FIN DES ANNÉES 60 ET DE MA PÉRIODE LYONNAISE

Les Beaux-Arts de Lyon et le Théâtre du Huitième

Automne 1968 - Printemps 1970

L'ESSENTIEL DU PRÉSENT ÉCRAN A ÉTÉ ÉCRIT ET CONÇU EN 2010.









L'école, vue des jardins de l'Amphithéâtre des trois Gaules, 19 mars 2010…


Jean Coquet

   Le directeur de l'École des Beaux-Arts de Lyon s'appelle Jean Coquet. Jean est le premier directeur de l'École de la rue Neyret, inaugurée le 19 novembre 1960. Il est grand, élégant, nonchalant, porte des lunettes à fines montures, et, en tout temps et tout terrain, un noeud papillon. Plutôt qu'un air british, Jean Coquet a l'allure de ce diplomate suédois au nom aussi imprononçable que son prénom, Dag, était facile à retenir. Oui, Hammarskjöld ! Dag Hammarskjöld ! Bien que mort depuis déjà quelques années (celle qui a suivi l'inauguration de l'école), on se souvient encore de sa silhouette. Donc, Jean lui ressemble. Enfin… Nous on trouve… (1) Son truc, à Jean Coquet, c'est le "verre cathédrale", il est peintre-verrier. Ses titres de gloire, c'est d'avoir donné leurs vitraux, et quelques décorations, à un certain nombre d'édifices religieux, dont la chapelle de La Madeleine, à Bourg-en-Bresse, ville où je réside depuis maintenant pas mal d'années.



… et du côté de l'entrée de la rue Neyret (photos GD 19 mars 2010)

   C'est dire que Jean ne connaît pas grand'chose au cinéma d'animation. Mais il sait ma passion pour cette forme de cinéma. Par mes copains des Beaux-Arts d'abord, et aussi par le petit ciné-club cahotant ("7bis") où, depuis deux ans (à partir de la rentrée 66, au cinéma "Le Marly" (2), puis à la salle des Carmes), je passe des programmes de films image par image constitués tant bien que mal. Jean est ouvert et curieux, il vient de temps en temps replier sa longue silhouette dans les fauteuils déglingués des deux salles en question. Il a aussi accepté de parrainer très officiellement, en tant que Directeur de l'École des Beaux-Arts, l'atelier de dessins animés que, sous l'égide du Centre d'Études Cinématographiques, quelques amis et moi avons installé dans l'ancien pavillon du pesage de l'hippodrome du Grand Camp (3). Et il a même consenti à faire le déplacement pour la modeste inauguration que nous en avons faite (quand ? Vraisemblablement en 1967 ou lors du 1er semestre 1968. Un article était paru dans le Progrès, mais je ne l'ai plus).

   Jean ne tarit pas d'éloges autant que de gloussements désabusés (il est très comme ça, Jean, tout d'incertains balancements !) sur cet art qu'est le cinéma d'animation, consistant à ajouter une autre dimension, le temps, à toutes les disciplines enseignées ici, dans son école (4). Un soir après les cours, lui et moi nous étions entretenus dans son bureau et il me raccompagnait jusqu'au grand hall… Était-il en verve, en veine de confidences, était-ce au contraire juste un peu de déprime, il m'avait glissé : "tu sais, maintenant que je vois tous ces films, des fois, quand le soir je me promène dans l'école déserte (il a un geste large pour désigner le bel espace silencieux autour ne nous), que je regarde toutes ces peintures, ces dessins, ces sculptures, eh bien, j'ai l'impression de me trouver comme dans un temps arrêté..." Il marque une pause, fait un mouvement rotatif de la main comme pour ramener les mots… il est un peu intimidé par l'image qui s'impose à lui, et qu'il a décidé de me sortir... "un... un château de la Belle au Bois Dormant… Hein, est-ce que vous comprenez ça ?". Jean passe souvent du "tu" au "vous" et inversement. Et de glousser. J'ai dû lui répondre une bêtise du genre "Eh, princesse, fallait pas venir vous piquer à mon rouet". En riant, jouant la dignité mise à mal, il a dû y aller de son célèbre "eh oh, eh oh" faussement offusqué, qui voudrait à la fois dire "je vous ai pas attendu, jeune homme" et "je pourrais être votre père". Jean-Claude l'imite très bien. Avec en plus le geste de la main et les doigts qui remuent comme ceux d'un joueur de trompette, pour me signifier d'y aller, quand même, hein, un peu plus "mollo", il est le Directeur ! C'est très expressif. Notre poignée de main du soir, un rien prolongée, nous dit que nous sommes contents l'un de l'autre. On s'aime bien. C'est un jour pair.

