Par Gérard Stagliano

Dessin de Jean Brua



   La Grande Poste d'Alger était située en plein centre de la cité, au Plateau des Glières et offrait aux regards sa majestueuse silhouette blanche de style hispano-arabe d'une blancheur éclatante. Ses plafonds finement ciselés sous ses voûtes laissaient bouche bée d'admiration les visiteurs et plus encore lors de mon dernier pèlerinage dans ma ville natale entre le 5 et le 8 mai 2005.

   Il m'est arrivé lors de mes études de l'explorer de l'intérieur, cette Grande Poste, en tant qu'étudiant stagiaire lors de vacances scolaires estivales, trois ans d'affilée et même une année entière lors de mon échec au baccalauréat dans les années 50. Pour la profession, ce n'était plus la Grande Poste mais Alger R.P, entendez Alger Recette Principale, comme dans toutes les autres grandes villes de France et de Navarre. J'avais été versé aux colis postaux recommandés avec ou sans accusé de réception. Et je travaillais soit de 5 à 13 heures le matin, soit de midi à 20 heures l'après-midi. Les équipes se relayaient et avaient une heure, ensemble, pour se passer les consignes.

   J'étais donc chargé d'abord de trier les colis postaux destinés à Alger Centre, dans une immense pièce dotée de 20 grandes cases définissant les quartiers et ou arrondissements, je ne me souviens plus au juste. Ce dont je me souviens, c'est que le Plateau Saulière était la case numéro 16, la poussette ou la voiture 16 également qui desservait ledit quartier. J'étais donc chargé dans un premier temps de trier les colis qui arrivaient très nombreux dans un véritable train de poussettes, bout à bout. Il me fallait donc connaître le nom de chaque rue, de chaque quartier. Ce qui demandait un temps d'adaptation assez long et je balançais donc les colis dans les cases appropriées. Après quoi je prenais les carnets numérotés de la même manière que les cases et j'y inscrivais scrupuleusement tous les colis que le facteur distributeur était prié de livrer en faisant signer son carnet par les destinataires. Celui de la case numéro 16, du Plateau Saulière était un musulman très sympathique, un tantinet débonnaire et très souriant, qui ne se séparait jamais de son parapluie. Nous discutions souvent longuement avant qu'il ne prenne ses fonctions et même après, quand il ramenait le carnet dûment annoté.

   Un jour, il en revient tout tremblant d'émotion, fébrile. Je lui en demande la raison. Il me dit qu'un de ses destinataires, une dame d'une troublante beauté, bronzée sur tranche, lui avait ouvert la porte sans aucune gêne apparente, dans une nudité totale. Et de me dire : "Des seins parfaits, j'aurais pu y accrocher mon parapluie, pour me libérer les mains... sortir mon carnet et le lui faire signer." Il en tremblait encore. Moi, chaque fois que je pense à lui, j'essaie de me remémorer la scène, avec l'impudeur naturelle de la dame et sa gêne à lui, pauvre préposé des P.T.T. Mais j'avoue que je n'ai jamais su s'il affabulait ou si la dame avait vraiment eu ce cran, ce toupet. Et j'en ris toujours, je le revois avec sa petite bedaine et son parapluie à la Charlie Chaplin. Comique en diable. Néanmoins si la dame en question vit toujours et lit ce texte, osera-t-elle se reconnaître ?

G. S.




(Dessin de Jean Brua)



En fond d'écran, des images de "notre" Grande Poste, un dessin de Brouty de "la course des facteurs", et un timbre Poste Aérienne, "Egine et Jupiter", de 1950.