SAINT-BONAVENTURE

La Grève des Enfants de Choeur

ou

La Révolte des "Pots de Fleurs"



Texte de Georges Bessière,
dessins de CABU.



Définition :
Enfant de Choeur : enfant qui se tient dans le choeur pendant les offices pour servir le prêtre.

Plantons, si vous le voulez bien le décor.

Mission :
Le samedi : servir les mariages.
Le dimanche : servir les messes.
Le dimanche après la grand-messe : servir les baptêmes.

La tenue :
Chasuble rouge et surplis blanc lorsque nous servions un mariage ou un baptême.
Chasuble noire et surplis blanc pour un enterrement.

L'enrôlement :

Comme beaucoup de jeunes garçons de mon âge, à force de fréquenter la cour intérieure de l'église Saint Bonaventure, je me suis retrouvé enrôlé dans ce que l'on pourrait appeler une confrérie.
Au début, c'était un travail obligatoire... En effet, le chanoine dont j'ai oublié le nom, avait l'embarras du choix. Quand il y avait pénurie de servants, il apparaissait sur le seuil de la porte de la sacristie et nous désignait d'office.
Mais, rapidement, les nominés que nous étions comprirent que ce travail pouvait engendrer pas mal d'avantages.
Nous étions, disons un peu - pour ne pas dire beaucoup - protégés.
Nous gagnions de l'argent (mariages et baptêmes. Pour les enterrements, je ne sais plus, ma mémoire me fait défaut).
C'était un moyen de se faire remarquer des jeunes demoiselles, car n'oublions pas qu'en ce temps là les filles et les garçons étaient séparés dans la nef : les filles à droite les garçons à gauche.


La hiérarchie interne :

Premier et deuxième servants : la crème, les meilleurs... Ces deux là faisaient tout, même la loi.
Les autres : appelés communément "les pots de fleurs", ils ne faisaient rien, à part écouter au doigt et à l'oeil les deux du dessus.

Cette ségrégation commençait à la sacristie.

Lors de la préparation de l'office : les 2 premiers servants s'occupaient des tâches nobles ou dites comme telles (allumer les cierges de l'autel, préparer les burettes, etc). Les "pots de fleurs", eux, étaient chargés, par exemple, d'éteindre les dits cierges avec les doigts, de laver les burettes... Vous comprenez, chacun son rôle.

Lors de l'habillage : les deux premiers servants choisissaient, en premier, leurs chasubles et leurs surplis.


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Ma communion privée à Saint-Bonaventure.
Elle date du 31 mars 1955.
On peut admirer le tombé du surplis de l'enfant de choeur de dos.
Le prêtre qui me donne la communion est,
sauf erreur de ma part, l'abbé Lubrano.
Il ne se doute pas que bientôt je mordrai la main qui me nourrit.
À droite on aperçoit l'abbé Olland;.


Mon ascension :

Très vite, je décidais d'être 1er servant, les autres rôles ne m'intéressaient pas, et là commencèrent mes ennuis. En effet le premier servant en titre ne l'entendait pas ainsi. Une rivalité s'instaura entre nous deux. Qui allait craquer le premier ? Me connaissant, pas moi. Une occasion se présenterait bien à moi, il me fallait attendre.


Ma prise de pouvoir :

ma prise de pouvoir s'effectua dans un premier temps en douceur, un samedi après-midi. Ce samedi nous devions servir, si ma mémoire ne me trahit pas, cinq mariages !

La règle était la suivante : après chaque cérémonie, pendant la signature des registres par les mariés et la cérémonie des voeux, nous restions assis, dans un ordre immuable, 1er, 2ème servants et les "pots de fleurs", à attendre la généreuse enveloppe que nous donnaient les mariés ou les proches.

Ce samedi là, lors des deux premiers mariages, l'As des As, mon rival, n'était pas là. Chic chic, voilà l'occasion.

Je me proclame 1er servant, je désigne le 2ème servant et attribue les tâches à tous les autres. Tout se passe à merveille, les mariés se marient, tout le monde est content et heureux, nous aussi car les mariés ne nous ont pas oubliés... Arrive le 3ème mariage, et là, qui vois-je arriver, essouflé... Vous avez bien deviné, l'As des As était à mes côtés. Avec force persuasion, je lui indique que nous évoluerions pour les mariages à venir dans la même configuration et qu'il serait "pot de fleurs".

Toutes les célébrations se passèrent bien, avec le même rituel à la fin de chacune d'elles.

Mais ce que je n'avais pas imaginé, c'est qu'au moment du partage des gains de la fin de journée éclaterait une dispute. En effet, en toute logique, les gains des deux premiers mariages devaient être partagés entre les servants de ces deux mariages et les gains des trois autres, par l'ensemble des enfants de choeur, l'As des As compris. Ce dernier ne l'entendant pas de cette oreille, exigea d'avoir une part sur les deux premiers mariages et alla se plaindre aux prêtres. Ces derniers nous ordonnèrent de partager en parts égales.

Que devais-je faire ? Me plier, accepter cette injustice ? C'était mal me connaître... Séance tenante, je réunis les enfants de choeur lésés, d'un commun accord nous refusâmes ce partage inéquitable et décidâmes... Nous vous laissons deviner... de faire la GREVE à tous les offices du lendemain.

La GRÈVE eut lieu, nous fûmes présents à tous les offices et au premier rang s'il vous plait, bravant du regard le curé et les prêtres qui officiaient sans enfants de choeur.

Je pense qu'un tel événement n'avait jamais eu lieu et n'a plus jamais eu lieu.

Comme Napoléon qui fut maître du monde pendant un jour, je fus 1er servant à Saint-Bonaventure pendant la même durée.

Georges Bessière
Janvier 2005

Les dessins du Grand Duduche (vous l¹aurez reconnu) sont de CABU,
que nous remercions pour nous avoir autorisés à les faire figurer ici.