P I P O L E



KERIMA, L'ALGÉROISE QUI N'EXISTAIT PAS

enquête de Gérald Dupeyrot,
dessin de Jean Brua.


   Avertissement : le présent écran se compose de deux parties. Tout d'abord un texte paru dans la Kémia de janvier 2006, dont vous vous souvenez peut-être. Auquel succède un second texte, de décembre 2011 celui-là, il vient faire la lumière sur la question qui clôturait le texte de 2006. Commençons par le commencement :

   Tout a débuté par une poignée de coupures de l'Écho d'Alger que m'avait fourrée dans une enveloppe notre ami Monsieur Choc. C'était fin janvier 2006. Il me la glissa lors de la fête de la galette des Rois chez les Esmmaïens de Paris... "Si tu ne trouves pas ton bonheur là-dedans...", avait-il ajouté, un brin désinvolte... Monsieur Choc, des fois tu ne te rends pas compte... Nos vieilleries, juste en elles-mêmes, ça n'est pas forcément susceptible d'intéresser nos Esmmaiens ! En tout cas pas telles quelles ! Il faut souvent du temps.. Pour établir des rapprochements avec d'autres infos, les croiser, les illustrer, rendre tout ça un peu "champagne", quoi ! Bon, donc j'ai commencé à éplucher ces reliques...

   Et voilà que je tombe sur un titre et une photo : "Karima, une Actrice qui fut algéroise"... Rien que dans ce titre, il y a déjà comme un reproche... Tout est dans le passé simple. Ça veut dire quelque chose comme "c'est fini entre nous"... La photo représente une jeune-femme au visage qui a l'air plutôt beau, malgré les gros points de la grossière trame typographique du quotidien, à travers laquelle toute photo semble passée au crible vague d'une écumoire. Visage sévère et beau... L'article précise : "Elle se destinait à la médecine (traduction : elle a failli être une jeune-fille comme il faut)... Elle abandonna la médecine à Paris (perdition de la petite provinciale dans la capitale cosmopolite !)... Mariée à un acteur grec (bonjour les moeurs !), elle a tourné à Rome son premier film, "La Terre des Pharaons", et au Congo son nouveau film, elle y tient le premier rôle, celui d'une danseuse "de couleur" (quand on dit "de couleur", on imagine bien que c'était pasle rôle d'une Schtroumpfette ! Ça me rappelle les blagues dans le magazine LUI des années 70 : ne dites pas "un crayon noir", dites "un crayon de couleur"). Bon, et comme ce nouveau film s'appelle "Tam Tam Mayumba", sur la photo, elle bat du tam-tam, normal... L'article date du week-end des 27 et 28 février 1955.

   Vite, flairant là une possible candidate à la rubrique "Pipole" de nos kémias, j'enfourche Google, je sillonne les vastes étendues de l'Internet, mais walouh ! Pas plus de Karima que de beurre en broche... Heureusement, il y avait le deuxième indice : deux titres de ses films. Je reviens en deuxième semaine... Google one more time... Et là, surprise : l'actrice au tam-tam ne s'appelle pas Karima, mais Kerima (et on devine bien qu'elle devait s'appeler encore autrement avant de se choisir ce nom de cinéma, ou du moins, qu'en plus de ce prénom, elle devait bien avoir eu un nom de famille). Surtout, les quelques écrans qu'on trouve sur elle, s'ils sont hélas muets sur sa bio et ses jeunes années en particulier, nous révèlent une filmographie plus qu'honorable.

   Eh oui, car Kerima, tout au long des années 50 fut une star, une vraie, une grande, pas seulement à Cinecitta (lieu de production des premiers peplums où elle joua), mais aussi à Hollywood et dans le monde entier. Elle a tourné dans des super-productions, et sous la direction de grands metteurs en scène. Je viens en ce jeudi 2 février 2006 de revoir à la télé le superbe "Guêpier pour 3 abeilles" de Mankievicz (titre français assez idiot, mais film fascinant) et je me dis que Kerima ne devait pas être une mauvaise pour avoir fait l'actrice pour ce réalisateur-là.

   Seule, ou en compagnie de partenaires masculins célèbres, Kerima fait la "Une" de nombreuses revues de cinéma de l'époque, mais aussi de grands magazines d'actualité (voyez ce LIFE du 19 mai 1952 !). On vous livre sur le présent écran quelques unes de ces couvertures (françaises, allemandes, américaines) qu'on a trouvées au gré de l'Internet et d'achats sur e-bay. Elle se débrouillait pas mal, la petite Algéroise ! Ah, oui, car ce sur quoi s'entendent les rares notices qu'on a trouvées sur Kerima, c'est qu'elle naquit à Alger, le 10 février 1925 (mais restons prudents, sur Internet il suffit que quelqu'un écrive une bêtise pour que tout le monde lui emboîte la souris !).

   Il semble que Kerima tourna de 1952, année de "La louve de Calabre", son premier film (connu tout au moins), jusqu'à 1962 (année de "Jessica", film dans lequel jouaient aussi Angie Dickinson, Maurice Chevalier, Noël-Noël, Sylva Kocsina, que du beau linge). Oui, juste 10 ans...

