablement ma grand-mère, elle chouchoutait son petit avant-dernier, et essayait de le protéger des colères paternelles. Mais, si j'ai bien compris, René était du genre "forte tête", ce qui n'arrangeait rien de ses relations avec son père. Et ses frères n'étaient pas non plus du genre docile. Comme quoi, un père autoritaire et dur ne produit pas forcément des enfants falots. Ni non plus des pères reproduisant à leur tour les violences qu'ils avaient subies étant enfants : mon père n'a jamais levé la main sur moi ou sur mon frère, simplement, il savait se faire obéir. Mais sans doute Paul Jean-Pierre n'était-il pas plus violent, à l'aune de son époque, que ne le furent nos instituteurs avec leurs châtiments corporels.

   Paul Jean-Pierre, un homme bien de son temps, donc, et de sa classe sociale. Pareil pour Valérie. Pas grand chose d'autre à dire de ce grand-père… Oui, c'est bien peu. Ce serait à coup sûr bien injuste si ce qui précède prétendait être un portrait. Ce n'est pas le cas. Désolé, grand-père, je fais avec ce qui subsiste. Mais subsiste surtout ce qui de toi survit en moi, et du coup c'est avec beaucoup de tendresse et d'empathie que j'écris ces lignes.

   Le calendrier qui suit a été recueilli auprès de mes parents au cours de deux ou trois conversations au cours desquelles j'avais essayé d'obtenir d'eux au moins ces quelques jalons (1).

Gérald Dupeyrot                 



Les tribulations de Valérie Melou & Paul Jean-Pierre Dupeyrot.

De Loubressac et Gramat
à Hussein-Dey et Belcourt,
en passant par El-Achour, Dély-Ibrahim et El-Biar.

Sur ce plan, les pastilles rouges indiquent les adresses successives de la famille, les numéros renvoient aux paragraphes ci-dessous. Les pastilles ont été disposées à proximité des noms des localités, sans prétendre indiquer les emplacements précis des fermes, puisque, sauf pour celle d'Hussein-Dey, nous ne savons pas où se trouvait exactement chacune. La pastille rouge sans numéro indique approximativement là où se trouve la rue Burdeau, en plein centre d'Alger, où habiteront Paulette et René et leurs familles respectives. Le plan date du début du XXe siècle. On remarque que les alentours d'Alger sont encore si peu peuplés que des cafés, l'École normale, un Hospice de vieillards, un sanatorium sont mentionnés comme autant de points de repère.


   Lorsque ci-dessous je vais mentionner mon père, j'écris soit "papa" soit René. Pour Paul Jean-Pierre, je l'appelle aussi le grand-père. Il m'arrivera de qualifier Paulette ou d'autres de "tata" ou de "tonton", ce qu'ils étaient pour moi.

1 - Naissance de Paul Jean-Pierre Dupeyrot le 14 août 1878 à Gramat, dans le Lot (Quercy).

2 - Naissance de Valérie Melou  le 8 octobre 1879 à Loubressac, dans le Lot. (2) Loubressac est à 15 kilomètres de Gramat. Padirac et son gouffre à moutons se trouve entre les deux communes.

3 - Valérie et Paul Jean-Pierre partent pour l'Algérie (date non connue), Paul-Jean-Pierre a dans les 20 ans. C'est en Algérie qu'il accomplit son service militaire (voir note n°3 en colonne de droite). Ils se marient à El Achour le 20 décembre 1902. Je croyais que leur mariage avait eu lieu avant qu'ils ne gagnent l'Algérie, mais la merveilleuse chercheuse qu'est Marie Opper m'a envoyé dare-dare ce 16 avril 2019 une copie du registre d'état civil de Gramat : la mention de la naissance du grand-père porte en marge un ajout plus tardif faisant état de ce mariage. On notera aussi que Jean Melou, veuf, domicilié à Mustapha, accompagnait sa fille à son mariage.

    Quant à notre ami Marc Donville, il m'a fait ce même jour parvenir, non moins dare-dare, copie du registre des mariages d'El Achour, qui confirme la date de leur mariage, et en plus, nous permet de rajouter ci-dessus la date de naissance de Valérie. Merci Marie, merci Marc ! Et merci à mon cousin Jean-Paul qui ce 12 mai 2019 vient de me fournir quelques documents décisifs, dont cette photo de Paul Jean-Pierre au milieu de militaires, prise à Blida, le 24 août 1914.

Cliquez pour agrandir

Nous sommes le 24 août 1914. Paul Jean-Pierre a été rappelé sous les drapeaux à la mobilisation générale, le 02 août. Il a rejoint son corps, le 5ème régiment de chasseurs d'Afrique, à Blida. Il se trouve au milieu de rappelés d'évidence bien plus jeunes que lui, lui qui a eu 20 ans quelques 15 ans plus tôt ! Lui et Valérie viennent d'avoir leur sixième enfant, Jeanne-Marie, quatre mois auparavant ! Oui, il est plus bronzé que les autres… Voir la suite en note n°3 en colonne de droite.

4- La ferme de Ouled-Fayet (2). Commune de El Achour (1900-1918).
C'est la première ferme. La présence des Dupeyrot est attestée à El-Achour en 1900 : cliquez ici et allez voir au paragraphe "Agriculteurs-viticulteurs en 1900". Duperrot est écrit avec deux "r" au lieu d'un "y", mais c'est bien eux ! Étaient-ils arrivés à El-Achour encore plus tôt ? Pourquoi pas, mais rien ne le dit. C'est ici que vont naître huit enfants (3), dont cinq des six frères et soeurs que nous avons connus (les prénoms usuels sont en caractères gras) :

- 07.10.1903 : Claire Marie (tata Nini), née à El Achour ;
- 26.06.1905 : Marcel Antoine, né à El Achour, décédé à Alger le 27 ? 1907 ;
- 13.05.1907 : Paulette Marthe, née à El Achour (Marie Eugénie Miquel, la soeur de grand-père est marraine de tata Paulette) ;
- 23.04.1909 : Thérèse Justine, née à El Achour, décédée à l'âge de 14 ans le 24.01.1923 à El-Biar ;
- 13.04.1911 : Marcel Joseph, né à El Achour ;
- 03.04.1913 : Blanche, Anne Eugénie, née à El Achour ;
- 22.10.1914 : Jeanne Marie, née à El Achour, décédée à El-Achour le 19.06.1915 ;
- 31.05.1916 : René Albert, né à El Achour.
- 14.10.1917 : Denise Jeanne, née à Sidi-Ferruch, décédée le 21.07.1918 à El-Biar.

