Brasserie de l'Étoile-Dolly Davis


RAMASSE-MIETTES DE TEMPS
DU ROYAUME ENGLOUTI




Archives personnelles de Guy Baroli,
dessin de Jean Brua.

20 rue d'Isly, 12 au 18 avril 1935 : deux stars à la Brasserie de l'Étoile...

HELLO DOLLY

OU
LE DÎNER DE LA MARIÉE


   La "Brasserie de l'Étoile" de la famille Baroli, 20 rue d'Isly, on ne vous la présente plus. Souvenez-vous, grâce à son Livre d'Or, confié par Guy Baroli, nous avons pu retrouver quelques uns des acteurs de la distribution du film Golgotha, venus ici casser une graine le 19 janvier 1935. Nous vous avions promis de poursuivre, de temps en temps mais de façon systématique, l'exploration du chronoscaphe qu'est ce merveilleux recueil... Alors, allons-y... Laissons passer quelque temps... C'est à dire continuons de feuilleter le précieux Livre d'Or, et retrouvons nous quelques pages plus loin... Un peu plus tard dans ce même début d'année 1935. Sur la double page que vous voyez ci-dessous, une signature, à droite, attire notre oeil : regardez... Oui, elle est celle d'un nom familier : de Galland, le nom de notre parc bien aimé ! Et aussi, tout aussi intrigantes que le paraphe, les portées de musique qui l'accompagnent... "On y mange bien, et il y a des amies", ce qui répond, en musique, aux notes et aux mots tracés en page de gauche par l'autre convive qui, lui, fredonne : "Comme on mange bien à l'Étoile !".

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   D'évidence, deux amis musiciens son venus déjeuner ou dîner à la brasserie, et, au moment de la signature du Livre d'Or, ils se sont divertis, sous l'oeil amusé de Charles ou Émile Baroli, à se donner la réplique en signalant leur passage dans le langage qui est le leur, celui de brillants compositeurs. Car le "de Galland" qui dîne ici ce jour-là n'est bien sûr pas Charles, l'édile généreux et magnifique, qui fut à l'origine de notre parc : celui-là n'est plus de ce monde depuis 1923, oui, 12 ans déjà, comme le temps passe ! L'initiale du prénom, "R", est celle de Raoul de Galland, pianiste de talent et compositeur qui, depuis déjà longtemps, écrit pour l'Opéra d'Alger de délicates et inspirées musiques de scène (rien que pour l'année 1907 : "Le père" de Louis Lebon, et "Alger en panne", poème inénarrable de Musette). Raoul de Galland fit aussi partie comme exécutant des "concerts populaires", créés par Charles de Galland et M.Brument, directeur du Théâtre municipal.

   Quant au Henry Février de la page de gauche (et en photo ici à droite), celui qui nous chantonne "Comme on mange bien à l'Étoile !", c'est un compositeur qui a déjà l'essentiel de son oeuvre derrière lui, puisque né en 1875, ça lui fait 60 ans cette année. Il a composé des mélodies, des pièces pour piano et des oeuvres de musique de chambre. Mais c'est avec ses opéras qu'il connut ses plus grands succès, et encore il n'y a pas si longtemps avec "Sylvette" en 1932. C'est dans trois ans, en 38, que va naître sa petite fille, que vous, Es'mmaïens connaissez bien : Isabelle Aboulker, par ailleurs fille de Marcel Aboulker, le cinéaste et écrivain, dont Isabelle nous avait autorisés à publier un beau texte ici sur Es'mma (retournez vous régaler à la lecture de "L'Hôtel Aletti s'en va t'en guerre" (CLIQUEZ !). Isabelle aura marché dans les pas de son grand-père puisqu'elle aura, elle aussi, composé des opéras à succès pour les enfants, et ce encore en ce début de XXIème siècle. Les deux compositeurs sont-ils réunis parce que l'un d'eux a en ce moment une oeuvre qui se joue à Alger, ou va s'y jouer ? Pour l'instant, nous n'avons rien trouvé. Juste deux vieux amis qui ont décidé de manger ensemble dans le bon restaurant de la ville ? Oui, sans doute.

