Écho d'Alger du 13 novembre 1942. Pour lire la suite, cliquez dessur, puis agrandissez.
"1492-1942, n'était l'ordre des chiffres, 450 années après Colomb nous découvrions l'Amérique ! ce lundi 9 novembre… Sans nous déplacer, elle venait à nous." (René Bérard)
Le 8 novembre 1942, c'est l'opération Torch : les soldats de la "Eastern Task Force" (1), 23.000 soldats britanniques et 10.000 américains, embarqués en Grande-Bretagne, soit 33 000 hommes aux ordres du général Ryder, débarquent sur les plages à l'Est et à l'Ouest d'Alger. Un commando débarque aussi en plein port, mais il se fait capturer. Le soulèvement de 400 résistants permet à la prise d'Alger de s'effectuer sans trop de casse. Bon, tout ça, vous connaissez, c'est notre histoire, à nous autres Algérois. Bien des livres, bien des sites sur Internet nous renseignent sur les péripéties liées à ces débarquements. Aussi, je vous propose que nous nous attachions aux jours et aux semaines qui suivent. 33.000 soldats qui débarquent chez vous comme ça, sans crier gare (forcément, sinon, bonjour l'effet de surprise), ce n'est pas rien. D'autant que les jours suivants d'autres milliers allaient débouler à leur tour. Et pas seulement des soldats…
"Les Américains ne se sont pas contentés d'envoyer leurs GI's à l'assaut de l'Afrique du Nord. Ils y ont également dépêché une vaste machine bureaucratique chargée d'encadrer l'effort de guerre et composée d'une faune disparate d'intervenants parmi lesquels émergeaient les services de contre-espionnage, des groupes de pression politique et des agences à caractère économique et social." (Alfred Salinas, Mémoire Vive n°54)
À compter du 8 novembre 1942, Alger devient le centre du dispositif de reconquête de l'Europe. À l'Hôtel Saint-George s'est installé le général Eisenhower qui commande à l'ensemble de ces forces, ainsi que son état-major. Ce sera son poste de commandement jusqu'en décembre 1943 (voir en colonne de droite). Lui, comme d'autres officiers supérieurs, et même d'autres personnels moins élevés en grade, sont souvent logés dans des villas réquisitionnées. Bon, mais tous les autres ? Tout le reste du corps expéditionnaire a pris ses quartiers dans notre ville et alentour. Chez l'habitant pour certains gradés, pour tous les autres dans des camps de toile, dans des écoles…
Alger, Oran, la Tunisie une fois libérée, vont être les bases d'où partiraient les bateaux et les avions à destination de la Sicile, de l'Italie, et ensuite de la Provence. Ceci représente des dizaines de milliers d'hommes (et de femmes, certes, pour le personnel militaire de ce sexe) qu'il faut loger, nourrir, distraire, pour certains soigner, ce à quoi s'occupe le considérable dispositif logistique des troupes alliées. Aux combattants s'ajoutent les techniciens chargés de veiller au déchargement des bateaux de transport, de monter avions, véhicules et blindés, de réparer ceux abîmés ou détruits… Un chantier gigantesque, d'autant qu'aux troupes anglo-américaines viennent s'ajouter les dizaines de milliers de mobilisés nord-africains, de diverses origines, qui vont constituer l'armée de Juin et de Lattre (avec en plus, s'ajoutant à tout ça, des arrivants inattendus, subaquatiques et glorieux CLIQUEZ ICI ).
Oh non, ça ne va pas être une mince affaire que d'occuper ces quelques dizaines de milliers de soldats dans la force de leur toute jeunesse, durant le temps qu'ils vont stationner à Alger avant de repartir avec leurs unités vers les fronts de Tunisie puis d'Italie. Dans les camps qu'Anglais et Américains ont dressés dans Alger et aux alentours (3), l'entraînement et les sports pratiqués en équipes devraient déjà résorber une belle partie de leur juvénile énergie.
