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GÉRALD À ALGER, 19-24 SEPTEMBRE 2006

"J'AI PRIS MES CLICS ET MES CLACS"
(CHTITHA BALLADE)

"On ne reconnait pas tout du premier coup, comme il arrive avec les amis de ce temps.
Nous sommes tous de vieilles maisons qui se délabrent."


JEAN BRUA, 06 octobre 2006.

   Mercredi 20

   Aujourd'hui, j'ai commencé à marcher vers 9 heures, et c'est seulement vers 18 heures que j'ai dû arrêter de faire se poser mes pieds l'un devant l'autre. Sans avoir pris le temps de manger (1) ... De boire, oui, avec la chaleur qu'il faisait, ça valait mieux, autrement j'attrapais une syncope. Je sais bien que sur les chemins qui grimpent à Fort l'Empereur, on n'avance pas à un train d'enfer. Le mien, de pas, il est plutôt de sénateur, mais tout de même, malgré la modicité de la performance, en fin de journée, même mettons à 2 à l'heure, ça aura fait pas mal de kilomètres. Je vous laisse compter.

(1) Il faut dire qu'aussitôt arrivé, hier mardi, j'ai acheté "El Watan" (je préfère "El Watan" aux autres quotidiens en langue française parce que dans El-Watan, la page 5 est consacrée aux potins domestiques d'Alger). Et que lit-on, en gros titre, à la "UNE" de El-Watan ? "L'HYGIÈNE DES ALIMENTS PEU RESPECTÉE, UN ÉTAT DES LIEUX ALARMANT". Gloup ! Je me plonge avec d'autant plus d"attention dans cet article que mon estomac commençait à faire glouglou. Sont en cause "entre autres, la facilitation d'obtention de registre du commerce, le manque de professionnalisme et d'expérience dans le domaine, l'absence de certificat de conformité et de règlements sanitaires et urbanistiques". Il ressort aussi de l'article que l'absence, tout simplement, de réfrigérateurs n'est pas étrangère à cette situation. "Une virée dans certains restaurants, gargotes et autres espaces du centre-ville a permis de constater (à une équipe de contrôle de qualité et des fraudes) le manquement d"hygiène et le non-respect des normes les plus élémentaires". S'ensuit une description terrible de la situation, qui transforme le simple fait de manger, chez soi ou à l'extérieur, en un défi audacieux, peut-être pas de trompe-la-mort, mais de trompe-la-tourista sûrement. C'est moins grave, mais ça rend circonspect. En tout cas, ceci n'est pas pour me pousser à m'aventurer dans les restaurants de rencontre... Dommage, j'adore les gargotes, faudra m'en passer. Ne boire que du Selecto scellé à l'émeri. Et encore... Tout ce ramdam, c'était le résultat d'une journée de sensibilisation, placée sous le haut patronage du Président de la République en personne. Comme le déclarent les experts (impertinents ?), "il est temps de dépasser le stade du constat et de développer des actions concrètes et efficaces". Un ami algérois hausse les épaules en me disant "tu parles, à chaque veille de Ramadhan, c'est la même chose". Bon, on s'affole pas, je mangerai ce soir à l'hôtel... Du coup, je fais Ramadhan avant le Ramadhan.





Dessin illustrant l'article ci-dessus. Traduction : "chtitha", c'est un un incontournable de la cuisine algéroise. Tout et n'importe quoi précédé ou suivi de "chtitha" = tout et n'importe quoi en sauce rouge épicée, plus ou moins piquante, avec des pois chiche, et rien de plus (selon les puristes : "surtout pas de pommes de terre !"). C'est très bon   :oP , mais un peu passe-partout. Dans les restaus et gargotes d'Alger, on trouve de tout façon "Chtitha". Par exemple : "Chtitha l'ham", c'est du mouton sauce rouge (euh, oui, "ham" c'est jambon, mais en anglais. Vous gaffez, vous...). Je vous laisse traduire la suite... Chtitha Djedj (poulet), Chtitha Bouzelouf (tête de mouton), Raya Chtitha (raie), Chtitha Badenjal (aubergines), Chtitha Senariya (carottes), Chtitha lssane (langue de boeuf), Chtitha Kamroune (crevettes), Chtitha Mernouz (merlan)... 0n n'en finirait pas. C'est ce qu'énumère, sur un ton alléchant, le garçon du dessin, tandis que le client traduit, lui, dans sa tête (il a lu le même article que moi), par des Chtitha beaucoup moins avouables ... On vous laisse deviner.

