L’amphi B : Bienvenue au
club !
Les cours de Licence étaient plus détendus que ceux du
SPCN et, pour mon plus grand bonheur, consacrés uniquement aux Sciences
Naturelles.
Les cours se passaient dans l’amphi B
Un bon vieil amphi patiné par le temps qui en avait vu
d’autres.
Je le connaissais déjà.
C’est là que se tenaient les séances de la Société d’Histoire
Naturelle d’Afrique du Nord. J’y assistais assez régulièrement ce qui
m’avait permis d’apercevoir ou même de rencontrer quelques unes des
gloires « historiques », certaines toujours alertes, des fameux
naturalistes de l’Ecole d’Alger : Seurat, Rose, le Père Maire, Edmond
Sergent. Et c’est vrai que, nonagénaires pour la plupart, ils étaient
impressionnants, ces Pères fondateurs.
L’amphi B appartenait au premier carré des bâtiments de
Sciences Nat qui avaient connu Trolard et Trabut. Il épousait la
descente de l’escalier déjà décrit (1), à l’ombre des dragonniers
séculaires. On y accédait par deux paliers intermédiaires, un en haut,
un en bas, correspondant aux portes de l’amphi. Les étudiants s’y
agglutinaient aux intercours.
Un troisième palier, un peu plus haut accueillait une
pissotière vétuste mais bien commode dont les installations (au grand
déplaisir des malheureuses filles) semblaient dater de l’époque turque.
En haut des escaliers le coin du mur portait une vieille
inscription au pochoir en rouge délavé « Amphi B » avec une flèche
descendante, débouchant droit sur cette pissotière, ce qui nous faisait
sourire.
Par amalgame on désignait familièrement cet escalier :
L’escalier B.
L’atmosphère de l’amphi B n’avait plus rien à voir avec
celle de l’amphi C.
C’était une case tribale ; un club d’habitués.
Courtoisie feutrée et langage « soft » entre les « élus »
et rapports confiants, sans barrière inutile, entre le conférencier et
sa salle. En bref on devenait grands !

Je n’ai que cette mauvaise
photo de l’amphi B, juste avant l'arrivée du prof,
mais je vous la présente quand même ;
certains reconnaîtront l'amphi, et, peut-être, s’y reconnaîtront.
Les mâchoires de Francis
Bernard
La première année (1957-58) c’était encore les « grands »
certificats : au programme toute la Zoologie. Bon, j’étais là
précisément pour ça.
Les crustacés avec Durchon (lumineux, comme d’habitude),
les oiseaux avec Amouriq (avec une belle collection à dessiner en TP,
dans la petite salle pleine de vestiges d’un autre âge, avec une dent de
poisson-scie accrochée au mur), les coelentérés, les échinodermes et
les tuniciers avec Hollande, redoutablement intelligent, mais d’un
contact assez particulier.
Bernard nous fit d’abord une suite de cours bien tournés
et intéressants sur l’évolution générale des vertébrés et leur
adaptation aux milieux spéciaux (aquatique et désertique) puis, hélas,
se consacra à sa dernière marotte, l’évolution des formules dentaires de
mammifères.
L’horreur !
Des heures et des heures de quenottes et de mâchoires
insipides, se succédant détail après détail, les unes derrière les
autres, en commençant par celles des fossiles, reconstituées par
extrapolation douteuse, au départ de fragments informes qui nous
semblaient plus que suspects !…
Inavalable !
Heureusement Denise Coustaut, Assistante de « Tonton »
(Roque) en Botanique pharmaceutique s’était inscrite avec moi et nous
faisions équipe pour « bosser ».
Denise qui avait quelques années de plus que moi était
déjà une amie d’une exceptionnelle qualité. Nous-nous entendions à
merveille (c’est toujours vrai en 2005) et partagions la même passion de
l’histoire naturelle sauf qu’elle, c’était la Botanique (ou plutôt la
Biologie végétale, nuance que le cher Tonton, botaniste très-très-très
conventionnel, avait bien du mal à capter !).