   Avant et après : rien. Ou presque... Toutefois, on apprend, au hasard d'un site, je ne sais plus lequel, qu'à une date non précisée elle épousa Guy Hamilton (elle avait dû divorcer d'avec l'acteur grec ? Ou il était mort ?). Guy Hamilton, vous le connaissez, même si vous croyez le contraire : c'est lui qui, de 1964 à 1974, réalisa quatre des James Bond de la grande cuvée ("Goldfinger", "Les Diamants sont éternels", toujours avec Sean Connery, "Vivre et laisser mourir" (oui, déjà Roger Moore), "L'homme au pistolet d'or" (oui, encore Roger Moore). Guy Hamilton, lui, était divorcé de sa première femme, l'actrice Naomi Chance.


(dessin de Jean Brua)

   Enfin sur le site IMDb (Earth's Biggest Movie Database), qui se targue d'être la plus grosse banque au Monde de données sur le cinéma, on ne trouve pas grand'chose, si ce n'est tout de même deux infos : l'une concerne ses tout débuts, et une autre, plus étonnante, la période après 1962 (par contre, pas un mot sur un éventuel mariage avec Guy Hamilton).

   D'abord, on apprend le nom de l'obscur comédien grec qui fut son premier mari : Alex Revidis. De ce dernier, il y a aussi la maigre filmographie, saupoudrée sur les années 50 et 60. Mais surtout, la seconde info nous apprend que 10 ans après ce qu'on croyait être son dernier rôle, Kerima a tourné au moins une fois, en 1972, dans un épisode, et un seul, de la série TV anglaise "The Adventurer", dont le héros était Gene Bradley (rôle tenu par l'acteur Gene Barry). Sous le nom de "L'Aventurier" cette série passa relativement inaperçue sur les télés françaises.

   C'était dans le 7ème épisode (intitulé "Love Always, Magda") de la première saison de cette série. L'action se déroule à Beyrouth... Et c'était quoi, son rôle ? En face des noms des autres comédiens est indiqué le nom du personnage qu'ils incarnent. En face de celui de Kerima, il est juste mentionné : "Belly Dancer", c'est à dire "danseuse du ventre". Voilà, telle est la dernière apparition connue de Kerima... Elle a alors 47 ans. C'était il y a 35 ans. Ou bien était-ce une homonyme ?

   Alors ? Qu'est devenue Kerima ? Est-elle toujours Mrs Hamilton ? A-t-elle renoncé à sa carrière pour se consacrer à son foyer ? Mais alors, pourquoi ce rôle de 1972 qui ressemble fort à un sinistre expédient ? Après 1962, a t-elle "couru le cacheton" ? A-t-elle enfilé les petits rôles qui permettent d'essayer de survivre, mais qui ne prennent plus place dans les "vraies" filmographies ? Est-elle vraiment devenue danseuse du ventre dans le Londres des 70's ? Si elle est toujours parmi nous, où, en ce moment, respire, rêve, se souvient et sourit cette dame de 81 ans ? Je suis sûr que des Es'mmaïens curieux vont dénicher les infos qui nous manquent... Rendre à Kerima toute sa vie, et nous redonner l'enfance de cette petite soeur algéroise... Allez allez, en piste, les Sherlocks ! (Pour ceux qui ont accès à l'Écho d'Alger du 11 ou du 12 février 1925, merci de bien vouloir jeter un coup d'oeil à la rubrique "naissances", on ne sait jamais !).

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
(kémia du 16 février 2006)


ENTRACTE


Bonbons... Caramels... Esquimaux... Chocolats !


SECONDE PARTIE
Décembre 2011


ÉPILOGUE

   Lors de l'une des réunions d'Es'mmaïens de 2006, c'est René, je crois, qui me fit une allusion à l'article ci-dessus, paru alors depuis peu. Rappelons que lorsqu'il sortit dans les kémias en janvier 2006, il s'intitulait initialement : "Kerima, l'Algéroise qui fut Star". René me dit gentiment qu'en gros, il trouvait que ç'avait été un pétard mouillé... Ça avait fait tchoufa, quoi ! Quand on écrit sur Internet, on ne se rend pas toujours bien compte qu'on est lu par un public très nombreux, et par la bouche de René, ce public me faisait comprendre qu'il était resté sur sa faim... Cette fidélité et cette attention me firent plaisir. Et je me suis promis de revenir sur cette histoire, dont il faut bien vous avouer que j'en ai connu le fin mot à peine quelques semaines plus tard. Très exactement le 2 juillet 2006.