    Seul le plus jeune des six soeurs et frères survivants, Henri Alfred naîtra à Dely-Ibrahim. La famille quitte la ferme d'Ouled-Fayet/El-Achour pour des raisons inconnues, quand Papa a environ deux ans, soit vers 1918. Claire a déjà treize ans, Paulette onze.

    C'est au cours de cette période d'El-Achour, que Paul Jean-Pierre perd sa mère, le 1er février 1914.

    Cet avis de décès nous informe de l'importance que le grand-père Paul avait au sein de l'association, qu'il est tenu pour l'un des meilleurs colons d'El-Achour, et que son père Antoine est considéré comme "un vétéran de la colonisation française en Algérie". Par "vétéran", il faut entendre qu'il est parmi les plus anciens colons encore de ce monde (il a 61 ans). Et non l'un des "précurseurs", bien entendu, puisqu'Antoine, né en 1853, aura eu vingt ans, l'àge de faire un colon", en 1873, soit 43 ans après la "conquête" de 1830. Mais ceci nous confirme ce qui se racontait dans la famille, à savoir qu'Antoine avait déjà eu une ferme ici en Algérie, du temps de sa propre jeunesse. Enfin nous apprenons que lui et sa femme Claire, retraités, vivent retirés à El-Biar, dans un très agréable et magnifique quartier, celui de Saint-Raphaël (qui est aussi celui de la famille Pons, celle de ma mère).


5 - Dely-Ibrahim, la seconde ferme, route de Cheragas (1918-1922).

- 09.08.1919 : Henri Alfred naît à Dely-Ibrahim. C'est Alfred, son second prénom à l'état civil, qui deviendra par la suite son prénom usuel. Ce qui fera ainsi de lui notre "Tonton Alfred". Il ne semble pas que cette dénomination affectueuse et généralisée lui ait jamais déplu, au contraire. Ses soeurs, ses frères l'appelaient Alfred. Toutefois, quand ci-après il s'agira de lui, j'emploierai son premier prénom, Henri.
- 5.02.1922 : naissance de deux jumeaux, Odette Lucienne et André Paul. Odette décède le 16 juin 1922, André le 16 juillet 1922, tous deux à Dely-Ibrahim.

    C'est quand la famille est à Dely-Ibrahim que disparaît Antoine, le doyen, le père de Paul Jean-Pierre, qui avait jusqu'ici vécu à El-Biar, chemin Laperlier, villa Marcel. C'est le 21 juin 1919, Antoine avait 75 ans. On pourra consulter son avis de décès paru dans l'Écho d'Alger du 21 juin EN CLIQUANT ICI.

    Toujours en cette période se situe, trois ans plus tard, le 2 juillet 1922, la mort de Marie-Eugénie, soeur de Paul Jean-Pierre. Pour comprendre son faire-part de décès dans l'Écho d'Alger (CLIQUER POUR LE CONSULTER), où son prénom n'est pas mentionné, rappelons que Marie-Eugénie avait épousé Marcellin Miquel. Pendant longtemps une femme fut "femme de" avant d'être elle-même. On remarquera que Marie-Eugénie habitait villa Marcel, chemin Laperlier, où avait aussi habité son père Antoine, avec ses parents donc.

    L'annuaire Fontana-Frères dont je dispose date de 1922. J'ai eu la curiosité d'aller y regarder… Quelle émotion de retrouver dans la liste des habitants de Dely-Ibrahim le nom de mon grand-père ! (scan en colonne de droite (4). Paul Dupeyrot est mentionné à la fois parmi les viticulteurs et parmi les laiteries. C'est, je vous l'accorde, un plaisir très personnel, mais je peux en faire autant pour ceux d'entre vous qui le souhaiteraient. Pour tous les autres bleds d'Algérie en cette année 1922.

   Aux aurores, les "grands" accompagnaient aux travaux des champs ou du vignoble le grand-père et les ouvriers agricoles arabes et kabyles. Marcel, l'aîné des frères, amenait ses petits bras, mais c'était bien malgré lui. Tout au long de l'année, le grand-père allait l'extirper des bancs de l'école, "j'ai besoin d'un homme à la ferme", opposait-il à l'instituteur, qui plaidait que Marcel était un bon élève et aimait les études… Les soeurs aînées, Claire et Paulette, assuraient l'intendance. Elles se levaient encore plus tôt que les autres pour finir de préparer la pitance pour la journée de tout ce petit monde, déjà cuisinée de la veille. C'est ainsi que Tata Paulette restera pour moi la championne toutes catégories du couscous, de la loubia, de la chorbah et d'autres de ces délicieux plats roboratifs pour travailleurs de force.

   Ce qui expliquera la bonne odeur qui allait régner dans la cage d'escalier du 15 de la rue Burdeau, en plein centre d'Alger, tout le temps qu'elle y sera plus tard, et en particulier lors de la seconde moitié des années 50, quand ma famille y habitera. Oui, grâce à Tata Paulette, aux heures des repas, notre immeuble très citadin enbauma comme embaumaient les moments de pause dans les champs écrasés de soleil, quand soufflaient tous ces travailleurs aussi affamés qu'harassés et assoiffés. Ce fut l'une de ses magies.

