Alger_attentat_65_michelet_1959

65 RUE MICHELET


20 AVRIL 1959 : MOTEURS À EXPLOSION

Présentation de Gérald Dupeyrot

   Ceci est la photo jointe à une dépêche de presse émise par une agence anglo-saxonne, et que nous a communiquée un Es'mmaïen...


Cliquez pour voir l'article de journal (du précieux site "L'É:cho du Mois")

   J'ai égaré le nom de ce précieux contributeur, je l'indiquerai aussitôt qu'il voudra bien se rappeler à nous.

   Ci-dessous, le "papillon" qui accompagnait cette photo :

   Ce qui peut se traduire ainsi : "Violence avant les élections à Alger - Les pompiers arrivent sur les lieux d'un attentat rue Michelet, l'une des principales artères d'Alger, la veille des élections municipales sur l'ensemble du pays, qui se sont tenues hier (la dépêche de presse est datée en dos du 22). Les terroristes opposés à la loi de l'armée avaient placé la bombe dans le coffre de la voiture à droite (une Peugeot 203 selon le journal), et l'explosion a aussi endommagé le véhicule le plus proche. Malgré la forte pression de l'armée pour permettre que le vote se passe normalement, les abstentions ont été nombreuses. Le jour-même du scrutin a été marqué par des violences et des meurtres. Une partie des victimes étaient des candidats à ces élections."

   Sinon, qu'ajouter ? Pour ceux de nos amis et visiteurs qui n'étaient pas du quartier, rappelons que nous sommes juste un peu avant la rue Hoche (qui descend à droite vers le lycée Gautier). À l'angle se trouve bien une succursale de la "Compagnie Algérienne", ainsi qu'il est mentionné sur le fronton de même que sur le balcon. À droite, on aperçoit le mot "FANTAISIE" sur la petite vitrine murale sous le numéro 65. En face de ce qui semble être le "Bar ABC" (c'est bien ce qui est marqué sur son auvent, il n'en est toutefois fait mention ni dans l'annuaire de 1954 ni dans celui de 1961, ils avaient pas le téléphone, les povres, ou quoi ?). De l'autre côté de la rue Michelet, c'est le restaurant "Cyrnos" et la rue Charles Vallin, avec, justement, le cinéma ABC. Les anciens enfants qui se trouvaient là lors de cet attentat, peuvent se mettre en relation avec nous, on leur réserve une cellule psychologique soua-soua (Selecto et montecaos, un doigt d'anisette pour ceux que leur coeur il aurait battu trop fort, on fait ce qu'on peut). Vieux moutard que jamais.

   On va essayer de savoir ce qu'il est advenu du conducteur (et des passagers) de la 4Ch immatriculée 691 FK-9A. On sait déjà qu'il y eut au moins une victime, une passante, Mme Aidjia Khitter, coupable d'être passée par là. Gérard, tu pourrais jeter un coup d'oeil dans ta mine d'archives ?

   En attendant, voici une image qui saura frapper pile-poil au coeur beaucoup d'entre nous :

   C'est ce qu'on voyait en sortant du "Bar ABC" : à droite, faisant l'angle avec la rue Charles Vallin, le restaurant "Cyrnos", et au n°4 le beau cinéma ABC. Aux lèvres de beaucoup d'entre nous vont revenir des titres de films fabuleux et immortels vus ici ! Juste quelques titres : "Le Fantôme de l'Opéra" (décembre 1946), "La Reine africaine" avec Bogart et Hepburn (novembre 1952), "Les Belles de Nuit" de René Clair (septembre 1954), "Fenêtre sur cour", de Hitchcock, avec Grace Kelly et James Stewart (octobre 1955), "Papa Longues Jambes", avec Fred Astaire et Leslie Caron (décembre 1955), "Les Ponts de Toko-Ri" (cliquez, c'est sur la fin de la kémia) en juillet 1956, "Les Amoureux" de Mauro Bolognini (avril 1957), "Un témoin dans la Ville" avec Lino Ventura (septembre 1959), "les chemins de la Haute Ville" (octobre 1959), qui venait de valoir à Simone Signoret le grand prix d'interprétation féminine à Cannes... L'ABC passe aussi des Jerry Lewis : "Tu trembles, Carcasse" (avec Dean Martin) en février 1959, et en septembre 59 "Un vrai cinglé du Cinéma" (aussi avec Dean Martin). Car la comédie, légère, de bon ton si possible, quoique parfois s'enhardissant aux limites du grivois de bon aloi, était sûrement le genre le plus apprécié ici : des Brigitte Bardot comme "Et Dieu créa la Femme" (février 1957), "Une Parisienne" (janvier 1958)... C'est aussi à l'ABC que passèrent en exclusivité plusieurs des films souriants avec Robert Lamoureux qui avait tant de succès auprès de nos parents : "Le Roi des Camelots" (juin 1952), "Chacun son tour" (novembre 1952), "Lettre ouverte" (février 1954) qui était aussi donné au Paris). Enfin, Audrey Hepburn, la plus ravissante des interprètes de ce genre de film léger et pétillant, est à l'affiche, début décembre 54, de "Vacances Romaines", qui va être l'occasion d'un concours d'élégance et d'une fantasia de scooters à travers Alger. (cliquer ICI )

