HISTOIRE DU MIDI-MINUIT FANTASTIQUE II, LYON, 1964-1966



SIC TRANSIT…

(Voilà, fin de la machine à remonter le temps, fin de l'histoire).

   Les copains, le Lyon de ces années-là, tout s'est dissout dans le temps… Le cinéma "Le Duo", où nous vîmes une bonne partie des films intéressants qui sortaient en ce temps-là, est devenu une boutique de fringues. Il se trouvait tout à fait en bas de la rue Edouard Herriot, au n°98, juste avant le café "le Morel" faisant l'angle avec la place Bellecour, et devenu, lui, "Pizza Pino". Plus rien non plus des autres cinémas d'art et essai : "l'Aiglon", place de la Ré, vaporisé, comme "La Fourmi", qui était au 68 rue Pierre Corneille. Seule son alter ego "la Cigale", au 60 avenue de Saxe, retournée en 2001 à sa première vocation en redevenant un lieu théâtral, sous le nom de "Théâtre Tête d'Or". Il continue en 2009 d'être un théâtre également cinématographique.

 
"La Cigale" devenue théâtre (photo empruntée au site du théâtre),
et en 2009, l'emplacement de l'Aiglon, rue Stella, à la hauteur de la place de la Ré.
Cliquez sur chacune des photos pour les agrandir

   Plus rien des "Archers", ni d'ailleurs des autres grandes brasseries de nos 20 ans… Quatre décennies et davantage ont passé… "La Paix"… transformée en Mac Do. "Le Tonneau"… en Quick… Le "Morel"… je viens de le dire, en Pizza Pino. Il y en eut bien d'autres, ceux où nous nous retrouvions souvent, comme le Café des Beaux-Arts, place des Terreaux, et ceux où nous n'allions guère, mais quand même un peu, de temps en temps, comme "Les 3 Dauphins", place des Cordeliers, à l'angle avec le quai Jean Moulin, face au pont Lafayette… Ou "Le New-York", rue Childebert.


"Le "Paix" dans les années 30 (cliquez pour agrandir).

   Le "Glacier Neuf", place Bellecour, avec ses beaux fauteuils couverts de velours rouge, était le rendez-vous au décor un peu suranné des fils et filles à papa, dont une pure merveille, d'une beauté stupéfiante et singulière. Je me souviens d'elle et de sa frange brune, rectiligne, avec dessous, de ces yeux bleu sombre, incroyables d'acuité, comme à fleur de front, et de sa voix rauque la première fois qu'elle me répondit… la plus âpre et la plus soyeuse des rejetons de soyeux... Jamais on ne verra rien de si beau, jusqu'à Liv Tyler, peut-être, juste avant d'entrer dans le siècle suivant. Hugo Pratt eût pu la prendre comme modèle d'aventurière pour camper l'une de ses sublimes héroïnes. Mais pardon, je m'égare, en ces deux années du Midi-Minuit, on ne lisait pas encore Corto Maltese, la comparaison n'aurait pu alors me venir... oui, lui aussi, le Glacier Neuf, transformé aujourd'hui, en 2010, par une sorte d'ironie du sort, en banque spécialisée en gestion de patrimoines. Les insouciants, arrogants et bravaches consommateurs d'antan sont peut-être devenus les avisés, précautionneux et égrotants épargnants qui entrent ici aujourd'hui. Et toi, ma belle ennemie de classe, tu es devenue quoi ?

   J'ai gardé une tendresse émue pour le restaurant "Les Tulipes", situé au second ou troisième étage d'un immeuble de la façade de la place des Terreaux opposée au Musée Saint-Pierre. À partir de fin 1965, avec celle à qui je destine mes flammes, et sa famille, ou d'autres fois avec des copains, nous y dinions parfois. Il aurait semblé que "les Tulipes" se soient depuis, sans désemparer, trouvé des successeurs. En 2010, un restaurant, situé au n°4 de la place, "L'étage", du haut de son troisième étage, domine toujours la place des Terreaux. Mais était-ce bien le même endroit ? Je sais qu'à part moi, le monde entier se fout de le savoir. Mais ce que le monde entier ne sait pas, c'est qu'il est, lui le Monde, tout entier contenu dans ma tête.

