Cet article d'Edmond Brua, évoqué par Herbert Lottman dans sa biographie de Camus (page 554) a été retrouvé et copié par le Génie Chercheur de Bureau Gérald Dupeyrot dans les collections de la Bibliothèque Nationale de France.

(Notes et dessins de J. Brua).

       

   ALBERT CAMUS m'avait donné rendez-vous pour 10 h du soir à la terrasse d'un café de la rue Michelet. J'arrivai en avance : il était déjà seul dans une île déserte. L'éclairage officiel et les clignotants automatiques rendaient plus sombres les rideaux de fer des brasseries naguère flamboyantes - Le "Laf" (1) englouti, les autres fermées à partir de 9 heures - et plus profond le silence de la rue. On pouvait entendre le bruit de la mer, comme dans un coquillage.

   - Alger n'a jamais eu beaucoup de vie nocturne, me dit Camus, mais cela me frappe davantage à chaque retour. Il est vrai que c'est "une ville du matin" (Jean Grenier l'a écrit).
   À Paris, quand le téléphone sonne chez moi dans la matinée, avant 10 heures, je pense aussitôt : "C'est un Algérien (2) !" et je me trompe rarement. N'importe ! Je n'étais pas revenu ici depuis deux ans et je trouve Alger plus belle que jamais…

   - Même avec ses gratte-ciel ? dis-je en exagérant un peu.
   - Ils ne me choquent pas du tout, au contraire. Peut-être certains auraient-ils dû être implantés d'une façon plus rationnelle…
   - Oui, il a manqué un plan. Quand Le Corbusier a proposé le sien, voici plus de vingt ans, avec le premier building poussé en hauteur, on a… poussé les hauts cris ! Aujourd'hui, nous avons les gratte-ciel, mais nous attendons toujours le plan d'urbanisme…

"Retour à Tipasa"

   Camus a passé la journée de dimanche à Tipasa :
   " - Je désirais revoir le Chenoua… On l'aperçoit de loin, bien avant d'arriver, vapeur bleue et légère qui se confond encore avec le ciel. Mais elle se condense peu à peu à mesure qu’on avance vers elle, jusqu'à prendre la couleur des eaux qui l'entourent, grande vague immobile dont le prodigieux élan aurait été brutalement figé au-dessus de la mer calmée d'un seul coup. Plus près encore, voici sa masse sourcilleuse brun et vert, voici le vieux dieu moussu que rien n'ébranlera, refuge et port pour ses fils, dont je suis…"

   Ces lignes qu'on lit dans "L'Été" flottent entre nous pendant que Camus raconte :
   - J'étais là-bas avec quelques amis, dont Dominique Blanchar (3) qui voyait Tipasa pour la première fois et qui a été éblouie.
   Camus s'exalte presque quand il parle de Tipasa. Je sais qu'il rêve depuis longtemps d'y avoir une petite maison, sur une crête qu'il a choisie. S'il pouvait réaliser ce rêve, il passerait six mois de l'année à poursuivre l'accomplissement de son oeuvre à l'endroit même qui semble en être la pure source d'inspiration…
   Tipasa, pour Camus, c'est une autre Acropole, c'est là, j'imagine, qu'il eut la révélation du "miracle méditerranéen". Mais, comme s'il voulait rectifier une confusion, il me parle de la Grèce où il va se rendre bientôt en tournée de conférences sur "l'artiste et son temps".
   À Alger, il se repose, apparemment. Cependant, son front laisse transparaître une pensée soucieuse quand il m'apprend qu'avant son départ, il ira voir Orléansville et la zone sinistrée du Chélif. Est-ce le mythe de Sisyphe qui le hante devant ces ruines à relever ?…
   Ce n'était pas une interview, c'était une causerie amicale. On pouvait parler de tout et de rien, même de la bombe atomique. J'essayai de manipuler l'objet avec précaution :
   - Un savant français croit que l'énergie nucléaire, même utilisée à des fins pacifiques, est capable de provoquer des mutations dans l'espèce vivante, l'homme compris, et d'y créer des "monstres". Mais notre époque n'abonde-t-elle pas déjà en monstres (d'insensibilité, d'égoïsme, d'indifférence, d'imbécillité) et ne peut-on les imputer à des mutations dues, héréditairement, à des excès comme à des privations : à l'alcool, par exemple…
   - À l'alcool, sûrement.
   - … à la syphilis, au tabac, et aussi à la vitesse qui modifie le rythme de l'existence et détraque le coeur, à la misère et à la peur qu'engendrent les guerres ?…