   J'ai démarré la journée et ma virée avec un groupe qui allait vers la rue Duc des Cars. Annick et Yves ont vécu là, au n°27. Un correspondant à Alger de l'Associated Press (moi c'est l'Associated Esmma Press, que je lui ai dit), curieux de ces retours d'anciens Algérois, s'était joint à eux. Je me sépare à regret du groupe, pour prendre la rue depuis son tout début, là où finit la rue du Dr Trolard, et photographier un maximum pour les Es'mmaiens qui en ce moment, avec Jean Brua, préparent les "Contes du Parapet". Le parapet, le voici, tout au bout, avec le G.G. derrière.

   Jean m'avait envoyé un plan tout en couleurs, avec les points clés, les endroits mémorables de la rue. Enfin entendons-nous, mémorables pour eux, moi, je n'y avais, je crois bien, jamais mis les pieds. Un vrai plan de débarquement, avec des plages en rose et d'autres en jaune, je ne voulais pas laisser le moindre recoin où mon oeil, et celui de l'objectif, n'ait passé et repassé. Au début, vachement consciencieux.


La rue Duc des Cars, à gauche,
et, en face de nous, les escaliers qui descendent rue du Dr Trolard.

   Et puis est arrivé ce que j'ai déjà raconté. Voilà qu'à la moitié de la rue (à la hauteur du bistrot dans le tournant en montant à gauche, vers le n°32) je fais la connaissance d'un vénérable de mon âge (oui, il sortait du café), un artisan spécialiste des fresques en mosaïque, du granito, et de la "mignonnette" (non, un spécialiste de la mignonnette, c'est pas ce que vous croyez, vous allez faire rougir, regardez dans le dico), alors j'allais pas laisser passer ça. Il m'a accompagné un sacré bout de chemin : Bibliothèque Nationale, 7 Merveilles, Telemly, et après, on monte à droite... Ça grimpait, on blaguait, on y allait à menus pas, deux vrais petits vieux du quartier. Jusqu'en haut du chemin Pouyanne, presqu'à Fort l'Empereur, où j'ai retrouvé l'emplacement qui fut l'Institut du Dr Didier. Un lycée a été bâti en plein dessus, mais on reconnaît... Et il reste, dans le haut de la propriété, un bâtiment de 1920. Du coup, ce matin, j'ai moins photographié le dernier tiers de la rue Duc des Cars. J'espère que ça ira quand même...


Le portail d'entrée de l'Institut du Dr Didier. L'accès à celui-ci se faisait en général de ce côté-ci, chemin Pouyanne.

   Avec mon guide, on s'est séparés Bd Saint Saëns, après un coup bu dans un bistrot de la rue Daguerre, lui gazouz, moi Selecto. Moi j'avais très soif après cette équipée. Lui, pas tellement, juste il répondait impassible, sur son portable à ses ouvriers, que son retard semblait larguer un peu. Il était du genre imperturbable, mon guide... Ci-dessous, une allée et son portail, à peu près à la hauteur de l'école Daguerre...

  Je m'aperçois que si je continue comme ça, à vouloir tout vous dire et tout vous décrire, je vais être aussi long que si j'étais en temps réel. Ca va durer 5 jours. Bon. Je vais faire plus bref. Enfin, essayer... En télégraphique, suivez bien : Boulevard Saint-Saëns, photo du bel immeuble (ci-dessous) avec son drôle de quartier de rotonde, juste avant celui des Chemins de Fer Algériens, en montant trottoir de gauche. Il doit être au 17 ou au 19, les Chemins de Fer Algériens étaient au 21-23 du boulevard. Quelqu'un sait-il ce qu'il abritait ?

  ...Je passe devant l'immeuble qui était celui de la Shell (bonjour Betty, oui, je pense à toi et à ton papa), rue Jacques Cartier, rue du Languedoc, petite visite à Albert Camus, quand il habitait chez son oncle Acault. Mais le jardinet où il lisait et écrivait vient de disparaître sous une extension de bureaux en préfabriqué, un chef de chantier me montre quand même à la cave deux grands frigos encastrés dans le mur, qui devaient être ceux de son boucher de tonton (CLIC-CLAC)...


Le 3 rue du Languedoc : à l'entresol, où habita Albert Camus,
c'est maintenant les dépendances d'une compagnie d'assurances
qui a pignon sur rue à deux pas de là, rue Michelet-Didouche.
Pour vous situer, on voit sur la photo que la rue du Languedoc tourne à droite,
elle aboutit rue Michelet, à la hauteur de la patisserie "Tilburg".

  Impossible de me souvenir où se trouvait la salle de judo où une ou deux fois j'avais accompagné notre ami Frédéric Martinet. Et Frédéric n'est plus là pour nous le dire... Pas sûr non plus d'avoir reconnu l'immeuble où habitait mon ami Vitielo (et toujours pas de nouvelles de toi !). La rue du Languedoc finit ici, voilà "ma" rue Burdeau, avec en face la petite boulangerie-patisserie, qui faisait presque face à celle des Orts...

