Librairie "À Nostre-Dame", 37 rue Michelet, Alger

29 mars 1961 :
Tata Philo et Sainte Philomène

par Gérald Dupeyrot

De gauche à droite, les protagonistes : 1) Dioclétien, le méchant. Comme disait Hitchcock, "meilleur est le méchant, meilleur est le film !". Et celui là, méchant, il l'était ! On doit cet excellent casting, et un non moins bon scénario, datés de 1833, à Mère Marie Louise de Jésus (de Naples). 2) Un photomaton de la petite sainte (mignonne à damner un saint, non?) avec ses flèches. 3) Un photostop de la fin des années 40 : ma tante Philomène est rue Michelet, elle vient de sortir de la librairie "À Nostre Dame" pour rentrer chez elle, boulevard Baudin. La librairie est juste derrière elle à gauche, de l'autre côté de la rue Tirman. Là elle passe devant "L'Optique de France" au n°35 (stuc de la façade en losanges, très "art déco"). Bon, tout le monde est là ? 3 coups… On peut commencer.

Ze right Philomène in Ze right librairie

   À la librairie "À Nostre Dame", de 1930 à 1962, ma tante, Philomène Pons, tint le rayon des objets de piété. Oui, vous savez toutes ces choses utiles aux messes, baptêmes, communions, mariages, et à la célébration du Christ, du Saint-Esprit, de la Vierge et des saints : statues, icônes, médailles, chapelets, croix de toutes tailles, images pieuses, missels… Ce que les mécréants appellent "bondieuseries" ? Oui, c'est ça. Ici on a choisi aussi mon premier stylo à plume (en or, offert par mon parrain pour la communion solennelle), mais pas les dragées, faut pas pousser. Pour les brassards brodés et les cierges, je sais plus…

   Ce rayon (en entrant, à droite et au fond) était une part essentielle de la prospérité du magasin. C'est lui qui justifiait l'enseigne "À Nostre Dame", inscrite en lettres gothiques dorées sur fond de marbre noir, au fronton des vitrines du 37 de la rue Michelet . Ce n'était pas à Alger le seul négoce de sa catégorie, mais la proximité de l'église espagnole et de Sainte-Marie-Saint-Charles de l'Agha et de leurs opulents paroissiens en faisait un haut lieu dans son genre. À Nostre Dame, on avait un rang à tenir, et c'est à tata Philo qu'en incombait la logistique.

   Pourquoi mes grands-parents avaient-ils donné à leur seconde fille le prénom de Philomène ? Je ne le saurai jamais. Ils étaient croyants, bien-sûr, comme beaucoup de gens en ce temps là, mais ils étaient tous deux d'origine mahonaise, lui un Pons, elle une Llabrès (oui, avec 2 L). Pourquoi écrire : "MAIS ils étaient tous deux d'origine mahonaise" ? Vous allez comprendre : mahonais, c'est à dire qu'ils étaient de l'île de Minorque, donc des Baléares, donc espagnols. Sainte Philomène, elle, était italienne, romaine du IVème siècle exactement, mais découverte et vénérée de fraîche date (1805). On pourrait penser que l'Église avait su en un siècle faire une excellente réclame à Sainte Philomène . Ou bien à El Biar, paroisse de mes grands parents maternels, le curé au début du siècle développait-il un ardent prosélytisme en faveur de la sainte ? Toujours est-il que mes braves gens de grands-parents furent suffisamment séduits pour donner le 15 janvier 1911 ce joli prénom, "amie de la lumière", à leur fille. Ensuite, une fois par an, sa maman l'emmenait à Kouba où une basilique était dévolue au culte de la sainte .


Argent en odeur de sainteté

   Philomène commença à travailler très jeune (je parle de ma tante, la sainte je ne sais pas), comme souvent les enfants de pauvres à cette époque (son père avait été tué en 1916 à Verdun, laissant une veuve sans profession et sans fortune, et trois orphelines). Bien que gauchère pratiquante , Philomène avait la confiance des demoiselles Clerre, Henriette et Madeleine, patronnes d'"À Nostre Dame", à tel point qu'elles lui confiaient la boutique et le chéquier en leur absence. Ma tante n'en était pas peu fière !