   Un mercredi 6 octobre 2010, j'ai voulu en avoir le coeur net. Dans l'annuaire PTT de 1960, "Les Tulipes" figure au n°18 de la rue Sainte Catherine. Oui, en lisant cette adresse, il me revint que le couloir du 18, en effet, "traboulait" entre rue Sainte-Catherine et place des Terreaux. Et que pour nous rendre au restaurant, nous le prenions en général par l'autre côté, depuis la place. Il ne me restait plus qu'à l'emprunter depuis le 18 rue sainte Catherine, histoire de voir à quel numéro de la place des Terreaux je ressortirais. Comme ça, ça paraît facile. J'avais oublié que de nos jours les accès d'immeubles sont protégés par des portiers électroniques fermant automatiquement. D'abord, je suis resté longtemps à poireauter devant le 18 avant que la porte d'entrée de l'immeuble s'ouvre enfin sur un gars poussant un diable plein de bouteilles. Il me laissa entrer sans histoires. Mais une fois arrivé là, on est empêché d'aller plus loin que ce bout de couloir par une grille. Voilà ma remontée du temps stoppée net !

   Arrive alors une délicieuse jeune-fille habitant ici depuis à peine un mois, m'apprendra t-elle, une de ces jeunes filles qui abolissent le temps, et vous font soit oublier qu'un certain nombre d'années (de décenies ? Mais taisez-vous donc !) ont passé, soit regretter qu'elles aient passé. À qui apparemment, pour mon bonheur, nul n'avait appris qu'on ne parle pas à des inconnus ni qu'on leur ouvre des grilles de sécurité, ni rien du tout d'autre, d'ailleurs. Mais lui aurais-je fait cette remarque, peut-être m'eût-elle répondu que la simple sollicitude due au troisième âge imposait que l'on aidât des grands-pères semblant un peu paumés… Je ne lui ai rien dit.

   Je me suis juste contenté de lui expliquer ma situation. Oui, elle habite là, elle écoute sans impatience mes histoires d'il y a longtemps, me parle d'elle, longuement, et oui, pas de problème ; elle me fait entrer dans la courette d'où monte l'escalier du 18. Me montre aussi le bouton du portier, histoire que je puisse ressortir. Et là, je vois quoi ? Derrière un tas de hautes poubelles ? Une nouvelle grille ! Et derrière la grille, d'autres poubelles, et encore au delà, un long couloir obscur, à peine éclairé par un imposte muni de barreaux verticaux. Au dessus de la porte donnant sur la place des Terreaux ! Et derrière les barreaux, un réverbère ! À peine discernable, tout petit vu d'ici, mais c'est bien un réverbère ! Plus qu'à retourner place des Terreaux, et à avancer le long de la façade de la place… 1… 2… 3 ! Je ne l'avais pas remarqué, mais toutes ces portes d'immeuble sont surmontées d'un réverbère. Sans doute pour permettre aux ivrognes rentrant chez eux de retrouver leur trousseau de clés, et à leur clé le trou de la serrure. Mais une seule porte est surmontée d'un imposte muni de barreaux verticaux. CQFD : "les Tulipes" se trouvait au n°3 de la place, et non au 4 ! Excusez de ce détail qui paraîtra dénué du moindre intérêt à la plupart, sinon à tous, sauf à moi, mais ceci est, bien entendu l'essentiel !

   M'avançant dans mon passé de salle en salle, d'éblouisssement en clair-obscur, de surexposé en sous-exposé, mille autres lieux s'ouvrent devant ma mémoire… Je les visite avec ivresse et précaution, de peur qu'ils ne s'effacent définitivement, comme autant de rêves matinaux, et avec circonspection, sachant qu'ils sont autant de reconstructions et de pièges. Voici le "Palais d'Hiver" qui, lui, survécut jusqu'en 1980. Oui, là où L. et moi étions venus écouter Jacques Brel, un dimanche de la fin janvier 1966. Descendons un peu sur le plan… Ah, le "Prisunic" de la place du Pont… Il a disparu je ne sais quand, lui, avec son rayon boulangerie-pâtisserie du rez-de-chaussée, c'était juste en entrant à gauche. Pourquoi, me direz-vous, cette pensée que l'on devine émue pour un Prisunic dont vous vous souvenez fort bien - et vous avez raison - qu'il était banal et sans charme ? Alors que Bahadourian, l'épicerie la plus orientale de France, tellement plus propice à des souvenirs de papilles exotiques et olfactivement pittoresques, était déjà là, juste derrière le Prisu, quelques mètres plus loin ? Oui, c'est très juste, mais… vous allez comprendre…

