Mon Cours Pouyanne
(1957-1960)

par Alain Cavaillé

Ici en 1959 sur le balcon du 1bis rue Michelet,
avec les lampadaires de la rue Charles Péguy,
et au fond les coupoles de la Grande Poste.




     J'ai été au Cours des demoiselles Pouyanne pendant quatre années (1957 à 1960), après Clauzel et Gautier, et avant Bugeaud.

     Je ne me souvenais même plus du nom de la rue où se trouvait le cours Pouyanne, elle prenait plus haut que le Versailles dans la rue Michelet, à droite en montant. Heureusement, l'annuaire et le plan de l'époque nous l'ont rappelé (merci à Jean-Paul Follacci !) : c'était au 4 rue Voinot (je peux même maintenant vous indiquer le téléphone du cours : 66 05 42). Elle partait de la rue Michelet, juste après la rue Edith Cavell, et rejoignait la rue Alfred Letellier (1).

     Contrairement à Gautier ou Bugeaud, un cours privé, d'ailleurs bien souvent considéré comme une pépinière (ou une voie de garage ?) de branleurs et de fils à papa, est bien moins générateur d'anecdotes, d'autant que ce cours-là était mixte : tenue correcte exigée, respect envers "ces demoiselles" (Pouyanne) et ces demoiselles nos condisciples "du sexe opposé", toute allusion suspecte prohibée, etc…

     Les classes allaient de la 4ème à la 1ère, donc au Bac. Mais ce n'était pas vraiment le style "boîte à bachot". C'était une ambiance à la fois très stricte et studieuse, et en même temps extrêmement familiale.

     D'après ma grand-mère qui était leur amie, les demoiselles Pouyanne, Alice et Marie, étaient les deux filles d'un professeur bien connu. Lui, ou quelqu'un de leur famille, avait même une rue, ou plutôt un chemin à son nom du côté du Telemly. Alice et Marie Pouyanne étaient restées célibataires et, étant elles-mêmes enseignantes (Alice : Latin-Français + directrice, et Marie : anglais-physique-chimie), elles avaient ouvert cet établissement.

     "Ces Demoiselles" Pouyanne étaient résolument sans âge. On dira qu'elles avaient cinquante ans pour mieux les situer. Alice était l'aînée. Plutôt petite, sèche, tendue, toujours pressée, d'un abord a priori glacial, un maintien rigide. En classe elle se montrait intransigeante, mais excellente professeur de lettres.

     Cela, c'était pour la façade. Car en fait elle nourrissait à notre égard une sorte de tendresse du genre "qui aime bien châtie bien"… Principalement envers moi, je dois dire.

     Marie était la cadette. Elle aussi très mince, un peu plus grande peut-être, mais surtout incroyablement plus effacée et même douce, avec une toute petite voix haut perchée qu'elle essayait en vain de rendre sévère. Elle traitait rarement les problèmes et préférait envoyer le récalcitrant à sa soeur.

     Le Cours Pouyanne se composait d'un appartement de quatre pièces plus un bureau au rez de chaussée. Situé dans un immeuble d'habitation, toutes espèces de nuisances étaient strictement bannies. Dans cet établissement un peu étrange, il n'y avait ni cours de musique ni cours de gymnastique… On imagine ce qu'il en aurait été, sinon, du calme bourgeois du voisinage ! À nous de nous débrouiller !

     En revanche l'enseignement y était de grande qualité (sûrement aussi du fait que les salles de classe étaient petites et que nous étions obligés de mieux suivre les cours), dans une ambiance que l'on pourrait considérer comme plutôt familiale, faisant pendant à cette discipline très stricte.

     Nous avions cependant réalisé que la manière la plus efficace de contourner cette intransigeance était d'ordre "politico-événementiel". Autrement dit la gent masculine avait droit de sécher les cours pour cause de manifestations (pour les garçons uniquement, les filles devant rentrer chez elles ou rester sur place)… D'où l'on comprendra notre fort engagement dans ce domaine !

     Rien à voir donc avec la vie des lycées d'où l'on pouvait mieux vivre et apprécier cette ambiance potache qui survit aujourd'hui dans ce que "nos sites" nous rappellent si bien. Mais des souvenirs de camaraderies peut-être plus proches par nécessité…

     Sinon, mes souvenirs "tangibles" de Pouyanne sont maigres. Je n'en ai conservé ni bulletin de notes, ni aucune sorte de document, et il ne s'y prenait pas la photo de classe annuelle si traditionnelle par ailleurs. Il m'en reste ce que je viens de vous en écrire, et le souvenir précis et ému de quelques condisciples…

     J'aimerais, entre autres, retrouver : Albert Motti (à Marseille), Jean Bevilacqua (à Marseille aussi), Louis Cavaillé (à Toulouse-Balma, extérieur, lui, au cours Pouyanne), Richard Mercier (à Marseille encore), Pierre Malo (Labenne-Bayonne)…

     Nos chères demoiselles Alice et Marie ne sont certainement plus des nôtres, ni je suppose la majorité de nos autres professeurs, dont le très célèbre Monsieur Bizos, dit Mouchodrome, prof de maths, et d'autres encore… Mais en ce nouveau siècle, certains sont toujours parmi nous, dont Monsieur "X" notre tout jeune prof d'Histoire d'alors, qui souhaite garder encore l'anonymat…

     Et il y avait aussi LES FILLES (dont une fille Azzopardi, très Barbie, "la fille du Milk-bar", où l'on n'osait jamais la suivre à cause de son père !!! Thérèse ("Thérèse, Thérèse, dis-moi que tu m'aimes…" - "Monsieur Motti, dans mon bureau !". Et bien pire…).