   Voilà pour deux des quatre convives de cette double page. Oui, car il y a quatre signatures ! Mais étaient-ils ensemble ce soir-là ? (ou ce midi-là). Qui était avec qui ? Et d'abord, à part ces deux espiègles et enjoués compositeurs, qui sont les deux autres signataires ? Leurs noms sont aussi bien lisibles : Dolly Davis... André Roanne. À ma grande confusion, je dois dire qu'ils ne m'évoquaient rien ! Pour un type qui se targue d'être un chouia cinéphile, c'est pas fort ! Un tout petit coup de moteur de recherche sur Internet, et on sait tout de Dolly Davis, et de son éternel fiancé, André Roanne. Blonde espiègle, souriante et pleine de charme, devenue la jeune première la plus adulée de la compagnie Gaumont qui la fait tourner à Berlin, Rome, Vienne et Paris, Dolly Davis incarne une bien séduisante ambassadrice du cinéma français. En ce milieu des années 30, c'est la coqueluche du public, elle est "DD", comme le sera à sa suite Danièle Darrieux, et comme, encore plus tard, Brigitte Bardot sera BB. Deux célébrités de première grandeur sont donc assises ce jour-là à la Brasserie de l'Étoile.

      

   Rien que pour cette année 1935, les spectateurs vont voir dans les salles de cinéma deux films, "Bichon" de Fernand Rivers et "L'école des vierges" de Pierre Weill (film qui sortira en novembre prochain), dont Dolly Davis est la vedette principale. Et l'an dernier, en 1934, ce fut trois films dont Dolly Davis aura été la vedette ! Ne pas savoir ça, la honte sur moi, je vous dis ! Dès son premier long-métrage, en 1921, André Roanne aura été le partenaire attitré de Dolly Davis, il ne joua pas dans tous les films où elle joua, mais ce fut le cas souvent, comme pour les grands succès qu'ont été "La petite chocolatière", de René Hervil en 1927, ou "Dolly" en 1929, ou encore "L'amour en vitesse" en 1932, de Johannes Guter et Claude Heymann. La presse du coeur et les magazines de cinéma les ont fiancés, et le public ne cesse de considérer avec attendrisement ce couple gracieux, "si bien assorti", doit s'extasier ma petits midinette de mère (vingt ans cette année). Et je suis sûr qu'à écouter les appréciations de ma mère, mon père (19 ans cette année) est très agacé par André Roanne. Il ne faudrait pas croire qu'André Roanne est juste un pâlot faire-valoir de Dolly Davis, non, en cette année 1935 il a déjà derrière lui une centaine de films, muets ou parlants (oui, en ce temps-là, on tourne beaucoup), et malgré cela, il reste l'un des "jeunes premiers" du cinéma français.

   Mais tout ceci ne nous dit pas ce que faisaient, en cette journée d'avril 1935, ces deux acteurs de première grandeur, ce couple de fiancés si "glamour", au coeur de notre ville ? Alors qu'est ce qu'on fait dans ces cas-là ? Eh oui, on se plonge dans le recueil des numéros de l'"Écho d'Alger" de ce mois-là... et on feuillette... on feuillette... on feuillette. Et on trouve ! On tombe d'abord sur cet article, dans l'Écho d'Alger du 11 avril :

   Donc, voilà pourquoi ils sont là! Il sont venus jouer, ils jouent sur la scène du Casino Music-Hall, juste sur le trottoir d'en face la Brasserie de l'Étoile... Rien que la rue d'Isly à traverser ! Le 16 avril, on trouvera dans l'"Écho d'Alger" la sympathique critique que vous pouvez lire en colonne de droite...