   J'ai beaucoup aimé cette tante, intelligente et volontaire, travailleuse au-delà de ce que l'on peut concevoir (elle gérait rue Michelet une teinturerie de la chaîne Fraissinet Neant). C'est d'elle, de mon père, de Sylvia Pons, ma marraine, que je sais que bien des gens "du peuple" valent tellement mieux que la plupart des importants qui nous dirigent, nous représentent et nous emploient. Mais les gens modestes, justement… ils sont modestes.

    Cette même année 1922, la ferme de Dely-Ibrahim brûle. Une main devant, une main derrière, avec toute sa smala à nourrir, le grand-père doit vite fait retrouver un travail, et c'est…

6 - El-Biar (1922-1923) : Grand-père achète une épicerie (ou prend sa gérance) au lieu dit du "Val-Fleuri", en contrebas de la route d'El-Biar, qui monte d'Alger.

   "À El-Biar, la famille a d'abord habité au "Cheval Blanc", puis "Cour D'Amasse". C'était en rentrant à El-Biar à droite en arrivant d'Alger. En montant par le tram des TMS (2), c'était l'avant-dernier arrêt avant celui qui était devant la boulangerie Alloy (pas encore la patisserie La Chantilly), sur l'esplanade de la mairie."

   Paulette (née le 13 mai 1907, elle a 15 ans) suit les cours de la "Sainte Famille" (institution qui couvre les classes du primaire au collège). Sans doute Blanche (10 ans) et Thérèse (treize ans) l'y accompagnent-elles. Mais ceci ne m'a pas été dit. L'établissement était dans le haut du village, après l'arrêt TMS devant la boulangerie Alloy. C'est à la "Sainte Famille" que Paulette fait la connaissance de Sylvia "Mayenne" Pons (cliquez pour faire sa connaissance), la soeur d'Odette Pons, bien avant qu'Odette et René ne se "fréquentent". La famille Pons habite rue Bizot, du côté des chemins Bucknall et Vidal et du balcon Saint Raphaël. Mayenne (née le 8 mai 1908), avait eu assez jeune la poliomyélite, et elle était retournée à la Sainte Famille un an plus tard. Elle était de ce fait en retard d'une classe, ce qui explique qu'elle et Paulette aient pu se retrouver condisciples malgré leur (petite) différence d'âge. Leur affectueuse proximité qui va perdurer ne sera sans doute pas pour rien dans les épousailles de René et Odette en 1945, dans un peu plus de vingt ans.

   "L'épicier du Val Fleuri", c'est un intermède qui n'a pas duré très longtemps, puisqu'il se situe entre la mort du deuxième jumeau André à Deli-Ibrahim (le 16 juillet 22), et l'installation à Hussein-Dey que papa date de 1923. Mais cet épisode aura marqué les esprits !

   D'autant que c'est à El-Biar, le 24 janvier 1923 que devait mourir Thérèse, la petite soeur de 14 ans. Ce deuil d'une enfant dont chacun de ses frères et soeurs, du temps de mon enfance, parlait encore comme d'une perte toujours douloureuse, ne contribua sans doute pas peu à faire de l'épisode El-Biarois une bien malheureuse parenthèse.


L'Écho d'Alger, 28 janvier 1923.
On notera la référence qui est faite au nouveau prix pour famille nombreuse
qui venait d'être attribué à la famille.

   Comme le dit un jour papa, "épicier, ça allait à mon père comme moi pape" (14 juillet 1998). Et une autre fois : "épicier, ça allait à mon père comme un tablier à une vache". "C'est là où j'ai appris à ne pas aimer les pois cassés" dira aussi tata Paulette (le 10.07.98). On aura compris que cet état d'épicier ne satisfaisait personne. Et Paul Jean-Pierre va revenir très vite à son vrai métier…

Une photo de classe, peut-être à Dely-Ibrahim (la variété des âges des enfants tend à faire penser à une petite commune), avec dessus René (flêche blanche) et Henri. René peut avoir six ou sept ans, Henri (en bas à droite, cheveux longs et blonds) trois ou quatre ans.


7 - Ferme de la route de Léveilley, à Hussein-Dey (1923-1927) :

   Mettant fin à ce pis-aller peu convainquant, le grand-père "reprend" une nouvelle ferme, toujours comme métayer. C'est celle de Gitton-Lefranc (6), un des cousins du colonel de la Rocque (7). Ils s'y installent vers 1923-24. Papa a 7 ans, il va aller à l'école du Caroubier, durant 2 ou 3 ans.

   Il nous raconte…

   "Mon maître, c'était Monsieur Pelat. Un jour, j'avais fait une fugue de l'école, tous les élèves me couraient après. Il y avait des lys, et de grands cyprès qui faisaient des fruits comme des toupies. Et en bas de l'allée il y avait un gros caroubier à la limite du 42ème génie.
   J'allais à l'école avec Blanche. On montait un talus, et on suivait le chemin de ronde de la caserne. Au moins trois cent mètres. Un jour, Blanche a mis le pied sur un serpent, c'était juste une grosse couleuvre"
. Il rit de bon coeur. René se souvient aussi comment des enfants ou petits enfants d'Hamoud Boualem, le limonadier, chouraient à l'usine proche des bouteilles de Sélecto (la boisson gazeuse nouvellement créée (8), qu'avec d'autres gamins ils buvaient montés dans un grand arbre.

   Ici, en ce début du XXe siècle, c'est encore la campagne, des champs, des terrains vagues, ce qui explique cette proximité de la ferme et de l'hôpital Parnet.


   La famille reste là jusqu'à fin 1927, quand Paul Jean-Pierre meurt le 26 novembre d'une double pneumonie pour laquelle il a été admis à l'hôpital Parnet, voisin de la ferme. Il a 49 ans.

