Quelques souvenirs des professeurs du Collège du Champ de Manœuvres 
(1947-1955)

par André Ferragne

en 1954

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Quelques souvenirs, que je pensais définitivement effacés, pour compléter ceux de Georges Salessy, dont je partage les remarques sur les enseignants d’hier et d’aujourd’hui.

Par cycle et par ordre alphabétique :

De 1947 à 1951 (1er cycle)

Mr FERRANDIS, professeur d’Anglais en 4e

Jeune, il avait été gravement blessé en tant que pilote de chasse et était parfois absent pour raison de santé. Mais son enseignement était vivant, enjoué, mêlant efficacité et humour : il nous apprenait des chansons anglaises (Oh my darling Clementine, …) et nous racontait (en anglais) des histoires drôles (les 5 frères qui, à l’heure du coucher ne pouvaient souffler la bougie en raison d’une malformation de la bouche, le 5ème ayant une bouche normale, mais pensant à pincer la mèche entre ses doigts, le tout mimé et illustré avec une bougie allumée).

Il ne resta qu’un an au Collège : une étoile filante dans la nuit de l’enseignement des langues étrangères…

Mr GRIGNON, Professeur de dessin en 5e et 4e

Bien décrit au physique par Georges Salessy il mettait beaucoup de conviction et d’ingéniosité dans ses exercices et j’ai pris goût au dessin avec lui en 5e et 4e. Courtois, affable, il possédait une solide culture.

Plus tard, il eut des difficultés à maintenir la discipline dans sa classe, qui connut des chahuts monstres, lesquels déclenchaient l’intervention "musclée" et tonitruante de Mr NEVEU.

Lucien HANOUN, professeur de Français en 4e

Un physique d’intellectuel, desservi par une voix faible, légèrement voilée, parfois éraillée, il ne manquait pas de conviction et de talent. Il créa une sorte de bibliothèque coopérative en classe et nous incita à lire un livre par semaine.

Militant communiste convaincu et actif, son affirmation, un jour en classe, selon laquelle "le lait sera gratuit en Union Soviétique d’ici 2 ans" avait spontanément déclenché chez un élève le cri du cœur : "M’sieur, c’est pas possible !!" (le fils d’un gros propriétaire terrien sans doute…). Mr HANOUN en était resté pétrifié.

Mr HANOUN et Mr THOMAS (ci-après) n’étaient manifestement pas du même bord politique (si je me souviens bien de quelques discussions véhémentes dans la cour, pendant les récréations, et à en juger par les visages tout rouges des deux protagonistes). Lucien HANOUN s’était présenté comme candidat communiste à je ne sais plus quelle élection locale (assez importante tout de même), recueillant un nombre de voix plus que modeste et… les sourires, ô combien narquois, de son collègue et de certains élèves.

Un excellent professeur de Français.

Melle MONOD, Professeur d’Anglais en 5e, 3e, 2e

Collègue de Mme LAFFITTE-SMITH, une éternelle coiffure à la Simone de Beauvoir, elle était l’indulgence maternelle même (on disait qu’elle avait été infirmière (nurse) pendant la guerre). Mais cela lui valait des classes bruyantes où ses innombrables "Will you please stop talking !!" ne parvenaient pas à rétablir le silence.

Mr PASTOR, Professeur d’Espagnol en 3e et 2nde

Homme au visage ingrat, au corps presque difforme (fortement handicapé, il portait un étroit corset et se déplaçait péniblement avec l’aide de 2 cannes), il souffrait moralement et physiquement de cet état. Ses cours s’en ressentaient malgré sa force de caractère et sa conscience professionnelle.

Il fit l’acquisition d’une voiture Renault 4CV, spécialement adaptée à son handicap (toutes les commandes, de l’accélérateur au frein, étaient manuelles) qui suscita longtemps notre curiosité. Un grave accident de la circulation l’emporta.

Mr RIZZO, professeur d’anglais en 6e et de musique

Professeur d’Anglais (par devoir probablement) en 6e, mais véritable professeur de musique dans les autres classes, souvent colérique, il ne réussit à me faire aimer ni le solfège, ni le chant. Je l’ai retrouvé, avec une irascibilité accrue, en 4e année de l’École Normale de la Bouzaréah.

Mr SANTAMARIA, professeur d’Espagnol en 4e

Assez jeune, grand, légèrement obèse (presque un colosse !), une calvitie avancée, la voix puissante, il souriait très rarement et était un bourreau de travail. Sa leçon, le 1er jour consista en une heure entière de dictée de mots et petites phrases espagnols… à nous qui n’avions jamais fait d’espagnol : un baptême linguistique brutal, mais ô combien roboratif !