"Alentour des grandes agglomérations se dressaient des camps immenses, véritables villes de toile et de tôle ondulée avec leurs quadrillages de rues et leur esplanade centrale piquée de la "Bannière étoilée" ou de l'"Union Jack". Attenant au cantonnement, la zone d'activité regroupant le P.C., les transmissions, l'intendance, le parc automobile et les ateliers, avec les centres vitaux, armurerie, groupes électrogènes et dépôt d'essence, enfouis sous des sacs de sable. Les plus vastes de ces ruches humaines, qui abritaient plusieurs milliers d'occupants, avaient leur propre chapelle avec clocher (en kit), leur hôpital, leur cinéma, leur "drugstore", leur aire de loisir, ainsi que leur D.C.A.". (cf http://cagrenoble.fr/victoire/victoire03.html)
Mais il reste encore à les distraire, au sens littéral, à leur faire un peu oublier leur condition, et à les aider à chasser l'inévitable mal du pays… Les cantonnements et leurs loisirs, c'est bien, mais on y reste entre uniformes. À l'occasion de leurs permissions et de leurs escapades en Alger, il s'agit de redonner à ces jeunes gens quelques moments d'une vie "normale", d'une vie quasi-civile dont la guerre va les priver pendant encore longtemps. C'est le rôle que vont remplir les "canteens for troops" (foyers du soldat), avec leurs distractions, qui s'ouvrent dans tous les quartiers d'Alger. On se doute bien que Sammies et Tommies n'allaient pas se confiner à ces lieux de plaisirs anodins et encadrés, gérés par l'Armée du Salut. À ce qu'on m'a dit, leur blondeur exotique et entreprenante dans les bals de quartier et les bagarres qui s'ensuivaient avec nos concitoyens, allaient plus que souvent entraîner l'intervention musclée des géants M.P. de la Military Police (comme celui-ci avec sa matraque, dessiné par Brouty). Pour compléter le bien-être du soldat, s'ajouteront des programmes radio, des "concerts interalliés", des matches de foot, de boxe et autres sports, pour les G.I. leur journal (voir ci-dessous), et aussi l'accueil dans de nombreuses familles algéroises (voir en colonne de droite).
En consultant l'Écho d'Alger sur Gallica - comme peut le faire chacune et chacun d'entre nous - j'ai essayé de rendre compte par le petit bout de la lorgnette de cette vaste entreprise de loisir en kaki.
Nos Es'mmaïens visiteurs devraient avec ces "canteens" retrouver des lieux familiers de leurs quartiers (4), que vont découvrir Sammies et Tommies en goguette. Voici donc les…
10 décembre 1942 : ce sont les Américains qui dégainent les premiers ! (À noter que la bannière étoilée ne flotte pas, mais qu'elle pend au balcon du 1er étage)
Écho d'Alger du 10 décembre 1942. Pour lire la suite, cliquez dessur, puis agrandissez.
12 décembre 1942 : les Anglais répliquent avec l'inauguration du premier foyer du soldat de l'Armée du Salut : il est 15h 30, au n°20 de la rue Franklin à Bab-el-Oued, l'Écho d'Alger nous raconte ça :
Et contrairement au foyer installé par les Américains à la Maison des Étudiants, qui apparaît certes conséquent mais dont il semble qu'il doive rester unique en notre ville, on lit que les "canteens for all troops" des pasteurs british vont essaimer à travers tout Alger : l'une en plein centre, dans le bar et le foyer du cinéma Le Régent (45 rue d'Isly, donc) ; une autre à Belcourt rue Auguste Comte ; la troisième au Ruisseau ; une autre encore à Hussein-Dey.
5 janvier 1943 : à cette date s'ouvre la "canteen for all troops" installée à Lou Cigalou, l'ancien restaurant à l'entrée d'El-Biar, c'est la 13e de la "chaîne", la quatorzième étant inaugurée le même jour à Maison-Carrée (cliquez sur l'image pour lire l'article). Depuis les 5 annoncées le 12 décembre, sept autres se sont donc encore ouvertes ! Et ce n'est pas fini ! (qui saurait nous dire où se trouvaient l'une ou l'autre des sept "canteens" dont l'Écho d'Alger n'a pas signalé la naissance ?) (3)
Écho d'Alger du 5 janvier 1943. Pour lire la suite, cliquez dessur, puis agrandissez.