   Voilà le grand-père inhumé. "Certainement pas au cimetière d'Hussein-Dey, rappelle ma cousine Monique, puisque si tel avait été le cas, les enfants Hussein-Déens de Paul Jean-Pierre, dont mon père Marcel, se seraient par la suite rendus sur sa tombe". Alors où ? La famille avait déjà au moins une tombe à El-Achour, peut-être une autre à Dely-Ibrahim, et une troisième à El-Biar (celle de Thérèse, et des parents de Paul Jean-Pierre). Les registres de ces cimetières auraient-ils été conservés ? Celui d'El-Biar sans doute, les autres vraisemblablement pas. (9)

   Il semblerait que, le grand-père disparu, la ferme ne pouvait être reprise par Marcel, le frère aîné, et les "grandes" soeurs, Claire et Paulette, soit qu'ils fussent encore trop jeunes pour assumer cette charge, soit pas intéressés.

   Les deux adresses suivantes sont données ici pour connaître les dispositions que prit alors la famille pour s'organiser à la mort du grand-père.

8 - "Villa Sorabella" (1928-1932 ?), rue du Docteur Duchet, à proximité de l'arrêt de tram "Nouvel Ambert annexe", à Hussein-Dey :
   après la mort du grand-père, Valérie, sa veuve, et une partie des enfants y emménagent. La villa est louée à Valérie par Monsieur Sorabella, un propriétaire terrien qui avait sa propriété au Caroubier. Les trois plus petits, Blanche, René et Henri, vont encore à l'école (source : René). Travaillaient déjà à cette date : tata Paulette et tonton Marcel (ils ont respectivement dix-neuf et seize ans à la mort du grand-père). Tous deux participent comme ils peuvent à la survie du foyer. Même une fois appelé à faire son service militaire, Marcel ouvrira dans une boucherie un compte pour Valérie (cf. Monique, août 2019). Sans doute la grand-mère touchait-elle quelque subside comme veuve et mère de trois enfants mineurs et scolarisés ?
   Fin juillet 1932, Valérie habite toujours Villa Sorabella (en fait foi une carte postale expédiée à René de Tunis par son copain Maurice, et envoyée à cette adresse, bien que René habite déjà depuis cinq ans chez Titi et Nini à Belcourt).

De quelques mariages…

   Au décès du grand-père, l'aînée, Claire (tata Nini), a vingt-quatre ans. Il y a déjà deux ans, le 21 février 1925, ici à Hussein-Dey, elle a épousé Henri Laurent Ferdinand Grüber (notre futur "tonton Titi"), ainsi qu'en témoigne la mention de la famile Grüber sur le faire-part de décès du grand-père (10). Peut-être à la date de leur mariage Henri est-il déjà agent de police ? (né en 1898, il a déjà 27 ans). Claire et Henri habitent à Belcourt, 2 boulevard Auguste Comte. Ils recueillent René, qui a onze ans, il grandira avec leurs deux filles, Huguette et Éliane (11). René vivra chez eux à cette adresse, jusqu'à son certificat d'études et son premier boulot. Le 28 décembre 1946, ce sera mon baptême en l'église Saint-Charles de l'Agha, et Henri Grüber deviendra mon parrain. Il avait déjà été auparavant celui de mon cousin Jacques D'Acunzo.

    Paulette, elle, n'est pas encore mariée, elle le sera dans à peine plus de six mois, le 2 juin 1928. Elle épousera Antoine Miquel, un cousin "germain", comme on disait, né lui aussi à El-Achour. Il était le fils d'une soeur de Paul Jean-Pierre, Marie Eugénie, qui avait épousé à El Achour Marcellin Miquel en octobre 1902. Elle s'appelait donc Marie-Eugénie Miquel. Aussi ne faut-il pas s'étonner de la mention de la famille Miquel sur le faire-part de décès de Paul Jean-Pierre avant même le mariage de Paulette : les Miquel faisaient déjà partie de la famille ! Antoine Miquel est contrôleur aux C.F.R.A., le réseau de transport algérois. Il mourra à 38 ans, le 17 juin 1941, ses obsèques rassembleront une foule assez considérable. La soeur d'Antoine, Claire, tient une blanchisserie sur la place d'El-Biar, en haut du Bd Gallieni à gauche. Celui qui assure des livraisons pour elle s'appelle Charles Angeletti. Charles et Paulette vont se marier, en 1944 ils auront un fils, Jean-Pierre, cousin qui sera pour mon frère Pierre et moi un constant, épatant et aimé compagnon de jeu en nos années 50.

   La troisième soeur, Tata Blanche, se mariera avec Alphonse d'Acunzo le 15 novembre 1932. Elle était très belle, et avait, sans exagérer, "un port de Reine" (comme on disait). En lui faisant don à son baptême des prénoms de trois très grandes souveraines (Blanche, Anne, Eugénie), Paul et Valérie lui avaient-ils en même temps conféré cet air de grande noblesse qui était le sien ? Résidant à Hussein-Dey jusqu'en 1962, Blanche et Alphonse eurent d'abord une fille, Nicole (née le 11 Janvier 1935, décédée le 4 Août 1936), puis deux fils : Jacques, et ensuite Georges. Dans les années 50 Jacques sera premier prix de violon du conservatoire d'Alger, et en ce XXIe siècle, il est Président de l'Amicale des Enfants d'Hussein-Dey. Georges, lui, était un merveilleux conteur, malicieux, drôle et truculent, par exemple il racontait "sa" rue de Constantine, la parcourant commerçant après commerçant, bistrot après bistrot, et c'était comme si on y était. Ci-dessous, la photo "officielle" du mariage de Tata Blanche et Tonton Alphonse.

