Clauzel, Michelet ...et les autres

 

par Jacques Camps



Jacques en 1954


Je voudrais rendre hommage à Annie Suc-Muller, car la lecture de ses évocations : "la rue Warnier" et "Clauzel, il est beau mon marché" ont été pour moi un enchantement et une révélation, ces descriptions ont réveillé une foule de souvenirs que je croyais à jamais enfouis au fond de ma mémoire.

Je suis de plus très impressionné par sa prodigieuse mémoire qui lui permet de restituer avec exactitude chaque nom des commerçants et de leurs magasins ou officines.

Je ne pourrais sans doute pas l'égaler, mais je voudrais moi aussi évoquer quelques souvenirs.



Années 1951, 1952, 1953, années d'insouciance, nous devions avoir entre 12 et 14 ans.

Nous étions 4 copains : Archie ( Archilla ), Bobby ( Puig ), Charly (Ruby ) et moi Jacky, nous étions des lycéens fier de notre beau Lycée Gautier, mais il nous arrivait de sécher un cours et nous nous rendions au sous-sol d'un café situé en bas du cinéma ABC, là il y avait une table de ping-pong , et des baby-foot, de quoi parfaire nos études !!. De temps en temps, l'été, il nous arrivait de nous échapper vers le port et d'aller nous baigner du côté du "Rowing Club"

Je me souviens de nos discussions et de nos rigolades, sur la place Hoche en attendant de passer la porte de verre.

On envoyait le plus grand, Archie, acheter des cigarettes américaines que l'on allait "crapauter" le soir, à l'abri d'un muret au bas de l'avenue Victor Hugo et l'on s'enivrait de cette fumée à odeur de miel; quelquefois, l'un de nous avait eu l'audace d'acheter "Paris Tabou" avec des lunettes pour voir en relief. On riait bêtement, on faisait les fanfarons pour masquer la gêne qui nous étreignait, en découvrant ces magnifiques créatures dénudées.

Dès que nous avions un peu de temps de libre, nous nous incorporions à la cohorte des faiseurs de rue Michelet. On se retournait sur les jolies filles ( et Dieu sait si les filles de mon pays étaient jolies …), on hélait une connaissance, on entendait la rengaine du marchand de bli-bli, avec son plateau à roulettes : "les cacahuètes, chez les femmes, ça fait maigrir et chez les hommes, ça fait monter le bouzoulouf !"

Combien de fois l'avons-nous arpenté cette rue Michelet, combien de fois avons-nous fait demi-tour devant le Coq Hardi, on cherchait une "bouffa", la surprise-party où l'on aurait pu rentrer et tenter sa chance, mais le plus souvent on passait notre temps à user nos semelles dans un va et vient sans fin et lorsque par bonheur on avait quelques "ronds" on s'arrêtait "aux Quat z'arts" pour commander un "soutien gorge" (lait-fraise) histoire de se donner l'air d'un grand.

Et le soir venu, je quittais les copains, je descendais dans le trou des fac, je jetais un œil sur les dernières nouveautés dans les vitrines du souterrain, un petit salut à Charly derrière son bar, je ressortais de l'autre côté, j'empruntais la rue de Mulhouse et je rentrais au n° 12 : c'est là que j'habitais.

J'ai successivement habité 12 rue Michelet puis 12 rue de Mulhouse, c'est dire que mon adolescence s'est focalisée autour "du trou des facs" et de ses rues en rayons : ma rue, la rue de Mulhouse, parallèle à elle, la rue Valentin avec en bas le garage Panhard (au moins dans les années 50), en face, il y avait un autre garage où mon père garait sa voiture, le Bd Saint Saëns, la rue Michelet côté Bissonnet, la rue Warnier qui démarrait maintenant dans le souterrain, la rue Michelet, côté vitrine Renault où l'on voyait parfois, outre de belles voitures, des chris-crafts de toute beauté et enfin le tunnel des Facultés qui débouchait de l'autre côté sur l'avenue Pasteur. En sous-sol le souterrain avec sa galerie marchande circulaire et ses vitrines où trônaient des meubles, des articles de sport, des machines à coudre, des télévisions, des tapis ou des mannequins habillés de la dernière mode. Je me souviens fort bien de la vitrine décrite par Gérald avec la maquette d'un avion vantant les mérites d'une certaine compagnie aérienne et puis il y avait Charly derrière le comptoir de son bar, plaisantant avec le client, juste en face de l'escalier Michelet-Bissonet.

 



Tunnel des Facs et rue de Mulhouse
cliquer pour agrandir



Ma fenêtre
cliquer pour agrandir

 

Comme Annie, lorsque j'étais jeune, je profitais du jeudi pour accompagner ma mère au Marché Clauzel. Ma mère prenait un billet dans son armoire, sa liste des commissions, deux paniers et nous descendions la rue de Mulhouse. A mi-hauteur de la rue, il y avait toujours des jeunes qui obstruaient le trottoir, ils attendaient l'heure de rejoindre un cours privé. Nous empruntions le souterrain pour ressortir rue Warnier. J'avoue que je ne me souviens que de deux choses : à droite, une petite guérite abritant une remmailleuse où ma mère faisait stopper ses bas et puis, et surtout, le marchand de beignets, admirablement dépeint par Annie, dont les beignets, makrouts et zlabbias (@ au miel) embaumaient toute la rue.