   Demain, jour impair, Jean pensera au contraire que l'Art consiste à soustraire au temps des instants inamovibles, qui sinon se perdraient dans le flux de la vie. Et que du coup, l'animation n'a pas sa place dans l'Art. Oui, il est comme ça, Jean. Faut dire qu'avec ses vitraux, il tutoie une manière d'éternité, et ça donne à ses réflexions une tournure parfois inattendue. Un peu bizarre.


La rentrée 1968

   Un peu avant la rentrée 68, Jean me demande de venir monter et animer un atelier de dessin animé. Après mai, André Malraux, Ministre de la culture, a débloqué des fonds pour des "expériences pédagogiques innovantes". Je suis l'une des trois ou quatre "expériences pédagogiques innovantes" du directeur Jean Coquet. Ça tombe bien. D'avoir vu de près, depuis deux ans passées en licence de philo à la Doua, puis au cours de ces récentes journées de mai, le petit monde de l'Université, j'étais édifié. Je n'avais aucune intention d'y retourner en cette rentrée 68. Entre le gîte et le couvert chez papa-maman (5), les gardes de nuit que je fais pour le compte de "la Ronde de Nuit" (6), et les petits sous que Jean va me faire verser en provenance de je ne sais quelles subventions ministérielles, je ne me sens pas trop à plaindre, d'autant que je ne ne me pose ni maintenant ni plus tard ni jamais la question de "mon avenir", et à fortiori d'un "plan de carrière". J'ai les vingt et un ans inconséquents et insouciants, et le vingt-deuxième qui s'annonce ne va rien améliorer.

   Un ami très proche, Yves Lecointre, aux visions sur son futur toutes aussi floues que les miennes, va - dans la mesure de ses moyens - m'aider dans l'animation de cet atelier. Dans la mesure de ses moyens, puisqu'il vient d'être appelé "sous les drapeaux", comme on dit alors, et bien que faisant son service sur Lyon (il est jeune marié, si je ne dis pas de bêtise, dans ma tête les dates se chevauchent), il n'est guère libre qu'aux heures où l'École est fermée. Yves a un talent de dessinateur exceptionnel, d'ailleurs il va illustrer le nouveau "Guignol", dernier avatar en date la vieille revue satirique lyonnaise. (7)

   Deux amis en dernière année de peinture, Alain Guichardot et Jean-Claude Vuarchère, vont également participer à la vie de l'atelier.

   Jean nous a octroyé une salle entière de l'École des Beaux-Arts. Laissée libre par les "archis", véhéments moteurs ici lors des journées de mai, et partis en cette rentrée 68 pour je ne sais plus où. On traverse le grand hall d'entrée, et c'est juste le couloir à gauche, après la loge vitrée du concierge-manchot. Les fenêtres donnent sur la rue Neyret. Autour des tables, de grands panneaux blancs d'exposition montés sur pieds permettent de délimiter des volumes d'espace en autant de "coins travail".

   En cette rentrée 68, ce 16 octobre à 21 heures (c'est un mercredi), un groupe pas très connu se produit au tout nouveau théâtre du Huitième (inauguré le 14 mai dernier) : les Pink Floyd. Psychédélique à souhait, l'affiche qui annonce l'évènement est l'oeuvre d'un artiste immigré que nous aimons bien pour boire des coups avec lui dans les bistrots de Saint Jean, Jim Leon. Comme il habite rue Royale, souvent les samedis on le rencontre aussi au Hot-Club, où il vient en voisin. Le film "More" sortira juste dans un an, quelques semaines après Woodstock, le 21 octobre 1969, et consacrera les Pink Floyd.

