Alger Davy Crockett







Cet écran est dédié à Joëlle Dupeyrot qui aima tant "le Bleu de l'Été", à Pierre Dupeyrot, à Jean-Pierre Angeletti, à mes camarades de jeu de Clauzel et du Parc de Galland, et à tous les petits Algérois qui chantèrent la ballade de l'homme qui n'a jamais peur, adhérèrent à son club, et portèrent une toque en simili raton-laveur, ou qui rêvèrent drôlement d'en avoir une dans leurs souliers, avec le reste de la panoplie.


À partir de 1956 :

DAVY CROCKETT À ALGER

Archives et présentation du Génie de La Lampe de Bureau,
dessin de Jean Brua



        

Officiellement, pour la plupart d'entre nous,
tout commença le 19 octobre 1956,
par cette annonce dans la page "spectacles" de nos quotidiens
(ici, dans l'Écho d'Alger)...

   19 octobre 56... Dans un peu moins d'un mois, je vais avoir dix ans... Au début de ce mois, c'était la rentrée à l'école Clauzel... Je suis maintenant au cours moyen 2ème année, chez Monsieur De Crescenzo. Et nous voici, donc, mon petit frère de bientôt huit ans et moi (lui est en cours élémentaire 1ère année avec Monsieur Melka), à l'Empire, rue Denfert-Rochereau. Je ne me souviens pas du jour... Un jeudi ? Accompagnés par notre mère ? Ou un dimanche, avec nos deux parents ? En tout cas, en matinée. La salle paraît d'autant plus immense que nous sommes pitchounes... Nous nous posons dans les beaux fauteuils capitonnés de velours, trop grands pour nous... Depuis l'Empire, je sais que le velours, en concentration suffisante comme ici, a une odeur : âcre et tiède. On est impressionnés... Faut dire qu'on ne vient pas souvent ici, à l'Empire... D'habitude, nos cinémas, meilleur marché, c'est le Rex, rue Horace Vernet, avec ses sièges plus rustiques, qui se replient en claquant un peu, bruit de ferraille mal amorti. Ou le Cameo, boulevard Baudin, celui d'avant sa rénovation, avant qu'il ne s'appelle le Vendôme... Ici, à l'Empire, salle de première exclusivité, c'est du cossu. C'est beau, solennel, intimidant... À cause de la lumière d'aquarium, et de l'ambiance sonore... Tout bruit est étouffé. C'est du son, ou plutôt du presque silence, de première classe. Les lumières s'éteignent, et... Non, ce n'est pas d'abord le film, enfin, le long... Souvenez-vous, en plus du film qui succède à l'entracte, en première partie c'est plein de petits cadeaux : les actualités, les réclames, le dessin animé... Oui, nous venons d'un temps où tout était une corne d'abondance... Ce jour-là, en complément de programme, on a un documentaire signé Walt Disney : "Chien de berger de l'Arizona".

   Pendant plus de vingt minutes, nous assistons aux exploits de deux clebs, Nick et Rock. Ils ont en charge un troupeau de moutons dans l'Arizona : il le guident depuis les terres arides des plaines vers les montagnes verdoyantes. Le long du chemin, ils affrontent mille et une situations, ça va de la recherche des moutons égarés, à la quête de l'eau, en passant par l'affrontement avec les couguars... À part les couguars, c'était un peu comme chez nous : des décors naturels magnifiques, les moutons, la soif... Il était une fois dans l'oued, quoi... Bref, une bonne introduction au film qui va suivre. Et aussi aux "Coeurs", nos esquimaux de l'entracte, vu que les "bâtons glacés", comme on disait, ça raffraîchit !

   Parce que je n'imagine pas que nos petits parents ne nous en aient pas acheté, des "Coeurs"... ne serait-ce que parce que ma mère en était folle, et qu'elle allait pas en déguster un toute seule sous notre nez. Et puis après... c'est parti pour une heure et demie d'aventures sous le signe du raton laveur et de la toque en fourrure de cette pauvre bête (rappelons que c'est directement couvé par ce paquet de poils que fonctionnait le prodigieux cerveau de Davy Crockett, dont on ne sait pas s'il était exceptionnel au départ ou si c'est ce couvre-bouilloire en raton-laveur qui lui donnait ce bouillonnement et cette puissance. Dans le doute, ceci conféra, on s'en doute, une aura quasi magique à la fameuse toque).