Arrivés au marché Clauzel, nous passions d'étal en étal, ma mère ayant ses commerçants attitrés, elle marchandait, examinait, discutait et finalement achetait ses fruits et ses légumes sans oublier au passage une botte d'œillets. Je me rappelle très bien du marchand d'œufs qui enveloppait les œufs les uns après les autres dans des carrés de journaux et puis nous allions chez Lloret qui faisait une très bonne charcuterie et en particulier une succulente soubressade (j'ai eu le plaisir de retrouver les Lloret en 71 à Albi où ils avaient implanté une entreprise de salaison) et l'on terminait dans "la caverne d'Ali Baba" des Mozabites, au sarouel gris, où l'on achetait toute l'épicerie. Le marché terminé, nous refusions l'aide des yaouleds-porteurs qui se proposaient de vous aider à porter vos paniers, car là, c'était moi le porteur, et nous remontions la cote de la rue Warnier puis, plus lentement, celle de la rue de Mulhouse.

A peine arrivée et avant même d'ôter son manteau, ma mère s'installait au bureau, ressortait sa liste et de mémoire reportait sur son cahier, ses achats et leurs coûts et cela sans se tromper d'un centime, toujours en accord avec la monnaie qui lui restait. Elle savait si bien ce qu'elle avait dans le porte monnaie que je ne pouvais même pas lui soustraire une pièce de 20 centimes !!

Chaque matin, je me rendais au lycée Gautier, j'empruntais le souterrain, un petit bonjour à Charly et je ressortais devant chez Bissonnet où étaient exposés de la belle maroquinerie mais également des jeux de société. A côté il y avait un petit magasin de jouets où j'avais acheté ma première paire de patins à roulette, mais, comme je n'avais pas tellement l'occasion de pratiquer ce sport, j'y étais retourné et j'avais demandé à échanger les patins contre un pistolet à air comprimé qui projetait de la grenaille de plomb qui piquait les mollets, au grand dam de ma mère qui n'apprécia pas du tout, cet échange.

Je passais devant le 12, où j'avais habité, pendant quelques temps, avec mes grands parents maternels, puis j'arrivais devant la devanture rouge de Frigidaire. Je me souviens qu'à côté, il y avait une confiserie avec un magnifique Pierrot-présentoir de sucettes qui me faisait un clin d'œil, à chacun de mes passages. Il y avait également dans une petite vitrine latérale, des farces et attrapes : il y avait les bonbons poivrés, les sucres qui ne fondent pas ou qui libèrent une sale bestiole en plastique, de faux étrons, du fluide glacial, j'y avais acheté une boîte d'allumettes qui vous sautait au visage dès qu'on la touchait, la frayeur de mes parents et de mes grands parents m'amusait beaucoup.

Je traversais la rue Semard qui menait à l'imposant bâtiment des Chemins de Fer Algérien, je passais devant la pharmacie Jacomo, le bureau de tabac Deltrieux où je m'arrêtais parfois pour acheter un petit illustré et plus tard un paquet de cigarettes, ensuite selon mon humeur soit je traversais, empruntais la rue Tirman en jetant un œil sur les livres de la Librairie Notre-Dame, enfilais la rue Denfert Rochereau en passant devant l'église St.Charles de l'Agha, où j'avais fait ma 1ère communion quelques années auparavant et rejoignais la place Hoche, soit je continuais sur le même trottoir, et je passais devant ( je les nomme parce qu’Annie a bien voulu les rappeler à mon bon souvenir !) Décor, le SICA, les chaussures Dalard. J'arrivais devant l'impressionnante entrée d'un immeuble (peut être le vôtre Annie) où habitait l'ORL Badaroux que je consultais régulièrement vu mes problèmes otologiques. Cet immeuble était tout près (peut être mitoyen) de la pâtisserie Tilburg.

Là encore, soit je traversais face à la Princière pour descendre la rue Bourlon et rejoindre la rue Denfert Rochereau, soit je continuais la rue Michelet jusqu'à l'avenue Victor Hugo ou la rue Hoche et là j'obliquais à gauche pour descendre vers mon lycée.

En traversant la rue Denfert Rochereau, je jetais un œil vers le cinéma Empire qui occupait l'angle de cette rue avec la rue Edgar Quinet; mon grand père maternel y avait obtenu une place "d'ouvreur". Il coupait les tickets avant que l'on pénètre dans la salle et il veillait a la bonne tenue des cinéphiles, plus tard il lui faudra les contrôler en les palpant… Malheureusement, cet emploi ne lui donnait pas droit à des places gratuites et c'était bien dommage !!

Dans la rue Hoche, avant d'arriver à la place du même nom il y avait, à gauche, un coiffeur où mon père, officier militaire, m'avait amené la première fois pour lui recommander de me faire une "coupe au bol" ce qui me valait quelques tapes mémorables sur la nuque : "la coupe !! la coupe !!"

Comme ce coiffeur, dont je ne me souviens plus du nom, était sur mon chemin, je lui ai été fidèle durant toutes mes années de lycée.

Bon je vous quitte, il est l'heure de franchir la porte de verre du lycée E.F.Gautier...




Tunnel des Facs et Rue Michelet
cliquer pour agrandir


Jacques Camps - Février 2006

Retour