   Auparavant, j'avais continué mon enquête... Vous me connaissez, Sherlock Holmes des chiens écrasés du passé. Cette Kerima, nul pied-noir depuis ne l'avait revendiquée comme joyau de notre patrimoine, je trouvais ça louche. Même une Marlène Jobert, née en Alger entre deux avions, s'est trouvée annexée par des dresseurs de listes d'enfants de notre pays ! Alors comment une Kerima avait-elle pu échapper à leur fièvre de recensement ? Parce qu'ils savaient déjà ce que je vais vous raconter dans ce qui suit ? Non, la raison en est que la carrière de Kerima fut courte, et que son lieu de naissance ne fut par la suite jamais plus mentionné.

   J'ai donc fait ce que je demandais à certains d'entre vous à la fin de la kémia de 2006 : je suis allé consulter la rubrique des naissances dans les quotidiens algérois du 11 février 1925 et des jours suivants : normalement son prénom aurait dû apparaître. Et si Kerima n'est pas son vrai prénom, son faire-part de naissance aurait dû se faire remarquer : son père - si l'on en croit le dossier de presse du "Banni des îles" et l'article dans "Cinémonde" - portant un nom plutôt européen ou juif, et sa mère un nom indigène. Mais non, rien de tel... Mes doutes allaient grandissant.

   Pourtant, dans ce vieux numéro de "Cinémonde" acheté sur ebay, j'avais bien vu le reportage de cette visite de Kerima à la mosquée de Paris (cliquez !), reçue en grande pompe (babouche ?) qu'elle fut par le recteur de l'époque. Tout semblait accréditer cette origine algéroise et "indigène" de la belle actrice (lisez ce qu'en écrit le journaliste dans cet article !).

   Et puis, en continuant de creuser, je suis tombé sur un site internet espagnol, de Majorque exactement, indiquant que Guy Hamilton avait été en 2004 l'invité d'un festival de cinéma organisé par la "Mallorca Film Academy", il avait été membre du jury. Une chance, car il semblerait que depuis longtemps Guy Hamilton se soit retiré de toute vie mondaine pour une retraite plus que discrète. J'envoie un courriel au directeur de ce festival, Philip, lui demandant des nouvelles de Guy Hamilton. Ce à quoi il me répond que lors de ce festival, le cinéaste est venu en voisin, il habite tout près de là, avec sa femme Kerima, à Port d'Andratx ! Et qu'effectivement, il a à coeur de préserver leur intimité et leur retraite. Le 10 mars 2006, je fais parvenir à ce sympathique directeur une lettre dont il a accepté de se charger, elle est en français, puisque Guy Hamilton a été élevé en France et qu'il est parfaitement francophone. Et après quelques relances, je reçois cette réponse :

   Ce qui se traduit ainsi : "Cher M. Dupeyrot, Philip m'a transmis votre courriel. "Kerima" fut un nom inventé par Sir Alexandre Korda pour la présenter dans sa production "le Banni des Iles" comme une exotique enfant de Java. Elle est en réalité citoyenne française, née à Toulouse de parents français, et n'a aucun lien de près ou de loin avec l'Afrique du Nord. Elle aura été de nombreuses années sous contrat avec Dino de Laurentis, et a tourné dans de nombreux films en Italie, jusqu'à ce qu'elle se retire de ce métier et que nous nous mariions. Nous vivons tous deux maintenant très retirés, sommes attachés à notre intimité, et souhaitons la préserver. Sincèrement vôtre, Guy Hamilton."

    Voilà, pour moi la boucle était bouclée : nous avions perdu une belle "payse", c'était un peu décevant, mais j'avais vécu une enquête captivante, et essayé de vous la faire partager. Et puis recevoir un mot d'un réalisateur auteur de 4 James Bond, ça ne m'arrive pas tous les jours !

Gérald Dupeyrot,
trappeur de stars aux pedigrees trafiqués.


P.S. : Guy Hamilton n'a pas répondu à ma question du nom véritable de Kerima, mais il semble que le magazine LIFE de mai 1952 nous l'ait livré : Actress Miriam "Kerima" Chariere, peut-on lire. C'était vraisemblablement peu de temps avant que de Laurentis ne décidât que pour la toute nouvelle starlette, son nom pour la suite serait "Kerima" tout court, et rien que Kerima. Vous pouvez aussi découvrir son vrai nom dans le livre "Conrad au cinéma" (de Catherine Dawson et Gene M. Moore) dont Google donne quelques pages (cliquez ICI). Ce même numéro de LIFE montrait aussi en deux photos le torride baiser de cinéma ("her marathon kiss") donné à Trevor Howard par Kerima, baiser qui devint un record de l'histoire du cinéma par sa longueur (112 secondes !) et sa sensualité. Ah, Kerima ! ...

















Des films avec Kerima
dans la presse algéroise



Page spectacles du 28 mai 1954



Page spectacles du 25 février 1955





Voilà, c'est là que Kerima et Guy Hamilton se sont retirés du Monde. Décidément, d'El Djezaïr à Palma, Kerima sera jusqu'au bout "fille des îles" !




Et pour finir, agrandissez ce très beau portrait de Kerima, il date de 1952...






"The Marathon kiss"
dans LIFE de mai 1952
(D.R.)



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Des liens pour continuer votre visite :



Accompagner Kerima à la mosquée de Paris"


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