   Je ne me souviens plus trop de la fin, mais je crois bien que nous furent épargnées les images de la mort du Roi des trappeurs lors de la prise de Fort Alamo. En tout cas, on n'en fut pas traumatisés. Ce qui fait qu'on ressortait en chantonnant la ballade (texte ci-contre pour ceux qui voudraient s'y remettre ! ), et en revivant les aventures qu'on allait mettre en jeux dans les allées du parc de Galland... Ou auxquelles on se livrait déjà, vu que depuis ce printemps, Davy Crockett n'est plus un inconnu pour certains, dont les lecteurs de "l'Intrépide" que nous sommes, mon frère et moi : depuis le 19 avril dernier, le grand dessinateur Le Rallic s'est attaqué à la première des aventures en bandes dessinées qui vont s'y succéder : "Davy Crockett et le secret des indiens Creeks" (image ci-dessous). Six vont s'ensuivre, jusqu'en 1959.

   Donc, voilà, nous avons découvert Davy Crockett. Il est jeune, il est beau, il est brave, il sent bon le raton-laveur encore chaud. Son seul talon d'Achille : l'acteur qui incarne le rôle se prénomme Fess. Si si, comme je vous le dis. Oui, ça, c'est le point noir. Mais il en faut davantage pour décontenancer les distributeurs français du film qui, illico presto, transforment Fess Parker en Fier Parker, avouez que ça a quand même plus de gueule (c'est pas une blague, vous pouvez vérifier ci-contre dans l'Écho d'Alger ). Maintenant qu'il n'est plus affublé d'un prénom qui le destinait au Crazy Horse Saloon plutôt qu'aux aventures viriles des hommes de l'Ouest, il peut y aller ! C'est aussi l'avis de Jean Brua :

   Dans la période qui suit, l'engouement est grand, ses aventures envahissent les magazines de bandes dessinées , les collections de romans pour la jeunesse , Anny Cordy chante sa ballade avec la même voix qu'elle chanterait la marche des canards, pas grave, on l'aime quand même.

  
Anny Cordy dans le journal "L'Intrépide" n°376 du 10 janvier 1957 (cliquez pour voir une image
que vous ne serez pas près d'oublier !) - Une partition de la ballade avant qu'Anny ne la chante,
et une autre, après qu'elle s'y soit mise à son tour. Yves Jalabert nous a fait parvenir
un scan de son disque d'époque avec la ballade chantée par Serge Singer,
antérieurement à Anny Cordy.

   La panoplie du Roi des trappeurs ne contribue pas peu à cette vague de notoriété. Pour ce Noël 56, elle est exposée, souvenez-vous, aux rayons jouets des Galeries de France, du Petit Duc, de chez Bissonnet et d'ailleurs, à côté de celles du parachutiste, du policier, de Robin des bois, du pirate, du chevalier, du mousquetaire, et autres héros de nos jeux d'enfants, et elle les détrône toutes ! Elle devient la reine de nos souliers ! Encore plus que celle du para ? Oui, encore plus ! La veste en pure suédine avec des manches à franges longues, et surtout la toque en fourrure qui chatouille le nez, c'est trop bien ! "Non, tu siffles pas dans le sifflet à roulette en même temps, punaise, tu mélanges tout ! Un agent de police, ça porte un képi, pas une toque en raton-laveur ! Et puis t'i arrêtes de souffler dans la corne ! Non ! Non Davy Crockett il appelait pas son oncle Charlemagne en soufflant dans un cor ! Non, c'est pas un éléphant ! On souffle pas dans la poire à poudre à Davy Crockett ! C'est tout ! Avec ta salive, tu vas mouiller la poudre, et après, ça va faire tchouffa, le coup il part pas, et comment tu fais alors, pour tuer un ours du premier coup d'fusil, hein ? Oui, comme dans la chanson ! Âne que t'i es, va ! Ou bien t'i arrêtes de faire l'andouille, ou bien tu me rends la toque, babao ! Et en pluss', elle te va pas ! Elle est trop grande pour toi, ta tête on dirait un oeuf de canari dans un nid d'aigle !" Les petits frères, ça comprend rien à la véracité historique !


Dans les souliers pour la Noël 1956 : la panoplie qui prime ! (photo dans la revue "Arts Ménagers" de décembre 1956)
C'est celle qui a servi à Anny Cordy pour la photo dans l'Intrépide ci-dessus.