      Quand j'arrivais depuis Bellecour par le pont de la Guill', ce Prisu était sur mon itinéraire quand je me rendais chez L., qui habitait à deux pas de la place Garibaldi. Une fois place du Pont, je n'avais plus, pour y aboutir, qu'à me laisser glisser le long de la rue Paul Bert. Certes, mais encore ? Pourquoi avoir fait mention de ce rayon pâtisserie ? Eh bien, il donnait à ce Prisu un attrait indépassable, j'y achetais régulièrement pour elle une poignée de "chouquettes", ces petites bouchées en pâte à choux constellées de sucre en gros cristaux, elle aimait beaucoup çà. Je trouvais que ces gourmandises délicates, blondes et tendres, si modestes dans leur beauté autant lumineuse que discrète, cédant moëlleusement sous la dent, tandis que la langue s'efforce de faire fondre leurs protubérances sucrées, je trouvais qu'il y avait, entre L. et les chouquettes, de bien semblables et délicieuses correspondances. D'autant que leur nom de "chouquette" rimait avec le petit nom que je lui donnais. Parfois nous les achetions ensemble. Voilà pour le Prisunic de la place du Pont. Je pourrais continuer longtemps ainsi…


Le "Prisunic" de la place du Pont dans les années 30 (cliquez pour agrandir).

   Plus rien, quand je me promène en ce Lyon du XXIème siècle, que des fast-foods et autres aspire-pognon. Des bistrots de nos années soixante, il ne doit plus rester que le beau café "Les Négociants", à l'angle des rues Grenette et Président Herriot, en face du Virgin Mégastore, et, place Antonin Poncet, le "Français" et le "Caveau"… Mais "relookés", comme on dit au XXIème siècle. Et tellement chères, les consos ! De nos jours, on ne pourrait plus, comme nous le faisions, y traîner nos guêtres de longues heures d'affilée, avec rien qu'un p'tit noir comme sésame pour un séjour indéfini… Une exception : "Les Trois Cloches", rue de la Charité, qui charme encore par son décor inamovible, et qui, cette année 2009, a de peu échappé à son engloutissement par un banquier prédateur. Le grand "Café Anglo-Américain", à l'angle de la rue de la Ré et de la rue Grenette, a perdu son "anglo" : il n'est plus question que de "Café Américain", où, effectivement - jetez un coup d'oeil sur le ticket, allez-y doucement si vous êtes émotif - "on nous prend vraiment pour des Américains", comme disaient les aînés de ma famille lorsque j'étais enfant, qu'un sou était un sou, et qu'ils tombaient sur un tarif… disons inapproprié. Aux oubliettes, qu'il est passé, le "anglo" ! Forcément, puisque le terme a toujours eu une connotation de modeste et de parcimonieux, quasiment d'écossais, et non, ce n'est plus, mais alors plus du tout le genre de la maison ! En tout cas de ses clients…

    Plus généralement, il faut bien dire que, de nos jours, la référence au style british ne signifie plus grand chose ! Terence Fisher, le si racé Christopher Lee, les Thugs, Blake et Mortimer, l'Empire de sa Majesté, et même James Bond, le seul vrai, Sean Connery bien sûr, sont d'un autre temps ! D'une autre ère ! La preuve, "Old England", temple du vêtement made in Outre-Manche, indémodable, increvable et sobrement chic, boutique qui, des decennies durant, fut une institution de la place de la Ré, eh bien, en cette année 2009, elle vient de fermer ! 2009, Annus horribilis ! Et Old England, désormais very, very, very old !