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Bon, les deux mariés, pour leurs noms, ça va. Pour les autres, voici… Rangée du haut, celle des "garçons d'honneur" : René Dupeyrot - Charles d'Acunzo, frère du marié (il sera tué durant la guerre de 39-45, une rue d'Hussein-Dey portera son nom) - Nicolas d'Acunzo, frère du marié - Marcel Dupeyrot. Rangée du milieu, celle des "demoiselles d'honneur" : Bernadette, amie de la mariée - Lucie, soeur du marié - Mireille, amie de la mariée - "Tata Carmen". Les deux hommes debout : "Tonton Raymond" (moustache), frère de la mère du marié, et Raphaël d'Acunzo, père du marié. Premier rang : à gauche du marié, en robe à col plein de pointes : Jeanne Macone (d'Acunzo), mère du marié. Assise à droite de la mariée : sa maman, notre Valérie Melou ! Le petit garçon assis par terre : Paul Caroli (du Cirque Caroli), et la petite fille : Huguette, première fille de Claire Dupeyrot et Henri Grüber. Qui tous deux ne sont pas sur la photo, mais il manque sur cette photo un paquet de monde (Henri, Paulette et son mari Antoine…), sans doute d'autres furent-elles prises. Ci-dessus, c'est la photo du cortège rapproché.

   On a vu que Marcel, l'aîné des trois frères, était mis à contribution par le grand-père qui le cantonnait aux travaux de la ferme et à la livraison du lait, au détriment de son assiduité en classe. Ce qui explique que Marcel n'ait eu ni la chance ni l'opportunité d'arriver au certificat d'études. Quand il se retrouve orphelin à 17 ans, il continue à travailler pour aider sa famille jusqu'à son départ pour l'Armée. "C'est certainement au cours de son service militaire qu'il a pu obtenir son permis de conduire, ce qui lui permettra de devenir le chauffeur routier qui a fait notre fierté" (sa fille Monique, juillet 2019). Le 29 janvier 1936 Marcel épouse Albertine de Rull. Ils auront un garçon, Claude, et trois filles : Monique, Maryvonne, et Danièle. Tous continueront d'habiter Hussein-Dey jusqu'à l'indépendance.

   Et Henri, le petit dernier ? L'autre appartement de la même Villa Sorabella était loué à une famille Moll, constituée des parents, de leur fille, Yvonne, et de son frère Marcel (qui en 1939-1945 partira en Angleterre rejoindre la France libre). Monsieur Moll était ouvrier chez Blachère, une usine métallurgique d'Hussein-Dey. C'est cette Yvonne Moll qu'épousera le 20 avril 1946 le benjamin de la famille Dupeyrot, Henri, elle deviendra notre "tata Fifi". Ils auront pour enfants Joëlle et Jean-Paul. Et aussi un petit Frédéric, mort bien tôt.

   Pour René, son mariage ce sera, comme pour Henri, pour bien après : un temps bien long, dont deux ans de service militaire et cinq ans de captivité en Allemagne. Pour la captivité, c'est ICI, pour le mariage de René et Odette, c'est LÀ. Ils auront deux fils, mon cher petit frère Pierre en 1949, et moi, en 1946.

9 - Le n°10, rue de Toul (6ème étage) à Belcourt (quittant Hussein-Dey, vous suivez la rue de Lyon vers Alger Centre, c'est un peu après le Jardin d'Essai à droite, en face le cimetière musulman du Hamma, le long du stade Biales) :
   Ce sera la dernière adresse de Valérie. Et le pivot de la vie de la famille pour les années suivantes… Par exemple, c'est ici que le 17 juin 1941 sera fixé le rendez-vous pour le départ du convoi funéraire d'Antoine Miquel (le mari de Tata Paulette, si vous avez bien suivi), qui donnera lieu à une affluence assez considérable.

   Vers 1936, à partir du moment où il commencera à travailler, René viendra ici habiter chez Valérie, pour l'aider ("le logement de Titi et Nini devenant trop petit et ma mère ayant plus besoin de moi qu'eux"), mais aussi par pure gourmandise : "Quand je partais pour mes expéditions dans le bled pour les Bouchonneries, ou plus tard lors de mes permissions, Maman me préparait des pigeons au lard à emporter, et c'était délicieux", se souvient-il. René habitera rue de Toul jusqu'à son départ à l'armée, puis reviendra y habiter quelques mois lors de son retour de captivité et jusqu'à son mariage le 1er décembre 1945.

    Résidèrent ici aussi un temps Henri, sa femme Yvonne et leurs deux enfants, avant qu'ils n'aillent habiter la cité de Diar-el-Mahçoul. Ils auront vécu successivement à chaque bout du "téphérique du Marabout", d'abord en bas, puis à son arrivée en haut. Au cours des vingt années suivantes, Valérie ira faire de courts séjours chez l'un puis l'autre de ses enfants. Prenant garde à ne pas les lasser, chaque fois elle reviendra en son "chez elle" de la rue de Toul. Là, il lui fallait regagner son sixième étage desservi par une vieillerie d'ascenseur, trop souvent en panne (se souvenait Joëlle). Alors qu'elle séjourne chez sa fille Paulette (devenue Angeletti du fait de son second mariage), 15 rue Burdeau, au retour de la promenade dominicale en forêt de Baïnem avec la famille Angeletti, les bras encore chargés de fleurs des champs qu'elle a cueillies, elle s'est assise, a poussé un soupir et s'est éteinte. Ce sera le 8 novembre 1953. Elle sera inhumée le 10 au cimetière de Saint-Eugène. Elle venait d'avoir soixante quatorze ans.

   Elle avait vécu dans l'ombre de son mari, puis, discrète et douce, dans l'ombre d'elle-même. Elle me chantait "Se canto" pour m'endormir, et d'après papa, j'aimais bien ça. Elle me lisait des histoires. Quand dans le livre "La lecture liée au langage" (un bouquin de classe des Éditions Hatier que diffusait mon père), elle lut que l'un des enfants déclarait  ne pas aimer le thé à la menthe, elle s'exclama qu'elle non plus, elle n'aimait pas, mais alors VRAIMENT pas le thé à la menthe ! Elle avait insisté sur "vraiment", avait un peu élevé la voix, et je l'avais sentie comme étonnée qu'elle osât pour une fois faire acte d'une préférence, même anodine, manifestation inattendue d'un trait de caractère inconnu d'elle-même. J'avais six ans et ceci reste mon seul souvenir d'elle.