"Davy Crockett", le supplément du "Journal d'Alger"

   Parmi les nombreux "trucs" pour amplifier la "vague" Davy Crockett, et en profiter pour réaliser de lucratives exploitations commerciales, l'opération la plus durable et la plus considérable dans notre ville fut la création du "Club Davy Crockett", avec le support du "bulletin des jeunes" du Journal d'Alger. Il est difficile de se faire une idée de ce que représenta ce bulletin dans sa continuité, il ne nous en reste hélas que quelques numéros sans beaucoup de suite. Mais on peut dire que ce supplément à l'un de nos grands quotidiens paraissait le jeudi, et il était drôlement bien fait : huit pages pour ses derniers numéros, format 19 x 28cm environ, en bichromie, avec des jeux, un grand concours, le courrier des lecteurs, et plusieurs bandes dessinées : "Davy Crockett" (bien sûr, "Contre le Sabre Rouge"), "le Cow-boy masqué", "Prince Vaillant, "Oncle Remus", "Jim, le grand chasseur de fauves"... Qui s'en souvient ? Les commerces qui "sponsorisaient" le bulletin, ou dotaient le concours, étaient "Étienne-Sports" (1, rue des Généraux Morris), la "Literie Michelet", et "La Grande literie".

   Il parut de ce bulletin une première série, bi-mensuelle, à partir du 11 juillet 1957, pas encore très au point, le bulletin ne comptant que 4 pages. Puis une seconde, de 4, puis 8 pages, dont le premier numéro parut le jeudi 1er août 1958. Elle dura jusqu'à son numéro 21, du 15 juillet 1959. À cette date, les pages "Davy Crockett" regagnèrent un emplacement plus ordinaire à l'intérieur du journal. La grande époque du Club avait vécu.

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Le "Journal d'Alger" est installé depuis le 1er avril 1950 au 1er étage de l'immeuble du 63 rue d'Isly
où se succédèrent plusieurs des commerces les plus illustres de notre cité, dont les "Meubles Boyoud".
À droite, la rue d'Isly, et encore plus à droite, les escaliers de la Grande Poste.
À gauche, chacun aura reconnu le bel immeuble orientaliste de la "Dépêche Algérienne", avec son "minaret".
Juste derrière lui, "notre" hôtel, l'Albert 1er.

   Il se révéla même dans ce bulletin du Club un talent algérois en la personne d'un dessinateur du Journal d'Alger. Sous la signature de "JiPé", il croquait les accusés des procès des tribunaux et leurs défenseurs, il réalisait cartes et schémas, etc. Pour le bulletin, il fut l'auteur de l'une des BD : "La légende du lac Khafoukee et de la montagne Meetakarawa". On pourra se rendre compte de son agréable coup de crayon à l'oeuvre dans cette bande dessinée en agrandissant la quatrième des pages ci-dessous (les dessins des deux autres pages sont aussi de lui). L'édito du premier numéro nous indique son nom : Girerd. J'ai eu la bonne surprise de découvrir sur Internet un article de Wikipedia (cliquez pour vous y rendre) qui lui est consacré. Né à Alger en 1931, après des études à l'école des Beaux-Arts d'Alger et ce passage par le "Journal d'Alger", Jean-Pierre (oui, d'où le "JiPé" de sa signature) Girerd fera ensuite aux USA puis au Québec une brillante carrière de "chroniqueur graphique". Pendant près de 30 ans, il dessinera pour le journal montrealais "La Presse". Il obtiendra même en 1986 l'envié et prestigieux prix du "Cartooniste de l'année" du Salon international de la caricature. Mais ceci est d'une autre Histoire, d'un autre temps... Revenons à cette photo du jeudi 19 septembre 1957 : c'est autour de lui et de sa table à dessin que, comme chaque jeudi, de 16H à 18H, se réunissent "les Amis de Davy Crockett", dans les locaux du Journal d'Alger, 7 Bd Lafferière. Cette photo, sauvée du grand naufrage, nous donne une idée de ces réunions du jeudi... Vous y reconnaissez-vous ? On voit, sur les étagères dans le dos de "Jipé", les volumes reliés de ce qui est problablement la collection archivée des numéros du Journal d'Alger. Au mur sont punaisés quelques uns de ses dessins de presse.