     Voilà, j'oublie sûrement plein de choses, mais il ne faut pas hésiter à fouiller, et à ressortir même des détails qui peuvent paraître insignifiants. Oui, il y a une archéologie de la mémoire… Oh que oui ! Les couches sédimentaires se sont accumulées d'une manière incroyablement rapide comme pour tenter inconsciemment de tout effacer, ne pensez-vous pas ?

     Peut-être après que je me sois ainsi risqué à ce premier retour en arrière, certains ou certaines voudront à leur tour nous apporter leurs souvenirs de ce cours si particulier ?

Alain Cavaillé.

Mon parcours scolaire ?
École Clauzel jusqu'à l'entrée en 6ème,
puis 6ème - 5ème - 4ème à Gautier,
puis Lycée de Talence (3 mois),
puis Cours Pouyanne 3ème - 2de - 1ère (1957-1960),
puis philo à Bugeaud,
puis Fac de Droit de Bordeaux (3 mois)
et Fac de Droit d'Alger jusqu'à l'incendie…
Après, plus rien.
Les séjours écourtés en "métropole"
représentent en fait une certaine idée fixe de mes parents
qui finalement ont dû abdiquer et chaque fois me faire revenir…





(1) Mon itinéraire pour revenir du cours Pouyanne était des plus simples : il me suffisait de descendre la rue Michelet jusque chez moi, au 1bis, le plus souvent en prenant le trottoir de droite (c'est pourquoi mon cousin Philippe Darbéda me traitait de "Rhaï" sous pétexte que je "marchais" du côté Cafet' et pas du côté Autom).

    Les magasins qui m'intéressaient le plus ? Ah, si, la patisserie "La Princière" parce que j'aimais voir les trains de biscottes en passant la tête par la porte… Parfois un crochet par le marchand de beignets dans la rue qui descendait par le passage souterrain vers le carrefour de l'Agha (3), ce qui me faisait ensuite remonter par la rue Charras (4)… Un coup d'oeil dans la Cafeteria pour mater les "gonzesses", et, au bord du trottoir vers l'alignement des Rumi, le magasin de jouets où, bien qu'ayant dépassé l'âge, je regardais chaque fois les nouveautés Dinky Toys… Et sans doute bien d'autres vitrines, bien d'autres commerces, mais qui sont sortis de ma mémoire… Ah si ! Je prenais parfois le passage des Facs, et là, ce qui me faisait vraiment rigoler, c'était un appareil complètement loufoque qui faisait vibrer les gens.


(2) Justin Pouyanne (Pau, 1835 - El-Biar, 22 novembre 1901) fut un cartographe et explorateur français, et effectivement il avait sa rue - ou plutôt son chemin - à Alger. Sa tombe est au cimetière de Saint-Eugène.


(3) NDLR : la rue Warnier. Pour la retrouver dans un texte de Remi Morelli, cliquer ici, et dans une évocation de l'itinéraire quotidien de Gustave Gaizard le pharmacien cliquer ici.


(4) À propos de la rue Charras : toute la moitié de notre appartement (au 1bis rue Michelet, donc) donnait sur cette rue. Officiellement nous étions au 3ème étage du côté Michelet, mais côté Charras ça faisait un 5ème étage. Mais le plus amusant c'est qu'il n'y avait pas d'entrée de l'immeuble sur cette dernière… Nous avions, avec mon frère François et mon cousin Louis, trouvé un moyen extraordinaire d'emmerder les passants le soir : depuis la salle de bains, et tandis que les parents nous croyaient bien sages, notre plus intense plaisir consistait à balancer des "bombes à eau" depuis le balcon sur les passants. Le meilleur moment était la sortie du cinéma (le VOX). Les gens étaient alors un peu engourdis et bien amalgamés, et le plus souvent bien habillés.

    Là, on avait bien préparé les munitions et on lançait coup sur coup les "bombardements lourds", à savoir contenus de cuvettes, bassines, et même une fois de lessiveuse ! En arrivant sur les gens ça faisait un bruit gigantesque, et aussitôt après d'immenses clameurs. Les gens criaient des imprécations, levaient les poings, hurlaient des menaces, mais surtout essayaient de les mettre à exécution. Ils se mettaient à chercher comme des fous une entrée qui n'existait pas… Et nous de leur "taper des bras d'honneur" qui les mettaient dans des états complètement hystériques. Cinquante ans après, je pense qu'il y a prescription, et je dédie à nos ex-victimes ce souvenir ému de ces moments de jubilation partagée, si je puis dire…


     

1) La rue Voinot en montant vers le Sacré-Coeur. La première rue qui "coupe", c'est la rue Altairac.
2) La rue Voinot en tournant le dos au Sacré-Coeur : elle tombe sur la rue Michelet (Alain tournait à gauche pour rentrer chez lui).
Elle se prolonge en face par la petite rue Elysée Reclus. Tout au bout, c'est la façade du "Cours Molbert", rue Horace Vernet.
3) La photo de droite a été prise de chez elle, avant 1962, par une amie Es'mmaïenne.


Au 104 rue Michelet et 2 rue Voinot  se trouvait le Consulat Général de Belgique.





À l'angle du 4 rue Voinot et du 104 rue Michelet, à partir de 1953,
peut-être certain(e)s élèves du Cours Pouyanne
poussaient-ils (-elles) la porte du salon de thé "Au Saint-Honoré",
pour les pâtisseries oeuvres d'un vrai chef suisse (oui, encore un), Claude Maulet.



(cliquez pour voir tout le prospectus)




Photos 1), 2) Samir Belkacemi 2004 et 3) Lady X.   Prospectus "Au Saint-Honoré" : propriété G. Dupeyrot.