"Il faut faire face"

   - Notre époque nous apparaît en effet monstrueuse, dit Camus, et ce n'est pas une illusion d'optique. Mais cela vient d'une rupture d'équilibre entre elle et ceux d'entre nous qui s'efforcent de discerner le sens de l'évolition (les autres étant sans doute, dans la pensée de Camus, ceux qui se laissent emporter par le mouvement ou le suivent par conformisme). Ortega y Gasset (4) a montré que la population de l'Europe s’est accrue dix fois plus (malgré les grandes guerres) entre Napoléon 1er et… disons Eisenhower, qu’entre le Moyen-Âge et Napoléon 1er. Ce monde agrandi en surface cherche sa profondeur. Il lui faut tenter de prendre connaissance de lui-même par des "informations" sans cesse croissantes en multiplicité, en rapidité, en complexité. Il est de plus en plus nécessaire de mettre au point l'idée d'un tel monde.
   - Certes, si l'on pouvait confronter, vivants, deux hommes dont l'un, jailli de la "dimension temps", serait un "honnête homme" du XVIIe siècle et l'autre notre contemporain, on constaterait entre eux des différences sécifiques…
   - Peut-être, dit Camus. Mais nous ne devons pas refuser le changement, l'évolution, sous prétexte que nous ne les comprenons pas, que nous n'y sommes pas adaptés. Il faut faire face.

Camus ruaïste

   Et nous parlons de sport. Le R.U.A. est en effervescence depuis qu'il sait Camus à Alger. Le R.U.A., c'était la "cinquième Faculté" de feu le recteur Taillart ; c'est toujours le troisième amour de Joséphine Baker, sa marraine ; c'est probablement l'unique "faible" d'Albert Camus.
   - La "feuille violette" est le seul journal auquel je collabore, me dit-il le plus sérieusement du monde, et la saison prochaine, je lui enverrai régulièrement le compte-rendu des grands matches de football parisiens (5)    "Qui plus fier" et plus heureux que moi, qui suis (en titre) le rédacteur enchef du "R.U.A." ? Enfin, nous aurons de la "copie" ! Et quelle "copie" !
   (Demain, les ruaïstes recevront Albert Camus. Un beau "dégaiement" en perspective pour — si je ne m'abuse — leur ancien "goal" ! Quant à moi, je ferais mieux de rester sur la touche, avec Carréras) (6).

"Un cas intéressant"