"Old England" en 2009, ou du moins ce qu'il en restait : un nom
sur des stores défraîchis. À droite, le début de la rue Stella.
Le cinéma l'Aiglon se trouvaità gauche du "Bistrot de la Ré" (photo GD).




Entre la sculpture vert de gris à gauche qui sert de vespasienne aux SDF locaux,
et celle au fond, dont les surfers prennent le socle comme tremplin pour de spectaculaires
envolées, se trouvait l'immeuble du "Cyclo-Club". (photo GD, 18 avril 2009)

   Et le "Cyclo" ? Souvenez-vous du "Cyclo-Club", dancing en étage (au premier ?), situé dans le petit bout de rue Puits-Gaillot qui longeait l'Opéra par la gauche. Oui ? Ça vous revient ? Lui aussi a disparu, emporté avec le pâté d'immeubles rasé pour faire place à l'esplanade Louis Pradel. Mon frère Pierre m'a rappelé le hall du Progrès qui se trouvait là, toujours illuminé, avec, quand il y travailla comme grouillot, ses tableaux muraux recouverts par ses soins des pages du journal du jour, et de photos de presse punaisées. Une fois parvenus en haut de la rue de la Ré, le hall était comme sa source, il était juste en face de nous, on ne voyait que lui (et aussi quand même les enseignes au néon au dessus de lui, qui faisaient la pub de la bière Rinck et des montres Jaeger-Lecoultre), la rue semblait en découler comme d'une porte à la "Stargate". Pour aller au "Cyclo", une fois arrivé tout là-haut, on prenait à droite, c'était un peu plus loin sur le même étroit trottoir.

   Le haut de la rue de la Ré en 1965 (photo : "La Vie lyonnaise"). Aujourd'hui, en 2010, cette façade qui barrait la rue a laissé place à la belle terrasse du Café des Arcades, place Louis Pradel, où j'ai eu, ce 6 octobre 2010, le plaisir de dîner en terrasse en compagnie de Françoise, ma femme, le temps était délicieux ! L'air léger et la température douce, juste comme il faut en ce début d'automne d'un autre siècle. Pour le Cyclo, une fois arrivé là-bas, devant nous, tout en haut de la rue de la Ré, on tournait à droite rue Puits Gaillot, et c'était un petit peu plus loin sur l'étroit trottoir de gauche (forcément de gauche, celui de droite, c'est celui qui longe l'Opéra)



Voilà, exactement entre nous et l'Opéra se trouvait l'immeuble qui abritait le "Cyclo".
(photo empruntée au site de l'annuaire 118 712)

   Avec des copains, nous venions parfois danser au Cyclo le samedi soir, quand quelques uns avaient eu la bonne idée de se cotiser pour louer la salle. Nous sombrions deux par deux sur "Unchained Melody" (qui venait de "ressortir" en 1965, oeuvre attribuée aux Righteous Brothers, en fait chantée par Bobby Hatfield, et vingt cinq ans avant que le film "Ghost" ne nous la ramène avec le succès que l'on sait), et puis sur "Non ho l'eta", "Capri c'est fini", "Stand by me", "À Malypense", "T'en vas pas comme ça", "Aline", "Love me, please love me", et aussi sur des succès plus anciens, mais devenus des obligés de ce genre de soirée : "I put a spell on you","You're my destiny", "Love me tender", "Georgia", "My true love" et "With your Love", les deux considérables slows jumeaux "qui tuent" de Jack Scott, la douce Brenda Lee de "I'm sorry", l'inévitable "Sag Warum", l'inégalé mélo "Arrête-Arrête" ("Demain tu te maries" par Patricia Carli) ... Des chansons bien anodines nous suffisaient, pourvu que des morceaux comme "Où sont-elles passées ?" de Romuald nous emportent dans leur gentillet tourbillon… Et les Platters étaient encore dansables, "Only you", "The Great Pretender"… Nous dansions même sur deux ou trois chansons d'Adamo, "La Nuit", "Tombe la neige"… et même sur du Johnny, quand il chantait "Tes tendres années", "Quand revient la nuit", "Retiens la Nuit", et ce n'était pas si mal… Pourvu de chavirer quand son visage viendrait s'incliner et se blottir dans le creux de notre épaule…

