La P'tite Caille est cinéphile, mais ne voit pas tout le film ! Ah... le ciné ! Comment résister à l'attrait d'une salle sombre, et des rapprochements qu'elle permet ? Rapprochements impensables en plein jour, en public. Car une P'tite Caille ne flirte pas en public, elle peut être aperçue par une connaissance. Et ce comportement hautement répréhensible peut lui coûter la privation de sorties pour une semaine (voire plusieurs). Au cinéma, la P'tite Caille cherche à s'asseoir à côté du Pointer de ses rêves. Ou inversement. Pointers et Cailles occupent le ou les derniers rangs, sous le balcon, le coin le plus obscur bien sûr ! Les bras se frôlent sur les accoudoirs, les mains se touchent. Si la P'tite Caille a donné des signes d'assentiment, après l'entracte elle sentira sur ses épaules la présence bienfaitrice du bras musclé de "son" Pointer. Et malgré la présence de ce satané accoudoir qui lui rentre dans les côtes, la P'tite Caille approchera avec délice sa tête de celle de son Pointer, humera son after-shave à la lavande, et tentera de ne pas laisser de traces de rouge à lèvres sur le col de sa chemise. La lumière revenue, les P'tites cailles rectifient leurs tenues, leurs coiffures, remettent du rouge à lèvres. Les Pointers ont le visage rouge de plaisir, les yeux brillants. On se lève à regret, on plaisante pour garder une certaine contenance. Le coeur de la P'tite Caille est chaviré. C'est sûr, elle est amoureuse ! Et lui ? Plus dur à savoir ! C'est une stratégie. Le reverra-t-elle ? Viendra-t-il la chercher à la sortie des cours ? Viendra-t-il à la prochaine surprise-party ? (Que d'inquiétudes, d'agitation, de tourments vous avez suscités dans nos petites têtes d'adolescentes... !) En matière de culture, même si elle va à l'opéra voir les Tournées Karsenty, ou écouter un concert, la P'tite Caille aime avant tout le cinoche : James Dean et sa Fureur de Vivre, elle a du le voir quatre fois. Jean-Paul Belmondo dans "À bout de Souffle", "Les cousins", parce qu'elle sait que les Pointers aimeraient bien leur ressembler pour nous plaire ; elle ne rate rien. Elle a vu tous les Brigitte Bardot pour lui piquer des idées de fringues. Tous les Marilyn Monroe aussi, pour son charme et les beaux acteurs américains qui lui donnent la réplique. Le ciné donc, elle y va facilement avec ses copines ou en famille, quand elle veut voir les films. Parfois, la P'tite Caille invoque une séance de ciné comme alibi pour aller en surprise-party rejoindre son Pointer. En fine mouche, elle se fait raconter un bon film par ses copines de classe. Malgré l'étonnement de Madame Mère devant la situation géographique excentrée de la salle choisie : - "Le Club ?... rue d'Isly ?..... Tu n'as pas trouvé plus loin !" La P'tite Caille n'hésitera pas à dire un gros mensonge. Car plus le cinéma est éloigné plus il sera aisé de compter sur le délai de route. Elle tentera alors de faire croire à Madame Mère que c'est seulement pour des raisons économiques (!) qu'elle ne prend le tram. Non mais ! La P'tite Caille peut donc annoncer son retour dans... "Trois heures ? Bon. D'accord". Immanquablement la P'tite Caille, heureuse dans les bras de son beau Pointer, va oublier l'heure de rentrer. Un Pointer compatissant se proposera de la raccompagner en voiture ou en moto en trois minutes. Elle prend alors la peine de poser sur sa chevelure soignée, un grand foulard qu'elle noue autour du cou. Déposée à quelques centaines de mètres du domicile, elle entrera dans le hall d'un immeuble inconnu, pour prendre le temps de réajuster sa tenue. Car la mère d'une P'tite Caille de bon grain, sait qu'elle doit surveiller son oiseau ! ![]() Le cinéma le plus proche de chez moi : l'Empire (en 1956). Juste avant, à droite : l'EGA. La P'tite Caille est plutôt grande pour son âge. En classe, et par strict esprit de dévouement (!) elle n'hésite pas à se mettre au fond de la classe, afin de laisser les plus petites devant ! Ainsi protégée des regards exercés des profs, elle papote avec les autres copines, fait circuler des papiers avec les dernières infos sur la prochaine surprise-party de samedi, et tout ce qui doit être su si l'on ne veut pas