   À l'atelier, nous écoutons quelques vinyles 33T à fond la sono, toujours les mêmes, à les user. À l'automne 69, dans un an, ce sera le tour de "More", ou le "In A gadda da Vida" des Iron Butterfly (vous souvenez-vous de sa belle pochelle gris argenté ?) qui, certains jours, passeront en boucle. Pour l'instant, automne 68 / hiver 69, c'est de "I started a Joke" des Bee Gees, d'"Aquarius", de "Days Of Future Passed" des Moody Blues qu'au CLEG on a plein les oreilles ! Il faut aimer ça et vouloir s'accrocher ici ! (8)

   Voilà pour la bande son. Maintenant, voyons le décor…



 
 

Cliquez sur chaque photo pour l'agrandir. Photo en haut à gauche (prise depuis le hall d'entrée) : en allant au CLEG. En 2010, plus de quarante ans après, c'est toujours la même pendule. Les bureaux des surveillants étaient juste à gauche, une fenêtre vitrée leur permettait de surveiller le hall d'entrée. La porte de notre atelier est indiquée par la flêche rouge. Photo du haut à droite : ce qui était notre atelier. Le banc-titre se trouvait là où sur le mur est dessiné un arbre. Les deux fenêtres fermées donnent sur la rue Neyret. Quelques unes des photos en noir et blanc des élèves du CLEG, un peu plus bas, ont été prises ici, quarante et un ans plus tôt. En bas à gauche : en retournant vers le hall d'entrée (les deux portes battantes à droite). Photo du bas à droite : la porte en prolongement du hall d'entrée ; elle s'ouvre sur la terrasse qui elle-même donne sur l'amphithéâtre des 3 Gaules. On aperçoit cette porte au centre, sur la vue générale de l'École en tête du présent écran.
Photos prises par Gérald le mercredi 6 octobre 2010. Merci à M. Lionnel Dandel, du service archéologique de la Ville de Lyon, depuis installé ici, d'avoir bien voulu m'autoriser à prendre ces images !



   Des élèves d'autres sections de l'école, de ceux avec qui on s'entend bien, malgré l'ambiance sonore, ou pour l'ambiance sonore, trouvent l'endroit sympa et viennent ici prendre leurs quartiers, comme l'éblouissante Brigitte (cliquez pour élargir la photo), alors étudiante en dessin pour textile. C'est Brigitte qui réalise avec beaucoup de talent les affiches pour les séances de ciné-club que j'organise régulièrement dans l'amphi de l'école, là où se tenaient en mai dernier les houleuses assemblées générales de "l'Atelier populaire". Des journées de mai, nous avons hérité d'une bonne pratique du cadre de sérigraphie, mais pour des tirages limités comme c'est le cas pour la publicité de nos séances, nous utilisons des pochoirs en carton découpé, ça donne à nos affiches un air de famille avec les brûlots graphiques du printemps précédent, le seul inconvénient étant que le carton devient humide au bout de quelques tirages. Oui, à ces séances, rien que des dessins animés, bien sûr. Ou en tout cas des films graphiques. Des notes retrouvées me rappellent que le vendredi 17 janvier 1969 à 17 heures, ça se presse sur les gradins pour voir "Le Merle", "Les Voisins" et "Rythmetic", trois films de Norman Mc Laren, "les Oiseaux sont des cons" de Chaval, et "Monsieur Tête" de Jan Lenica. Pas mal d'autres séances vont suivre. Le jeudi 13 février on verra "La Joconde" de Henri Gruel, et de Mc Laren encore, "Fiddle-de-dee", "La Poulette grise"… Je ferai aussi appel au service culturel du consulat de Pologne à Lyon pour une très belle exposition d'affiches de cinéma, de théâtre et de cirque par des artistes polonais.

