Ce n'est pas aux Esmmaïens qu'on va raconter, comme font la plupart des "nécrographes" de Cabu, que le siège de BLED était à Constantine. Il faut n'avoir jamais flâné dans les jardins Lafferrière pour ignorer que le bel immeuble néo-mauresque de l'ancienne "Dépêche Algérienne" en notre Alger a abrité de 1955 à 1962 la direction, l'administration et la rédaction de l'hebdo militaire, ainsi que différents services de communication des Armées. Ce qui n'empêche pas qu'une antenne rédactionnelle ait existé dans la capitale de l'Est, en raison de la proximité des plus importants théâtres d'opérations, dont celui de la Petite-Kabylie.

   Il semblerait donc que les dessins du soldat Cabu (S.P. 86.064 A.F.N.), lui-même détaché dans la région de Bougie avec son bataillon du 9e Zouaves, aient transité par cette rédaction extérieure. Ce qui rend improbable sa présence à Alger à un moment ou à un autre de son service militaire. Quand on sait que le 9e était basé chez nous (caserne d'Orléans), on se dit que le fameux dessinateur aurait pu se revendiquer du non moins fameux quadrilatère Saulière-Michelet-Mustapha-Agha, si les hasards de la rotation opérationnelle ne l'avaient affecté de l'autre côté du Bou Zigzag (1).

   Son "emploi" de dessinateur aux Armées, lui, ne doit rien au hasard. Ce n'est pas en décorant le foyer de sa compagnie ou en croquant ses camarades que le jeune appelé s'est fait remarquer du capitaine (puis commandant) Caniot, qui fut le patron d'au moins deux des trois versions de l'hebdo (2). En vérité, le zouave Jean Cabut était déjà "Cabu" lorsqu'il a été incorporé. "Paris-Match" et "L'Union de Reims", en effet, avaient eu le "nez" de publier plusieurs dessins de l'artiste alors qu'il suivait encore les cours de la prestigieuse École Estienne (3). Et ils n'étaient pas les premiers, puisque le journal "Coeurs Vaillants" lui décerna un premier prix (un vélo rouge !) alors qu'il n'avait que 12 ans. Ce qui semblerait indiquer qu'il existe une filière artistique entre les scouts et les zouaves. D'ailleurs, l'immortel "Dache" n'était-il pas lui-même un "artiste capillaire" qui n'a pu qu'avoir de la sympathie pour le "boudjadi" Cabu, dès leur première rencontre, comme le suggère l'image ci-dessous ?





La fille du colonel

   La discipline militaire étant la force principale des Armées, la collaboration de Cabu à BLED aurait pu déboucher rapidement sur un "demi-tour, droite !" sans la protection du capitaine Caniot (4). Le personnage "autographique" de bidasse que le dessinateur promenait, balai traînant, dans les pages martiales de l'hebdo, a dû faire froncer quelques sourcils au-dessus de pattes d'épaules plus dorées, voire étoilées, que celles du rédac-chef en uniforme. Peut-être même que des épouses de colonel ont réclamé la tête du bidasse qui se payait la leur, caricaturée en rombière, comme celle de la maman de Catherine.

   Ah, Catherine ! L'ange blond à couettes ou queue de cheval qu'on retrouvera plus tard, démobilisée en "fille du proviseur"… Tous les fantasmes du Grand Duduche, sans doute, dans l'espiègle blondinette qu'il a partagée, le coeur battant, avec plus de 300 000 lecteurs en treillis ordinaire ou camouflé.

   À l'intention de ceux qui étaient trop jeunes pour avoir attendu sous l'uniforme leur rendez-vous du jeudi avec Catherine, Gérald a retrouvé sur E-Bay une dernière page complète de ses espiègleries de BLED : neuf dessins plus malicieux les uns que les autres (cliquez ICI, puis ICI). Mon préféré est celui où la délicieuse petite peste secoue le porte-képis pour faire pleuvoir les étoiles des généraux (d'où ce fond d'écran constellé, en hommage à l'espiègle Catherine !).

   Une autre page la met en scène, c'est le cas de le dire, dans une représentation de théâtre. Ici, on n'est plus à l'armée, mais au collège. Et l'adjudant Kronenbourg - en plus soft, quand même - s'appelle Mlle Desrosiers, professeur de rhétorique et maîtresse d'oeuvre d'un fabliau du Moyen-Âge qui comporte une délicate scène de baiser. On découvrira plus loin en cliquant ICI, puis ICI, cette page "idyllique" et son épilogue frustrant pour les deux jeunes acteurs (5).

   Enfin, fille de colonel ou de proviseur, Catherine a été assez longtemps la muse de Cabu pour qu'on lui reconnaisse aujourd'hui la qualité de veuve. S'il lui arrive de se reconnaître dans ces lignes, sinon dans ce dessin, elle doit savoir que les Esmmaïens de toutes armes, en lui adressant leurs vives condoléances, lui sont reconnaissants des bons moments qu'elle leur a fait passer au bled, le vrai, avec un "b" minuscule.


Jean Brua.
SP 88198 AFN



(1) Le Bou Zegza (1040 m) est le djebel dont la silhouette massive se dresse à l'arrière-plan de la rive Est de la baie d'Alger.
(2) Le journal, qui s'est appelé successivement LE BLED, BLED et, selon certains, BLED 5/7 avant liquidation, a été distribué dans les unités d'Algérie, à raison de 350.000 exemplaires par tirage.
(3) Héritière des plus anciennes traditions du Livre, l'École Supérieure des Arts et Industries Graphiques a compté parmi ses élèves, entre autres célébrités, le peintre-graveur Louis-Joseph Soulas, le photographe Robert Doisneau, et… Siné.
(4) En 1956 ou 57, mes propres dessins d'étudiant sur la Préparation Militaire Supérieure avaient eu moins de chance. Le capitaine Caniot m'avait fait comprendre que les portraits que j'avais faits de l'encadrement étaient un peu trop caricaturaux. Mais il m'en avait si peu voulu qu'il publia, dans l'euphorie patriotique de 1958, un dessin de moi en faveur du "oui" au référendum, dont je n'ai pas retrouvé la trace.
(5) Les dessins de Cabu occupaient la totalité de la dernière page de BLED. Pour conserver la lisibilité des légendes, nous avons "coupé" chacune de ces deux pages en deux demi-pages. Précisons quand même que sur le sixième dessin, la plaque entre planton et miroir enjoint : "avant de sortir, vérifiez la tenue".



Pour aller à l'écran "De Flick à Kronenbourg", cliquez ICI

Depuis 2005, Es'mma comporte en ses écrans deux dessins de Cabu,
qui illustrent l'histoire, par notre ami Georges Bessière, de la seule grève…
d'enfants de choeur connue à ce jour !
Nous avions sollicité Cabu par l'intermédiaire
d'une charmante et compréhensive collaboratrice des éditions Hoëbeke
qui cinq ans plus tôt avaient publié le recueil de dessins de Cabu
"Ma Ve République".
Le récit de Georges avait amusé Cabu,
et il nous avait gentiment rappelés pour nous donner son autorisation.

Pour revoir ces deux dessins, cliquez ICI



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