 

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   Au fil des numéros, il parut au moins douze listes, chacune d'une cinquantante de noms de petits Davy-Crockettophiles d'Alger et de sa région (on voit la onzième ci-dessus. Connaissez-vous certains de ces noms ? Le Bernard Venis qui s'y trouve serait-il celui de nos connaissances ?). Soit au minimum dans les 600 adhérents. De toutes les communautés, mais pour la plupart d'un seul sexe. Devinez lequel... Il y eut toutefois quelques filles, je vous laisse les trouver dans ces listes bientôt publiées par ailleurs sur Es'mma. Chaque membre du club qui parvenait à recruter 25 nouveaux membres recevait une étoile de "Davy Crockett", la distinction suprême ! C'était la même que celle de la panoplie, en plastique d'un ocre-jaune pas terrible, un peu pisseux, censé suggérer l'or. Les lecteurs envoyaient des poèmes, des dessins, des paroles pour ajouter de nouvelles strophes à la ballade (l'homme qui n'a jamais... Que pouvaient-ils bien encore inventer ?), des photos... Parmi celles-ci, un cliché d'un trio d'indiens en terre glaise fit la couverture du n° 10 du 13 septembre 1957, oeuvre de Michel Jasse, Pierre Ruiz et Norbert Séguy, tous trois d'Alger.



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Ci-dessus la "une" du n° 21, du 15 juillet 1959.
La légende explique que "pour fuir les grosses chaleurs,
ce groupe d'amis de Davy Crockett s'est équipé pour une expédition au Pôle" !
Sûr que contre la canicule, rien de mieux que quelques épaisseurs de doudounes
et une bonne grosse toque en fourrure bien chaude !
Il est vrai que Paul-Émile Victor était aussi l'un de nos héros ! (cliquez !)
Après la toque, la calotte !


Un gamin d'Alger, c'est tout un poème,
dans aucun pays il n'y a le même...
(chanson, Mick Micheyl)

Au fil des mois, le club eut de multiples activités, un survol des pages du Journal d'Alger nous en livre deux exemples. Tout d'abord sa participation au "Salon de la jeunesse", qui se tint à l'Hôtel de Ville du 1er au 16 juin 1957. En cliquant sur la réclame ci-dessous et en parcourant l'article, vous découvrirez toutes les festivités du salon. C'est Henri Cordreaux (homme de théâtre de notre ville, on vous raffraîchit la mémoire à son sujet) qui ce 1er juin coiffera la toque du trappeur pour remettre les prix de deux concours : "Les Inconnus de Monsieur Top" et "Notre référendum". Et qui sera de passage sur le stand ? La famille Hernandez ! Marthe Villalonga a t-elle coiffé ce jour-là la toque à poils ? On apprend aussi que deux autres concours sont en cours : "Ressemblez-vous à Davy Crockett ?" et "Adroit comme Davy Crockett" ! On va chercher pour savoir lequel d'entre nous fut choisi pour avoir le plusss un petit air de Fess !


Cliquez pour prendre connaissance de toutes les festivités du salon...

Autre façon pour le club de se manifester : nous sommes le 7 mai 1958 au soir ... Mick Micheyl, alors l'une des chanteuses les plus célèbres de France, pour - entre autres succès - son "Gamin de Paris", est reçue à sa descente d'avion par un gamin d'Alger, membre du club Davy Crockett. Il lui remet une gerbe de fleurs, et LA toque en fourrure, voilà Mick Michel membre d'honneur du club ! Qui nous dira qui était ce petit compatriote qui ce soir-là dut avoir le coeur qui battit très fort en faisant la bise à la grande vedette ? L'article nous indique que la scène fut filmée par "Le Journal télévisé", on se prend à rêver sur tous ces films enfouis dans des archives, qui pourraient nous restituer une partie de la vie de notre ville... On va chercher et vous trouver d'autres moments des activités du Club Davy Crockett d'Alger !


Cliquez pour agrandir et lire l'article.




Le temps d'une lar-meu... et des désillusions

   Et puis, fin juin 1961, au cinéma le "Versailles", voilà que je revois Davy Crockett ! Et vous aussi, et beaucoup d'entre nous... Depuis l'Empire, cinq ans se sont écoulés. Et le voilà qu'en ce mois de juin 61 il refait surface dans "Alamo". Vous vous souvenez... Figuration de Mexicains innombrables, en beaux uniformes de Mexicains, manoeuvrant comme des soldats de plomb à la parade, à mille contre un ramassis de va-nu-pieds, ou tout au plus de va-en-mocassins pas frais ! Musique grandiose... Da di dadada... da... le temps d'u-neu lar-meu... Le temps d'un souri-reu, Le temps les effa-ceu... Oui, je vois que ça vous revient ! (cliquez ici pour une belle version de "Green Leaves of Summer" sur Youtube). Et là, surprise ! On n'était pas prévenus que Davy Crockett il était là lui aussi ! Le povre, comment il était et comment qu'il est devenu ! En à peine cinq ans ! Y'a que le raton-laveur sur sa tête qui a pas changé ! On avait quitté à "l'Empire" un sémillant aventurier au sourire éclatant, auquel on n'avait pas eu de mal à s'identifier, et là, on retrouve qui ? John Wayne ! Vieux, très vieux (pour nos âges de l'époque, évidemment, après tout, il n'avait "que" 53 ans !). Pire que sur le retour ! Déjà arrivé qu'il était ! L'angoisse ! Et en plus, à la fin du film, il meurt ! Davy Crockett l'invincible ! L'homme qu'il est jamais mort ! Mort ! Remboursez !