   Avec Yves, nous avons remonté le banc-titre de cornières, conçu par notre ami Michel Secrétant (suivant un modèle proposé par la revue "Cinéma Pratique") que nous avions précédemment installé au pavillon du pesage du Grand Camp. Sur le banc-titre est montée une caméra Pathé-Webo 16mm prêtée par M. Gevin, le patron du C.E.C. (Centre d'études Cinématographiques). Les formes anguleuses et simples de la Pathé-Webo permettent mieux que pour d'autres caméras, de fabriquer facilement le "sabot" fixé sur la structure, qui maintient bien fixement la caméra. Notre directeur insiste pour que l'atelier se baptise pompeusement "CLEG" ("Cinéma et Littérature d'Expression Graphique"), c'est bon, dit-il, pour obtenir des crédits. Pas d'objection. On ne verra pas la couleur d'une subvention, d'ailleurs Jean en a t-il seulement demandé ? Mais vraiment, on s'en fiche, quelle importance ? L'un des élèves, Michel Bachès, entreprend de nous dessiner le sympathique papier à en-tête que vous voyez ci-dessous (je n'en ai plus d'exemplaire de la première génération, année scolaire 68-69, avec l'adresse des Beaux-Arts ! Désolé !). Ses petits personnages gigotants au trait tremblotant, se situent quelquepart entre ceux de Desclozeaux et ceux de Bob Blechman. Oui, comme références, on a vu pire ! Michel avait un vrai talent !



Notre papier à en-tête

   Et nous tournons des tas de bouts de films. Certains optent pour des choses abstraites qui font mal aux yeux, d'un rythme trépidant quoiqu'implacablement logique, inspirées des cinéastes du Bauhaus, de Norman McLaren époque "Mosaïque", ou d'Américains comme James Whitney. C'est le cas de Jack Vidal, avec les 3mn 52 de son film "Structure" (9). D'autres, parmi lesquels le très doué Michel Bachès (neveu de Jean Bachès, graphiste lyonnais bien connu), le sidérant Jean-François Barbier, les excellentissimes Jean "Boris" Berthelier et Gérard Couty, adeptes de l'animation de papier découpé articulé, se lancent dans de petites séquences d'animation de personnages au trait habile et léger. Il ne me reste, hélas, en 2010, que quelques dessins de Michel Bachès, et aucun des autres.



Quelques images des bouts de films tournés… Ici, une pub de Michel Bachès.
Cliquez pour agrandir.

   Moi-même, je crée un univers crépusculaire où se meuvent trois personnages fantasmagoriques dont je commence à tester les mouvements sous la caméra. À l'époque, je n'étais pas bien sûr de moi, jamais je ne me serais crédité d'un quelconque talent. Le cinéma d'animation, en ces années 60, est encore le fait d'artisans géniaux. Les séries pour la télé n'existent quasiment pas, et les longs-métrages sont rares, et restent (Disney excepté) de difficiles entreprises, comme le fut "le Roi et l'Oiseau" pour Paul Grimault. Je voue à des auteurs comme Alexeïeff, Walerian Borowczyck, Yoji Kuri, Peter Foldes, Richard Williams, George Dunning, Manuel Otero, Piotr Kamler et quelques autres trop d'admiration pour imaginer que je pourrais à mon tour participer de cet Art, et faire de ce cinéma, si intimidant entre leurs mains, un métier. La "série" en animation vient à peine de faire son apparition, et ne me permet pas de me dire que je pourrais trouver là un emploi à la mesure mon savoir-faire que je juge bien modeste. Mais quarante ans plus tard, à revoir les croquis ci-dessous qui ont survécu, je me vote un satisfecit ému, finalement, ce n'était pas si mal ! Et je me souviens que ça bougeait plutôt bien. Ce sera sans lendemain… Ou du moins, ce ne sera que vingt ans plus tard, en quittant en 1989 mon premier métier, la publicité, que je prendrai le chemin de la production de films d'animation.


  

Quelques desins de Gérald, animés par lui.
1) Boum ? (cliquez pour une planche de croquis) - 2) Planche d'attitudes de Rorschach (né d'une tache, et c'est une tache!) - cliquez pour agrandir
- 3) Coif' d'aujourd'hui ! (slogan d'une marque de Cola)



Canis

   L'année scolaire 68-69 se passe agréablement, entre les Beaux-Arts et les bistrots environnants. Le plus proche, d'abord, celui juste en face de l'école. Un volume cubique, tout petit, quasiment sans aménagements, des carreaux de céramique jaunes aux murs, une ou deux marches pour y descendre. Je ne me rappelle plus qui le tenait. Il a pour principal attrait cette proximité immédiate, et du coup il tient lieu de "cafète" à notre école qui n'en a pas. À l'heure de début des cours, son contenu de consommateurs se déverse directement dans les différentes salles. Lors de ces migrations soudaines et pluri-quotidiennes, il n'y eut jamais à déplorer de perte malgré ces traversées empressées de l'étroite rue Neyret.