8 janvier 1943 : Nouvelle "canteen for troops" installée à la Hydra-Brasserie dans le Parc d'Hydra. On nous précise bien que tout ceci se fait sous la houlette des chapelains de l'armée britannique. Que l'on veut bien imaginer aussi sourcilleux et "pères la morale" que notre abbé Lecocq ou que le curé de Tadjira dans "le coup de sirocco", le film d'Alexandre Arcady. Il ne faudrait pas que les braves parents Algérois s'imaginent que nos alliés sont en train d'installer chez nous des succursales de chez Madame Claude ! Déjà bien assez comme ça que leurs filles elles reluquent faut voir comme les nouveaux arrivants ! La vergogne, d'jis, c'est pas ça que certaines elle les étouffe !
Écho d'Alger du 8 janvier 1943.
Au moins 15 "canteens" réparties sur tout Alger, le foyer de la Maison des Étudiants, voilà pour les points de ralliement des Tommies et Sammies en goguette dans Alger quand ils sortent de leurs cantonnements ! Sans compter des lieux comme le bar ci-dessous, "The Malcolm club", pour les membres de la Royal Air Force, inauguré le 25 juin 1943. Il aura été le premier de nombreux "Malcolm Clubs" qui allaient essaimer un peu partout dans le Monde. Il se trouvait, semble t-il, au n°60 de la rue Michelet, juste avant l'angle avec la rue Burdeau, et en face du Bd Victor Hugo et de la brasserie du même nom.
Photo droits I.W.M. (Imperial War Museums), D.R.
Ou encore ce "club pour officiers américains" que nous signale un article de l'Écho d'Alger du 9 juin 1943. La Croix Rouge américaine l'avait aménagé dans l'ancienne Maison des Italiens, 16bis rue Denfert-Rochereau, pour, semble t-il, des convalescents (il y avait pas mal de blessés à retaper, retour des fronts de Tunisie, puis de Sicile et d'Italie).
20 novembre 1942 : dans l'Écho d'Alger paraît ce premier encadré d'informations en Anglais, c'est pas énorme, mais c'est l'intention qui compte… Très bientôt, les troupes anglophones, du moins les Sammies, vont avoir leur propre organe d'information…
Par l'Écho d'Alger, nous savons dès le 10 décembre, que le foyer installé à la Maison des Étudiants abrite la rédaction d'un journal américain, "The Stars and Stripes". Et dans son édition du 13, l'Écho d'Alger sort un article très détaillé sur ce journal qui n'est rien d'autre que l'organe de l'ensemble des troupes américaines engagées. Il n'a pas été créé pour la circonstance, le débarquement en Afrique du Nord, il existe depuis 1917, "The Stars and Stripes" était déjà la feuille de chou des G.I. après le premier débarquement américain en France, celui de la guerre de 14-18 !
Le tout premier numéro vient de sortir le mercredi 9 décembre 1943, hebdomadaire et "made in Algiers". Préparez vos deux francs !
Écho d'Alger du 13 décembre 1942. Pour lire la suite, cliquez dessur.
Ainsi qu'il est mentionné dans l'article de l'Écho d'Alger du 13 novembre, les Américains, autarciques et hyper-organisés, ont apporté TOUT ce qui est nécessaire à leur survie dans un milieu africain et hostile, aussi abominablement déshérité que le nôtre (surtout en porridge et en pancakes, pour le breakfast, c'est sûr que les sfendj, ça la fait pas). En fait, ils entendent fournir à leurs G.I. une "way of life" aussi proche que possible de celle qui était la leur chez eux. Rien qui ne soit pensé jusque dans les plus petits détails ! Surtout ne pas risquer de devoir vivre sur l'habitant. C'est même tout le contraire qui va se passer, le Président Roosevelt n'a t-il pas déclaré vers le 15 novembre que "les troupes américaines et les populations nord-africaines seront ravitaillées par l'Amérique ?".