Gérald Dupeyrot
   


Sur cette photo (floue, n'essuyez pas vos lunettes) de 1937 : de gauche à droite : Henri, Marcel et sa femme Albertine, et Valérie. Tata Albertine, penchée en avant, tient dans ses bras son premier enfant, Claude, né en novembre 1936. Non, Valérie ne se faisait pas bronzer ! Mais quand on a travaillé pendant des décennies, et dès son plus jeune âge, à l'extérieur, la peau se souvient du vent, de l'air et du soleil. Quant à la petite fille, je n'ai pas su mettre de nom sur elle. Désolé, petite !




Au début la guerre de 1939-1945 : Henri, à l'occasion d'une permission, retrouve sa soeur Paulette et Valérie, sa maman. Il porte l'uniforme qui a été celui des régiments d'artillerie d'Afrique jusqu'aux premiers temps de la guerre (voir ici). Et c'est pas parce qu'il porte une chéchia et une large ceinture de flanelle qu'il faut le confondre avec un Zouave ou un Chasseur d'Afrique ! À cet uniforme succèdera bientôt une tenue plus "moderne" et "casual" sur le modèle de celle des G.I. américains. Henri a été mobilisé durant la guerre de 39-40, démobilisé, puis, à partir de 1942, il est de toutes les campagnes de la "reconquête" : Tunisie, Corse, île d'Elbe (il est du débarquement et de la prise de l'île), débarquement en Provence, campagne de France et campagne d'Allemagne "Rhin et Danube". Une fois démobilisé, Henri va épouser Yvonne Moll le 20 avril 1946 (merci encore à Jean-Paul pour cette photo !)



Notes :

(1) Les points 4 à 9, je me les suis fait re-préciser par papa à Bourg-en-Bresse, le mardi 14 juillet 1998, retour du château de Saint-André d'Huiriat où cette année-là avait eu lieu notre cousinade.






Loubressac, vue générale (D.R.)

(2) Loubressac est classé parmi les plus jolis villages de France. C'est là que ma cousine Joëlle et moi organisâmes la première cousinade de la famille Dupeyrot, du 15 au 17 août 1997. C'est là aussi qu'eut lieu la première réunion d'Es'mmaïens, le 15 août 1999, organisée par Roger Martignac (un camarade de classe de l'école Clauzel à Alger, que je venais récemment de retrouver), et moi. C'était avant la création du site. La grand-mère de Roger avait sa maison quasiment sur la place du village. Que les Martignac fussent aussi de Loubressac, c'était juste une coïncidence.

(2) Ouled-Fayet ou El-Achour ?
Mon père n'a jamais fait la distinction entre les deux communes quand il parlait de "la première ferme". Mais il est vrai qu'il n'avait que deux ans lorsque la famille gagna Dely-Ibrahim pour la seconde ferme. Par ailleurs les deux communes étaient limitrophes, El-Achour se trouvant à l'est de Ouled-Fayet. Ainsi mon père avait été baptisé le 18 août 1916 en l'église d'Ouled-Fayet. La ferme du grand-père se trouvait-elle à la limite des deux communes ? Ce qui expliquerait la collusion entre elles qu'entretenait mon père.


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Cette photo des écoles d'Ouled-Fayet date d'autour de 1910. Il est probable qu'au moins un des enfants Dupeyrot figure sur ce document.


(3) Né en 1878, Paul Jean-Pierre était de la classe 1898, et donc en principe, au début de la guerre, mobilisable dans l'armée territoriale (cf. http://combattant.14-18.pagesperso-orange.fr/Pasapas/E101Qui.html). Grâce à notre amie et Es'mmaïenne Françoise Pigeot, nous avons pris connaissance de ses "états de service". On réalise à quel point à cette époque les activités militaires étaient présentes dans la vie des civils. Et que ça ne devait pas faciliter la vie professionnelle.

Avant la guerre :
   Incorporé le 14 novembre 1899. Brigadier le 27 mai 1900. Brigadier le 28 juillet 1900 (deux fois ?). À cette époque, la durée du service militaire est de trois ans. En principe, la quille pour Paul Jean-Pierre a dû tomber le 14 novembre 1902. Ce qui expliquerait la date de son mariage, aussitôt libéré, le 20 décembre 1902.
   Il accomplit ensuite au 5ème chasseurs d'Afrique une première période d'exercices du 19 octobre au 15 novembre 1903. Nommé Maréchal des logis le 19 décembre 1903. Accomplit une seconde période d'exercices au 1er régiment de chasseurs d'Afrique, du 1er au 17 février 1909. Cette seconde fois, il n'a rien été nommé du tout. Pas le moindre petit galon supplémentaire.

Période de la guerre :
   "Rappelé à l'activité par la Mobilisation générale du 02-08-1914, arrivé au corps (le 5e Chasseurs d'Afrique, donc) le 04-08-1914". C'est lors de ce séjour qu'a été prise la photo de groupe ci-dessus en colonne de gauche, datée du 24 août 1914.

   "Son 6e enfant étant né le 22 octobre 1914" (Jeanne Marie, qui va décéder le 19 juin 1915), Paul Jean-Pierre est versé dans la réserve générale de l'armée territoriale (en vertu de l'article 48) le 30 octobre 1914. Renvoyé provisoirement dans ses foyers. Affecté au 3e bataillon de la Territoriale des Zouaves.
   Rappelé à l'activité le 6-09-1915, par décision du Général Commandant en chef n°32566R du 15-08-1915, et affecté dans la réserve au 5e Chasseurs d'Afrique à Alger.

   Ainsi, lors de la guerre de 14-18, Paul Jean-Pierre n'aura pas quitté l'Algérie, aussi sur sa fiche est-il indiqué "campagne contre l'Allemagne : Algérie, du 04 août 1914 au 29 octobre 1914".

   Il est aussi écrit : "Libéré du service militaire le 10 novembre 1927". C'était 16 jours avant sa mort. Ce qui est assez normal, quand on est mort, on est assez libéré du service militaire, et libéré aussi de pas mal d'autres choses, d'ailleurs.