Elle a fait une superbe carrière en Biologie Moléculaire
qu’elle a terminée à Montpellier après avoir brillamment contribué à la
réputation de l’école
Lilloise.
Nous-nous retrouvions donc dans son bureau, la porte à
côté de la Parasito, nos deux cours en main et on faisait la synthèse
dans une ambiance de bonne humeur qui était d’ailleurs celle de son
labo. On partait aussi ensemble sur le terrain, pour de joyeuses
séances, ramasser plantes et insectes. Précieux moments.
Les humeurs de Thérèse Lecal
En TP, contre toute attente car précisément je m’y
sentais plus à l’aise et motivé que dans d’autres, il me fallut jouer
fin. Le chef de travaux, Madame Lecal ne m’avait pas en odeur de
sainteté (c’est le moins qu’on puisse dire), je n’ai jamais vraiment
compris pourquoi.
Elle tournait autour de moi avec des sourires rien moins
que fielleux et ne ratait pas une occasion d’être désagréable ou même
franchement malveillante.
C’était comme ça.
Elle réussit même à zigouiller, dans mon dos, mon
hérisson apprivoisé (Parechinus deserti) ramené du Hoggar, que
Bernard, qui l’avait cité en cours, m’avait demandé d’amener (avec
d’autres spécimens) pour le montrer à mes camarades. Mon pauvre « Risson »
finit tristement sa vie chloroformé en « loucedé » dans le cagibi de
Gaby (qui n’était pas là) bien loin de son désert.
Je lui en voulus beaucoup. Cela m’épargne d’avoir à
porter sur elle le moindre jugement qui serait, à l’évidence, subjectif.
Ceci dit c’est une époque ou les rapports de pouvoir
enseignants - enseignés ne se discutaient pas et j’en avais pris mon
parti.
J’étais bon en dessin, Geneviève Beltran aussi. C’était
une excellente camarade, nous fîmes donc souvent équipe en TP de Zoo et
son voisinage sympathique et plein d’humour ( à la lire, sur ce site,
elle n’en a rien perdu !) rendit ces séances agréables.
Pour les crânes et les mâchoires, horribles et
fastidieux à dessiner, on en faisait chacun la moitié et on
reproduisait ensuite ceux de l’autre. Faut s’entre aider !
Geneviève était comme d'habitude excellente et ses notes
étaient «canon ».
Sans faire les mêmes scores mes notes de TP restèrent
toute l’année nettement au dessus de la moyenne. Je n’y avais pas grand
mérite : j’étais dans ma matière préférée.
In cauda
venenum
à
l’examen, Bernard nous posa un sujet superbe à la fameuse
épreuve écrite de Quatre heures qui disparut l’année suivante :
"Evolution des mammifères vers la vie aquatique".
ça au moins c’était des
sujets ! (j’ai oublié le sujet de l’épreuve de deux heures qui suivit
le lendemain).
A l’oral il me posa les pigments et ferments
respiratoires dans la série animale. Il venait de sortir un article
japonais sur ceux des protistes qu’heureusement mon Père m’avait signalé
et que j’avais lu. J’étais à peu près à jour pour les vertébrés mais
nettement moins bon sur les hémocyanines d’invertébrés. Je présentai donc le plan général de la question comme si tout coulait de source et
partis très à l’aise, sur l’article lu la veille. Impressionné Bernard
m’arrêta là ! Comme quoi la « note » tient parfois à peu de choses.
Cela marcha bien aussi avec Durchon qui me posa d’abord
une question de cours classique sur les crustacés, que j’avais bien
bûchés, et me demanda ensuite, avec un sourire, puisqu’il croyait savoir
que « j’aimais ça », de lui parler du « fait parasitaire » et de son
implication particulière dans la série des crustacés. J’avais un peu
prévu et j’eus à cœur d’« assurer ».
Cela marcha correctement, encore que plus difficilement,
avec Hollande, qui me gratifia néanmoins de la moyenne.
J’étais donc, pour une fois, presque sûr de mon coup...