"Alamo" au Versailles, "Journal d'Alger" du 29 juin 1961.
Pour savoir quels étaient les autres films de la page des spectacles,
cliquez pour agrandir, et re-cliquez pour agrandir encore !
Le film avait commencé son exclusivité le 22 juin.

   Et fallait voir aussi comment qu'ils nous le faisaient mourir ! Jusque là, dans tous nos films, les westerns et les autres, quand un héros il mourait, d'abord il tombait comme au ralenti... Pour pas se blesser, normal, fallait pas l'abîmer pour ce qui va suivre... Ensuite, il avait le temps d'expirer dans les bras de sa fiancée, ou bien dans ceux de son meilleur ami, ou dans ceux de son meilleur ennemi, même qu'il avait le délai sufffisant pour lui pardonner ses félonies (au meilleur ennemi, pas à la fiancée ! En ce temps, les fiancées étaient exemplaires et éternelles)... On sentait bien qu'il avait mal rien qu'au frémissement de son sourcil, il raidissait aussi la mâchoire, punaise, en faisant un sourire pour nous dire "c'est rien, juste je meurs"... Une perle de sueur sur la lèvre, signe de sa lutte farouche contre la souffrance, ça nuisait pas. Ces acteurs, le talent qu'ils avaient ! Jamais on n'aurait vu le héros se faire arracher la moitié de la tête (comment il aurait dit ses derniers mots, sinon ?) ni il perdait une main, ou un pied... On devinait bien que la blessure elle devait être grave, vu qu'il allait mourir ! Alors, pas la peine de nous montrer ni quoi ni qu'est-ce ! On avait compris ! Nos livres d'Histoire, depuis Roland en continuant avec Bayard, Turenne, Montcalm, Bara, Marceau, et j'en passe, ils en étaient pleins, de ces mourants sublimes et bavards !

   Et là, dans Alamo, dans la séquence finale de la prise du fort, pour la première fois on nous met sous le nez que la mort c'est sale, que la mort c'est moche... Pas du tout romantique ni chevaleresque ni sublime comme nous, les petits, on croyait. Figurez-vous qu'un lancier mexicain cloue Davy Crockett à la porte d'une grange, blam, d'un coup de pique en pleine poitrine ! Mais pas seulement ! Davy Crockett il s'affaisse, et on voit quoi, derrière lui ? La pointe de la lance sans la hampe, restée plantée dans le bois de la porte, avec un bout de barbaque sanguinolente qui pend après ! Je suis sûr qu'un haut le coeur, à cet instant, a parcouru toute l'assistance du Versailles ! Rien que de m'en souvenir, j'en suis encore submergé... Mais pour nous autres, c'était une bonne mise en bouche : dans les mois qui allaient suivre, nous aurions souvent l'occasion, sur les trottoirs de nos quartiers, de vérifier que la mort, c'est bien plutôt comme ça que ça se présente.


Cliquez pour voir mourir Davy Crockett. Oh, les ratons-laveurs, un peu de discrétion ! Réfreinez votre joie !
L'image ci-dessus montre Davy Crockett dans un ultime forfait : enfumant son propre raton-laveur !
Insoutenable !



Tous toqués de toque, qu'on était ! C'est O.K. ?

