Mon lycée Delacroix 

Années 1940 à 1949

 

par Paule Dechavanne

en 1959


      On pense généralement que le lycée Delacroix tire son nom du peintre célèbre, tout comme le lycée Fromentin. Eh bien non ! C’est tout simplement parce que le recteur d 'Alger de l’époque s’appelait Monsieur Delacroix. On donna son nom à notre lycée lorsqu’il l’inaugura. C’est ce que j’ai appris, il y a peu de temps. J’ai fréquenté cet établissement des classes primaires à la terminale, de 1940 à 1949. Le niveau de la 8ème et de la 7ème était, dans l'ensemble, supérieur aux classes de Cours Moyen 1ère et 2ème années des autres écoles. En deux ans, avant mon entrée en 6ème, j'appris à faire de vraies rédactions et, grâce à Mme Gros et à Mme Lambert à qui je pense toujours avec émotion, la grammaire française n'eut presque plus de secrets pour moi, ce qui facilita, par la suite, mes études de Latin et de Grec et qui m'amènera tout naturellement à une carrière de « Prof de Lettres classiques''.

       S’il est facile, aujourd'hui, d’accéder à la 6ème, ce n’était pas le cas à l'époque. On passait, pour la gloire, le certificat d'études, examen très complet, qui en plus des matières habituelles : Français, mathématiques, histoire géographie, sciences naturelles, comprenait une épreuve de récitation, de dessin, de chant, de couture. Je dus passer aussi, à l'école rue Clauzel, le D.E.P.P. qui fut bientôt supprimé, et l'examen d’entrée en 6ème alors que je restais dans le même établissement et que mon année de 7ème avait été plus que convenable. Pendant cette période, chaque semaine, le lundi matin, nous assistions, dans la cour, au lever du drapeau. Deux bonnes élèves, choisies dans chaque classe, à tour de rôle, étaient désignées, l'une pour tenir le drapeau, l'autre pour tirer sur la corde qui le hissait long du mât. A la fin, nous chantions ''la Marseillaise''. Nous portions toutes un tablier de la même couleur que nous laissions au vestiaire, au sous-sol. Pendant des années les couleurs imposées étaient une semaine le rose, une semaine le bleu pour être sûr qu'ils étaient lavés et repassés.

     Notre scolarité, dans le secondaire, se présentait sous les meilleurs auspices, mais en novembre 1942, avec le débarquement des Anglais et des Américains, qui occupèrent les autres établissements, et les bombardements qui ont suivi, Delacroix dut recevoir, en alternance, les garçons et les filles des autres lycées d'Alger et des environs. Nous n'avions qu'une matinée de cours par semaine, le samedi, avec une heure de Français, une heure de Mathématiques, une heure de Latin et une heure d'Anglais. C’est dire que le reste du temps, Il fallait travailler seules, à la maison, pour compléter les programmes. Lorsque, au cours de cette matinée, une alerte survenait, nous sortions en grande hâte, mais en bon ordre, par une porte qui se trouvait sur le côté du lycée, face au tunnel des Facs que l’on commençait à percer et qui nous servait d'abri. En 5ème, les cours eurent lieu 3 fois par semaine et notre scolarité ne redevint normale qu'en 1945, à la fin de la guerre.

     L'établissement, pendant toutes ces années, fut dirigé par Mme Berrier qui se révéla une grande Directrice, très présente, connaissant bien ses élèves. Nous étions pourtant 40 à 45 par classe. Nous la respections et l'admirions.  Les professeurs, dont certains venaient de France mais qui ont fait toute leur carrière en Algérie, étaient dans l'ensemble excellents, et les études d’un niveau élevé. Le ''bac'' d'Alger était parmi les plus difficiles de France, avec ceux de Paris et de Strasbourg. D’ailleurs, les élèves qui n'arrivaient pas à avoir leur examen à Alger, venaient le passer à Montpellier ou Bordeaux.