   Oui, le Cyclo… Vous souvenez-vous de ce drôle de bruit qu'on entendait depuis le rez-de-chaussée, puis qui s'amplifiait, s'amplifiait en un râclement terrible, tellurique, quand on montait l'escalier ? C'était celui que faisait son plancher quand le piétinaient en rythme des centaines de semelles s'agitant sur place. Nous y dansions, puis, parce que ce n'est pas si facile de retenir la nuit dans sa course, vu qu'elle est vagabonde, nous abandonnions le bal avant les douze coups annonçant la citrouille… Vite, redescendre la rue de la Ré sur le trottoir de droite, passer devant le Wimpy nouvellement ouvert (si ma mémoire n'anticipe pas) et, avant la place de la République, prendre à droite la rue Thomassin, pour nous retrouver au Midi-Minuit, dans les fauteuils du Paris, parfois avec notre cavalière d'un soir, conquête éphémère qui peut-être se pelotonnerait à nouveau dans nos bras si le film faisait peur. Et en général, oui, ils étaient faits pour çà… J'ai encore au bout des doigts l'émoi bouleversant de les sentir s'enfoncer légèrement, si légèrement, à travers la rigidité du bustier ou le soyeux du chemisier, tiède et humide de notre course essouflée, juste là, tout au creux de la taille. "Qu'on est bien, dans les bras…". Merci Claude !

"Qu'on est bien dans les bras…". Petit jeu : trouvez les intrus. Quel est le seul couple qu'on n'ait pas vu sur l'écran du Midi-Minuit ? Ensuite : quel est le point commun à toutes ces images ? Réponse : eh oui, à chaque fois, il s'est agi de traduire visuellement l'expression "lever une petite" ! Alphonse Allais disait qu'il était contre la pesanteur parce qu'il est plus difficile de lever une femme que de la laisser tomber ! De gauche à droite et de haut en bas, voici les titres français : "La Chute de la Maison Usher", "La Main de la Momie", "Les survivants de l'Infini", "Planète interdite", "la Machine à explorer le Temps", en deux images : sur la première, on peut voir un Morlock qu'a pas l'air bien dégourdi, empêtré qu'il est avec Yvette Mimieux sur les bras… C'est qu'il va la laisser tomber, ce con ! Sur la seconde, Rod Steiger montre pour le photographe de plateau comment il faut s'y prendre (c'est pas le héros pour rien !) ; "Le Cauchemar de Dracula", "Tarentula" (regardez bien, dans les crochets de l'araignée), "la Nuit du loup-Garou", "le jour où la Terre s'arrêta", "Le Monstre des Abîmes", "la Créature du Lac Noir", et enfin "la Malédiction du Mangeur d'épinards". Et encore, on s'est limité aux seuls films du genre vus au Midi-Minuit ! Heu ? Oui, d'accord, sauf le dernier ! C'est en préparant le thème ci-dessus que je suis tombé sur un site américain intitulé "In my Arms" (un site qu'à mon avis aurait adoré l'ami Pomparat), où vous trouverez des centaines d'images, et des extraits de films, tous représentant ce stéréotype de l'aventure au masculin. Un cliché longtemps porteur…




Raoul, du temps qu'on était beaux, du temps qu'on était jeunes
(image du film de Emilie Souillot, 2009.
Qu'elle soit remerciée de son indulgence pour cet emprunt).

   Au nombre des lieux enchantés du Lyon de ce temps, il faudrait parler aussi des séances du "Hot Club" qui toutes ces années-là, sous la houlette de Raoul Brucker (au saxo !), se donnaient le samedi, à partir de la fin de l'après-midi, au premier étage d'un très modeste cani de la rue Royale, à deux pas de la boîte de soierie de Raoul. En fait, il n'avait qu'à sortir de chez lui, au 17, et le cani était tout de suite là, à sa droite, au n°15. Le bistrot s'appelait "Chez Soumile".