   Je parle à Camus de la pièce qu'il a adaptée de l'italien et que Georges Vitaly doit mettre en scène.
   - Elle est, dit-il, de Dino Buzzati, un écrivain remarquable de la nouvelle école réaliste italienne. Elle s'intitule "Un cas intéressant" (en italien : Un caso clinico). J'ai d'abord hésité à l'adapter, car c'est presque une trop belle pièce, d'une beauté… terrible !
   J'ai cru à un algérianisme (beauté terrible et tout) mais Camus me résume la pièce qui est - elle aussi - construite en hauteur (et en profondeur) : une clinique de six étages où le client sait à quoi s'en tenir selon le palier. Ce n'est rien ou c'est la mort…
   Des gens descendent de voiture à la terrasse du café. Une jeune femme parle haut, avec un accent algérien… terrible ! Camus se délecte. Je lui dis qu'un de nos lecteurs vient de reprocher le même accent à un chroniqueur politique de Radio-Algérie. Il s'étonne de cette sévérité. Pourtant je le soupçonne de ne jamais écouter la radio. En tout cas, il convient qu'il ne regarde pas la T.V., mais il m'apprend que notre ex-concitoyen Max-Pol Fouchet s'y taille un réel succès : il a créé un type de chroniqueur littéraire, familier et fin, qui plaît beaucoup aux spectateurs-auditeurs. Camus estime fort, par ailleurs, la critique de Fouchet dans l'hebdomadaire Carrefour. Il me parle des jeunes, de Jean Sénac (7) qui "fait face" à Paris et dont le premier recueil de poésies, édité par la N.R.F., a été "remarqué" de Yacine Kateb, qui lui a montré sa première pièce où il y a de belles choses ; et d'autres, surtout de Jean Grenier, avec une chaude amitié qui trouve en moi tant d'échos.
   Rencontrer Camus, c'est une chance. Causer avec lui, c'est une rare occasion de se sentir plus intelligent, plus sensible, plus humain. Quel dommage que les Algérois ne sortent pas davantage la nuit !

E.B.         

NOTES
1- Le Lafferrière, rendez-vous des ruaïstes.
2- On note qu'en 1955, Camus nomme toujours "Algériens" ceux qu'en France métropolitaine, on commence à appeler "Pieds-noirs".
3- Fille cadette de Pierre Blanchar, elle-même comédienne (L'École des femmes, Ondine). Elle jouera en 1957 dans Le Chevalier d'Olmedo de Lope de Vega, mis en scène par Camus.
4- Philosophe et sociologue espagnol (1883-1955).
5- Voeu pieux. "La belle époque" restera le seul article de Camus pour son club de coeur.
6- Fernand Carreras. Chef des services sportifs du Journal d'Alger.
7- Jeune poète parrainé à ses débuts par Edmond Brua. Après avoir épousé la cause indépendantiste, il restera dans la "nouvelle Algérie" où il sera assassiné en 1973.

Edmond Brua évoque "un café de la rue Michelet", comme lieu d'une rencontre qui se voulait discrète. Il est probable qu'il s'agissait de la brasserie des Facultés. À "l'Otomatic", en effet, Camus aurait pu être reconnu par des étudiants. Et "l'Université" ou les "Quat'Z'arts" étaient un peu éloignés de la zone Charles-Péguy ("Lafferrière", "Coq Hardi", "Bristol") où les deux hommes avaient leurs habitudes.







Article de Jean BRUA dans "Nice-Matin" (1990). Dessin de 2012

   (Oui, j'ai joué plusieurs années au R.U.A. Il me semble que c'était hier. Mais lorsqu'en 1940, j'ai remis les crampons, je me suis aperçu que ce n'était pas hier. Avant la fin de la première mi-temps, je tirais aussi fort la langue que les chiens kabyles qu'on rencontre à deux heures de l'après-midi, au mois d'août, à Tizi-Ouzou).

       

   En 1953, Albert Camus n'avait pas encore reçu le prix Nobel de littérature, mais c'était tout comme. Écrivain de renom planétaire, phare et maître à penser de la génération de l'après-guerre, il gravitait sur une orbite d'où le modeste quartier de Belcourt et les rudes amitiés de sa jeunesse algéroise auraient pu lui apparaître lilliputiens.
   Pourtant, le succès ne lui avait pas tourné la tête et il le montrait en gratifiant le journal de son ancien club d'un "article du coeur" resté dans toutes les mémoires ruaïstes.

(Ce que je sais de plus sûr sur la morale et les obligations des hommes,          
c'est au sport que je le dois, c'est au R.U.A. que je l'ai appris)          

"La Mosquée"

   À Saint-Laurent-du-Var, son compagnon des beaux jours, Raymond Couard, a conservé vivant le souvenir de l'équipe de foot juniors 1928-30 du Racing Universitaire d'Alger, où sa légendaire robustesse d'"arrière central" couvrait un gardien de but nommé Camus.