   Mais entre temps, en page des spectacles, on aura pu chaque jour trouver de nouveaux pavés-réclames comme ceux que nous produisons également en colonne de droite. "Le Couché de la mariée" aura été joué du vendredi 12 au jeudi 18 avril inclus. Soit sept représentations en tout. À partir du 19, il sera aussitôt remplacé par "un nouveau grand succès" (dixit l'annonce du journal) : "La grande Revue des Femmes nues" (ben, oui, c'est moins glamour). Les représentations du "Couché de la mariée" auront eu lieu seulement en soirée, et c'est pourquoi on peut penser que Dolly et André sont venus souper plutôt que déjeuner à la Brasserie de l'Étoile. Je suppose que si on va consulter dans le journal les annonces des arrivées des hydravions, et de leurs départs sur Marseille, on doit trouver les noms de nos deux tourtereaux : en ce temps-là, c'était tellement singulier de faire la traversée en avion, que les journaux publiaient pour chaque traversée les noms des hardis passagers ! Depuis ce 1er avril, l'hydravion d'Air France relie Alger aux principales capitales européennes : en partant le matin à 8H15, on est à Paris à 19H15. Pile 11 heures si tout va bien ! Ou bien l'un d'eux craignait-il les voyages aériens, et ont-ils pris le paquebot ? Et puis c'est tellement plus romantique une traversée maritime en première classe au printemps !

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Alger, 1935 : un hydravion d'Air France vient de se poser en rade d'Alger.
La photo est de Luc Dessault.

   Vous aurez remarqué en parcourant les annonces des spectacles, que c'est ce lundi 15 avril que sort dans les cinémas Algérois le "Golgotha" de Duvivier. À 15h 30, au Majestic, Monseigneur Leynaud va assister à la projection du film ! Vous dire si c'est pour tous publics ! Le mega-évènement ! À la fois dans les trois plus grandes et plus belles salles de la ville ! Le Régent, le Majestic et l'Empire ! Il faut bien tout ça pour accueillir la foule de tous les Algérois qui ont fait de la figuration lors du tournage du film à Fort-de-l'Eau il y a trois mois, et qui vont entraîner devant les écrans la cohorte de leurs parents, amis, connaissances, pour qu'ils les voient et les admirent, perdus dans la foule des habitants de Jérusalem. On peut d'ici imaginer les dialogues pendant la projection... "Mais dis, t'i es où, qu'on te voit pas ?" - "Pourquoi t'i as gardé cette serviette sur la tête, comment tu veux que ta mère elle te reconnaisse ?" - "Les bâtards ! J'te dis que j'étais juste là, derrière la quinzième colonne du temple... Ils m'ont coupé !"- "Oh devant, arrêtez de lever le bras, vous êtes pas transparent !" - "Où tu dis  ? - Punaise ici, tch'ié bizoutche ou quoi ?" - "C'est passé trop vite, faudra qu'on revienne à l'autre séance ! - Et où tu vois qu'on va revenir ? Dans tes rêves, oui ! C'est pas toi mon fils qui paye les tickets à toute la famille, hein ! Ton père i s'appelle pas Crésus !", etc etc. Dolly et André ont-ils profité de leurs journées libres pour aller voir "Golgotha" et se mêler dans une salle à cette atmosphère enfiévrée d'insoutenable suspense, quand chaque ex-figurant se cherche sur l'écran comme une aiguille dans une botte de foin ?

   Leur spectacle terminé, se sont-ils contentés d'aller pousser des jetons sur les tapis verts des salles de jeu de l'Aletti ? Furent-ils fêtés par leurs admirateurs algérois ? Allèrent-ils de soupers élégants en réceptions ? Ont-il pris le temps, avant de rentrer à leur hôtel, d'aller faire un tour le long de la route moutonière, en nocturne, à la grande Foire d'Alger dont les portes ont ouvert le samedi 13 à 9H ? Ont-ils goûté aux attractions qu'offre la foire aux jeunes gens heureux et insouciants ? Voyez en colonne de droite l'annonce du 15 avril : le grand huit, le "Mont Blanc", la Souricière, la Biguine, la chenille, le "skooter" (sic), et le "Théâtre Colinet" (oui, celui de l'"Illustre Colinet", bien sûr, le Maître de la magie, celui qui dans une vingtaine d'années, dans les sous-sols des Galeries de France, me piquera les sous planqués sous mon béret ! (CLIQUEZ ICI)  L'illustre Colinet a t-il piqué des pièces de monnaie sous le bibi de Dolly ? Et lorsque la foire, à 1H du matin, ferme ses portes, et que rentrent Dolly et André, quel hôtel regagnent-ils ?

