MAX HATAT : MÉMOIRE DE PIANISTE



   Dès l'âge de 5 ans, j'ai connu ce qu'on appelait communément les "Beaux-Arts". Ma mère m'avait inscrit dans la classe de solfège de Mlle Irma Oléo, qui ne tarda pas à lui proposer de m'enseigner les rudiments du piano. Mes parents auraient préféré le violon (plus confortable à transporter !) mais ils cédèrent devant ma préférence pour l'imposant instrument, dont je rêvais depuis déjà quelque temps en dépit de mon jeune âge...

   Je pris donc des leçons de piano pendant une dizaine d'années avec cette demoiselle, très bonne pianiste, qui me conseilla alors de rejoindre la classe de Joseph Jamoul. Cet excellent professeur me recommanda de m'inscrire aussi en musique de chambre dans la classe de Charles Maunier ; là, je fis la connaissance d'Hélène Portale et d'André Millecam, avec lesquels j'entamai une longue et belle amitié.

   J'eus le plaisir de rencontrer aussi Fernand Bourdon, Alain Dupin, Fernand Athouel et Marc Eychenne, tous quatre violonistes de grand talent. M. Maunier me confia donc l'accompagnement de ses meilleurs élèves et, en 1946, j'obtins le Prix de la ville d'Alger avec le trio de César Franck. Chez Charles Maunier, nous travaillions des sonates pour violon et piano, mais aussi et plus encore des trios, le violoncelle étant remplacé par un violon (jouant une octave au-dessus), car le professeur de violoncelle, enseignant aussi la musique de chambre, les élèves violoncellistes allaient tout naturellement répéter dans sa classe. Cependant, pour les examens et concours de fin d'année, on faisait appel à M. Miossec, un très bon violoncelliste de l'orchestre de l'Opéra. Ce jour-là, nous jouions dans la "grande salle" des Beaux-Arts et j'avais le plaisir d'avoir sous les doigts, le Pleyel !

   En entrant dans la vie active (à l'Éducation Nationale), je n'ai pas quitté cette institution, le Président-directeur m'ayant demandé de bien vouloir être membre permanent des jurys de piano et de musique de chambre, ce que Gontran Dessagnes, devenu Directeur du Conservatoire d'Alger, me proposa aussi, un peu plus tard. J'ai donc eu jusqu'en 1962, l'honneur et le plaisir, quand mon activité professionnelle me le permettait, de participer à la vie de ces deux belles écoles !

   Les "Beaux-Arts" me font d'abord penser aux excellents professeurs que nous avons eus et aussi à ceux que nous connaissions seulement de réputation : particulièrement Georges Tessier, violoniste avec lequel Joseph Jamoul donna de nombreux récitals. Ce dernier m'avait raconté que lŐimmense répertoire dont ils disposaient était tellement au point et leur entente musicale tellement aboutie, qu'ils pouvaient décider au pied levé du programme qu'ils allaient donner, dans le taxi qui les emmenait vers la salle de concert !

   Georges Tessier, décédé il y a deux ou trois ans, largement nonagénaire, a été le premier violoniste à donner en un seul concert, tous les "Caprices" de Paganini ; exploit qu'il renouvela souvent lors de ses récitals dans l'Hexagone.

   Entre 1935 et 1962, la Société des Beaux-Arts fut dirigée par Charles Simian et Alexandre Chevalier. Quant aux professeurs qui y formèrent tant de jeunes Algérois, ils occupèrent en parallèle d'autres fonctions dans l'univers musical de notre cité :

- soit dans des établissements de l'Éducation Nationale :
c'est ainsi que Mlle Goujon et Clément Perrin (également professeur de trompette aux B.A.) enseignèrent la musique au cours complémentaire de la rue Horace-Vernet.

- soit en tant que solistes dans l'Orchestre symphonique de Radio Alger :
Charles Maunier y fut chef de pupitre des seconds violons. Robert Neri, professeur de violoncelle, fut soliste dans ce même prestigieux ensemble. Quant à Marcel Perrin (le fils de Clément Perrin), professeur de saxophone, il en fut un des membres éminents comme "premier soliste".

   Parmi les professeurs d'instruments à cordes, je me garderai d'oublier l'excellent M. Moëbs en alto, et Melle Sylla en harpe.

   Mmes Paysant et Erza enseignèrent le chant ainsi que Leïla Bensedira qui exerça aussi ses talents de soprano lyrique à l'Opéra d'Alger.

   Les choeurs de l'orchestre de Radio Alger furent magistralement dirigés jusqu'en 1962 par Jean Anet également professeur d'alto aux Beaux-Arts et au Conservatoire.

   En piano, outre Joseph Jamoul, il y eut Mlle de Gavardy, Georges Athouel, qui fonda une classe de piano à Blida, Yvonne Tardif, professeur aussi au Conservatoire, qui fut l'élève d'Alfred Cortot et enfin - et je devrais dire surtout - Gontran Dessagnes, qui fut nommé en 1950 Directeur du Conservatoire d'Alger. Il y créa la première classe de musique arabo-andalouse et fonda l'orchestre des Concerts du Conservatoire dans lequel jouèrent essentiellement les grands élèves.

Max HATAT.



   Pour rassembler les pièces de ce puzzle, j'ai demandé l'aide d'une amie : Réjane Barsey, née Athouel. Et je crois avoir transcrit avec fidélité ce que Max m'a confié de ce "Temps retrouvé".

   Depuis que nous y travaillons, il m'a souvent exprimé le bonheur qu'il a éprouvé à l'évoquer ! Je dois dire que s'il a un tant soit peu tardé à me fournir la matière de ses souvenirs, c'est tout simplement qu'avec Christiane son épouse, il a suivi cet été à travers la France, au gré de leurs tournées, les concerts que donnent encore et encore, ses anciens condisciples et amis de toujours : je parle de Marc Eychenne et Désiré N'Kaoua.

M. S. (août 2008)







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