     Je me souviens avec émotion de ceux qui m’ont le plus marquée. En Lettres, Mlle Richard nous donna, en 6ème, des bases pour devenir d'excellentes latinistes. Elle avait une méthode particulière qui nous forçait à une analyse précise des mots de la phrase et, au cours de ma carrière, je me suis plus d'une fois inspirée de sa pédagogie pour des élèves qui avaient des difficultés en cette matière. Après elle, Mme Cesari essaya de faire de nous de bons hellénistes. Je la revois, plutôt menue avec ses tresses sur la tête. Mme Paulian prit la suite, en seconde. J'en garde un excellent souvenir et je ne suis pas la seule. C'était une grande dame avec une excellente pédagogie et une grande culture. Elle nous a beaucoup marquées. Sa fille, Madeleine, fut ma condisciple pendant bien des années jusqu’en Khâgne à Bugeaud. L'une comme l'autre étaient d'une grande discrétion en classe, quant à leur lien de parenté, ce qui ne devait pas être facile ni pour l’une pour l’autre. J'ai eu le bonheur de les revoir, à Nice, chez Mme Arène (ex Mlle Senez) qui fut plus tard la collègue de Mme Paulian, et chez Mme Poggi, cousine de Mme Paulian et remarquable Proviseur du lycée de Cagnes sur Mer qui est ce qu'il est, grâce à elle. Mlle Leonnec fut notre professeur en 1ère. Son ironie caustique, son sourire malicieux et sa grande érudition nous glaçaient mais nous l’admirions pour son élégance très personnelle et sa grande classe. Elle nous a beaucoup apporté. Nous l'appelions (en référence au démonstratif latin ) ''hic. haec. hoc'' parce qu’elle s'appelait Janic Léonnec, née à Lanvéoc dans le Finistère. Elle a aimé profondément l'Algérie et elle l’a quittée le cœur meurtri. Nous avons déjeuné ensemble juste avant qu'elle ne s'éloigne de ce pays en 1963.

     En grec, Mlle Aimé à l'époque, devenue plus tard Mme Douxami, nous amusait beaucoup par sa démarche sautillante. En Mathématiques, nous eûmes le long des années Mlle Corcelet, si sévère, qui nous enferma le jour de l'Armistice dans une salle de sciences et nous sommes restées ainsi jusqu'à la fin du cours alors que tout le lycée s’était vidé et que la fête battait son plein tout autour, les garçons de Gautier s’étant précipités pour venir à notre rencontre. Mlle Coudray nous amusait avec son ''point et virgule'' qu’elle répétait, quand elle nous dictait la correction des problèmes. Mme Grangaud avait toujours un nouveau bébé car elle était, en plus, une mère de famille nombreuse. Mlle Grégoire fut notre dernier prof de Math, en Terminale, très sévère elle aussi.

     En Anglais, je connus successivement Mme Drougard, Mme Pruvost, Mme Simon très exigeante dans son enseignement et qui nous faisait trembler quand nous étions interrogées. Mlle Gautheray avait tapissé notre Salle de classe des photos de la Princesse Elisabeth et du Prince Philippe, au moment de leurs fiançailles.  Mme Delaplante, jeune mariée à cette époque, fut notre prof en Terminale. En Histoire et Géo, se sont succédées Mme Penigaud, Mme Chosky, Mme Chériffcheik, et Mlle Gavary. Celle-ci, retirée à Aix Provence, après l’indépendance a gardé jusqu’au bout l'éclat de son regard bleu acier qu'elle dardait sur nous, car elle avait l’habitude de faire cours, debout, malgré son infirmité, appuyée au ter rang.