passer pour une pedzouille de première ! L'enseignement qu'elle recevra, comprendra, entre autres : musique, solfège, broderie, couture, voire le tricot. Autant de cordes à son arc qui feront d'elle une jeune fille accomplie, dit-on. Hélas, la P'tite Caille n'est pas totalement affolée par ses études. Elle n'est pas bête, et pourrait faire mieux disent les profs. Elle prend juste le temps qu'il faut pour travailler afin de ne pas redoubler. Madame Mère lui a souvent dit que si elle pouvait aller jusqu'au Bac, ce serait bien. Mais qu'ensuite en se mariant (parce qu'elle se mariera, c'est sûr, belle comme elle est !!!), elle devra se consacrer à son mari et plus tard (ou très vite) à ses enfants. En classe, sa culture s'étend plus subrepticement vers d'autres horizons. C'est là qu'une copine lui a passé quelques extraits de lettres de Mme de Sévigné à sa fille (recopiés à la main, la photocopieuse n'existe pas encore !). - "Que lis-tu ma chérie, dit Madame Mère ?" - "Les lettres de Mme de Sévigné..." - " !... " Cela fait très culturel. La lettre sur la nuit de noces de l'auteur, dans laquelle elle veut informer sa fille en vue de son prochain mariage, est l'objet de la part des P'tites Cailles d'un traitement tout à fait spécial ! C'est en effet, avec "l'amant de Lady Chaterley", leur première approche de la sexualité. Les récrés d'interclasse sont alors l'occasion d'études minutieuses des termes inconnus, d'exégèse de phrases incroyablement osées pour l'époque. Les cailles qui ont un peu plus d'expérience expliquent, commentent, décrivent aux autres, loin d'être affranchies. Et ce sont des exclamations admiratives certes, voire interrogatives, qui fusent et se succèdent. La P'tite Caille innocente laisse courir son imagination et rêvera toute la nuit suivante. Et après elle, toutes les copines qui se "refileront" ces textes d'anthologie... La P'tite Caille lit aussi pour le bon motif. Pour calmer les attentes justifiées de ses parents, la P'tite Caille va ostensiblement lire dans sa chambre, "la Condition Humaine" de Malraux, Elsa Triolet et les poèmes d'Aragon. C'est très bon pour la culture générale et la conversation. Et Saint Ex bien sûr. Elle découvrira aussi la littérature étrangère : Somerset Maugham, Graham Green... La P'tite Caille apprend le piano, ou prend (hélas) des cours particuliers à domicile afin de palier des faiblesses rédhibitoires en math. ou en anglais. La P'tite Caille a une correspondante à l'étranger, très souvent en Angleterre, et cela donne lieu à des séjours d'échange linguistique. Séjour de pur bonheur où l'anglais s'enseigne alors avec une facilité dérisoire voire miraculeuse, en raison de la présence, dans la famille de la correspondante, d'un frère, pointer anglais celui-là ( ! ), convaincu qu'il faut oublier les méthodes pédagogiques traditionnelles et magistrales pour parler du pays à cette "quail" made in France. Les retours de ces séjours dits "linguistiques" sont des moments d'anthologie, où l'on s'aperçoit avec fierté que le vocabulaire français même très riche ne l'est pas encore assez pour décrire ces quelques jours à Londres. La P'tite Caille aime aussi la musique : très éclectique de goûts, elle adore bien sûr le sex- symbol Elvis Presley, mais aussi les Platter's, Pat Boone, Paul Anka, et les rockers. Sydney Bechet, Louis Armstrong et son"Good Book", ainsi que le Modern Jazz Quartet, retiennent son attention. Mais aussi Jacques Brel qu'elle est allée voir au théâtre de verdure du Champs-de-Manoeuvre. D'ailleurs lorsqu'elle slow sur "Quand on a que l'amour", ou sur "Une île", elle oublie tout. Enfin, son tempérament romantique l'amène vers des heures de délice sur les nocturnes de Chopin, ou la "Valse triste" de Sibelius. Elle a appris "la Marseillaise", le "Chant du Départ", et "l'Hymne à la joie" de la 9ème de Beethoven. Résignée, la P'tite Caille va donc en classe tous les jours, occupant ses jeudis à de saines séances de gymnastique en plein air, aux Groupes Laïques. Mais elle préfère les cours de danse classique qu'elle pratique depuis son jeune âge. Et la natation... Enfin, les piscines ! 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