Écho d'Alger du 16 novembre 1942.
Dans l'Écho d'Alger du 13 novembre, on lit qu'ils ont même apporté leurs vaches, et avec leurs vaches, les "fermières" pour s'en occuper, fermières qui ont bravé l'océan et les torpillages ! Pour la confection de leur "The Stars and Stripes", c'est pareil : ils on amené avec eux leur personnel, leurs sources d'informations, le dessinateur d'humour (sergent Richard Wingirt), et le lynotypiste-typographe pour la composition et la mise en page des textes. Seules les presses sont celles de l'Écho d'Alger, avec leurs personnels habituels pour les faire tourner. Il a aussi été pensé aux comic-strips bien de chez eux, comme "Blondie", la bande dessinée hebdomadaire. On voit ci-dessous celle que les soldats US peuvent lire ce 13 janvier 1943 (1). Tout, pour ces "grands enfants" (et à ces âges, que sont-ils donc d'autre pour la plupart, juste sortis de chez papa-maman ?), tout doit être comme à la maison ! Même dans leurs paquetages, et dans leurs rations de survie pour les combats à venir, tout a été minutieusement pensé, dosé, chaque combattant doit avoir l'impression d'être constamment l'objet d'une attention quasi maternelle. Ce qui doit expliquer la part importante des "douceurs", bonbons et chocolats, dans ces "rations K".
(1) Un peu plus tard, gamins, nous aurons l'occasion de retrouver cette B.D. dans le magazine féminin "Confidences" que liront nos mères dans les années 50.
Cliquez dessur pour l'agrandissement et la traduction. Copyright King Features Syndicate.
Pour ce qui est des programmes musicaux et d'information, l'Écho d'Alger va continuer à faire paraître le genre d'avis comme celui ci-dessous, indiquant les heures où Radio Alger diffuse les musiques d'artistes américains en vogue (le soir entre 22h30 et 23h), et relaye des émisions d'outre-Atlantique à destination des troupes US.
Enfin, parmi les publications imprimées à l'intention de tous ces militaires de passage s'exprimant dans la langue d'Edgar Poe, Jerome K. Jerome et Daphné du Maurier réunis (pourquoi toujours "la langue de Shakespeare" ?), Es'mma vous propose un magnifique guide touristique, publié en 1943, dont la réalisation a été entièrement confiée, textes et images, au meilleur connaisseur d'Alger qui soit, à ce "badaud d'Alger" qu'est Charles Brouty. Plongez-y, c'est un régal de redécouvrir notre ville par ses yeux, telle qu'il en proposait la visite à nos hôtes, telle que lui même s'y promenait inlassablement, esprit et crayon en éveil. Pour les non-anglophones, se munir d'un lexique, ou d'un(e) Anglais(e), c'est bien aussi.
Pour une balade en Alger en cinq circuits,
suivez le guide, suivez Charles Brouty,
cliquez ICI.
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(1) Les deux autres "task forces" étant celle débarquant au Maroc et celle chargée de l'attaque d'Oran.
(2) Beaucoup de choses sur cette époque, mais selon moi, ces pages Internet sont parmi celles qui nous renseignent le mieux sur ces évènements :
http://cagrenoble.fr/victoire/victoire.html
http://cagrenoble.fr/victoire/victoire02.html
Pour le quotidien algérois, se reporter à l'excellente étude d'Edgar Scotti "Alger, capitale de la France en guerre", parue dans "L'Algérianiste" N°53 de mars 1991.
Une visite à cette page du site "Chezpeps" de Pierre Jarrige consacrée à l'aviation en Afrique du Nord durant cette période complètera par de nombreux documents votre représentation de cette époque :
Chezpeps
(3) Où étaient ces camps, dans Alger et aux alentours, ceci n'est évidemment pas mentionné dans les quotidiens. Les espions (dont au fil des jours on apprend dans les journaux, en de modestes échos, les exécutions de certains), lisent aussi l'Écho d'Alger !