   "On y mange bien, et il y a des amies", écrit Henry Février sur le Livre d'Or ce soir-là... Cette amie était-elle Dolly Davis ? À sa table, ou à la table voisine ? Ont-ils parlé ensemble ? Fait tchin-tchin avec des coupes de vin à bulles ? Auquel cas, on comprendrait d'autant mieux la gaîté pétillante d'Henry et sa malice primesautière. Mais qui saura jamais ? Tout ceci, cher lecteur, risque bien aussi de demeurer le secret de l'Étoile... À moins que l'un d'eux n'ait laissé un petit carnet où sont consignés tous ces faits ni plus ni moins importants que tous ceux qui font les trames de nos vies, et qui attend, enfoui dans une malle ou le fond d'une armoire, que quelqu'un vienne le découvrir...

   La romance entre Dolly et le cinéma, entre Dolly et le public, et entre Dolly et André (si celle-ci a jamais existé) ne va plus durer bien longtemps... En 1938, Dolly jouera dans son dernier film, "Bar du sud", de Henri Fescourt, avec Charles Vanel, puis, très sagement, sachant lucidement son temps passé, elle quittera ce métier pour lui préférer ses activités d'artiste peintre. Elle s'y adonnera avec succès, et on lui devra plusieurs expositions fort appréciées. Et ce n'est pas André qu'elle va épouser, mais le couturier Georges Trarbach. Elle goûtera ainsi avec philosophie à la paix d'une agréable retraite qui ne s'encombrera guère d'inutiles et vains regrets. Elle nous quittera peu après son soixante-sixième anniversaire des suites d'une intervention chirurgicale.

   André, lui, va continuer de tourner, jusqu'en 1957, presque jusqu'à sa disparition, en 1959. Et chacun de vous aura eu, c'est presque certain, le temps de le voir jouer au cinéma ! Mais oui, dans le "Napoléon" de Guitry en 1954 (oh, une apparition bien fugace, dans le rôle de Monsieur de Rémusat, le Ministre de l'Intérieur du roi Louis-Philippe lors du retour des cendres), et dans "Si Paris nous était conté" (où il est Diderot), en 1956. À moins que vous ne l'ayez déjà vu auparavant, rue d'Isly, un soir d'avril 1935, attablé en face d'une jolie blonde... Mais dans ce cas, punaise, vous ne faites pas votre âge !

Gérald Dupeyrot      



Dolly Davis à la UNE ! Reconnaissez-vous les trois autres belles madames ?
"Le grand illustré féminin que toute felle intelligente doit lire", c'est pas un bon slogan bien vendeur, ça ?






Ci-dessous, l'Écho d'Alger du 15 avril 1935 :








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L'immense et belle salle de la brasserie de l'Étoile du 20 de la rue d'Isly. À quelle table se trouvaient assis Dolly et André ? Et Raoul et Henry ? (Photo prise dans les années 30)

  Ci-dessous, la critique parue dans l'Écho d'Alger du 16 avril 1935.





D.D. & B.B. en 1935

Pour la réponse de B.B. à D.D.
(en tout cas selon Jean Brua),

cliquez sur l'affiche !





En cliquant sur le pavé ci-dessous, vous trouverez les annonces des spectacles dans l'Écho d'Alger du 12 avril 1935...




... ensuite celles dans l'Écho d'Alger du 15 avril ...




... et en cliquant sur le pavé ci-dessous, vous trouverez les annonces des spectacles des 16, 17, et 18 avril 1935.

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