(J'avais pour arrière "Le Grand", je veux dire Raymond Couard.          
Il avait fort à faire, si mes souvenirs sont bons. On jouait dur, avec nous.          
Des étudiants, fils de leurs pères, ça ne s'épagne pas).          

   Raymond Couard, que Camus appelait affectueusement "Le Grand" (leur amitié datait de la cour du lycée, où ils n'étaient autorisés à jouer…qu'à la pelote basque) devait rester à la postérité sous le sobriquet plus énigmatique de "La Mosquée", dont on ne sait plus trop s'il le tenait de sa haute taille ou des appels de muezzin par lesquels il rameutait ses équipiers dans les moments de danger. Quand, à quelques années de là, la voix puissante avait été brisée par une terrible blessure de guerre à la gorge, Camus avait montré à ses proches la peine d'un frère.

Fou de foot

   "Albert - dit Raymond Couard - était ainsi : fraternel avec les copains, sur le terrain comme à la ville. Nous le savions brillant dans ses études et grand consommateur de littérature. Il n'en était pas moins gai compagnon, ni moins passionné de foot que nous tous.

   D'ailleurs, c'était un excellent gardien : vif, courageux (il plongeait dans les jambes comme un kamikaze) et énergique, en dépit de son apparence "maigrichonne".
   La maladie, on le sait, lui interdira et l'enseignement et le sport. De ces deux frustrations, c'est la seconde qui le fera le plus souffrir. Il lui en restera cette nostalgie qui — même dans les années de gloire — le poussait sur les gradins du Parc des Princes, où il pouvait applaudir les "légionnaires algérois", les Jasseron, Ponsetti, Samuel, Salva, enrôlés sous les couleurs parisiennes, les mêmes que celles du cher R.U.A.

(Je puis bien avouer qu'à Paris, par exemple, je vais voir les          
matches du Racing, dont j'ai fait mon favori uniquement parce          
qu'il porte le même maillot que le R.U.A. cerclé de bleu et blanc).          

   Si les choses étaient allées autrement, aurait-il tenu ses promesses de junior au sein du grand R.U.A. des années 30-40 (deux coupes et deux titres de champion d'Afrique du Nord) où s'illustra Raymond-La Mosquée ?
   - "Oui, répond sans hésiter celui-ci. Il avait, plus encore que ses dons, une passion, une folie pour ce sport. Il ne rêvait que de devenir footballeur. Et il serait allé au bout de ce rêve, sans sa maladie".
   Ne regrettons pas trop que le destin qui a brisé sa vie contre un arbre il y a eu trente ans le 4 janvier, lui ait joué, trente autres années plus tôt, ce qu'il considérait comme un "tour de falso" (entendez une "traîtrise"). Si le football a perdu un gardien de but de talent, la littérature y a gagné un écrivain immortel. Le sport et le R.U.A. ont apporté leur pierre à la construction de ce talent. Il ne manquait jamais de le rappeler :

(Le R.U.A. ne peut pas périr. Gardez-le nous. Gardez-nous cette          
grande et bonne image de notre jeunesse. Elle veillera aussi sur          
la vôtre).          


J.B.         

NB / Texte de la légende (peu lisible) de la photo dans le titre :
   "Sous une casquette trop grande pour lui, Albert Camus, gardien de but plein de promesses de l'équipe junior du R.U.Alger."

   L'image en question, diffusée dans le monde entier, est la seule que l'on connaisse de Camus footballeur. Précision anecdotique : derrière le joueur qui porte une espèce de chéchia, à la gauche de Camus, se trouve Georges Faglin (béret), frère aîné de Maurice, notre "Missou" national (cliquez pour atteindre son écran sur Es'mma). Ce dernier (ci-dessous) nous raconte sa première rencontre (un peu frustrante) avec "Albert".







