(retourGRsept2006.htm)



LE TROU DES FACS

(EXTRAIT DE "GÉRALD À ALGER, 19-24 SEPTEMBRE 2006")

   "Place Lyautey : c'est ici le lieu d'Alger qui compte le plus pour moi. Le trou des facs, avec sa galerie circulaire et ses multiples issues, c'était comme une rose des vents qui nous permettait, à nous, enfants de cet endroit précis du monde, selon la sortie que nous empruntions, de nous diriger vers les points cardinaux qui régissaient nos existences. En me tournant vers la droite, et en remontant un peu le boulevard Saint-Saëns, je suis au n°10, où j'ai vécu les 7 ou 8 premières années de ma vie, avant que mes parents ne soient expulsés, et leur immeuble rasé pour faire place au building de l'ancienne B.I.A.N. (Banque Industrielle de l'Afrique du Nord)



   Le grand immeuble en face de nous, au 15 rue Michelet, avec sa drôle de visière en forme de lunette, belle construction des années 30, jouxte la rue Warnier, la faille au milieu de la photo, coincée qu'elle est entre lui et la petite maison à trois étages du n°13. Depuis 40 ans, je me demandais ce que depuis la rue Michelet on voyait de la rue Warnier. Il me suffit maintenant de regarder cette photo pour le savoir. Je n'irai jamais à la belle fac, là-haut sur la colline, au dessus du tunnel, l'Histoire pour nous va s'arrêter bientôt, il nous reste trop peu de temps. Dans l'entrée du même immeuble du 15, je serai passé à tabac au lendemain de mon quatorzième anniversaire, une nuit de décembre, entre deux haies de gendarmes mobiles. Si je ressors par l'escalier où se trouvait le hall Renault, j'ai bientôt 11 ans, et comme un Charlie Brown mort d'amour et de timidité, je vais suivre en tapinois, comme le gamin dans le sketch de Fellag, la petite fille rousse tellement sublime, qui, cette rentrée scolaire 1957, ne va plus à l'école Dujonchay, elle entre en 6ème à Delacroix. Si je sors du "trou" en face de chez Bissonnet, et que je remonte la rue Michelet, j'arrive à la librairie À Nostre-Dame, où j'ai attrapé la passion des livres qui me tiendra toute la vie. Je pourrais aussi dire comment ce Trou des facs desservait selon les sas empruntés, nos commerçants, nos églises, nos cinémas, nos jardins, notre marché... Tous à quelques pas d'ici. Oui, ici c'est le centre d'un monde, le mien, ici c'est chez moi.

   Le trou des facs... Je me souviens qu'on m'avait dit que c'était fermé, ou mal famé. En tout cas qu'il fallait éviter d'y descendre. Houlala, un vrai coupe-gorge... Pourtant je voudrais une fois au moins, une fois encore, une dernière fois, déboucher du souterrain dans la rue Warnier où, enfants, nous nous arrêtions pour nous faire couper les cheveux avant d'aller chez ma grand-mère, Bd Baudin.

   Je vois que d'élégantes jeunes femmes, des voilées, des pas voilées, descendent les escaliers... Moi, pas plus fragile ou agressable qu'elles, non ? On descend par l'escalier devant chez Bissonnet. Et sur quoi on tombe, juste devant nous ? Qui nous regarde, éberluée, pensez après tout ce temps et 50 bons kilos supplémentaires (pas elle, moi), avec son grand oeil rond de cyclope ? Regardez bien, en face de l'escalier, dans la pénombre... Eh oui, LA bascule, rouge, avec son disque circulaire, celle dont on parlait il n'y a pas si longtemps dans le Livre d'Or ! Toute seule sur un mur de chemises indiennes que des jeunes gens charmants, des bac +5 et 6, ont étalées pour gagner leur vie. Et ils ne sont pas les seuls, tout le souterrain est maintenant un grand souk. Y'a pas qu'en France que des diplômés font des petits boulots ! Les prix sont très bas pour une bourse non-algérienne, et l'endroit vaut le détour pour quelques emplettes.

   Le bar, à côté, est tout pareil que le jour de son ouverture ! Sauf que quand il s'est ouvert, ce n'était pas un bar, mais un nouveau bureau des T.A. (Tramways Algériens), où le public avait, en période de pointe, jusqu'à 5 employés à disposition pour renouveler les cartes des lignes A, B, E, G, I, J, K pour les trolleybus, et de toutes les lignes de tramways. Détail qui a son importance : toutes les menuiseries et l'aménagement intérieur furent l'oeuvre des ouvriers de la maison. Je vous joins la coupure de journal qui annonçait son entrée en fonction, le 30 octobre 1953 ! (le "Trou des Facs avait été inauguré, rappelons-le, le 6 décembre 1951). Je pose la question aux "vieux du Trou" (salut, Jean !) : est-ce le même comptoir qui fut ensuite converti en "milk-bar", tel qu'on l'entrevoit sur la photo où se trouve Monsieur Spips en 1958 ? (cliquer ici pour voir la photo)





   Ensuite j'ai parlé à n'en plus finir (même que Jacqueline elle est partie, tellement il faisait chaud et que ça durait) avec Ahmed, passionnant jeune-homme féru de philosophie et d'histoire des religions, l'un des gardiens de la belle salle de conférences du trou. Son hall est situé dans l'espace délimité en son centre par la galerie circulaire. Ensuite, un large et solennel escalier permet de descendre jusqu'à son niveau. Elle est pareille à elle-même, depuis plus de 50 ans ! Les appliques lumineuses, d'origine, de 1951, constituées chacune de trois épaisses lames de verre, sont magnifiques. Son accès se situe juste en face des sorties vers le trottoir des n° impairs de la rue Michelet, et vers la rue Warnier.





   Suite à ce que j'ai lu récemment dans le Livre d'Or, je profite d'en être au souterrain des facs pour rappeler qu'il n'avait aucune issue dans la rue Charras (Jean l'a déjà bien rappelé)".

Retour au sommaire "Rue Michelet" : cliquer ICI