Et en avançant encore un peu, je découvre que le "Bearnais" est toujours là, et à peu près semblable à lui même...

Là (photo ci-dessous), j'ai descendu un peu la rue Burdeau pour faire une photo de l'endroit où débouche la rue du Languedoc...
Et puis je remonte...

...jusqu'au n°15 (chez moi, CLIC-CLAC), puis au 19 (CLIC-CLAC, ci-dessous, pour Rollande)...

  J'ai aussi pris en photo ta maison, Rollande, en 3 fois, le bas, le milieu, et le haut, parce que du recul, y'en n'avait pa bézef, et j'ai remonté le tout sous Photoshop, j'espère que les morceaux de ta maison, entièrement recousus par les doigts de fée de Frankenstein, ne te désoleront pas trop (elle a l'air un peu ventrue, comme moi, mais elle, c'est à cause de la perspective, que veux-tu, je suis pas Henri Eichacker !).

  Au n°16, longue halte chez Monsieur Abrouche, le miroitier, qui était déjà là du temps de nos enfances. Agréable conversation avec lui et son fils, on parle de Rabah, le laitier, assassiné en 61, de l'épicier kabyle du 17, si gentil, et qui nous amusait tous avec son accent parisien, hérité d'un long séjour dans la capitale. Poupous, le grand fils de Monsieur Abrouche, m'offre une série de posters, agrandissements de cartes postales anciennes, les mêmes qui se trouvent encadrés sur les murs de l'escalier de notre hôtel. J'en suis très ému. Puis montée de la rue de Nîmes (CLIC-CLAC), soupir en regardant l'entrée de la maison de la petite fille rousse, et redescente rue Charles Vallin (l'ABC fonctionne, refait à neuf, la façade a changé, ce n'est plus l'ABC)... Je traverse la rue Michelet... Rue Hoche, CLIC-CLAC pour la Patisserie du Régal autrement dit "chez Calabuig", au n°38 de la rue (un peu plus bas que la rue Meissonnier à gauche).



Au 21 Boulevard Victor Hugo, une belle maison.
C'est ici, je crois, que nous rendions visite, dans ma toute petite enfance, au Dr Gillot, prénom François.
"Spécialste des enfants". Un jour il préconisa l'ablation de mes amygdales. À tort ou à raison, ceci mit mon père en fureur,
il le traita de charlatan, et on se transporta chez la doctoresse Brouqui, qui me laissa entier.
A bientôt 60 ans, je le suis toujours, moi et mes amygdales, et mon appendice, et tout le reste. Peut-être mon père avait t-il eu raison ?


   Rue Denfert-Rochereau, l'Empire, la rue Meissonnier (Yves avait raison, c'est la seule rue au monde où l'on trouve des bouchons humains !), où je croise Jacques et Marie-Claude, et quelques amis, qui sortent de chez LE marchand de beignets. Est-ce qu'il se rend compte, celui-là, qu'il est en passe de devenir le marchand de beignets le plus célèbre du MOOOOOONDE ? Un peu plus loin, photo de la poste, inaugurée en février 1956... Tenez, la voici, ainsi que l'article de journal annonçant son ouverture, voilà 50 ans de ça, juste 50 ans (oui, comme le temps passe, dit le lapin d'Alice...)

                                                      

   Photo de la façade du marché couvert (je vous la mets pas, il faut sélectionner un peu), photo du cinéma Hollywood en travaux, mais c'est sans intérêt, cette fois on l'a vidé de son contenu, on ne pourra plus en photographier l'intérieur, et son décor tellement "kitsch"... Retour rue Michelet-Didouche, cinéma ex-Versailles. J'ai la chance de trouver là Monsieur Lamarti, responsable des cinémas d'Alger, il est de passage, il me fait visiter... Non, si la décoration a changé, le magnifique volume de la salle est intact, elle n'a pas été fractionnée en mini-salles, comme j'ai pu le lire au moins une fois. Les fauteuils sont combles, les amoureux comblés (c'est eux et leur besoin d'intimité qui doivent assurer une bonne part de ce qui reste de chiffre d'affaires cinématographique en Algérie), chut, le film est en cours. Pas CLIC-CLAC. Je rends visite à la cabine du projectionniste, équipée de projecteurs italiens, le nec-plus-ultra pour ce genre d'équipements.

   Au sous-sol, "destiné à devenir un lieu d'échanges culturels", me dit Monsieur Lamarti, les anciennes vitrines, encastrées dans le mur, carrées et basses, sont toujours là, vides, et les 2 anciens projecteurs 35mm sont exposés, je fais les photos en pensant que ça fera plaisir à Jack.