Contre toute attente et seul de l’amphi, je me fis étaler
aux TP à l’épreuve de dissection, qu’il m’avait pourtant semblé traiter
comme d’habitude… Cela me priva de partager la joie du succès de juin
avec mes camarades dans cette matière que j’aimais.
Je repassai donc l’épreuve de dissection en septembre et
Bernard, qui n’était pas dupe, vint discrètement, en personne, vérifier
à tout hasard mon travail avant la fin de l’épreuve.
La zoologie reste un très bon souvenir malgré ce coup de
Jarnac
J’aimais en Zoologie cette manière de voir large, de
passer du particulier au général. De dominer le sujet. De raisonner sur
un ensemble évolutif.(je re-précise : aux mâchoires près !).
Les Lyonnaiseries
de Monsieur Guinochet
Ce fut pareil avec Guinochet en Botanique.
Son accent lyonnais détonait à Alger ( la Biau’Lau’Gie
Vai’Geai’Tâââle..) mais quelle simplicité souriante, quelle classe,
quelle aisance tranquille…
Outre sa remarquable maîtrise du sujet et sa capacité à
l’enseigner, Guinochet apportait à Alger tout l’exotisme d’un esprit et
d’une civilité typiquement lyonnais.
Je dois à Guinochet des bases très solides en biologie de
la reproduction des « thallophytes » qui m’ont rendu la vie facile,
presque vingt ans après, au cours supérieur de Mycologie de l’Institut
Pasteur de Paris où mes camarades et mes collègues uniquement médecins,
ramaient très dur à l’excellent cours que faisait de Bièvre sur le même
sujet.
Il y avait aussi Nègre en Bota. Il était lunatique,
imprévisible et par moments insupportable. Il m’agaça tellement que je
ne pris même pas la peine d’aller à l’examen du certificat (en rab) de
Phytosociologie que pourtant j’avais suivi presque jusqu’au bout et qui
était une nouveauté particulièrement intéressante qu’il avait initiée à
Alger.
Malgré tout, cet abord, neuf à l’époque, de la dynamique
des populations végétales fut un des acquis de cette année là.
Je parlerai de Quézel un peu plus loin.
Les TP se passèrent de manière sympathique avec Yvonne
Hiss qui participait parfois à nos sorties avec Denise.
Des cailloux et des hommes
La géologie n’était pas ma tasse de thé mais la
stratigraphie, même dure à suivre, avait de quoi séduire, exposée par
Laffitte. C’était dense et particulièrement difficile à retenir mais
l’ensemble était intéressant.
Laffitte était une vraie figure.
Carré, volontaire, sûr de lui, d’idées très affirmées car
appuyées sur une superbe expérience de terrain, c’était un homme
brillant et sans concessions.
Il était, sans états d’âme, élitiste et exigeant. Il
faisait cours à la vitesse de la conversation et ne nous mâchait pas le
travail. On était assez grands, à ce niveau (il le précisait), pour
mâcher tous seuls : c’était l’anti-Couchet !
Il enseignait en vrai chercheur, commençant par énumérer
fastidieusement les faciès épars rencontrés ici et là, avant d’en
dégager, de manière brillante, la vue d’ensemble et les conclusions.
Il a sûrement marqué définitivement les géologues de
l’amphi.
La paléontologie ne m’aurait pas déplu mais le cher
Devries (qui à côté de ça était charmant) avait une diction monotone et
un exposé insipide, ce qui en faisait un pensum.
La pétrographie était un vrai casse-tête.
Je l’avoue les textures me parlaient peu.
On était friands d’aides à la mémoire (2).
Un bon camarade qui se sentait incapable de les mémoriser
crut trouver une solution de potache : il s’appliqua à reconnaître
toutes les roches qu’on nous présentait d’après les accidents
morphologiques de chaque échantillon présenté (forme, cassures, etc). Il
était imbattable sauf qu’à l’examen ce fut d’autres échantillons qu’on
nous produisit... la cata !