   Bon, je vous ai assez parlé de la fin de Davy Crockett, il y a de la tristesse là-dedans, mais pas pour tout le monde... Les amis des animaux, et les raton-laveurs eux-mêmes, n'y verront qu'un juste retour des choses... et encore ! Une fois le fort pris, et le héros épinglé comme un papillon, Santa Anna, le général qui commandait les Mexicains à Alamo, a eu la délicatesse, lui, de ne pas se faire faire un turban avec la peau de John Wayne ! Avec la frimousse de ce dernier en figure de proue au-dessus du front ! C'est pourtant bien ce que s'était fait Davy Crockett avec la peau de ce charmant animal appelé aux USA "racoon", raton-laveur en français. Différents films sur Youtube sont là pour nous montrer l'espièglerie du raton-laveur, et l'aimable familiarité dont il peut faire montre avec les humains. Malgré celà, on voit ci-dessous que Davy Crockett, dans sa version Fess comme dans sa version John, aura montré le même mépris pour la vie des ratons-laveurs : quelle que soit la toque, il y a toujours du raton-laveur mort au balcon ! Mais bon, on peut supposer que l'anniversaire de la prise d'Alamo est une fête fériée chez les ratons-laveurs, et que ce jour-là, ils dansent jusqu'à l'aube sur des airs de country ! Et on va voir que la revanche des ratons-laveurs ne va pas s'arrêter à la défaite d'Alamo !




La revanche : le raton-laveur lave l'affront !

   C'est trois ans après la sortie du "Roi des trappeurs" et deux ans avant "Alamo", entre le Davy Crockett de l'Empire et le Davy Crockett du Versailles, que les Algérois, en ce lendemain de réveillon de jour de l'an 1959, découvrent en ouvrant leurs quotidiens la nouvelle mascotte de Frigidaire, avec une pleine page de ratons-laveurs (11 exactement). Des ratons-laveurs s'invitent à la bise de bonne année ! Mais ils font quoi, là ? C'est ce que dans leur jargon, les réclamiers appellent un "teaser" : on ne dit pas encore aujourd'hui au lecteur pour quoi, ni pour qui, sont ces ratons-laveurs. C'est seulement demain qu'on va lui révéler pour quelle marque ils courent ! Et qu'on l'invitera à aller voir les nouveaux modèles de lave-linge dans les deux magasins Frigidaire, celui du 24 rue Michelet et celui du 87 boulevard Saint-Saëns... Ce déferlement de ratons-laveurs Frigidaire va durer de nombreuses années, le petit animal masqué va se trouver décliné en des tas d'objets publicitaires. Ils semblent nous dire : "pour deux d'entre nous tués, des porte-clés par millions !". Cette morale en vaut bien une autre. 'Oilà, c'est fini pour "Davy Crockett à Alger", un sujet poilu, comme on l'aura constaté.

Gérald Dupeyrot,
ancien trappeur du parc de Galland


L'Écho d'Alger, 1er janvier 1959. Cliquez pour agrandir.



Un écran comme ça, ça se mitonne !

À la Bibliothèque Nationale, j'ai passé commande pour la lecture de cette collection de suppléments au "Journal 'Alger", sous le titre "Davy Crockett". Lorsque ces documents sont arrivés à ma place de lecteur, j'ai défait la ficelle ou le ruban qui fermait l'enveloppe, j'ai fait glisser les fascicules hors de leur contenant, et j'ai découvert un billet. De ces billets que les archivistes glissent dans chaque ouvrage demandé pour permettre qu'il soit remis au bon destinataire à son arrivée en salle de lecture. Le billet laissé là par le précédent lecteur. J'ai jeté un oeil sur le nom de ce lecteur : c'était moi. Avec une date : 31 octobre 2001. Et nous étions le 30 juillet 2011. Dix ans plus tard, à quelques semaines près, je m'étais décidé à revenir consulter ces suppléments, ayant finalement trouvé comment les présenter pour en faire un écran qui tienne la route. Dix ans après ! Dix ans avaient passé ! J'étais assez ému. Comme le temps file vite... non ?


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Pour savoir quels étaient les autres films de la page des spectacles de ce 19 octobre 1956, cliquez pour agrandir, et re-cliquez pour agrandir encore !





La Ballade de Davy Crockett

Musique de Tom Blackburn
et Georges Bruns,
paroles françaises de Francis Blanche.


Y'avait un homme qui s'appelait Davy
Il était né dans le Tennessee
Si courageux que quand il était p'tit
Il tua un ours du premier coup d'fusil

Davy, Davy Crockett, l'homme qui n'a jamais peur

A quatorze ans il s'était perdu
Dans un désert vaste et inconnu
Pendant dix jours il marcha vers le Sud
Sans rien manger qu'un petit peu d'herbe crue

Davy, Davy Crockett, l'homme qui n'a jamais faim

Pendant la guerre contre les indiens
Il combattit tout seul contre vingt
Ayant une flèche plantée dans une main
Il l'arracha avec son autre main