Quelques images d'El Achour…


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Vue générale d'El Achour au début du XXe siècle. En 1900 c'est un village de 400 âmes, au milieu des champs et des vignes. Un siècle plus tard, El Achour, gagné par l'urbanisation, sera devenu une banlieue d'Alger, où le béton aura submergé la campagne.


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Une photo vraisemblablement légèrement postérieure au séjour des Dupeyrot sur le territoire de la commune, si l'on en juge par les modèles des voitures.


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La place du village et le monument aux morts.


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Le monument aux morts, surmonté d'un coq. La famille n'a certainement pas connu ce monument, puisqu'elle a quitté El Achour pour Dely-Ibrahim en 1918. La récupération de ce coq à l'été 1962 pour le ramener en France donnera lieu à un épilogue tragique qui nous est conté sur cet écran du site de Bernard Venis (cliquez).




(4) Dely-Ibrahim, 1922

tiré de l'annuaire Fontana Frères








(5) Par papa et maman, que j'ai au téléphone le 20 juillet 1998, j'apprends les réjouissantes gracieusetés dont les Algérois gratifiaient leurs lignes de transports en commun à partir de leurs sigles :

TMS = Très Mal Servis ;
TA = Travail Arabe ;
CFRA = Café Français, Restaurant Arabe,
ou : Contrôleur Feignant, Receveur Autant.

   En se rappelant ces épithètes malaimables et un peu niaiseuses, maman, au fur et à mesure que ça lui revenait, en pleurait de rire.




(6) L'adresse exacte de la ferme est : rue Parnet. Papa parlait de la ferme Gitton-Lefranc, ailleurs on parle de la ferme de la famille Gitton-Servat. Il semblerait que cette famille possédait deux domaines, celui ici à Hussein-Dey, et un autre à Kaddous (le village juste après Birmandreïs, plutôt que celui situé vers Aïn-Taya). Elle possédait également des immeubles dans Alger, notamment celui à l'angle des rues Pasteur et d'Isly.




(7) Le colonel de la Rocque : une personnalité considérable de cette époque. Il n'était ni pied-noir ni ne vivait en Algérie. Son association de centaines de milliers d'anciens combattants réunis sous le nom de "Croix de feu", joua avant la guerre de 39-45 un rôle politique considérable. Il avait à Alger de nombreux partisans. Un coup d'oeil sur Wikipedia vous renseignera sur ce personnage controversé, dont les options résolument de droite et anti-parlementaristes, mais aussi anti-allemandes et jamais antisémites, ne l'empèchèrent pas de participer à la résistance contre l'occupant. Il fut même déporté pour celà. Et mourut des suites de sa captivité. À titre posthume, il fut réhabilité et reçut la médaille de la déportation et de l'internement pour faits de Résistance.




(8) Le Selecto des Ets Hamoud Boualem :
(qui pour l'instant ne s'appellent que Ets Hamoud)



   Créé en 1878 sous un autre nom ("Victoria"), le soda de nos enfances ne prendra que plus tard son nom de Selecto. C'est pourquoi cette réclame du 6 janvier 1920 dans l'Écho d'Alger le présente comme une nouveauté !

   En réalité, c'est depuis au moins trois ans que le SELECTO, "boisson champagnisée", est une nouveauté ! En témoigne la réclame ci-dessous dans l'Écho d'Alger du 22 juin 1917. Ceci rappelle aussi que ce fut bien Joseph Youssef Hamoud et non son fils Boualem, qui fut le créateur et de la boisson, et du nom qui la fit passer à la postérité !


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(9) À cette question, la réponse est vraisemblablement "non", du moins pour les deux premiers. Les "restes mortels" (selon la terminologie administrative) du cimetière d'El-Achour ont été exhumés et regroupés au cours d'opérations qui se sont déroulées en février 2015. Ils ont été recueillis au cimetière du Mont d'Or à El-Biar le 23 février 2015. Une page du site du Consulat Général de France à Alger (cliquez) fait état de ce transfert. Des photos représentent le cimetière tel qu'il aura été pendant quelques décennies avant sa disparition en 2015. C'est assez émouvant. Un tableau mentionne les identités des "restes mortels" qui se trouvaient dans les tombes, caveaux ou chapelles portant un nom, et ceux (nombreux) qui se trouvaient dans des tombes sans mention de nom de famille, ou dans des tombes "en pleine terre". Aucun Dupeyrot ne figure.
   Par acquis de conscience, je suis allé cousulter la page consacrée au semblable "regroupement" qui s'opéra en décembre 2014 / janvier 2015 pour le cimetière d'Ouled-Fayet (cliquez), pas davantage de résultat. Plus de trace nulle part, semble t-il, de Marcel Antoine ni de Thérèse, aucune photo d'eux non plus. De ces deux petits Dupeyrot, tout juste subsiste t-il encore leurs noms sur le présent écran.
   Je n'ai pas eu davantage de chance avec l'ancien cimetière de Dely-Ibrahim, dont les "restes mortels" ont aussi été transférés à celui d'El-Biar en 2016. Plus de trace des bébés jumeaux de 1922. (Voir ici)


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La stèle installée à l'emplacement de l'ancien cimetière chrétien d'El-Achour. Celui des nôtres.


(10) Les belles-familles Miquel et Grüber : elles sont citées sur le faire-part de décés du grand-père. La famille Miquel parce qu'elle est celle de la soeur du grand-père de par son mariage, et aussi en quelque sorte par anticipation de six mois (voir ci-contre "De quelques mariages"). Je ne sais qui était la famille Goizet, également mentionnée. Il me semble qu'outre sa soeur, le grand-père avait de la famille alentour. Il me semble aussi qu'elle pouvait habiter Saint-Ferdinand, mais c'est sans garantie (souvenir ténu et très flou). Saint Ferdinand (aujourd'hui Souidania) était une toute petite commune au sud-ouest d'Alger, proche de Staoueli et Zéralda à l'ouest, et limitrophe de Ouled-Fayet à l'est.