MAURICE FAGLIN

"Pedibus cum Camus", de Bab Azoun à Belcourt…

   Natif d'Akbou, Maurice Faglin avait dû, comme beaucoup de jeunes "blédards", quitter la Kabylie pour suivre ses études secondaires à Alger, comme son frère Georges, quatre ans plus tôt.
   C'est d'ailleurs ce dernier qui, en tant que "correspondant" de son cadet, interne au lycée de Ben Aknoun, était chargé de le "sortir" le dimanche. Lui-même était pensionnaire à Bugeaud et très lié à Albert Camus, à la fois son condisciple et son coéquipier dans le "onze" Juniors du R.U.A. 1928-31.
   - J'ai fait la connaissance de Camus, nous dit "Missou", un jour où Georges était venu me chercher à l'arrêt du car de Ben Aknoun, au début de la rue Bab Azoun. J'étais encore un Algérois boudjadi, et je n'en revenais pas, moi qui n'avait connu que les maisons basses de Kabylie, de la hauteur des immeubles. C'est comme ça que mon frère et son copain Albert, qui étaient arrivés alors que j'étais déjà descendu du car, m'ont trouvé en train de compter et recompter les étages des façades de la rue. Je me souviens de la réflexion de Camus :
   - Dis-donc, Georges, il est pas un peu paysan, ton petit frère ?
   C'est peu dire que cette ironie de citadin ne m'avait pas fait plaisir. En voyant ma "figure de couscous", Camus m'avait passé un bras autour des épaules et m'avait dit, pour s'excuser, que c'était "juste pour rigoler". Et, pour sceller la réconciliation, nous nous étions rendus à pied, tous les trois, au stade du Champ de Manoeuvres (voir ci-dessous), à plus de la moitié de la ville de là ! Georges et Albert devaient y disputer leur match contre je ne sais plus quelle équipe.
   La partie avait été perdue, mais pas par la faute de Camus, qui, en multipliant les parades, avait évité au RUA une véritable déroute. Je suis accord avec Raymond là-dessus : il avait vraiment l'étouffe d'un grand "goal".

   En tout cas, le jeune Missou, tout "paysan" qu'il parût au banlieusard belcourtois, avait montré ce jour-là qu'il "en avait dans les jambes" entre Bab Azoun et Champ de Manoeuvres ! Cela lui sera bien utile, par la suite, pour sa longue et brillante carrière sous le maillot bleu et blanc, ses campagnes avec les tirailleurs, en Tunisie et en Italie, sans parler des homériques parties de volley à la piscine du RUA…
   25 ans plus tard, Camus, sans doute en souvenir d'une première rencontre un peu abrupte, lui marquera une attention particulière lors de la réception ruaïste du boulevard Baudin, lui dédicaçant La Peste en termes chaleureux : À Maurice Faglin, aussi sympathique que son frère, son ancien. Albert Camus (voir ici l'entretien avec Michèle Salério).

(Recueilli par J. Brua)         



Stade municipal : au temps du Champ de Manoeuvres


Tout le monde ne sait pas que le premier stade municipal d'Alger, dont le RUA fut l'hôte de 1927 (date de sa création) à 1931, n'était pas celui que nous avons connu au Ruisseau. Situé au Champ de Manoeuvres, à l'emplacement de l'actuel Foyer civique et de l'ancien hippodrome, il était connu des très vieux Belcourtois sous l'appellation de "stade Champault", du nom du président du club universitaire d'avant le RUA, le C.S.A.U. (Club Sportif d'Alger-Université). L'image ci-dessus, retrouvée par notre ami J-R Pivon dans le Guide Diamant de 1929, montre qu'il s'agissait en fait de deux stades parallèles, jouxtant l'Arsenal et ramenés à de plus justes proportions que l'infographie "imaginaire" publiée dans la première édition de cet écran.