Davy, Davy Crockett, l'homme qui n'a jamais mal

Dans la forêt au coeur de l'hiver
Quand il chassait les loups et les cerfs
Le torse nu et les bras découverts
Il s'en allait riant des courants d'air

Davy, Davy Crockett, l'homme qui n'a jamais froid

Quand les Peaux-Rouges demandèrent la paix
Davy serra la main qu'ils tendaient
Avec les chefs il fuma le calumet
Mais sans rien boire, pas même un verre de lait

Davy, Davy Crockett, l'homme qui n'a jamais soif

On l'présenta pour les élections
Et ses discours remuaient l'opinion
Il était là dans toutes les réunions
La tête froide malgré son émotion

Davy, Davy Crockett, l'homme qui n'a jamais chaud

C'était un homme qui s'appelait Davy
Tout le monde ici se souvient de lui
Face au danger, à la peur, à la nuit
Face au devoir, à la mort, à la vie.

Davy, Davy Crockett, l'homme qui n'a jamais fui.

FIN



David (sic) Crockett dans l'"Intrépide"


À partir du numéro 338, seconde série (19/04/1956) :

"David Crockett et le secret des indiens Creeks"

Vous pouvez agrandir ci-dessous cette toute première planche, dans laquelle Davy Crockett n'apparaît encore pas  :


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Puis :
David Crockett et le grigri du Shérif

En 1957 :
David Crockett et la terre des flammes

En 1958 :
Crockett et le globe de feu
David Crockett et la merveilleuse perle noire

En 1959 :
David Crockett au secours du Shériff
David Crockett et le génie de la grotte


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Et main'ant, le voilà qui fait le fier !


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Davy Crockett dans nos autres illustrés

   Des aventures de Davy Crockett parurent dans beaucoup de nos illustrés, à commencer par le "Journal de Mickey".

   Mais Davy Crockett n'étant pas une marque exclusive à la société Disney, on put le rencontrer dans d'innombrables publications. Les éditions Lug lui consacrèrent un petit format, il portait son nom et le premier numéro parut en août 1956. Au sixième numéro, il changea de nom pour "Hondo", avec en sous-titre "Davy Crockett".


Le premier numéro d'août 1956


Le n°3, du 15 octobre 56. Cliquez pour agrandir.


Hondo n°16, du 15 novembre 57. Cliquez pour agrandir.




Davy Crockett dans les romans pour la jeunesse

   Hachette est la maison d'édition qui assure pour Walt Disney l'essentiel de ce genre de publications. Elle le fait principalement au travers de deux collections : la "Bibliothèque Rose", destinée aux plus jeunes d'entre nous, et "Idéal Bibliothèque", pour les plus grands, cette dernière étant la rivale principale de la collection "Rouge et Or".

   Ces deux collections consacrèrent chacune plusieurs titres aux aventures de Davy Crockett. Elle eurent pour point commun de faire appel pour les illustrations à celui qui, en nos jeunes années, nous donna l'essentiel de notre vision graphique de l'Histoire et des histoires : Henri Dimpre.
   Les couvertures ci-dessous sont de lui :


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   Dans le présent écran, on ne s'intéresse qu'aux ouvrages édités du temps de notre présence à Alger. Mais on sait que les livres et revues avec Davy Crocket pour héros n'ont jamais cessé au fil des décennies de se trouver répandus dans le public. Ça doit en faire, des titres (il suffit de jeter un oeil sur e-bay !).
   Ci-dessous, voici ce qui est sans doute le premier des "livres à système" (qui se mettent en "relief" quand on les ouvre) avec Davy Crockett, que vous avez peut être eu quand vous étiez un petit Algérois. Il date de 1957, et est édité par la S.P.E. (Sté Parisienne d'Éditions).


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"Hello cher Gé.
Voilà ma contribution à l'écran Davy..... disque retrouvé dans mon bric à brac.... acheté chez "Ultra phone Radio", 54 rue Michelet Alger.... vers la fin des années 50..!"


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Davy Crockett dans la collection
"L'Encyclopédie par le Timbre"

(une collection que j'adorais vers 1956-59)


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   Le principe était le suivant : au début de chaque album, plusieurs planches en couleur de timbres ("gommés" en dos) représentant des scènes se rapportant au sujet abordé (des sujets, il y en eut pas mal). Les pages intérieures étaient en noir et blanc. Sur chaque double-page : un dessin, toujours de grande qualité, à colorier si l'on voulait, et un texte. Avec en plus l'emplacement où coller la vignette correspondante. Chacun y trouvait son compte : le lecteur, qui s'amusait à trouver les emplacements des timbres et à les coller, et l'éditeur, qui n'avait à imprimer que 4 pages en quadrichromie, le reste étant en noir. C'était "Deux coqs d'Or" l'éditeur, collection "Un Livre d'Or".