   "Tata Philo" (mon frère et moi l'appelions ainsi) associait conscience professionnelle et efficacité. Elle pensa donc, et ce n'était pas sot, que sa garantie personnelle pouvait être un argument de vente décisif. Elle se mit donc à vendre à tour de bras "du Sainte Philomène" (notez que ma tante était plus respectueuse et délicate que je le suis ici, jamais elle ne parla de sa sainte comme d'une action en bourse ou d'une marchandise) ! Il lui suffisait d'arguer auprès de ses clients des bienfaits qu'elle même tirait de sa propre consécration à la sainte, et l'affaire était dans le sac ! Encore que je n'aie jamais compris ce qui, dans cette mise en avant toute personnelle, pouvait être à ce point édifiant. Je suppose qu'il lui suffisait de dire qu'elle en était tout à fait contente, et que sa parole suffisait. "La force du testimonial !", expliqueraient les publicitaires d'aujourd'hui !

   Nombre d'algéroises pieuses se rendirent à ses arguments, ramenant chez elles un, voire plusieurs de ces objets à l'image de Sainte Philomène. On imagine les réactions des maris quand ils voyaient rentrer au foyer leur épouse accro, ramenant, jour après jour, des Sainte Philomène sous toutes les formes, achetées avec l'argent du ménage, peut-être au détriment de l'essentiel . Mais elles avaient la caution de la si sérieuse "Mademoiselle Pons", et je suppose que, du coup, les griefs tournaient court. Oui, mais quelle responsabilité endossait ainsi ma tante ! La roche Tarpeïenne (vous savez, près du capital), et le ciboire (jusqu'à l'halali, bien sûr) n'étaient pas loin loin…


Quand Rome ne mène plus à Philomène...

   Cette rente de situation spiritualo-mercantile aurait pu durer indéfiniment, quand, patatra, arriva ce jour fatidique du mercredi 29 mars 1961, auprès duquel le 11 septembre 2001, le jeudi noir de Wall Street, Pearl-Harbour, ou la nuit du 4 août semblent des dates bien anodines .

   Ce jour-là à Rome, la "Sacrée Congrégation des Rites", par un soi-disant "remaniement liturgique", aussi malheureux qu'inexplicable, supprima de tous les calendriers la fête de sainte Philomène . Sous les fallacieux prétextes qu'elle n'aurait pas été vierge, pas davantage martyre, et, circonstance agravante, qu'elle n'aurait même pas existé du tout !

   Un monde s'effondrait. Une des valeurs refuges des objets de piété se trouvait du jour au lendemain chassée du paradis de la bourse aux reliques. "Vous vous rendez-compte, disait ma tante lorsque nous étions en famille, boulevard Baudin, qu'est-ce que je vais dire à mes clientes ?". Nous on s'en fichait un peu, mais on avait tort.

   Car ma chère tante ne se trouvait-elle pas dans une situation semblable à celle dont Vatel, le cuisinier célèbre du XVIIème siècle, ne s'était sorti qu'en mettant fin à ses jours ? Mais notre Philomène était profondément croyante, et je suppose que sa foi la sauva, là où elle (la foi, pas ma tante) avait fait faux bond au cuistot du Grand Condé, accablé qu'il était sous le poids de sa conscience professionnelle déshonorée.

   Je ne dis pas que ma tante n'en avait pas, de la conscience professionnelle, et complètement déshonorée qui plus est ! Au contraire, son désarroi nous dit assez ce que devait être son sens de la responsabilité vis à vis de sa clientèle. Mais elle sut ne pas céder aux sirènes démoniaques auxquelles Vatel, lui, avait succombé. Le désespoir n'est-il pas le péché mortel par excellence ? Heureusement tante Philomène, appréhendant le courroux et l'ironie de ses clientes, ou leurs demandes de remboursement ou d'échanges contre des saints moins dévalorisés, n'aura pas à faire face longtemps.


Ite missa est

   Davantage encore que le "Putsch des généraux", qui allait s'achever un mois plus tard en totale Bérezina, la date du 29 mars 1961 fut un sombre présage qui aurait dû finir de nous alerter. L'ex-sainte précédait de peu les ex-généraux, qui eux-mêmes préfigureraient l'Algérie ex-française… Bientôt dans nos vies, tout allait tourner à l'EX ! À peine un peu plus d'un an va passer, et la clientèle de ma tante, et elle même, et nous tous, serions dispersées par le grand exode. Notre grand naufrage généralisé vint en camoufler un autre, celui-là tout personnel mais non moins déchirant, celui de la petite vendeuse de sainte Philomène.

