Contrairement à Georges Courteline et à Jean Cabut, mon passage aux Armées, entre 1958 et 1961, ne m'a pas rendu antimilitariste. Cela ne m'empêche pas de me réjouir la gargamelle à la lecture des excès d'autoritarisme de l'adjudant Flick et de son homologue Kronenbourg, racontés ou dessinés non moins férocement par leurs créateurs respectifs.

   Forcément, Courteline n'a pas pu connaître Cabu. Ses illustrateurs de la vie de caserne (Les Gaités de l'escadron, Le train de 8 h 47) furent, de son vivant, les talentueux Jean Oberlé et Gus Bofa. En revanche, Cabu, s'il était encore parmi nous, reconnaîtrait de bonne foi qu'il a lu Courteline. En témoigne l'évidente parenté de "peau-d'vacherie" entre les deux chiens de quartier les plus emblématiques de l'espèce. On jurerait que la caricature "cabusienne" de Kronenburg a suivi trait pour trait la description que l'auteur du "Train…" a donnée de son Flick :

   Athlète trapu et ramassé, suant le poil jusque par les oreilles, il tenait un peu du gorille, dont il avait le bras long et velu et la mâchoire à broyer de la fonte.

   À défaut de fonte, c'est du "bleu" que les deux croquemitaines ont le plus souvent l'occasion et le plaisir de broyer. Le chasseur à cheval Moineaux (vrai nom de Courteline) et le zouave Cabut s'en souviendront durablement et emploieront leur art à régler leurs comptes avec leurs tourmenteurs. Avec l'élégance du deuxième degré pour le premier, comme on peut voir dans cet autre passage :

   Le principe, pour l'adjudant, était que dans tout homme tombé au régiment, il y avait un gibier possible de Biribi (1) et, comme de juste, cet être exquis traitait son monde en conséquence. Et, tout de suite, la danse commençait…
   La "danse", on l'a compris, c'est le vaste choix de punitions, de la simple "corvée de crottin" au "quinze dont huit" (quinze jours de prison dont huit de cellule), dernier arrêt avant le "falot" (tribunal militaire) et "Biribi". L'"exquis" Flick en use sans modération, mais en y mettant les formes : Y'a rien de bon comme le peloton de chasse après dîner ; ça facilite la digestion et ça prépare au sommeil.

   Pour sa part, Cabu ne prendra pas de gants dans sa caricature off-limits, non seulement de l'adjudant, mais de l'Armée en général. Nul effet de style dans les bulles éructées par la mâchoire de cheval de Kronenbourg (Petits cons ! Bande de salopards !) ou affichées par les pancartes des militants contre l'institution militaire (À bas toutes les armées ! Non aux tueurs !) (2). Du côté de l'autorité, tout est délibérément noir pour le dessinateur, qui revendique "le droit au manichéisme et au mauvais goût".

   La formule servira de conclusion à ce petit essai de littérature antimilitariste comparée. Non sans serrement de coeur quand on songe que ce droit a été contesté de la pire façon par une intolérance qui fait paraître celle de nos protagonistes comme un aimable bizutage.

   En poussant au plus loin la rêverie, comment ne pas imaginer que Flick, Kronenbourg et Cabu, dans une quatrième dimension apaisée, fêtent leurs retrouvailles à la joyeuse manière des quillards ? Avec la bénédiction de Georges Courteline, qui n'a plus l'âge des agapes braillardes et préfère siroter son absinthe "en suisse" à une terrasse familière, selon son adage de pilier de bistrot : on change plus facilement de religion que de café.

Jean BRUA

(1) Bagne militaire. On dira plus tard "Tataouine", par référence au camp disciplinaire du Sud tunisien.

(2) Il y aura des attaques plus blessantes, qui lui vaudront six procès pour injures ou diffamation de la part des Armées.




Pour retourner à l'écran "Cabu à Bled"

Depuis 2005, Es'mma comporte en ses écrans deux dessins de Cabu,
qui illustrent l'histoire, par notre ami Georges Bessière, de la seule grève…
d'enfants de choeur connue à ce jour !
Nous avions sollicité Cabu par l'intermédiaire
d'une charmante et compréhensive collaboratrice des éditions Hoëbeke
qui cinq ans plus tôt avaient publié le recueil de dessins de Cabu
"Ma Ve République".
Le récit de Georges avait amusé Cabu,
et il nous avait gentiment rappelés pour nous donner son autorisation.

Pour revoir ces deux dessins, cliquez ICI


Pour retourner en page d'accueil d'Es'mma



   Ben oui, c'est littéralement dégradant !
Merci à Catherine de cette pluie d'étoiles,
elles nous auront servi à consteller ce fond d'écran.
Garanti 100% recyclage d'officiers supérieurs !