Passeport pour la licence

Les habitués du club de l'escalier B

 

Avril 1358 dans le Hoggar

 

par Jean-Louis Jacquemin

 

 

Rappel - Ces souvenirs s'étendent sur plusieurs écrans à la suite les uns des autres et il vous faudra dérouler

en cliquant chaque fois sur le titre de l’écran suivant

 

 

 

L’amphi B : Bienvenue au club !

 

Les cours de Licence étaient plus  détendus que ceux du SPCN et, pour mon plus grand bonheur, consacrés uniquement aux Sciences Naturelles.

Les cours se passaient dans l’amphi B

Un bon vieil amphi patiné par le temps qui en avait vu d’autres.

Je le connaissais déjà.

C’est là que se tenaient les séances  de la Société d’Histoire Naturelle d’Afrique du Nord. J’y assistais assez régulièrement ce qui m’avait permis d’apercevoir ou même de rencontrer quelques unes des gloires « historiques », certaines  toujours alertes, des fameux naturalistes de l’Ecole d’Alger : Seurat,  Rose, le Père Maire, Edmond Sergent. Et c’est vrai que, nonagénaires pour la plupart, ils étaient impressionnants, ces Pères fondateurs.

L’amphi B appartenait au premier carré des bâtiments de Sciences Nat qui avaient connu Trolard et Trabut. Il épousait la descente de l’escalier déjà décrit (1), à l’ombre des dragonniers séculaires. On y accédait par deux paliers intermédiaires, un en haut,  un en bas, correspondant aux portes de l’amphi. Les étudiants s’y agglutinaient aux intercours.

Un troisième palier, un peu plus haut accueillait une pissotière vétuste mais bien commode dont les installations (au grand déplaisir des malheureuses filles) semblaient dater de l’époque turque.

En haut des escaliers le coin du mur portait une vieille inscription au pochoir en rouge délavé « Amphi B » avec une flèche descendante, débouchant droit sur cette pissotière, ce qui nous faisait sourire.

Par amalgame on désignait familièrement cet escalier : L’escalier B.

L’atmosphère de l’amphi B n’avait plus rien à voir avec celle de l’amphi C.

C’était une case tribale ; un club d’habitués.

Courtoisie feutrée et langage « soft » entre les « élus » et rapports confiants, sans barrière inutile, entre le conférencier et sa salle. En bref on devenait grands !

 

Je n’ai que cette mauvaise photo de l’amphi B, juste avant l'arrivée du prof,
mais je vous la présente quand même ; certains reconnaîtront l'amphi, et, peut-être, s’y reconnaîtront.

 

 

Les mâchoires de Francis Bernard

 

La première année (1957-58) c’était encore les « grands » certificats : au programme toute la Zoologie. Bon, j’étais là précisément pour ça.

Les crustacés avec Durchon (lumineux, comme d’habitude), les oiseaux avec Amouriq (avec une belle collection à dessiner en TP, dans la petite salle pleine de vestiges d’un autre âge, avec une dent de poisson-scie accrochée au mur), les coelentérés, les échinodermes et les tuniciers avec Hollande, redoutablement intelligent, mais d’un contact assez particulier.

Bernard nous fit d’abord une suite de cours bien tournés et intéressants sur l’évolution générale des vertébrés et leur adaptation aux milieux spéciaux (aquatique et désertique) puis, hélas, se consacra à sa dernière marotte, l’évolution des formules dentaires de mammifères.

L’horreur !

Des heures et des heures de quenottes et de mâchoires insipides, se succédant détail après détail, les unes derrière les autres, en commençant par  celles des fossiles, reconstituées par extrapolation douteuse, au départ de fragments informes qui nous semblaient plus que suspects !…

 Inavalable !

 Heureusement Denise Coustaut, Assistante de « Tonton » (Roque) en Botanique pharmaceutique s’était inscrite avec moi et nous faisions équipe pour « bosser ».