Chaque heure de cours commençait habituellement par un rapide contrôle (dictée rapide de 20 mots à traduire), colle corrigée ponctuellement pour le cours suivant, avec notes énoncées dans un silence total  avec parfois des "20", mais aussi des "20… fois à copier" s’il y avait plus de 10 fautes de traduction, punition à remettre au cours suivant et doublée en cas d’oubli…

En classe, nous parlions beaucoup espagnol et en cas d’erreur répétée, nous étions sans pitié qualifié de "¡ Tonto y retonto de la marca mayor !", appréciation prononcée avec un ton monocorde et un visage parfaitement impassible.

J’ai énormément appris avec lui et tout oublié au cours des deux années suivantes avec son successeur.

Mr SCHLAFMUNTER, professeur de Sciences Naturelles en 4e

L’air doux et triste, d’une gentillesse presque maladive, incapable de sévir, il inspirait cependant le respect par sa conviction. Il nous passait tout : livre ouvert sur les genoux pendant les compositions (sorte d’examens trimestriels), tables baladeuses que nous déplacions petit à petit pendant le cours jusqu’à encercler son bureau …

Mais il me fit aimer les Sciences Naturelles... et notamment la Géologie

Mrs TIXADOR et CALLS, professeurs de Gymnastique.

Des gymnastes plus que décontractés… et des élèves passant des heures à glander ou à jouer à la balle.

 

De 1951 à 1955 (2ème cycle)

Mr CHAMAYOU, professeur de Mathématiques en Terminale

Je l’ai eu au cours de ma 2e année de Sciences Expérimentales. Petit, affable, beaucoup moins colérique que son collègue THOMAS, sa classe était tranquille.

Les jours de compositions trimestrielles étaient les seuls moments de l’année où il portait d’épaisses lunettes de soleil en classe…

Raphaël DJIAN, professeur de Philosophie en Terminale.

Affable, élégant, l’air bonhomme, souriant, d’une humeur égale, d’une conviction inébranlable en cours, mais ayant du mal à argumenter et à répondre à nos objections, il avait souvent fort à faire pour gagner notre adhésion. Car s’il avait affaire à des élèves issus la plupart d’un milieu social modeste, son cours était, me semble-t-il, un peu "juste".

Son tout jeune fils se prénommant Raphaël comme lui, il eut droit un temps à nos caricatures au tableau de classe, caricatures inspirées de l’étiquette d’un certain apéritif "Saint R… Q…" (étiquette montrant un homme brandissant la dite bouteille, bouteille avec une étiquette montrant un homme brandissant une bouteille…, etc…).

Une certaine classe de Sciences Ex (promo 53-54 ?), constituée de forts caractères (et de costauds), souleva la Renault 4CV de Mr DJIAN et la plaça exactement entre deux platanes du boulevard Lutaud, platanes choisis en raison de leur écartement égal à la longueur de la voiture. Tout départ étant impossible, il fallut l’intervention d’une solide équipe de dépanneurs pour désincarcérer le véhicule.

Le Conseil de discipline sévit rudement en renvoyant définitivement les principaux responsables de ce crime de lèse philosophie. La classe se vengea… en obtenant, toute entière (y compris les exclus et les moins doués), son baccalauréat en juin.

Mr GROBORNE, professeur de Physique et Chimie en 1ère et Terminale

Je lui voue encore, plus de 50 ans après, une véritable vénération car il m’a inculqué (certes "énergiquement") des principes de rigueur scientifique et des méthodes de travail que j’ai conservées et appliquées pendant mes études ultérieures. Je lui dois mon goût pour les sciences et sans aucun doute ma carrière universitaire.

L’enseignement de la chimie (1ère et Sc. Ex) et les manipulations en cours sont généralement redoutés par les professeurs (les expériences ratent toujours devant les élèves, suscitant la goguenardise, voire l’hilarité générale). Lui, semblait rechercher la difficulté…

Durant ses cours, Mr GROBORNE ne cessait d’enchaîner expériences et démonstrations, toujours réussies (de toute façon, devant un rarissime échec, personne n’osait bouger un cil, par crainte de déclencher la riposte : "Une petite feuille !!", c'est-à-dire une interrogation écrite immédiate, sur le tas, sur une demi feuille de cahier prévue à cet effet, portant déjà notre nom, interrogation de 5 mn, ramassée avec maestria (et bien sûr, corrigée et notée).

Il me fascinait par la qualité et le niveau de ses démos : par exemple réaliser en cours de 1ère la fabrication du fulmicoton (cher à Jules Verne) et le faire exploser dans un tube à essai pour en projeter le bouchon dans la classe. Je me demande si, de nos jours, un enseignant se hasarderait à tenter un tel exercice...