 
Rue Neyret, champ contre-champ : en allant vers chez M'âme Remondo
(c'est Françoise que l'on voit s'éloigner à gauche)
et ce qu'on voyait quand on ressortait d'y déjeûner…
Photos : vendredi 19 mars 2010.
Cliquez sur chaque image pour l'agrandir.


   Ensuite, en suivant la rue Neyret jusqu'au point où elle aboutit montée des Carmélites, il y a sur le trottoir d'en face, au n°12, un bistrot tenu par deux dames assez âgées, bien en harmonie avec leur commerce qui semble surgi du XIXème siècle et de l'histoire des Canuts. Il a une devanture toute en bois couleur temps, un temps du genre longtemps. Elle font restaurant à midi, et comme beaucoup d'élèves de l'École, quand il arrive que nous ayons trois sous en poche, nous y déjeunons. Est-ce ce lieu que j'appelle dans mes agendas "chez M'ame Remondo" ? Jean-Claude m'apprendra le 2 avril 2010 que oui, c'était bien son nom, et m'en fera une description magnifique. La salle est éclairée de la seule lumière du jour, et il faut dire que celle de la montée des Carmélites est assez chiche. Les tables sont couvertes de toile cirée à petits carreaux rouges et blancs façon Vichy, les plats et leurs prix, les uns comme les autres d'une modestie extrême, sont inscrits à la craie sur une ardoise. Les tranches de sauc' ou de terrine (les cornichons avec supplément), les filets de hareng pommes à l'huile et rouelles oignon, la salade de betteraves rouges, celle de lentilles, toujours bien moëlleuses et jamais craquantes (avec aussi de l'oignon en quantité suffisante), l'oeuf dur mayo (la mayonnaise étant - celà va de soi - faite par la patronne, un régal en soi !), l'omelette maison, la daube aux carottes sont les lignes permanentes de l'ardoise, pour ce dont je me souviens quarante ans après.




Le 12 montée des Carmélites. Photos : vendredi 19 mars 2010.
(oui, c'est Françoise en train de traverser la rue)

   Le repas terminé, on paye à la caisse, un meuble antique dont les patronnes sont très fières et qu'elles encaustiquent à mort. Le jeu consiste, quand on est avec un nouveau, en général en début d'année scolaire, à donner un coup de pied en douce mais bien sonore - BOM ! - dans la façade du comptoir. La riposte est foudroyante. La tenancière la plus proche sort de dessous le bar un pistolet toujours chargé, et elle tire droit devant ! En pleine tête ! Le donneur de coup de pied ayant fait un pas de côté, FLOUF, c'est le novice qui se retrouve trempé sans avoir compris ce qui lui arrive ! Le pistolet est à eau, de ceux avec une poire en caoutchouc rouge. L'autre restau où nous déjeûnons volontiers quand nous sommes "en ville", à deux pas de l'appartement du 26 rue Saint Jean où au premier étage logent "Pépé" et Jean-Claude, c'est "Les Ardéchois", également rue Saint-Jean. La lumière est moins parcimonieuse que montée des Carmélites, mais le décor et les plats proposés y sont assez semblables, l'ambiance vivante et populaire. Le Vieux Lyon n'a pas encore été décrassé et ravalé, et n'est pas encore un quartier pour touristes et bobos



C  H  E  Z      A  R  M  A  N  D



Chez Armand, devenu "le Cabaretier". Le Musée est à gauche,
la rue de la Fronde à droite. (photo de mars 2010)