   En ce printemps 62, les statues et autres objets à l'effigie de Sainte Philomène furent sans doute ce qui s'emporta le moins dans les maigres bagages des immigrés que nous fûmes. On avait à sélectionner l'essentiel, et dans un tri d'où était écarté tout ce qui ne servirait à rien (sauf ce qu'on a pu embarquer par erreur, pour cause de précipitation), c'est sûr que les objets à l'effigie d'une Sainte tombée en disgrâce ne durent pas souvent figurer au nombre des priorités .

   Après notre venue en France, ma tante, qui ne dut pas mentionner dans son CV le faux pas que constitua sa vigoureuse méthode de vente dite "à la sainte Philomène", retrouva, un an plus tard, une situation équivalente à la Librairie Catholique Emmanuel Vitte, place Bellecour à Lyon (devenue ensuite "Bellecour Livres", et à laquelle succédera, à la fin du XXème siècle, l'actuel "Bellecour-Musique". O tempora o mores). Celui ou celle qui la précéda à la tête du rayon des objets de piété avait sans doute eu également à souffrir de cette mise à la trappe brutale de la petite sainte . Mais désormais les choses étaient claires : les nouvelles clientes lyonnaises de ma tante savaient à quoi s'en tenir, et ce fut en pleine conscience (ou inconscience, mais c'était plus son problème) si certaines lui commandèrent quand même des objets consacrés à sainte Philomène. En tout cas, sur ces coups-là, ma tante (sans aller toutefois jusqu'à changer son prénom en Augustine ou en Sémiramis) s'abstint désormais d'influencer le dévôt.


Épilogue : Et sainte Philomène était toujours vivante !

   Pourtant, de nos jours (début du XXIème siècle), Sainte Philomène continue d'être l'objet d'une dévotion assez considérable. Le miracle de son martyre perdure, elle ne cesse de renaître indéfiniment. Tapez son nom sur un moteur de recherche Internet, et vous verrez : des centaines de sites, de cours privés, de collèges, d'églises, de prières, d'objets de piété, de pétitions pour sa réhabilitation, des sites espagnols, anglais, italiens, allemands, américains, et j'en passe, lui sont consacrés. Donc, tata Philo, t'as bien fait de ne pas suivre l'exemple de l'ami Vatel. Tu avais poussé tes clientes vers une valeur sûre, contestée mais durable, ce furent pour elles de bons investissements, l'honneur, en fin de comptes (kling !), est sauf.

G. D.
Ton neveu qui t'aime beaucoup, et a voulu laisser de toi ce souvenir tendre,
au trait un peu forcé mais à peine (sinon se souviendra-t-on de toi ?)
et d'un surréalisme auquel je n'ai rien eu besoin de rajouter.
Sinon, parler de ton courage d'orpheline devenue chef de famille par la force du malheur,
de l'aide dont je devine que, par deux fois au moins, tu apportas à mon père,
ce serait juste du pathos et puis ça n'intéresserait personne.
Désormais, sainte Philomène passera peut-être, mais tata Philo ne passera pas.
In secula seculorum.

   

   Ci-dessus, une autre représentation de Sainte Philomène dans le plus pur style saint-sulpicien. Comme sur l'image en tête de l'écran, elle est coiffée de la même couronne de fleurs et tient aussi une flèche, instrument hypothétique de son martyre fantasmé. Ici on lui a rajouté l'ancre, rattachée à son cou par une corde, et un fouet, muni de petites choses dures qui doivent faire bien mal (elle semble avoir la peau si tendre, miam ! Le lys est d'ailleurs là pour nous garantir la pureté de son teint, et sa virginité). L'anneau dans le mur n'est pas innocent non plus pour la suite des opérations (allons, ne faites pas celui qui n'a pas d'imagination). Noter aussi la répétition un peu goulue du même symbole  : la pointe de la flèche (a) et le bec de l'ancre au bout de sa verge (pardon, mais tel est le terme technique de marine) que Philomène étreint dans sa main.

   Précisément parce qu'elle n'a pas existé, la nymphette martyre a pu donner lieu à une frénésie sans contraintes de délires pervers. À partir de rien ou presque (quelques os et trois bouts de tuile apocryphes, portant dans le désordre trois syllabes de ce qu'on a supposé être son nom, et rien d'autre), et sur la foi des visions d'une religieuse italienne ayant, au XIXème siècle, décrit dans ses transes la vie et le martyre de Philomène, une légende va se nourrir et se consolider.