Message de Gérald pour Joëlle :

   La petite fille auburn était partie, pour la France, pour toujours, j'avais le coeur gros, je me confiais à toi. Nous avions quatorze ans. C'était dimanche. En votre appartement de Diar-el-Mahçoul, nous écoutions le disque des Compagnons sur ton Teppaz, tout en laissant nos regards flotter au dessus de la baie d'Alger... La mer et le ciel, du même bleu, se prolongeaient l'un en l'autre, semblaient ne faire qu'un. Les bateaux immobiles, pétroliers, cargos, bananiers, attendant d'entrer dans la rade, paraissaient flotter dans le ciel. C'était un moment, une image, qui nous appartenaient à jamais. En tout cas, ainsi les vivions-nous... Un an plus tard, et nous ne serions plus là... Depuis, je n'ai jamais cessé, je crois, d'être l'un de ces bateaux, indéfiniment suspendus entre ciel et mer, sans port où m'ancrer. Toujours parti, jamais arrivé... Aujourd'hui, toi tu n'es plus là, et je reste seul avec cet air ancien, avec la précision trop aigüe de ma mémoire, et le souvenir de ces navires volants dans le bleu de l'été.
   Alors, pour toi, ma douce, ma chère cousine...

Le bleu de l'été

- 1 -
Le temps d'une larme
Le temps d'un sourire
Le temps les efface
Mais toi tu es là

Et c'est moi qui regarde
Dans tes yeux où s'attarde
Cet amour qui nous garde
Le bleu de l'été.

- 2 -
Le temps s'éparpille
Le temps se gaspille
De fil en aiguille
Les jours font les nuits

Mais des nuits éternelles
Quand c'est toi qui m'appelles
Jusqu'à la citadelle
Du bleu de l'été.

- 3 -
Le temps d'une larme
Le temps qui efface
Le temps qui désarme
Le temps d'en finir

Et c'est moi qui regarde
Dans tes yeux où s'attarde
Cet amour qui nous garde
Le bleu de l'été. (bis)

Paroles : Tiomkin - Webster - Contet
Musique : Tiomkin - Webster (1961)
Interprètes: Les Compagnons de la Chanson
(Cliquez pour écouter leur version, attendez un instant pour que ça commence)



Journal d'Alger :
programmes des films
le 29 juin 1961




Pour savoir quels étaient les autres films de la page des spectacles de ce 29 juin 1961, cliquez pour agrandir, et re-cliquez pour agrandir encore !




Quelques répliques fameuses
de ratons-laveurs
(souvent leurs dernières paroles)



- Ah, tiens, Davy ? Tu m'as trouvé ? Chapeau !



- Et si je te donne ce truc ? Pas mal, non, pour un chapeau ? Hein ? ... Hein ?
(cliquez, ça s'agrandit)



- On lui a juste dit qu'on voulait s'incliner sur la dépouille de Jim, et que nos intentions sont pacifiques... Non non, aucun esprit de vengeance (Yek yek !).





- Algéroises, Algérois, au revoir.




Reçu sur le Livre d'Or d'Es'mma,
et qui nous a fait bien plaisir :


jacqueline Blanc (Paris)
04/10/2011 21:32

Gérald, ma gratitude éternelle pour l'émotion que je viens de vivre. MON RATON LAVEUR, ou plus exactement son jumeau EST LÀ, sur ce site ! ! !
Mon raton laveur Frigidaire, celui que j'ai trainé avec moi pendant des années, dans mes poches d'abord, puis dans un tiroir avant qu'il ne disparaisse dans je ne sais quel déménagement, et qu'il disparaisse également de ma mémoire. Il ne m'était resté qu'une inexplicable sympathie pour la marque Frigidaire dont je viens brutalement de comprendre la raison.
Davy Crockett, j'étais un peu trop jeune pour l'avoir connu dès 56, mais les jouets ou BD de mon frère (objets permanents de ma convoitise), toque en fausse fourrure, étoile de sheriff et bandes dessinées me l'ont rendu très présent. Seul le raton laveur m'a vraiment appartenu en propre, c'est dire mon émotion.
Expliquez moi où, ailleurs que sur ESMMA on peut vivre ce genre d'émotions. Ce site devrait être classé au patrimoine de l'humanité. Siiiii !