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Cette carte montre la contiguïté des 4 villages limitrophes cités, dont Souidania, ex-Saint-Ferdinand (carte moderne). En cliquant, l'agrandissement montre la proximité de la mer, et des plages de Zéralda et de Sidi-Fredj (ex-Sidi-Ferruch). La vue de la mer depuis le plateau était magnifique.


(11) Claire et Henri : à une date inconnue, ils s'installeront Cité Douïeb. Ils vont y mourir à la fin des années 50, lui d'un cancer, elle d'une gangrène due au diabete. Après leurs décès, leur fille Éliane et son mari Michel Lebègue (patos lorrain, appelé sous les drapeaux, puis appelé à rester à Alger après avoir rencontré Éliane) demeureront Cité Douïeb un temps après l'indépendance.

   Huguette, elle, après avoir épousé Jean Galteau (autre patos, mais charentais), s'installera d'abord avec lui dans une villa d'un lotissement à Lavigerie (Maison Carrée). Puis survient l'indépendance. Une fois "rapatriés", ils se fixeront à Cherves-de-Cognac, et Jean deviendra Maître de chai pour les Cognacs Denis Mounié.




Alger, 1984,
cimetière de Saint-Eugène

   En 1984, j'ai effectué mon premier retour en ma ville natale. L'été 1984, au festival de dessin animé de Zagreb, j'avais rencontré un type très jovial, très agréable, Azzedine Mabrouki, critique cinéma à El Moudjahid (LE quotidien officiel algérien à l'époque). Il "couvrait" le festival pour le compte de son journal. Il fit mine de s'offusquer que je ne sois pas retourné "chez moi" depuis vingt ans, m'encouragea à le faire, et en plus me promit de me présenter SLIM, le chroniqueur graphique du même journal, célébrité en Algérie, créateur des personnages de BD cultes Bouzid et Zina, et auteur depuis peu du film "le Petit train de l'Indépendance", un dessin animé produit pour le 20e anniversaire de l'indépendance, un auteur que je rêvais de rencontrer. Alors, avec Françoise, on y est allés.

   Ce fut un séjour très agréable, et entre autres satisfactions j'eus celle d'être présenté à Slim par Azzedine, ce fut dans les locaux de la cinémathèque algérienne, dans l'ancien cinéma le Club, 26 rue d'Isly. Mais ceci est une autre histoire…

   Le sixième jour de notre séjour, c'était le 15 septembre, nous nous sommes rendus sur la tombe de Valérie Melou, au cimetière de Saint-Eugène. Françoise et moi avons charrié des arrosoirs d'eau, arraché des tonnes de mauvaises herbes, briqué et rebriqué le marbre, retapé vingt ans de décrépitude, installé notre bouquet de fleurs, Françoise a même ravivé avec un feutre noir les lettres du nom de Valérie gravées dans la jardinière (voir photos ci-dessous).

   Le registre du cimetière nous rappela qu'outre Valérie, avait auparavant été inhumé dans cette même tombe Antoine Miquel, le premier mari de Tata Paulette donc, le 17 juin 1941_ C'est son nom que porte, bien visible, le côté avant de la tombe. Plus tard, le 13 juin 1946 d'après la même page du registre, Tata Paulette a acquis la concession de cette tombe pour 50 ans. Et puis je retrouve deux dates qui me reprécisent quand, à deux ou trois jours prés, sont décédés Claire Dupeyrot (tata Nini) et son mari Henri Grüber (mon parrain). Henri fut inhumé ici le 29 décembre 1959, Claire le fut le 17 janvier 1961.


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La page du registre du cimetière de Saint-Eugène.


   En 2006, lors de mon second retour en Alger, encore vingt ans plus tard, j'ai entrepris un semblable récurage de la tombe. Entretemps, elle s'était pas mal affaissée, le terrain du cimetière est assez instable. Et encore vingt ans plus tard… Euh, non, là, je crois que je suis en train de me vanter, un peu trop optimiste, si vous voyez ce que je veux dire… Encore que… 2026, après tout, ce n'est que dans sept ans, non ? (Gérald, en 2019)

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   Information de dernière minute à la date du 10 octobre 2019 : à l'occasion de son 39e retour au pays, du 28 septembre au 3 octobre 2019, notre ami Yves Jalabert, en visite au cimetière européen de Saint-Eugène, m'a ramené la photo ci-dessous de la tombe des Melou-Miquel-Grüber. On ne distingue plus les lettres du nom de Valérie sur la jardinière. Mais la croix fleurie en faïence est toujours là. Oui, la tombe n'est plus en très bon état, mais ça pourrait être pire. Les Enfants de Paul et Valérie vont-ils la faire retaper ? À suivre…


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Pour toute information que vous pourriez souhaiter,
ou que vous pensez pouvoir apporter,
vous pouvez m'envoyer un message à l'adresse suivante :

dupeyrot.philippon@orange.fr





Et pour finir, tous les protagonistes ci-dessus réunis
viennent prendre place dans leur arbre généalogique préféré…


(ne figurent pas sur cet arbre généalogique, faute de place, les enfants morts en très bas âge,
comme cinq des enfants de Paul et Valérie,
ou Nicole, fille de Blanche et Alphonse d'Acunzo, décédée à un an et demi en 1936).



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   Oui, à cet endroit précis il devrait y avoir la génération suivante ! Et ces années-ci a même dû commencer à s'inscrire la rangée d'encore après, celle de la sixième génération… Si je m'en sens le courage, je complèterai, peut-être, un jour…. Et sinon, peut-être que ce sera l'un de ces nouveaux noms qui, peut-être, un jour, reprendra cet arbre où je l'ai laissé. Je me fais l'effet du photographe des photos de classe, vous savez celui qui avait un voile noir sur la tête… Bon, on ne bouge plus, CLIC, voilà, c'est dans la boîte ! Je vous embrasse tous (oui, ça va être un peu long). Gérald.