Juin 40. Débâcle française devant les colonnes blindées et les vagues d'avions allemandes qui ont percé le « front d'attente » dans les Ardennes, poussé les Anglais à rembarquer, pris Paris et fait le vide jusqu'aux approches de la Loire.
    Parmi les îlots de résistance qui s'accrochent ici et là, l'école d'officiers de l'Arme Blindée-Cavalerie, dite plus simplement « Saumur » et sa dernière promotion d'E.A.R. (élèves aspirants de réserve) (1). En principe, cet effectif de la valeur d'un bataillon (environ 600 hommes) n'a pas vocation à combattre avant la fin de sa formation.
    Mais le colonel Michon grand blessé de 14-18, commandant l'école, et ses cadres instructeurs ne sont pas hommes à profiter de leur neutralité théorique. Contrevenant aux ordres du maréchal Pétain, chef des Armées, de respecter les conditions de l'armistice en cours de négociation, les réfractaires à la reddition pure et simple vont se constituer rapidement en force de défense de la Loire (40 km de front pour le secteur Saumur), autour des ponts dont plusieurs seront « sabordés » dès l'ouverture des combats.
    Avec l'appoint des 250 élèves officiers du train qui suivent un entraînement spécifique à l'école, d'unités d'autres armes (tirailleurs nord-africains, groupes de cavalerie) et de 250 élèves-officiers de l'école d'infanterie voisine de Saint-Maixent, Michon ne dispose que de 2500 combattants plus ou moins aguerris pour faire face à deux divisions, dont une de cavalerie blindée (en tout, 40 000 hommes, 150 chars, 300 canons et des avions d'attaque au sol).

    Face à cette armada motorisée, l'armement ne tient pas la comparaison. La force blindée de Michon se réduit à une douzaine de chars (dont les petits Renault à canon court de 37 mm), véhicules blindés ou chenillettes ; et l'artillerie à 5 canons de 75, une douzaine de pièces antichars de 37 et 25 mm et moins de 20 mortiers de 81 et 60 mm. (2)
    Aux mains de cadets qui n'en avaient que quelques semaines de pratique, ces armes tiendront pourtant en respect pendant 36 heures aussi bien les colonnes de la Kavallerie Division que les tentatives d'infiltration par canots pneumatiques et radeaux improvisés.



    Si bref qu'ait été ce « combat pour l'honneur » (18-20 juin), il n'en fut pas moins meurtrier : en gros, plus de 220 tués (dont une cinquantaine d'EAR) dans le camp des défenseurs et une centaine chez les attaquants. Cette farouche résistance mérita un hommage inhabituel des vainqueurs : le général Feldt, commandant les forces allemandes, fit rendre les honneurs militaires à la colonne des rescapés français (dont notre futur prof Mucchielli), autorisée à rejoindre la zone libre. Cette issue « dans l'honneur », qui leur permettait d'échapper à quatre années de captivité en Allemagne sera, pour la plupart, l'occasion de reprendre les armes pour la revanche définitive. Sur le moment, elle se doubla de la satisfaction - essentielle pour un cavalier - de savoir à l'abri les 850 chevaux de l'école et de son Cadre Noir (3). Dès la veille de la bataille, ils étaient partis en colonne de 5 km pour Montauban, où ils arriveraient en août, sous les vivats des habitants.

Jean BRUA



(1) Normalement, les officiers de cavalerie d'active sortant de Saint-Cyr font aussi à Saumur le stage d'application de leur arme. En la circonstance, cette période d'instruction a été écourtée pour permettre aux jeunes officiers de rejoindre leurs corps d'affectation de guerre.

(2) Pour armement léger collectif et individuel, 20 mitrailleuses dont une majorité d'asthmatiques Hotchkiss de la Grande guerre ; une centaine de FM ; mousquetons 1892. Peu ou pas d'armes automatiques individuelles dites « mitraillettes »).

(3) Selon des témoignages d'officiers de la cavalerie ennemie, les Allemands comptaient bien faire main-basse sur les pur-sang du Cadre Noir.




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