Coll. Jean-Claude Hestin

Texte et dessins de Jean Brua



   Depuis l'appel du roi Henri IV à suivre son panache blanc, peu de cris de ralliement auront eu autant de succès que ce "Tous au Forum !" né sous le manteau des remuantes années 50 algéroises et véhiculé par le "téléphone arabe" plus vite que par les "déesses L" supersoniques de l'âge Internet.

   Se demander aujourd'hui si le même effet aurait été obtenu en désignant le lieu de réunion par son vrai nom, revient au même type d'interrogation que celle qui agite l'humanité depuis quatre millénaires à propos la longueur du nez de Cléopâtre.

   Ce qui semble probable, c'est que si l'un des tribuns de l'époque avait lancé "Tous à la place Georges-Clemenceau !" il eût, avant de se faire comprendre de ses auditeurs, laissé le temps aux C.R.S. de barrer les escaliers.

   Ils ne devaient pas être bien nombreux, en effet, les Algérois qui savaient que la plus vaste esplanade de la ville, au pied des bâtiments blancs du "Gégé", portait le nom respecté du "Père la Victoire".

   Entre nous, le saviez-vous vous-même ? Entre nous, moi pas. Du moins pas avant que la nostalgie et le service d'Esmma ne me plongent dans les trésors de la documentation rétrospective.

   D'ailleurs, hors sa vocation aux rassemblements patriotiques, que sait-on de cette esplanade ouverte sur la baie, aujourd'hui septuagénaire, comme beaucoup d'entre nous, Esmmaïens de l'Empire du Milieu ?

   On vous a un peu parlé du jardin (voir en cliquant ICI), mais il faut savoir que celui-ci s'inscrivait dans un ensemble comprenant le Gouvernement général, le Forum lui-même et ses escaliers monumentaux.

   Avec le concours des admirables photos Eichacker, remontons les escaliers blancs jusqu'à 1935, et au gigantesque chantier qui, pendant plusieurs années a bouleversé la perspective Lafferrière entre Télemly et Monument aux morts. Et ouvrons la vanne aux souvenirs.

   Allez, tous au Forum ! En photos et en dessins.




   Retour en images sur la grande époque de l'essor (1929-1935).

   Les deux premiers documents ci-dessus sont extraits de la revue "Alger, ville neuve" de mars 1935, communiquée par Renée Amizet-Pistoresi. Cette publication, illustrée de plans et de photos des plus grands (Geiser, Eichacker), avait été voulue par Charles Brunel, le maire bâtisseur du Centenaire pour célébrer l'effort d'urbanisme entrepris dès 1930 dans le but d'élever Alger (alors troisième ville de France par sa population) au niveau des grandes métropoles modernes.

   Sur la photo aérienne (signée E.P.A. Moreau), la plongée Lafferrière offre le spectacle d'un centre-ville déjà bien urbanisé, où sont présents les principaux édifices ou monuments (Gouvernement général, salle Pierre-Bordes, caserne des Douanes, Monument aux morts, Lycée Delacroix, Grande poste). Seule la zone du futur Forum-place Georges-Clemenceau est encore un chantier gigantesque, qui englobe une partie de la colline des Tagarins en vue des aménagements qui seront réalisés après la guerre (stade Leclerc, avenue De-Lattre-de-Tassigny, Viaduc du Télémly, etc).



   Ci-dessus : dénichée par Gérald Dupeyrot, la superbe photo (Eichacker, of course) de la maquette de la partie haute du projet général montre le jardin dans sa version à peu près définitive (un jardin provisoire a existé pendant la guerre, avec un grand bassin hors-sol qui servait de réserve d'eau aux pompiers et... aux millions de criquets pèlerins envahisseurs).

   Différences notables de la maquette par rapport à la réalisation : il n'y aura ni tunnel sous l'avenue De-Lattre (1), ni grand stade des Tagarins. Celui-ci sera, plus modestement, un plateau d'athlétisme à piste synthétique et tour de contrôle, inauguré en 1958. De nos jours, c'est la grande barre bétonnée de l'hôtel Aurassi qui a remplacé la pharaonique arène sportive prévue par le plan régional de l'architecte Henri Prost, membre de l'Institut et conseiller technique de la municipalité Brunel.

J.B.

(1) Le tunnel ellipsoïdal, combiné à des autoroutes urbaines, était censé permettre de "doubler le Télemly à l'aide d'une succession de passages souterrains assurant un trafic intense".





(Photomontage J. Brua)