Vespa baladeuse rue d’Isly…

Par Gérard STAGLIANO (dessin de Jean Brua)

    Le "Journal d’Alger" était une grande famille avec, entre autres, Edmond Brua qui en était le rédacteur en chef et mon père, Marcel Stagliano, l’administrateur général.

    J’y ai fait mes premières armes à mon retour du service militaire qui avait coïncidé avec la "nuit bleue" (1) d’Alger, le 5 mars 1962. On m’y avait bombardé archiviste pour me faire les quenottes. J’étais chargé, entre autres besognes, d’étaler le matin sur une grand table, les quatre quotidiens algérois, puis de me munir d’un de ces gros crayons "rouge et bleu" que l’on taillait des deux côtés. Mais, pour moi, il ne s’agissait pas d’écrire mais de faire un croisillon bleu en travers des articles parus sur les quatre journaux et un rouge sur ceux des confrères qui n’avaient pas eu l’heur de paraître dans le J.A. Un autre quidam portait "mon" oeuvre sur le bureau du directeur, Louis Cardona, à charge pour lui de tancer les responsables des services coupables de "ratage".

    Une autre de mes fonctions consistait à réunir les photos d’archives des célébrités disparues ou à l’honneur, susceptibles de paraître dans le journal du lendemain. Je n’aurai pas longtemps accompli ces sages besognes, car entré à huit heures au J.A avec mon géniteur, nous le quittions à midi et demie pour aller déjeuner aux Deux-Moulins où nous habitions. Un jour, à peine rentrés au logis, un coup de fil nous apprit que l’O.A.S avait dynamité les deux ou trois étages du quotidien et que ceux-ci s’étaient effondrés au coin du plateau des Glières, juste en face de la Grande Poste.

    Le lendemain j’étais donc avec mon ami, Henri Nivière dit "Quinoche", à la piscine du R.U.A à tripoter quelques balles sur le terrain de volley. Libre comme l’air. C’était le premier semestre 1962 et j’allais bientôt connaître l’exil.

    Un de mes oncles maternels travaillait aussi au journal et s’occupait entre autres choses des invendus. À ce titre, le journal lui avait acheté une Vespa, le nec plus ultra de l’époque, pour visiter les dépositaires et s’enquérir auprès d’eux des volumes de vente ou de leur régression. Il roulait à longueur de journée aux quatre coins de la grande ville d’Alger. Mais un matin, la Vespa, cabocharde, ne voulait pas démarrer, alors qu’il tentait de partir du côté de la rue d’Isly vers les tournants Rovigo : il met pied à terre, pousse l’engin pour le forcer à démarrer et quand le moteur hoquette, il accélère à fond, toujours à pied. Et voilà que le bolide rugit, lui échappe, se cabre et part seul, traverse la rue d’Isly au bas de l’avenue Pasteur, monte sur le trottoir d’en face et pénètre dans le magasin de vêtements féminins Elysée-Couture sis au 55 de la rue d’Isly, tout à côté de TAM Publicité, au bas des escaliers Lacépède (n°1), première adresse du Journal. Je n’ai pas assisté à cette scène aussi désopilante que dangereuse, mais j’imagine mon oncle, penaud, entrer dans le magasin pour récupérer son bien. Avec quels mots ?

G. S.


(1) Cette nuit, ponctuée de "stroungas" comme aucune autre auparavant, a été surnommée ainsi par rapprochement avec le feu d’artifice traditionnellement tiré à l’hippodrome du Caroubier au gala annuel "Nuit bleue" des journalistes.

(2) Note du G.D.L.L.D.B. : ce magasin, qui avait été l’un des hauts lieux du chic parisien en notre ville, comme en témoigne le coquet blason qui lui servait d’enseigne, était encore visible, à l’abandon et très ruiné, en 2006, lors de la visite à Alger de quelques Es’mmaïens. Notre amie la princesse Leïla en avait alors fait une photo, que l’on peut voir en cliquant ici. "D’jis, comment t’i étais et comment t’i es devenu !"





Textes de Gérard sur Es’mma :

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- "Jojo la Crevette", souvenir de crique de Gérard, avec un dessin de Jean-Brua !
(sur Es’mma le 13/12/08).

- "Ciel mon facteur !", dessin de Jean Brua (sur Es’mma le 04/01/09).

- Salle Bordes : "le mega merou de Marcel",
avec note et dessin de Jean Brua, et photo de tonton Jaja
(sur Es’mma le 02/07/2011)