     Comment ne pas parler de Mlle Morlaix qui nous a quittées l'année dernière. Je la revois, arrivant au lycée, toute pimpante avec ses jupes plissées, souvent une raquette de tennis sous le bras. Elle est morte à 98 ans. Elle nous enseignait la physique et la chimie. Nous eûmes également Mlle Guillemin, une très jolie jeune femme venue du Nord de la France, qui laissa très vite l'enseignement pour devenir carmélites. En Sciences Naturelles, Mlle Dumont nous terrorisa en 3ème et en Terminale. Elle était d’un extrême rigueur et d’une sévérité sans égales qui payaient le jour du Bac. Les examinateurs, paraît-il, reconnaissaient ses élèves à la présentation des réponses. Avant elle, Mlle Grondar et Mme de Combredet s'étaient révélées plus accessibles.

     Mon souvenir ému va également à Mme Pernasse, en couture, qui me permit de prendre cette matière à option en 1ère, au Bac. Elle exigeait que l'une de nous, à tour de rôle fasse la lecture d'une œuvre littéraire pendant le cours de couture, ce qui n'était pas sans intérêt.  En Dessin, ce fut d'abord Mlle Sibillat qui nous apprenait la perspective en faisant des ''parcs à moutons'', puis, Mme Leménager, qui lui succéda. Mme Morel fit chanter à des générations ''la berceuse de Mozart'' que nous préférions aux terribles dictées musicales.

     En Gymnastique, Mme André, toujours en tailleur et talons, fut suivie par Mlle Bonzon à l'aspect plus sportif. Ce fut une grande douleur, pour moi, de la revoir, dans les rues de Nice, appuyée sur une canne, vers la fin de sa vie. Je revois encore Mlle Agostini et Mme Mozzi–Conacci, surveillantes générales à la fois sévères et indulgentes, qui nous encadraient de très près. Avec quelle gentillesse elles m’ont accueillie, quelques années plus tard, lorsque je revins faire mon stage d’agrégation, dans les classes de Mlle Leonnec !

     Nous avions quelquefois des papiers à faire signer aux Secrétaires, Mlles Laferrière et Gouin. Mais le personnage le plus typique du lycée était incontestablement « Louise » qui ouvrait la porte le matin, surveillait les sorties et vendait à la récréation, des petits pains de seigle aux raisins, dans un coin de la cour.

     J’ai régulièrement des nouvelles de Mme de Pacheterre, plus connue par celles de ma génération sous le nom de Mme Dulon. Elle enseignait l'espagnol. Elle vit à Nice et a gardé malgré son age avancé une grande vivacité d'esprit et beaucoup de mémoire. Je ne l’ai pas connue personnellement car j'ai fait du grec en 2ème langue. Je revois aussi Mme Arène née Senez, ma voisine à Nice, devenue une amie qui arriva au lycée Delacroix après mon départ. Elle a terminé sa carrière en retrouvant, comme directrice, Mlle Legall au lycée d’Estienne d’Orves. Mlle Legall a succédé à Madame Berrier lorsque celle-ci prit sa retraite.

    Toutes ces années sont très présentes dans mon esprit et ma joie est grande lorsque je peux retrouver mes amies de classe de cette période. Certaines nous ont quittées hélas depuis longtemps. Mais j’ai le grand bonheur de déjeuner à Paris, une fois par an avec cinq ou six de ces amies d’enfance et d ‘adolescence. Nous avons essayé d'en retrouver d'autres, sans succès.

    Si certaines tombent sur ce site et sur cet article, qu'elles veuillent bien se manifester. Ce serait pour nous toutes une joie immense de les revoir ou tout au moins d’avoir de leurs nouvelles.

    En résumé, le lycée Delacroix, pendant des années, nous a donné le goût du travail, de l'effort, le sens de l’ordre et de la discipline, une formation, une éducation, une culture, sans entraver la personnalité de chacune d'entre nous. Il y avait, certes, «un esprit Delacroix » comme il y avait ''un esprit Fromentin'' sans aucun sens péjoratif dans chaque cas, bien au contraire.

     Pour ma part, l'un et l’autre me sont chers puisque je fus l’élève de l'un et un professeur débutant dans l'autre, et je n’ai des deux que de bons souvenirs.

 

février 2003 - Paule Dechavanne

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