    Mais il ne passait pas à l'ABC que des films pour les adultes, j'y ai vu des westerns terribles : "La Lance brisée" (octobre 1955), avec Spencer Tracy, Robert Wagner, Jean Peters, Richard Widmark, la toute belle distribution, "Horizons lointains" avec Charlton Heston (janvier 1956), "Le Gaucher" avec Paul Newman (septembre 1958)... Et, même si c'était pas trop le genre de la maison, des peplums, du moment qu'ils étaient de luxe : pour Tonton Jaja, l'ABC c'est le cinéma où il vit le péplum "Samson et Dalila" (en 1952). La maison se laissa même aller à quelques films d'aventure, comme "Quand la Marabunta gronde", avec Charlton Heston encore, que moi j'avais pas vu, mais que le cousin Jean-Pierre il nous en a parlé pendant des mois, avec des frissons dans la voix tellement il avait été impressionné par les flots de milliards de fourmis affamées (c'était en novembre 1954, ce mois-là, y'avait pas que la Marabunta qui grondait !). Pour notre ami Jean-Paul Follacci, un titre, un seul à citer quand on parle de l'ABC : "Arsenic et Vieilles Dentelles" ! Une Es'mmaïenne, pas bien grande en 1943, me dit que c'est ici à l'ABC qu'en avril 1943 elle vit le dessin animé "Dumbo" de Walt Disney (elle a gardé la coupure de journal que sa maman avait conservée !). Il y en aurait encore beaucoup d'autres à citer, il s'est projeté ici tant et tant de films depuis l'ouverture de ce cinéma qui au début du XXème siècle s'appelait "Salle Michelet" (carte postale ci-dessous) ! Désaffectée, elle devint dans l'entre deux-guerres (au moins de 1922 à 1930), le spacieux magasin et atelier d'accessoires électriques pour l'automobile de M. Henri Matha (cliquer ICI ), avant de redevenir un cinéma avec la construction de l'immeuble actuel.



   Toujours sur la photo avec l'ABC, voyez-vous à gauche l'amorce de la rue Ampère, et au fronton du commerce le mot "CARLO" précédé d'un tiret ? Oui, c'est l'enseigne du bar "Monte-Carlo". Ce qu'on ne voit pas : le somptueux couple de caryatides qui encadraient son entrée, au 66A rue Michelet. Un chef-d'oeuvre familier que nous permettent d'admirer les photos de Yves Jalabert que vous pourrez découvrir en vous rendant au n°66A rue Michelet, en cliquant ICI.


Les photos du montage ci-dessus ont été prises en septembre 1984.

   Enfin, pour ceux qui voudraient en savoir davantage sur les anciens habitants de ces deux numéros, 63 et 65, voici des extraits de l'annuaire Fontana Frères de 1922. On notera que rien qu'au n°65, il y avait un bistrot, le "Café du Succès" de B. Comte, un restaurateur du nom de Hamdane Haddad, et le "Bouillon Duval", restaurant populaire comme son nom l'indique de F. Truffet. Ce à quoi s'ajoutait le débit de tabac-papeterie-journaux de Jean Richert. Et on relèvera que Mme Delgelozzo tenait un intriguant "salon de décrottage", où elle vendait aussi du tabac. Quel était ce curieux métier ? Se faisait-on décrotter (et peigner ?) avant de passer aux restaurants d'à côté ? Faut-il le prendre au propre (si je peux dire) ou au figuré ? Quel genre de tabac vendait-elle ? Fabriqué maison ? À partir de quoi ? Faut-il voir là l'origine du terme "shit" ? On notera qu'en ce temps on s'affichait volontiers "rentier" ou "rentière", sans gêne aucune, avec beaucoup de naturel (à ne pas confondre avec les retraités qui, comme ce M. F. Krasny, au 65, s'identifiaient ainsi).



Pour vous rendre sur le menu de la rue Michelet, cliquez ICI.