Jean Bogliolo 

Professeur de lettres classiques au Lycée E.F.Gautier



Jean Bogliolo en 1951



Par Jacques Prat

Mes études à Gautier sont étroitement liées à Jean Bogliolo, puisqu’il y fut mon premier professeur de latin-français en 6ième et mon dernier en Math Elem… Mais oui, en Math Elem, en effet, nous étions un certain nombre (une petite vingtaine) à avoir choisi en terminale une option lettres latines, non par amour de la littérature et du latin, mais parce que c’était "Bogli" qui s’en chargeait et que nous avions une profonde sympathie pour cet homme. Ces cours ne duraient qu’un trimestre il me semble,… ça tombait bien ! Ce n’était pas un réflexe de "sbibeurs", car c’était sans risque et sans carotte au bout, puisque sanctionné par rien (si ce n'était l'éventualité d'une option au Bac, au cas où...), c'était tout simplement pour le "fun". Mais également, cela présentait l’autre avantage de nous permettre de nous retrouver, philosophes et matheux, le temps d’une trêve, avec quelqu'un que nous aimions bien.

C’était un homme d’une grande culture et qui savait nous la faire partager. Il était excellent pédagogue et d’une rigueur sans faille surtout en ce qui concernait le contrôle de nos aptitudes… 

Je revois toujours, étant en 6ième, son petit carnet qu’il extrayait de la poche de son veston, brandissait avec le cérémonial de circonstance, et  y consignait posément le nombre tarifaire de lignes de latin ou de français correspondant à la faute commise (barbarisme, solécisme, etc…), rarement pour cause de discipline, car dans ses cours, si les mouches volaient, c’était en rase-mottes et en bas régime…, et la méthode restait à peu près la même dans les classes supérieures.

Il avait un regard clair qu’il savait planter dans celui de son interlocuteur pour lui signifier sa détermination sans faille à l’entendre décliner le latin comme il se doit.

Il était de surcroît d’un humour réfléchi mais cinglant, ponctuant ses "vannes" d’un rire retenu mais auquel tout le corps participait. Alors qu’il n’était pas gros, il avait, chose étonnante, ce rire "corporel", fait de légers tressautements, que l’on retrouve souvent chez les "enveloppés".

Il se délectait dans les jeux de mots recherchés et savait brosser des caricatures incendiaires.

Mais il était également passionné et entier dans ses engagements. Je nous revois en 3ième tous médusés pendant une diatribe enflammée (déclenchée sous un prétexte que nous avons tous j’en suis sûr oublié depuis) à propos de l’invasion des rues de Budapest par les chars Soviétiques. Il avait ça sur le cœur et il fallait qu'il l'exprime. Nous étions loin d’Ovide ou de Du Bellay, mais nous n’en avions pas laissé tomber une goutte.

Bref, nous avions du respect et de l’affection pour cet homme.

En mai 1915 à Maison-Carrée, Jean Bogliolo est né "pupille de la nation" puisque son père, instituteur à Guyoville, avait été tué peu avant sa naissance sur le front de Champagne. Il fit ses études primaires et secondaires à Alger, et fut condisciple d’Albert Camus en hypokhâgne au "Grand Lycée d’Alger". Puis "monta" à Paris pour faire khâgne puis la Sorbonne.

Pendant la seconde guerre mondiale, il fit trois ans et demi de campagnes. Au moment de la mobilisation en 39, il fut affecté comme aspirant pilote. Peu de temps après sa démobilisation, il rejoignit Londres où il fut à nouveau affecté dans l'aviation (défense anti-aérienne puis bombardiers). Je me souviens, étant en 6ième, de l'avoir vu en blouson de cuir à col mouton. Dans la classe, influencés que nous étions par Buck Danny, nous étions admiratifs devant un tel trophée. Il semblerait qu' il le mettait au moins une fois par année scolaire, comme dans un rituel, et ceci jusqu'à sa retraite, j'en ai eu confirmation depuis.

Après la guerre, il fut nommé professeur de lettres classiques à Constantine et Oran avant de venir enseigner à Alger au Lycée E.F Gautier où il fut professeur de lettres classiques de 1948 à 1962. En Mai 1962 il fut contraint de quitter l’Algérie (il n'avait ni sa langue, ni ses actes dans la poche...) et assigné à résidence en France. Récent étudiant à Paris à l'époque, je me souviens d'avoir amèrement regretté d'avoir été prévenu trop tard par certains d'entre nous qui l'avaient accueilli à Orly, sans bagage (quasiment sorti du lit, tant la promptitude de son éviction avait été soudaine) et hébergé quelques temps. Il tint cependant à revenir en Algérie après l’indépendance où il enseigna à nouveau au Lycée, rebaptisé Victor-Hugo, jusqu’en 1968, puis il fut affecté au lycée Français de Madrid jusqu’à sa retraite qu’il vécut principalement aux Canaries (île de Tenerife) où il mourut en 1994.

Plusieurs distinctions ont couronné ses activités littéraires : Prix de la Ville d’Alger, de la Société des Arts et des Lettres d’Algérie, de la Revue Indépendante et du Cercle Algérianiste. Il fut également lauréat de l’Académie Française.

Avant 1962 il avait publié quatre recueils de nouvelles. C’est après 1962, s’auto éditant chez un imprimeur madrilène, qu’il publia "l’Algérie de papa" grande fresque en dix-sept volumes (nouvelles et poésies).

Sur la page de garde de chacun de ces tomes : sous le titre "L’Algérie de Papa" figure le sous titre :

"Qui me fut une province et beaucoup davantage" (d’après Joachim Du Bellay : Les Regrets – XXXI).

C’est du volume XII, intitulé "La vie humble" qu’avec l’accord de son fils Félix, nous avons extrait la nouvelle qui figure dans l’écran qui suit : "Le concours des bourses".

Pourquoi cette nouvelle ?

D'abord, parce qu' elle est de toute évidence autobiographique, ensuite parce que notre jeune guide Jacot nous y entraîne lors d'une marche  forcée (vous verrez pourquoi), dans une "traversée de la ville d'une extrémité à l'autre" depuis Bab-el-Oued (rue Rochambeau) jusqu’aux hauts de la rue Michelet (rue Edith Cawell), nous permettant ainsi de parcourir en mémoire cet Alger que nous aimons tant, en quelque sorte la version littéraire des récents diaporamas de nos Ulysses essmaiens, et enfin parce que ceux qui l’ont connu, retrouveront dans ces lignes la méticuleuse précision et l’humour posé du "Bogli" que nous avions tous tant apprécié.

 

 Jacques Prat - Aix en Provence - Janvier 2006

- "Le concours des bourses" de Jean Bogliolo

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