ANDRÉ DECHAVANNE

"Mon but dans la cage de Camus…"


   Autre anecdote ruaïste "directe". Elle nous est rapportée par André Dechavanne (8), cadet de trois ans de Camus et comme lui élève de Bugeaud et jeune footballeur au RUA. De bonnes raisons pour André de se souvenir de son aîné, avec le regret de ne l'avoir rencontré que rarement au lycée où, nous dit-il, les "grands" se réunissaient à l'étage..

       

   En 1931, les équipes de football du RUA étaient entraînées par le gardien de but international Maurice Cottenet (également gardien de l'équipe première, championne d'Afrique du Nord).
   À l'entraînement du jeudi, au stade municipal, après une mise en jambes, l'entraîneur formait deux équipes parmi ceux qui avaient participé à l'entraînement. C'est à cette occasion que j'ai marqué un but au gardien des juniors, Albert Camus, l'espoir de l'équipe future du RUA. Vexé d'avoir été battu par un minime, il m'a dit : "- Tu étais hors-jeu !".

NOTE
8- André Dechavanne, frère de Paulette, cadet de trois ans d'Albert Camus et toujours bon pied bon oeil dans sa retraite de Minorque, fut ce qu'on appelle un "surdoué éclectique". Ancien pilote militaire, il a aussi été assureur à Alger et auteur de plusieurs ouvrages liés à l'Algérie, dont une savoureuse parodie pataouète de Cyrano de Bergerac : "Serrano de la Cantère"…








PAULETTE DECHAVANNE *


UN "MERCI" DANS LE SECRET DE L'OREILLE…




   Cela s'est passé au printemps de l'année 51 (ou 52 ?).
   J'étais étudiante à la Faculté des Lettres d'Alger lorsque nous fûmes avertis du passage à Alger, pour quelques jours, d'Albert Camus. Nous avons tenu à le recevoir à la Maison des étudiants, boulevard Baudin.
   Ce fut une petite réception très agréable ; nous étions tellement flattés de côtoyer un moment celui qui, déjà, était considéré comme un grand auteur et qui avait eu les mêmes professeurs que nous. Parmi ceux-ci, je tiens à évoquer la mémoire de Monsieur Mathieu, notre professeur de lettres en hypokhâgne du lycée Bugeaud, très fier de l'avoir eu comme élève.
   Albert Camus nous parla de sa vie en France, de son travail, mais aussi de la joie qu'il éprouvait à retrouver sa terre natale.
   Cette rencontre se termina bien sûr par une séance d'autographes. Beaucoup de mes camarades avaient apporté La Peste.
   Je ne sais pourquoi, j'avais choisi de lui présenter L'État de siège, une de ses pièces de théâtre, écrite quelques années avant, en 1948.
   Nous nous trouvions debout, l'un à côté de l'autre et lorsqu'il a lu le titre, il s'est approché tout près de moi et m'a dit à l'oreille : "Merci, c'est mon préféré", et il m'a fait un beau sourire. J'étais tout émue car il était bel homme et charmant.
   Ce "Merci", il l'écrivit sur la page de gauche, suivi de sa signature. J'étais sur un petit nuage. Mes amis étudiants voulaient tous savoir ce qu'il m'avait dit à l'oreille et le pourquoi de ce "Merci" qui les intriguait beaucoup. Ils m'ont longtemps taquinée à ce sujet.
   Le prix Nobel n'a donné que plus de prix à la dédicace et je garde avec un soin jaloux le livre qui fut entre ses mains.
   Cette brève rencontre, ce petit échange entre Albert Camus et moi sont restés un souvenir très particulier et très précieux.
   Je suis persuadée que beaucoup de spécialistes de cet auteur ignorent ce détail, qui n’a jamais été évoqué. Ils sauront, désormais, où allaient ses préférences parmi tout ce qu'il a écrit.
   Sa mort tragique, quelques années plus tard, m'a consternée.
   Voilà comment, pendant un court moment, j'ai croisé la route d'Albert Camus.