Par contre on trouve dans l'Écho d'Alger du 20 novembre 42 un reportage admiratif signé G.K. sur l'un de ces camps "près d'Alger".
CLIQUEZ ICI POUR ALLER LE LIRE
(4) Sauriez-vous où se trouvaient l'une ou l'autre des sept "canteens" dont l'Écho d'Alger n'a pas salué la naissance ?
Écho d'Alger du 20 novembre 1942.
Écho d'Alger du 23 décembre 1942. Cliquer pour agrandir.
Écho d'Alger du 26 décembre 1942. Cliquer pour agrandir.
Écho d'Alger du 31 décembre 1942. Cliquer pour agrandir.
Bon tout s'est bien passé Mais comme dans les contes, il faut que la voix de la méchante sorcière se fasse entendre ! C'est bien entendu celle de la radio fasciste, qui depuis Rome présente l'opération sous un jour odieux : ce qui fut de la part des Algérois un élan d'hospitalité et de générosité spontané devient à l'en croire une obligation qui aurait été intimée aux familles et aux restaurants. Alors qu'on peut être sûr, comme on se connaît, que les Algérois pour la circonstance avaient dû mettre les petits plats dans les grands ! Même s'il n'y a pas dû y avoir de la dinde - pénurie oblige - à beaucoup de ces repas… "Sorry, no turkey !"
Nota : remarquez, je dis ça, mais si ça se trouve, dans leur gigantesque et éclectique bazar d'importation, peut-être qua les Américains avaient même prévu quelques dizaines de milliers de dindes et dindons pour les fêtes de Thanksgiving et de Noël ? Mais comment savoir ?
Dans l'Écho d'Alger. Cliquer pour agrandir.
Écho d'Alger du 10 février 1943. Cliquer pour agrandir.
Qui nous donnera des nouvelles de ces tout jeunes mariés ? L'un de nos lecteurs connaissait-il Sylvia Cavalier ? Franck a t-il bien fini de traverser cette guerre sans trop de casse ? Ont-ils ensuite vécu dans l'état de New-York ? Le lieutenant-colonel Elliot Roosevelt, leur témoin, était-il parent du Président des États-Unis ? (là, j'ai la réponse : oui, c'était son fils). C'est seulement moi, ou bien ce genre d'article vous donne-t-il à vous aussi envie de poser des tas de questions ? Vous me direz : "À quoi bon se poser des questions dont on sait qu'on ne leur trouvera pas de réponse ?" Ah, gens de peu de foi ! Vous allez bientôt lire ce qui vous fera regretter votre incrédulité !
Ce mariage aura probablement été le premier survenu entre un militaire américain et une Française depuis que la France a commencé d'être libérée ! Ce n'est quand même pas rien, non ?
Du coup, j'ai googolé son nom à elle, et surprise, en moins de cinq minutes de défilement de pages, voilà que je tombe d'abord sur sa frimousse avec dessous son nom, image que je vous livre tout de suite :
Dans le "Daily Globe', du 17 avril 1944.
La frimousse se trouvait incluse dans une interview d'un journal américain d'avril 1944. Je vous l'ai traduit (CLIQUEZ ICI POUR VOUS Y RENDRE).
Vous pouvez aussi vous rendre vous-même sur la page de cet article et le lire en V.O. si ça vous dit (CLIQUEZ ICI)
Quant à Frank, j'ai essayé d'en savoir davantage, en allant sur le site du mémorial à tous les combattants américains de la seconde guerre mondiale. Pour l'instant je n'ai pas trouvé ce que fut la suite de leur aventure. Si des fois le coeur vous en dit… Bonnes recherches !