La géologie était un vrai challenge : c’était, en
Algérie, le début de l’aventure du pétrole et il y avait une sacrée
demande. Il y avait donc du monde dans le minuscule amphi, en réalité
une simple salle, encombrée de tables et de chaises (et de manteaux en
hiver !), qui, position très privilégiée, ouvrait directement sur le
grand hall de la bibliothèque.


Au moins trois futurs
Esmmaiens à avoir acquis quelques rudiments de géologie.
J’y retrouvais une bande de copains de Gautier, entre
autres Joël Eychenne et l’ami Jean-Paul Follacci. On était tous bien
« dégrossis » et l’ambiance commençait à être très Fac.
Bizarrement, c’est ce certificat qui m’était peu familier
que j’eus le moins de mal à passer.
La vie après la Fac
Il y avait une vie en dehors des amphis et de
l’université.
Comme le l’ai déjà dit, en frontispice, il y avait aussi
tout un contexte évènementiel et politique dans lequel on ne souhaite
pas se replonger, encore que pour les quelques mois qui suivirent
l’exceptionnel élan du 13 Mai 1958, il pût paraître momentanément
enthousiasmant, prometteur, et partagé. Cela ne cessa de s’assombrir
ensuite.
Ceci dit, on continuait à vivre.
Alger restait une université de taille abordable et il
était facile de garder des liens avec les anciens copains ayant choisi
une autre voie. On les voyait tous les jours.
Curieusement, en devenant étudiants, on avait juste
changé de trottoir rue Michelet.
On arpentait les mêmes deux cents mètres qu’avant, mais
côté « Otomatic », c’est à dire juste en face du « pointérodrome » de
nos années de potache que l’ami Jean Brua a si bien décrit (3).
Et on s’y retrouvait aussi sûrement qu’aujourd’hui sur le
Livre d’Or d’Es’mma !
On évoluait tous à la croisée des chemins de plusieurs
bandes de copains sympathiques qu’on pratiquait régulièrement sans les
mélanger. Ce qui ne nous empêchait pas d’user partout les mêmes disques
des Platters (jusqu’à la corde, ceux là !), de Sydney Béchet ou de
Pantaléon Pérez Prado ou Jerry Mingo, sans oublier Elvis Presley ainsi
que Bill Haley et ses « comets », oublié de nos jours.
J’avais aussi, depuis le SPCN, forgé des amitiés dans un
petit groupe très sympathique et très chaleureux de « biologistes » (Marie Courtot, Henri Goudeau, Andrée Renoult (dite Zizou), Charley
Matte, Marie-Hélène Mordant, Marine Saix, et quelques autres…). On se
réunissait et on sortait souvent ensemble, y compris au club des pins ou
au Chenoua.

La Méditerranée, toujours aussi belle au
club des pins en décembre 2004
Fin de cycle
Je terminai cette licence par la Physiologie Humaine qu’Avarguès
venait juste de monter. C’était un excellent pédagogue et ses cours me
furent utiles pour la suite.
Il était clair, didactique, facile à résumer. La
physiologie humaine se rapprochait nécessairement des questions de
médecine.
Des questions : plus vraiment des cours « magistraux ».
C’était une bonne transition vers ces « pilules de
savoir » bien digérées, à apprendre « tel quel », que j’allais devoir
ingurgiter au cours de mes études médicales.
Je changeais de planète.
Aux vacances de Pâques de cette année là, Quézel eut
la bonne idée d'organiser, pour tous les labos, un voyage
d’étudiants au Sahara qui nous permit de tirer un trait collectif et
sympathique sur cette fin de Licence.
Cliquer sur le titre pour lire la suite
La licence sent bon le sable chaud !
Bientôt
Notes :
(1) - Lire l’écran « Aux bonheurs de l’amphi C ».
(2) – Lire « Mémoire de naturaliste » de Jean-Paul Follacci
(3) – Lire « Les faiseurs de rue Michelet » de Jean Brua
Retour aux Années FAC
Retour Accueil Es'mma
|