   Sans fondement aucun, Philomène devient cette vierge enfant archi-martyrisée par l'empereur Dioclétien (245-313, empereur de 284 à 305) pour s'être refusée à lui ! Fouettée, transpercée de flèches rougies au feu, noyée (d'où l'ancre autour du cou), tourmentée, et finalement (car à chaque fois elle est revenue intacte) décapitée ! (b) Un vrai Tex Avery avec Dioclétien dans le rôle du loup ! (c) You know what ? She's happy ! Et un tout beau cas clinique de délire hystérique. Pour une petite bonne femme qui n'a jamais existé, elle a fait très fort ! Elle a gagné les doigts dans le nez le triathlon du martyre !

   Il faut dire que les autorités de l'église, partagées entre la ferveur populaire qu'elles se devaient de ménager, et ce qu'elles savaient pertinemment être la vérité historique, n'eurent pas un rôle facile. Elles se gardèrent bien, malgré les pressions, d'aller trop loin dans l'avalisation officielle de la sainteté de Philomène, et elles l'évacuèrent dès que le contexte le permit (c'est à dire à la veille de l'ouverture du concile Vatican II).

(a) Semblable à celle qui termine la queue du Diable; d'ailleurs, en terme technique la pointe d'une flèche ne s'appelle-t-elle pas un "enferron" ? Les étymologies sont différentes, mais la rencontre est-elle si fortuite ?

(b) Chacun aura bien entendu noté l'inspiration résolument contrefaisante de Mère Marie-Louise de Jésus, reprenant très directement les péripéties du martyre de saint Christophe. On n'est pas très éloigné non plus des modalités de celui des deux frères Crépin et Crépinien, martyrisés à Soissons au IIIème siècle, et devenus ensuite les patrons des cordonniers. Oncle Paul dans Spirou - le N° 811, vous en souviens-t-y - nous en avait narré, le 29 octobre 1953, l'histoire qui, en ce temps, fit vibrer nos petits coeurs de catéchumènes… Rétrospectivement, je pense que j'aurais préféré qu'il nous parlât du martyre de Philomène, l'émoi eût sans doute été encore plus grand…

(c) Osons une tentative de réhabilitation de Dioclétien, ce despote pas si soudard : d'accord, ses arguments sont plutôt bourrus et son empressement limite collant (ah, on pardonnera à un vieux militaire sa timidité un peu maladroite !). Mais Dioclétien sur ce coup ne se comporte-t-il pas en quasi gentleman, tant sont pathétiques ses efforts pour arracher à Philomène son consentement ? Car enfin, qu'est ce qui l'empêchait de s'en passer, et de lui sauter dessus sauvagement ? Ah, vous voyez ?

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Tata Philo s'occupait également du rayon des beaux objets d'art (reproduction de sculptures, de peintures, et gamme de nombreux cadeaux de luxe : sous-mains et garnitures de bureau en cuir, ouvre-lettres et coupe-papiers très classe, lourds cendriers en matériaux précieux, lampes de bureau…. Les soutanes, cornettes et robes de bure, en provenance des paroisses d'Alger et de l'intérieur, et des institutions d'enseignement catholique, étaient quotidiennement présentes entre les rayons, mais "À Nostre Dame" était aussi une excellente librairie généraliste qui se fréquentait indépendamment de toute conviction religieuse. Parmi des milliers d'autres, Albert Camus, quand il habitait rue du Languedoc, venait en voisin et fut de ses clients.

La librairie comporta aussi une boutique de disques, dans sa dépendance de la rue Tirman, quand mon père eût abandonné ce local pour celui du 11, rue Denfert-Rochereau.

L'église en fait n'y fut pas pour grand chose, dépassée qu'elle fut par l'engouement populaire. Déjà, trois ans à peine après la découverte des ossements, ces reliques furent censées avoir provoqué de nombreux miracles lors de leur transport de Rome à Naples en 1805. Le curé d'Ars (1786-1859), qui parlait couramment à la gamine trépassée 15 siècles plus tôt et en fit sa compagne fantasmatique et mystique, ne fut pas pour rien dans cet enthousiasme pour Philomène. Lorsqu'en 1830 commence la conquête de l'Algérie, le culte de la sainte s'est déjà largement diffusé en Italie, en France et en Espagne. Aussi, dès le début des implantations en Algérie, vit-on arriver de nombreux immigrants, pêcheurs de Naples, Mahonnais, français (de la région de Lyon entre autres), dont les filles portent ou vont porter le prénom de Philomène. À Alger et dans la région d'Alger nous avons commencé à répertorier les lieux de culte qui lui furent dédiés :

Sainte Philomène et Alger

 Sainte Philomène et Kouba

Sainte Philomène et Birkhadem

(à suivre).