P. D.         


*Agrégée de Lettres et ancien professeur au Lycée Gautier.
Voir le souvenir émerveillé qu'a conservé d'elle son élève Gérald Dupeyrot (cliquez ici)










JEAN-PAUL FOLLACCI *

Le scoop "invincible au milieu de l'hiver"



   Mars 1959. Deux ans ont passé depuis le prix Nobel et les photographes du monde entier, bardés de téléobjectifs, traquent Albert Camus en rêvant de scoop en or massif. C'est ce vaudrait la moindre image volée à celui qui se dérobe à toute intrusion de la presse dans le silence qu'il s'est imposé à propos du drame algérien (9).
   Donc, Camus se tient éloigné de tout ce qui ressemble à un appareil photo ou un micro. Et les ruines de Tipasa, où il aime tant à se ressourcer, sont le lieu où il se sent le mieux protégé de cette sorte d'indiscrétion.

   Aussi, quelle est sa surprise en se voyant "dévisagé" par l'oeil rond d'une Rétinette Kodak, l'appareil des familles.
   Justement, c'est en famille et en photographe du dimanche que Jean-Paul Follacci, le propriétaire de la Rétinette, flâne par les allées du site, entre les colonnes et les murs millénaires. Après un premier mouvement de recul, Camus se rassure : le suspect lui paraît plus proche de Tintin que du paparazzo au Leica entre les dents.
   Mais laissons la plume à Jean-Paul pour la suite.

   "J'ai croisé deux fois Camus en Algérie. La première fois, c'était à Tipasa, en mars 59, dans les ruines.
   Je lui ai demandé l'autorisation de le photographier avec mon petit appareil et il a accepté sous réserve que je lui promette "de ne pas donner ni vendre le cliché à un journal".
   J'ai naturellement tenu parole. 50 ans après, présenter cette photo sur mon "blog d'Arioul" (10) ou sur Es'mma, croyez-vous que ce soit un parjure ?"


   (Bien sûr que non, Jean-Paul. Mais Camus avait raison de se méfier. Car depuis que cette photo exclusive - la dernière connue de Camus à Tipasa - est sortie sur la toile, on l'a vue faire des petits ici et là. À signaler, du côté des publications qui ont pris la peine de solliciter une autorisation, la Revue française de philosophie, qui l'a incluse dans son dernier numéro spécial consacré à Camus).

   À la Bibliothèque

   "La seconde fois, c'était dans la salle de lecture de la Bibliothèque nationale de l'avenue De Lattre-de-Tassigny. En levant les yeux de mon travail, je l'ai découvert face à moi, assis à la même table. Il consultait un ouvrage et prenait des notes au stylo dans un petit cahier. Je dois dire que j'étais fasciné et intimidé.
   Au bout d'un moment, il s'est levé et il est parti dans le trench-coat d'Humphrey Bogart. Il était très élégant."


*Ancien du Télemly, de Gautier et de la Fac des Sciences. Voir ses nombreuses contributions à Es'mma (http://esmma.free.fr/mde4/zoteurs.htm" target="_blank">Cliquez ici pour aller voir leur sommaire)


NOTES
9 - La date de la rencontre avec J.-P. Follacci correspond à celle d'une visite que Camus comptait faire à son village natal de Mondovi, à l'invitation du maire de la commune, M. Peraldi. On saura par ce dernier que l'éécrivain avait décommandé la visite pour se rendre auprès de sa mère souffrante. Ce qui explique sa présence quasiment incognito à Alger et à Tipasa.

10 - Blog personnel de J.-P. Follacci dans Le Monde



Si ce n'est déjà fait, ne manquez pas d'aller sur l'écran
consacré à Camus paru précédemment :

"Signes d'Amitié" (cliquez pour vous y rendre)

Prochain écran de l'Année Camus sur ES'MMA :

"Mondovi : vraie et fausse maison natale"
(Jean et Edmond Brua)


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