   Pour nos fins de journées, entre tous les bistrots du Vieux Lyon, nous avons l'embarras du choix. Notre préféré, c'est "Chez Armand", au 9 de la rue de Gadagne, là où elle va devenir rue du Boeuf, juste en face de l'actuel musée de Gadagne, à l'angle avec la petite rue de la Fronde. En réalité, "Chez Armand" s'appelle la "Taverne de Gadagne", mais on dit seulement "chez Armand". Aujourd'hui, en 2010, l'endroit s'appelle "le Cabaretier". Depuis quarante ans, son aspect extérieur n'a pas changé. Au dessus de la porte, dans une niche, vous pouvez voir une petite statuette de la Vierge. Au fil de générations de bambocheurs, son boulot aura été de veiller que les sorties des clients émêchés se passent du moins mal possible. Mais, même avec ses super-pouvoirs, pour elle c'était pas évident de se porter au secours des noctambules aux polygones de sustentation mal maîtrisés, vu la marche devant l'entrée que vous pouvez voir sur la photo. C'est pas qu'elle est haute, mais le trottoir dessous est en pente. Vous imaginez le topo… Ça surprend toujours, quand le pied s'abaisse sans rencontre le trottoir qui devrait se trouver là, surtout quand on est pompette ! On dira, la povre, elle aura fait ce qu'elle pouvait… Car ce qui lui est arrivé est assez injuste. Elle ne fut pas toujours sans tête et sans mains. Sa tête, elle ne la perdit ni du fait des protestants qui, en des temps lointains, ravagèrent Lyon, ni des révolutionnaires de 1793, portés, eux aussi, à décapiter le symbolique tout autant que le vivant. Cette tête en moins relève, si je puis dire, d'un épisode relativement récent, remontant au troisième quart du XXème siècle. Je vais vous répèter l'histoire, en tout cas telle que la racontait Armand…

   Un jour - c'est Armand qui raconte, donc - l'un des habitués ne supporta plus l'attention que portait - lui semblait-il - la petite statue à ses comportements saoûlographiques. À ses grandioses ratages de la terrible marche, soir après soir, lors de ses départs de la taverne. Et à ses pathétiques étalages sur le pavé. Allongé par terre, attendant qu'une bonne âme veuille bien l'aider à se remettre à la verticale, il levait les yeux et il voyait quoi ? Le visage de la Vierge qui le regardait. Et qui lui souriait. Il était persuadé qu'elle se foutait de lui… Certains essayèrent de calmer sa hantise qui allait s'amplifiant au fil des cuites, ils lui assuraient que ce regard que posait sur lui la Madone ne pouvait être que bienveillant et compatissant… Mais il avait le vin mauvais et assez impie. Il grogna que justement, c'était ça qui lui collait encore plus mauvaise conscience. Un impie, soit, mais un impie qui avait de la vergogne… Peut-être un ancien enfant de Marie ? Un soir qu'il était davantage encore à la ramasse que d'ordinaire, il décida que c'était plus possible, il allait se passer radicalement de cette tronche de reproche, là-haut… et de ce sourire narquois qui commençait à lui courir sur le haricot. Sans doute cette nuit-là revint-il avec une échelle et un marteau. Mais, pour dire les choses vraies, nul ne fut témoin du sacrilège, et personne ne pourrait jurer de sa culpabilité… On ne peut pas accuser sans preuves, n'est-ce pas ?

   Voilà pourquoi, conclut Armand en finissant d'essuyer un verre ballon et en faisant mine de le mirer dans la pénombre, la statuette là-haut (il a un mouvement du menton en direction du sommet de la porte du bistrot, comme s'il la voyait à travers le mur) la voilà étêtée pour le reste des temps ! Et manchotte ! Paraît que l'auteur du forfait - pour autant qu'on puisse être sûr que c'est bien lui, car il n'avoua jamais - pris de remords ou sentant sur sa nuque le souffle des chaussettes à clous, se croisa et partit un temps se repentir aux Saintes Maries de la Mer. Une mauvaise langue qui avait l'air de savoir de qui il était question, insinua qu'il ne dépassa pas les Costières du Gard. Armand soupira que "si c'était pour ça, franchement, ça n'en valait pas la peine… il aurait mieux fait de rester là à écluser les petits vins de par ici… quand même, c'est pas comparable, pas vrai ? Et puis il aurait pu, de temps en temps, monter mettre un cierge à Fourvières, ça faisait pareil, non ?". Un client intervint : "Qu'il lui ait cassé la tête, bon, ça peut se comprendre… Mais les mains ? Pourquoi qu'il lui a brisé les mains ? Quel con !". Une voix pâteuse au fond du bistrot s'éleva… "Con toi-même ! Le problème c'était pas seulement son regard et son sourire, à la Madone ! Qu'est-ce qu'elle avait en plus besoin de descendre de son perchoir pour aider elle-même le gars à se relever ? Hein ? C'est pas humiliant, ça, de se faire remettre debout par une donzelle qui toute mouillée doit pas peser plus qu'une bugne ?". Les rares habitués déjà accoudés au bar à cette heure se retournèrent pour essayer de distinguer dans la pénombre les traits de celui qui venait de parler. Armand n'allumait pas dans la journée.