   Monsieur Lamarti m'indique que c'est ici, à l'Algéria (oui, notre Versailles), que "Kirikou et la Sorcière" a été projeté, et il se rappelle les débats dans la presse d'ici, et dans les familles, sur le zizi de Kirikou et les seins nus des villageoises ! Que le film que j'ai eu le plus de plaisir à contribuer à produire ait connu ici les mêmes succès et polémiques qu'ailleurs me ravit. Oh pardon, j'ai encore traîné ! Je continue...

   Un pincement au coeur, la Princière a disparu. Pour ceux eux qui l'avaient faite précédemment, conservez bien la photo du Saint-Bernard Cémoi en céramique, maintenant, c'est fini. On ne pourra plus jamais la refaire... Pareil pour la librairie qui au 37 avait remplacé À Nostre Dame, "ma" librairie, dont la façade était presque inchangée en 1984. C'est maintenant "Algérie Ferries", avec une bête devanture "moderne". Rue Tirman, les deux boutiques qui furent successivement celles de mon père (ci-dessous) sont toujours là, CLIC-CLAC (pour toi, mon petit frère !), et aussi celle du coiffeur à l'angle avec la rue Denfert-Rochereau.



  


 


Oui, la voilà, la boutique du coiffeur... Rien n'a changé, ou presque, au bout de cinquante ans...
Ce qui fut l'église espagnole se trouve à l'angle diagonalement opposé du carrefour Denfert-Rochererau-Tirman.
Et en avançant, qu'est ce qu'on voit apparaître ? Euh, oui l'entrée de Sainte-Marcienne (avec la verdure sur le haut du mur), mais avant, juste avant ?
Oui, les deux rideaux baissés après la Toyota ? Là, c'était la troisième et dernière boutique de mon père, des Éditions Hatier.
En face de sa boutique, c'était le cinéma "le Français", et à gauche des deux photos, avec le store vert, faisant l'angle,
c'était le magasin d'antiquités de Monsieur Poggi, un bon ami de mon père.


   La façade du cinéma "Le Français" est toujours intacte et impressionnante, mais, me dit-on, on n'y projette plus de films... Je remonte la rue Tirman, tourne à droite devant l'Optique de France (la façade est refaite, mais le commerce est toujours la lunette)... Je descends la rue Michelet (rien que d'écrire ça, j'en ai le coeur qui bat). En haut de la rue Richelieu, au 23, la Genevoise - CLIC-CLAC - s'appelle toujours ainsi, même si Monsieur et Madame Kummer ont abandonné leur commerce (il n'y a pas si longtemps, parait-il...), même si les gâteaux qu'on y sert sont maintenant algérois. Délicieux, ils font honneur à la réputation ancestrale de l'enseigne. J'en fais remplir une boîte à l'intention des amis de l'hôtel.


À droite de la Genevoise, au n°25, on distingue une entrée.
Il s'agit toujours de celle d'un hôtel, même s'il ne s'appelle plus "Hôtel Saint-Jean".
L'un de mes bons copains, Gérald Marie, habita ici vers 1960,
son militaire de père y avait été logé avec sa famille.


   Avant de regagner l'hôtel, coup d'oeil émerveillé à la Grande-Poste dans le soleil couchant. J'avais décidé de ne pas vous présenter à nouveau des photos déjà mille fois vues, mais là, je ne résiste pas, c'est trop beau... Pensée pour ceux qui sont tombés là...

   Dans ma chambre à l'hôtel, je fais un constat curieux : tous les meubles, tous, la télé et même l'applique au dessus du lavabo portent une étiquette avec un code-barre, et la mention "Albert 1er". Quand je me lave les dents, l'étiquette me regarde comme une pupille au milieu d'un oeil lumineux, ça manque d'intimité... Impression bizarre de me trouver dans un décor de théâtre apporté là quelques instants seulement avant notre arrivée... Et c'est pareil dans les autre chambres ! Qu'y avait-il avant ? Pourquoi cette mise en scène ? Où est la réalité ? Parano fugitive, les voyages permettent de se faire des cinémas amusants. En me regardant de dos dans un miroir, je m'assure quand même que je ne porte aucune étiquette semblable... Redescendu pour dîner, je vérifie machinalement si les serveurs au restaurant n'ont rien de collé dans le dos... Bon... Et sous l'assiette ?

  

   Rassuré, j'entame le dîner en joyeuse compagnie, et la cuisine du restau de l'hôtel va se révéler, soir après soir, excellente. Ensuite, on peut sur nos balcons contempler la nuit qui s'est couchée sur les jardins Laferrière et la mer, c'est sublime, en même temps exaltant et apaisant. Curieuses sensations. Je ne vous fais pas la photo du Plateau des Glières la nuit, d'autres l'ont déjà faite au cours de voyages précédents. Juste je confirme : c'est aussi beau que sur leurs photos.

Demain est un autre jour...
Pour la suite, jeudi 21 septembre,

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