Denise qui avait quelques années de plus que moi était déjà une amie d’une exceptionnelle qualité. Nous-nous entendions à merveille (c’est toujours vrai en 2005) et partagions la même passion de l’histoire naturelle sauf qu’elle, c’était la Botanique (ou plutôt la Biologie végétale, nuance que le cher Tonton, botaniste très-très-très conventionnel,  avait bien du mal à capter !).

 Elle a fait une superbe carrière en Biologie Moléculaire qu’elle a terminée à Montpellier après avoir brillamment contribué à la réputation de l’école Lilloise.

Nous-nous retrouvions donc dans son bureau, la porte à côté de la Parasito, nos deux cours en main et on faisait la synthèse dans une ambiance de bonne humeur qui était d’ailleurs celle de son labo. On partait aussi ensemble sur le terrain, pour de joyeuses séances, ramasser plantes et insectes. Précieux moments.

 

 

Les humeurs de Thérèse Lecal

 

En TP, contre toute attente car précisément je m’y sentais plus à l’aise et motivé que dans d’autres, il me fallut jouer fin. Le chef de travaux, Madame Lecal ne m’avait pas en odeur de sainteté (c’est le moins qu’on puisse dire), je n’ai jamais vraiment compris pourquoi.

Elle tournait autour de moi avec des sourires rien moins que fielleux et ne ratait pas une occasion d’être désagréable ou même franchement malveillante.

C’était comme ça.

Elle réussit même à zigouiller, dans mon dos, mon hérisson apprivoisé (Parechinus deserti) ramené du Hoggar, que Bernard, qui l’avait cité en cours, m’avait demandé d’amener (avec d’autres spécimens) pour le montrer à mes camarades. Mon pauvre « Risson » finit tristement sa vie chloroformé en « loucedé » dans le cagibi de Gaby (qui n’était pas là) bien loin de son désert.

Je lui en voulus beaucoup. Cela m’épargne d’avoir à porter sur elle le moindre jugement qui serait, à l’évidence, subjectif.

Ceci dit c’est une époque ou les rapports de pouvoir enseignants - enseignés ne se discutaient pas et j’en avais pris mon parti.

J’étais bon en dessin, Geneviève Beltran aussi. C’était une excellente camarade, nous fîmes donc souvent équipe en TP de Zoo et son voisinage sympathique et plein d’humour ( à la lire, sur ce site, elle n’en a rien perdu !) rendit ces séances agréables.

 Pour les crânes et les mâchoires, horribles et fastidieux à dessiner, on en faisait  chacun la moitié et on reproduisait ensuite ceux de l’autre. Faut s’entre aider !

Geneviève était comme d'habitude excellente et ses notes étaient «canon ».

Sans faire les mêmes scores mes notes de TP restèrent toute l’année nettement au dessus de la moyenne. Je n’y avais pas grand mérite : j’étais dans ma matière préférée.

 

 

In cauda venenum

 

à l’examen, Bernard nous posa un sujet superbe à la fameuse épreuve écrite de Quatre heures qui disparut l’année suivante : "Evolution des mammifères vers la vie aquatique". ça au moins c’était des sujets ! (j’ai oublié le sujet de l’épreuve de deux heures qui suivit le lendemain).

A l’oral il me posa les pigments et ferments respiratoires dans la série animale. Il venait de sortir un article japonais sur ceux des protistes qu’heureusement mon Père m’avait signalé et que j’avais lu. J’étais à peu près à jour pour les vertébrés mais nettement moins bon sur les hémocyanines d’invertébrés. Je présentai donc le plan général de la question comme si tout coulait de source et partis très à l’aise, sur l’article lu la veille. Impressionné Bernard m’arrêta là ! Comme quoi la « note » tient parfois à peu de choses.

Cela marcha bien aussi avec Durchon qui me posa d’abord une question de cours classique sur les crustacés, que j’avais bien bûchés, et me demanda ensuite, avec un sourire, puisqu’il croyait savoir que « j’aimais ça », de lui parler du « fait parasitaire » et de son implication particulière dans la série des crustacés. J’avais un peu prévu et j’eus à cœur d’« assurer ».