Le 17 rue Royale en 2009, où Raoul avait sa boîte, et le bout de trottoir
qu'il avait à faire pour arriver "Chez Soumile" (façade rouge sombre).
Cliquez pour agrandir (photo GD, 2009)

   Jean-Claude en 2010 se rappelle qu'on commençait par s'acheter une soupe au comptoir (3 francs, précise t-il !), avant de gravir le raide escalier étriqué qui montait à la petite salle basse de plafond où jouaient les musiciens. Il reste à Jean-Claude des croquis qu'il avait fait d'eux. On y voit entre autres André Serfati à la batterie... C'était bourré de monde et opaque de fumée ! Mon frère Pierre, lui, me rappelle qu'entouré de femmes sublimes et fatales, Raoul ne commençait vraiment à jouer qu'après avoir éclusé sa première bouteille de champ' ! Nous nous y retrouvions souvent, à quelques uns, pour y passer un bon moment et convenir en quelles autres atmosphères enfumées nous irions ensuite nous transporter, pour une soirée qui avait toutes les chances de se terminer à minuit devant l'écran du Paris. Nous en sortirions un autre jour, un nouveau matin.


Oui, c'est ici que se trouvait le BC Blues (photo prise en 2009).


…et sa façade telle qu'elle était vers la fin du XXème siècle,
quand le BC Blues était encore ici. (photos GD)

   Une autre voix encore me susurre comme il était agréable de passer quelques heures à écouter du non moins bon jazz au "B.C. Blues", club qui était au coin de la place Carnot et de la rue de Condé. Tiens, oui, c'est vrai, j'allais l'oublier. Il était à la fois discothèque et endroit où se produisaient des groupes. Des bons, parfois d'excellents… En 2009, c'est un pub, le "Irish Corner", qui l'a remplacé. En 64, "Ascenseur pour l'échafaud" n'était sorti dans les salles que six ans plus tôt. Ici, sur la musique de Miles, on rêvait de Florence descendant les Champs-Elysées… Coup de blues…

   Mais de tout ceci, qui se souvient ? Pas Claude, il est mort depuis un bout de temps, prématurément, tragiquement, en juillet 1991. Ni Albert Pomparat… ni Michel Demuth, ni Daniel Riche… Tous morts, eux aussi. En 2009, Ben-Ghou-Bey n'est plus de ce monde non plus, mais grâce à l'amour que lui voue son fils, on peut le voir sur Internet (cliquez ICI et aussi ICI). En photos, et aussi sur un petit film d'amateur, se transperçant le sein et la joue, tel que nous le vîmes en faire autant devant nous, au cinéma Le Paris. Une nuit d'hiver. Il y a si longtemps.

   Alors merci à celles et ceux qui, peu à peu, se manifestent et se souviennent qu'eux aussi, ils ont été au nombre des spectateurs du Midi-Minuit, ce ciné-club tellement... fantastique ? Et qu'eux aussi, en ce temps aboli, ils furent jeunes.

   L'histoire ci-dessus reste ouverte à vos souvenirs. Elle est la nôtre à tous. Je vous demande à nouveau votre indulgence pour ce patchwork de souvenirs raboutés les uns aux autres, parfois trop personnels, j'en conviens, mais mon histoire aussi était dans cette histoire. Et inversement, bien sûr, comme de tout. Je sollicite votre bienveillance pour ces souvenirs déjà impalpables, et en plus écartés, de loin en loin, pour faire la place à de nouveaux, au fur et à mesure qu'ils ressurgissent des fonds de mémoire, et des agendas ramenés à la lumière du jour d'aujourd'hui. Le temps a pu polir des souvenirs, en magnifier certains, en déformer d'autres, couler même - oh bien involontairement - de l'imaginé là où manquaient des fragments à cette mosaïque ramenée à la lumière. Mais je crois que l'essentiel est là : rappeler combien nous fûmes beaux et heureux, et aussi dire merci à Claude de nous avoir réunis certaines nuits devant un écran. Ce fut sa passion, son métier, son destin, son talent, et il le fit bien. La preuve, près de 50 ans après, regardez-nous : nous sommes tous là, le nez sur cet écran, pour en témoigner, oui, Claude y parvient toujours !

Gérald Dupeyrot, 2009 - 2010

FIN DE LA RELATION DU MMFII, Lyon, 1964-1966.



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