Le sommet de la pyramide hiérarchique de ces dizaines de milliers d'hommes et de femmes à loger en Alger s'appelle Dwight "Ike" Eisenhower. Il a choisi de s'installer avec son état-major à l'hôtel Saint-George. Son bureau y occupe l'espace de trois chambres contigües. Je ne sais ce qui détermina ce choix, toujours est-il que quiconque connait cet endroit exceptionnel ne pourra que saluer le goût exquis du généralissime. Enfoui dans la verdure et à flanc de l'arène sur la mer qu'est Alger, le Saint-George avait sur l'Aletti, lui situé sur le port visé par les avions ennemis, l'avantage certain de se trouver bien moins exposé aux attaques aériennes. Peut-être Ike, dans ses mémoires donne t-il les raisons qui lui firent sélectionner le Saint-George ? Celle qui aurait pu lui inspirer ce choix romantique avait pour nom Kay Summersby.
Chauffeur militaire au début de la guerre à Londres, Kay est affectée au service du général en mai 1942, quand l'Amérique rejoint la Grande-Bretagne dans la guerre, et que ses militaires arrivent. Ike a dix-huit ans de plus que Kay. Elle devient ensuite sa secrétaire particulière (elle tape à la machine à la vitesse de 200 mots/minute !), et elle le reste quand elle le suit à Alger suite à l'opération Torch. Ike en est le C-in-C, le Commandant en Chef. Ils resteront à Alger avec le Saint-George pour Q.G. jusqu'en décembre 1943. Une année entière en notre ville, ce n'est pas rien !
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(photo : courtesy Eisenhower library)
Sur la photo ci-dessus, prise durant l'année de leur séjour en notre ville, Kay est au volant et Dwight assis sur la banquette arrière : c'est ainsi que les Algérois durent parfois les voir traverser notre ville. Comme d'autres durent les apercevoir aux alentours d'Alger, chevauchant en forêt de Sidi-Ferruch ou admirant le panorama depuis le balcon Saint-Raphaël. Oui, on peut rêver sur tous les autres endroits où ils auraient pu aller pour se reposer un peu de leur tâche. Mais prenaient-ils le temps de ces récréations ? Lisons leurs mémoires, pour savoir ce qu'il en fut… En particulier "Eisenhower was my boss", qui vous est accessible en lecture libre ICI. Soyez un peu historiens, que diable ! C'est le chapitre V (page 47, et 64 sur le curseur) qui concerne Alger.
Le mot de Starter : Il s'agit d'une Buick "staff car" de 1942, en version "blackout", c'est à dire dont toutes les parties chromées, pare-chocs et enjoliveurs de roues compris, ont été passées à la peinture vert olive mat. Pour constituer, phares éteints, une cible moins repérable pour d'éventuels chasseurs ennemis.
(Official U.S. Army Photo, courtesy Eisenhower library)
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…lors d'une escapade à cheval.
La photo ci-dessus a sans doute été prise avant ou après l'une des promenades à cheval que faisaient Ike et Kay trois à quatre fois par semaine quand le service le leur permettait (seul Ike est en tenue de cavalier). C'est ce que nous apprend Kay dans son livre "Eisenhower was my boss" en pages 76 à 78. En bonne petite fille de la verte Irlande, elle adorait l'équitation, et d'ailleurs elle déclare son admiration pour les pur-sangs arabes des Spahis qui à Alger constituent la garde du Général de Gaulle.
"Lui (Ike) apprit à considérer que chevaucher pouvait lui apporter une complète relaxation…/… Alors que le général était vêtu d'un élégant uniforme de cavalier, depuis les bottes de cheval à l'ancienne, briquées comme un miroir, jusqu'au calot "overseas" piqué de quatre étoiles, j'avais seulement une vieille chemise et aux pieds des "jodhpurs" expédiées des USA, je me faisais pas mal l'effet d'une fille arabe, et ceci me faisait craindre d'embarrasser le général quand il dépassait des militaires."
Kay et Ike eurent-ils ensemble une "love affair" ? C'est ce que Kay va laisser entendre, lorsqu'elle re-publiera son livre de mémoires après la mort de Ike et peu avant la sienne. Je ne l'ai pas lu. Certains mettront ses dires en doute. Sur Internet, vous trouverez toutes les supputations sur cette "romance" qui peut-être n'en fut pas une. Vous trouverez aussi ici (cliquez pour le lien) la photo de Kay, oui elle a du chien et de la classe (nous ne la publions pas ici, vu le prix que demandent les loueurs de ce document).