Cela marcha correctement, encore que plus difficilement, avec Hollande, qui me gratifia néanmoins de la moyenne.

J’étais donc, pour une fois, presque sûr de mon coup...

Contre toute attente et seul de l’amphi, je me fis étaler aux TP à l’épreuve de dissection, qu’il m’avait pourtant semblé traiter comme d’habitude… Cela me priva de partager la joie du succès de juin avec mes camarades dans cette matière que j’aimais.

Je repassai donc l’épreuve de dissection en septembre et Bernard, qui n’était pas dupe, vint discrètement, en personne, vérifier à tout hasard mon travail avant la fin de l’épreuve.

 

La zoologie reste un très bon souvenir malgré ce coup de Jarnac

 

J’aimais en Zoologie cette manière de voir large, de passer du particulier au général. De dominer le sujet. De raisonner sur un ensemble évolutif.(je re-précise : aux mâchoires près !).

 

 

Les Lyonnaiseries de Monsieur Guinochet

 

Ce fut pareil avec Guinochet en Botanique.

Son accent lyonnais détonait à Alger ( la Biau’Lau’Gie Vai’Geai’Tâââle..) mais quelle simplicité souriante, quelle classe, quelle aisance tranquille…

Outre sa remarquable maîtrise du sujet et sa capacité à l’enseigner, Guinochet apportait à Alger tout l’exotisme d’un  esprit et d’une civilité typiquement lyonnais.

Je dois à Guinochet des bases très solides en biologie de la reproduction des « thallophytes » qui m’ont rendu la vie facile, presque vingt ans après, au cours supérieur de Mycologie de l’Institut Pasteur de Paris où mes camarades et mes collègues uniquement  médecins, ramaient très dur à l’excellent cours que faisait de Bièvre sur le même sujet.

 Il y avait aussi Nègre en Bota. Il était lunatique, imprévisible et par moments insupportable. Il m’agaça tellement que je ne pris même pas la peine d’aller à l’examen du certificat (en rab) de Phytosociologie que pourtant j’avais suivi presque jusqu’au bout et qui était une nouveauté particulièrement intéressante qu’il avait initiée à Alger.

Malgré tout, cet abord, neuf à l’époque, de la dynamique des populations végétales fut un des acquis de cette année là.

Je parlerai de Quézel un peu plus loin.

Les TP se passèrent de manière sympathique avec Yvonne Hiss qui participait parfois à nos sorties avec Denise.

 

 

Des cailloux et des hommes

 

La géologie n’était pas ma tasse de thé mais la stratigraphie, même dure à suivre, avait de quoi séduire, exposée par Laffitte. C’était dense et particulièrement difficile à retenir mais l’ensemble était intéressant.

Laffitte était une vraie figure.

Carré, volontaire, sûr de lui, d’idées très affirmées car appuyées sur une superbe expérience de terrain, c’était un homme brillant et sans concessions.

Il était, sans états d’âme, élitiste et exigeant. Il faisait cours à la vitesse de la conversation et ne nous mâchait pas le travail. On était assez grands, à ce niveau (il le précisait), pour mâcher tous seuls : c’était l’anti-Couchet !

Il enseignait en vrai chercheur, commençant par énumérer fastidieusement les faciès épars rencontrés ici et là, avant d’en dégager, de manière brillante, la vue d’ensemble et les conclusions.

Il a sûrement marqué définitivement les géologues de l’amphi.

La paléontologie ne m’aurait pas déplu mais le cher Devries (qui à côté de ça était charmant) avait une diction monotone et un exposé insipide, ce qui en faisait un pensum.

La pétrographie était un vrai casse-tête.

Je l’avoue les textures me parlaient peu.

On était friands d’aides à la mémoire (2).

Un bon camarade qui se sentait incapable de les mémoriser crut trouver une solution de potache : il s’appliqua à reconnaître toutes les roches qu’on nous présentait d’après les accidents morphologiques de chaque échantillon présenté (forme, cassures, etc). Il était imbattable sauf qu’à l’examen ce fut d’autres échantillons qu’on nous produisit...  la cata !