Nos travaux pratiques de chimie étaient réglés comme un ballet minuté et la salle était aussi propre en partant qu’en arrivant. Les habitudes de minutie et de propreté acquises lors des manipulations chimiques, je les ai conservées (verser un réactif d’une bouteille du côté opposé à l’étiquette… pour ne pas cochonner l’étiquette, tout en tenant le bouchon avec 2 doigts…). Et gare à la casse… (les tubes à essai en Pyrex n’existaient pas encore).

Au bac, à l’oral, l’examinateur demandait souvent le nom de notre professeur de chimie…

Les cours et travaux pratiques de physique (1ère) de Mr GROBORNE soutenaient aisément la comparaison avec ceux de chimie : électricité, magnétisme, optique, … toutes les matières étaient illustrées d’expériences et de démonstrations en classe reposant sur des montages souvent sophistiqués (pour l’époque). Rien que du pur plaisir.

Mais alors, s’il faisait tant de démonstrations, quand faisait-il son cours magistral (de ceux qui sont écrits au tableau le dos à la classe ou dictés…). Eh bien, pratiquement JAMAIS… Il nous distribuait une feuille format demi A4, contenant son cours, un texte serré, écrit à la main, avec parfois des schémas en couleur, et reproduit par un processus de transfert d’encre sur pâte humide (la photocopie de l’époque !). Nous devions recopier ce texte sur nos cahiers à carreaux de 5, en respectant scrupuleusement une mise en page et un plan imposés et immuables. Il fallait rendre ce "polycop" au cours suivant et gare aux tâches ou ratures.

Ses dessins pour résoudre des problèmes de Géométrie dans l’espace (cours privés) étaient de véritables œuvres d’art car il avait un coup de craie fabuleux de précision et un sens aigu du rendu de perspective à l’aide de simples craies de couleur.

L’image du droguiste en blouse grise de Georges Salessy s’applique parfaitement au physique du personnage, mais derrière cet homme bourru, sévère, quel enseignant de génie !!

Mr MARTIN, Professeur de Physique en 2nde

Polytechnicien, égaré au collège du Champ de Manœuvre on ne sait trop comment, très courtois, trop gentil même (et quelques élèves brocardèrent parfois méchamment ses exemples d’analogies hydrauliques), il avait des difficultés à faire passer nombre de notions de base (systèmes d’unités, subtilités entre kilogramme-force, kilogramme-poids et kilogramme masse, moment des forces...) dans des cours brouillons et sans plan. Il est vrai que de telles notions étaient moins bien formalisées que maintenant. Craignant de s’électrocuter, il haïssait les montages électriques et les manipulations.

L’anti GROBORNE, en quelque sorte !

Mr NEVEU, Professeur de Sciences Naturelles en 1ère et Terminales, petit, rougeaud, sanguin, il faisait ses cours avec, ouverts sur le bureau, les deux seuls manuels existant à l’époque (le "Oria" et le "Obré et…"). Son cours était donc une lecture panachée des deux ouvrages…

En outre (et sauf erreur), il était membre du Conseil municipal d’Alger. Et lorsque la classe avait lieu en tout début d’après-midi (juste après le repas), nous le lancions traîtreusement sur les affaires et délibérations municipales. Il devenait alors passionné et intarissable, ne ménageant dans ses propos, ni les détails, ni les avis définitifs sur les solutions à adopter. Et dans les grandes occasions, le geste accompagnait le discours, jusque debout sur le bureau…

Mr THOMAS, professeur de Mathématiques et Cosmographie (4e, 3e, 2de, 1ère et Terminale)

Sanguin, coléreux, maugréant en permanence ou soliloquant à voix basse dans les allées de la classe, mais le verbe haut en cours, le trait de craie souvent approximatif et superposable en Géométrie, conduisant à des dessins surchargés, il était la terreur des élèves interrogés au tableau. Si le malheureux hésitait trop ou se fourvoyait, la colère montait vite et il était écarté du tableau par un tonitruant "Poussez-vous de là, corniaud !" accompagné d’une manchette en pleine poitrine. Et gare à l’élève qui faisait remarquer une erreur ou un lapsus…

Il avait des principes vestimentaires clairs (classe de 1ère) et même en été, en pleine chaleur, il bannissait le port des shorts : "Pas de poils au vent !", avait-il décrété…

Xavier YACONO, Professeur d’Histoire et Géographie en 1ère et Terminale

Enseignant de haut vol, qui préparait son Doctorat de Géographie (sur la plaine du Chélif, il me semble), certains de ses cours avaient été enregistrés en classe sur magnétophone à fil (le nec plus ultra de la technologie dans les années 54-55) par le Rectorat afin de servir de modèle aux élèves professeurs des Lycées et Collèges. Il intégra vite l’Université.

 

André Ferragne - Novembre 2006

 

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