Aux tenants du "tout ou rien", rappelons que les sentiments et relations d'un homme et d'une femme peuvent prendre bien des formes, et que, même si le général n'appelait sa secrétaire au milieu de la nuit que pour l'urgent besoin de lui dicter une proclamation, il est difficile de ne pas s'interroger sur la nature du lien qui unissait ces deux-là. Jean Edward Smith, biographe d'Eisenhower, écrira : "Qu'Eisenhower et Kay Summersby aient eu une relation intime reste incertain. En revanche, il ne fait aucun doute qu'ils ont été amoureux l'un de l'autre." Donc, non, pour le général, nul ne fut besoin de fréquenter les "canteens for troops" pour se trouver une copine !
Cliquer pour agrandir. Photo : D.R.
Ci-dessus, la plaque commémorative dans la chambre qu'occupa Ike à l'hôtel Saint-George. Curieusement, il semble qu'elle ait été dévissée de la porte (ou qu'elle ne l'ait pas été) et a été installée sur un mur sous la protection d'une plaque transparente. Marre que des clients indélicats la dévissent et l'embarquent avec eux ? Rappelons que c'est trois chambres contigües qu'occupait le bureau de Ike, et qu'il dormait dans une villa sur les hauteurs d'Alger. Comme Kay, mais dans une autre villa. Donc, ne pas fantasmer devant cette chambre ! Rien que du boulot !
Il est banal d'énumérer les produits nouveaux que les Américains amenaient avec eux. La liste est assez longue, avec quelques spécialités-phares bien connues. Des innovations dont certaines faisaient l'envie de tous et constituaient des monnaies d'échange convoitées : les bas nylon, le chewing-gum, le corned-beef (en temps de pénurie de viande, c'est appréciable, voir l'article un peu plus bas), les disques de jazz, les cigarettes goût américain de diverses marques, le chocolat (mais parce qu'ici en Algérie on en manquait)… Les Américains étaient si contents de tout ce qu'ils nous apportaient, que fin mars 1943 ils en firent même une exposition, 2 rue Michelet. Comme l'avait promis ci-contre le Président Roosevelt, la Grande Amérique pourvoyait à tous nos besoins, nous étions sous perfusion, et elle tenait à bien nous le faire savoir.
Écho d'Alger du 31 mars 1943.
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Pour ouvrir son centre d'information, le commandement inter-allié avait choisi l'endroit le plus central et le plus fréquenté d'Alger, le 2 rue Michelet. Cette video (que Françoise Pigeot a dénichée sur le site de l'INA) nous permet de nous retrouver dans l'ambiance de cette période, et en plus c'est sur le trottoir juste devant les Facs ! On suppose que notre bon pharmacien Gustave Gaizard a dû venir y faire un tour en voisin…
Écho d'Alger du 19 mars 1943.
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La collision de ce déferlement de richesses et la situation de pénurie ambiante allait très naturellement donner lieu à un trafic florissant et très rémunérateur pour certains. Alexandre Arcady, dans son film "le Grand Carnaval", a mis en scène avec humour cette époque : dans la petite ville de Tadjira où cantonne son unité, le jeune officier américain Walter Giammanca, étant chef des approvisionnements, propose au matois et truculent cafetier Léon Castelli, interprété par Roger Hanin, une activité très lucrative de marché noir. Les regrets qu'ils vont laisser, d'jis, les Américains, quand ils repartiront ! Excellent film, "le Grand Carnaval" a sans doute été le seul à rendre compte, de façon assez probante, de ce qu'aura été ce moment de notre histoire.
Cliquez sur les photos pour les agrandir.
Walter apprend à "taper cinq" !
Pour tout contact : Gérald Dupeyrot, dupeyrot.philippon@orange.fr
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