La géologie était un vrai challenge : c’était, en Algérie,  le début de l’aventure du pétrole et il y avait une sacrée demande. Il y avait donc du monde dans le minuscule amphi, en réalité une simple salle, encombrée de tables et de chaises (et de manteaux en hiver !), qui, position très privilégiée, ouvrait directement sur le grand hall de la bibliothèque.

 

 

 

Au moins trois futurs Esmmaiens à avoir acquis quelques rudiments de géologie.

 

J’y retrouvais une bande de copains de Gautier, entre autres  Joël Eychenne et l’ami Jean-Paul Follacci. On était tous bien « dégrossis » et l’ambiance commençait à être très Fac.

Bizarrement, c’est ce certificat qui m’était peu familier que j’eus le moins de mal à passer. 

 

 

La vie après la Fac

 

Il y avait une vie en dehors des amphis et de l’université.

Comme le l’ai déjà dit, en frontispice, il y avait aussi tout un contexte évènementiel et politique dans lequel on ne souhaite pas se replonger, encore que pour les quelques mois qui suivirent l’exceptionnel élan du 13 Mai 1958, il pût paraître momentanément enthousiasmant, prometteur, et partagé. Cela ne cessa de s’assombrir ensuite.

Ceci dit, on continuait à vivre.

Alger restait une université de taille abordable et il était facile de garder des liens avec les anciens copains ayant choisi une autre voie. On les voyait tous les jours.

Curieusement, en devenant étudiants, on avait juste changé de trottoir rue Michelet.

On arpentait les mêmes deux cents mètres qu’avant, mais côté « Otomatic », c’est à dire juste en face du « pointérodrome » de nos années de potache que l’ami Jean Brua a si bien décrit (3).

Et on s’y retrouvait aussi sûrement qu’aujourd’hui sur le Livre d’Or d’Es’mma !

On évoluait tous à la croisée des chemins de plusieurs bandes de copains sympathiques qu’on pratiquait régulièrement sans les mélanger. Ce qui ne nous empêchait pas d’user partout les mêmes disques des Platters (jusqu’à la corde, ceux là !), de Sydney Béchet ou de Pantaléon Pérez Prado ou Jerry Mingo, sans oublier Elvis Presley ainsi que Bill Haley et ses « comets », oublié de nos jours.

J’avais aussi, depuis le SPCN, forgé des amitiés dans un petit groupe très sympathique et très chaleureux de « biologistes » (Marie Courtot, Henri Goudeau, Andrée Renoult (dite Zizou), Charley Matte, Marie-Hélène Mordant, Marine Saix, et quelques autres…). On se réunissait et on sortait souvent ensemble, y compris au club des pins ou au Chenoua.

 

 La Méditerranée, toujours aussi belle au club des pins en décembre 2004 

 

 

Fin de cycle

 

Je terminai cette licence par la Physiologie Humaine qu’Avarguès venait juste de monter. C’était un excellent pédagogue et ses cours me furent utiles pour la suite.

Il était clair, didactique, facile à résumer. La physiologie humaine se rapprochait nécessairement  des questions de médecine.

Des questions : plus vraiment des cours « magistraux ».

C’était une bonne transition vers ces « pilules de savoir » bien digérées, à apprendre « tel quel », que j’allais devoir ingurgiter au cours de mes études médicales.

 Je changeais de planète.

 

Aux vacances de Pâques de cette année là, Quézel eut la bonne idée d'organiser, pour tous les labos, un voyage d’étudiants au Sahara qui nous permit de tirer un trait collectif et sympathique sur cette fin de Licence.

 

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La licence sent bon le sable chaud ! 

Bientôt

 

Notes :

(1) - Lire l’écran « Aux bonheurs de l’amphi C ».

(2) – Lire « Mémoire de naturaliste » de Jean-Paul Follacci

(3) – Lire « Les faiseurs de rue Michelet » de Jean Brua

 

 

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