Être gaucher fut le seul motif de vrai racisme que dans mon enfance je pus constater autour de moi (en particulier à l'école, pépinière de futurs "gauchers contrariés" qu'il s'agissait de faire abjurer). Que, malgré ce handicap, ma tante pût être adroite (si je peux dire) fascinait les demoiselles Clerre : quand, lors des coups de feu (fêtes de Noël, veilles de communions…), Philomène se mettait à faire elle-même des paquets cadeaux, elles frémissaient de voir avec quelle dextérité la petite y allait du ciseau de la main gauche, sans jamais gâcher ni papier ni ficelle, et même en se permettant de terminer chaque paquet par une tournée des bolducs que bien des droitiers lui auraient enviée. Oui, Philomène, toute gauchère qu'elle était, faisait des miracles!

Comme les malheureux acheteurs de savon et de dentifrice dans "L'ombre du Z" (les anciens lecteurs des aventures de Spirou me comprendront).

C'est le même 29 mars 61 qu'en conseil des ministres de Gaulle déclare : "L'ère de l'Empire est close… Il a largement contribué, pendant un siècle, à maintenir notre pays au rang des premiers. Mais cette époque est révolue, pour nous, comme pour d'autres. Nous ne pouvons, seuls dans le monde, nous opposer à la décolonisation". Ainsi ce 29 mars 61 donna lieu à deux dépôts de bilan : celui de l'Empire français, et celui de sainte Philomène. Si de Gaulle avait vu juste, ça c'est une autre Histoire !

Aujourd'hui, c'est assez désordre : sur Internet on trouve pas moins de cinq dates pour la sainte Philomène (parfois sur le même écran, deux dates différentes à quelques lignes de distance) : le 5 juillet, le 10, le 11 et le 14 août ("Pluie de Notre-Dame, fait tout vin ou tout châtaigne", amusant, non ?), et le 14 novembre (selon le "Calendrier rural traditionnel" qui nous rappelle le dicton "À Sainte Philomène, misère dans les garennes"? À lire en roulant les "R" ! ).

Ce que je peux vous dire, c'est qu'en 1961, année de sa volatilisation, la sainte Philomène serait tombée le 14 novembre, et qu'il en avait été de même tout au long des années 50, comme l'attestent les calendriers des PTT.

Sur le marché aux épaves qui s'ouvrit, lors de l'été 62, du côté du haut de la rue Michelet, et où se liquidaient à bas prix les biens abandonnés par les familles européennes, les Sainte Philomène sous toutes les formes durent constituer des objets de perplexité pour les badauds, et de bradage pour les vendeurs. "Wach'ra ? - Chouf, c'est marqué... Sainte Philoumène ! Je te la mets en prime avec le lot de casseroles !". Comme elle était en général représentée sous les traits d'une très jolie et pure jeune-fille, peut-être de pieux musulmans eurent-ils un coup au coeur devant cette représentation imagée comme l'Islam n'en permet pas.

Parmi les clientes de la librairie Vitte, les Philomène, et les ferventes de sainte Philomène, devaient être assez nombreuses : l'un des ouvrages de référence sur la sainte, le livre écrit par Mgr Francis Trochu, "La "petite sainte" du Curé d'Ars, sainte Philomène, vierge et martyre", avait été précisément publié par la Librairie Catholique Emmanuel Vitte en 1929 (comme le monde est petit  !). Le Curé d'Ars, fervent adepte de la sainte, était né à Dardilly, en banlieue lyonnaise, et exerçait son ministère tout près, dans l'Ain. Ce fut également une lyonnaise, Pauline Jaricot, qui au 19ème siècle, eut un rôle déterminant auprès du pape Grégoire XVI pour tenter de faire avancer la reconnaissance de la sainte (je signale que ceci, comme tout le reste, est parfaitement exact). Quant aux demoiselles Clerre, elles étaient aussi originaires de la région lyonnaise, très exactement de Saint-Symphorien-sur-Coise, entre Saint-Etienne et Lyon.

 

Médaille de sainte Philomène.