LES CAILLES, MÉDAIL, HADDOCK ET LA CANTATRICE

   Je me souviens aussi du panier d'osier tressé posé sur le bar, de la taille de deux mains réunies en coupe, avec, déposés tout au fond, des oeufs de caille durs. C'est pas bien gros, un oeuf de caille… C'était joli et innocent comme l'étaient dans leurs nids les petits oeufs de Pâques en sucre de mon enfance. Vous savez, ceux qu'on va ramasser sur le balcon, derrière les persiennes repliées, une fois les cloches passées. Mais sous la blancheur mouchetée de roux, de bleuté, ou de vert, les petits oeufs des Pâques enfantines contiennent un délice interdit : de la liqueur ! Le genre de petit ruisseau qui fait les grandes addictions ! Moi, c'est comme ça qu'à cinq ans, je me suis mis au rhum, en faisant des canards de Negrita (encore aujourd'hui mon préféré), sucre après sucre dans les petits verres du buffet de la salle à manger, pendant que ma mère était au marché ! Les oeufs d'Armand, si je puis dire, c'était pareil : sous leur candeur d'innocence doucement arrondie, ils dissimulaient une invitation à la dépravation ! Armand, bistrot, éleveur lui-même des cailles pondeuses des dits oeufs dans une maison qu'il avait à la campagne, et dealer avisé, nous les recommandait chaudement pour leurs vertus... on va dire énergétiques ! Nous les engloutissions par paniers entiers, tant il fallait de ces petites choses pour faire tout juste une bouchée ! Sans que pour autant nous détections aucun accroissement notable de nos libidos de vingt ans. Comment eût-il été possible ?




J'ai retrouvé ce dessin de Michel Bachès. Je ne sais plus qui était ce Louis qui se gare devant la taverne de Gadagne, ni ce qu'il pouvait bien avoir comme tire, mais elle devait être assez extraordinaire, pour que Michel, pour la représenter, customise un gros pâté d'écoline (du Colorex marron réf. 33, m'est avis) en un beau test de Roschbach ! En tout cas, on connaît son numéro d'immatriculation : 201 VS 18. Il semblerait que ce Louis était du Cher, certes, mais encore ? Qui se souviendra de Louis ? (cliquez dessus pour agrandir le dessin)

   Alors nous engueulions Armand. D'abord parce qu'en ce temps-là, dans tous les autres bistrots à part le sien, on trouvait des oeufs durs, mais ils étaient de taille normale ! Des oeufs de poule ! Avec ça et un peu de sel, et un peu de pain, on pouvait se faire pour pas cher un repas d'étudiant, de pauvre, de rapin ! Des porte-oeufs en inox ou en fil de fer tressé, disposés sur les comptoirs, servaient de présentoirs. Les oeufs reposaient dans des nacelles en corolle, celle au centre était pour la salière. Mais ici, Armand ne proposait que des oeufs de caille. Et à un prix tellement élevé que ça mettait le gramme au tarif d'une nourriture divine, forcément, ça laissait penser que ces oeufs avaient quelque chose d'incroyablement exceptionnel ! Armand le fûté avait compris ce qu'était un prix psychologique ! Et justement, Armand, on l'engueulait pour tromperie sur les vertus de sa marchandise ! Armand protestait que c'était pas lui qui avait inventé ça, que c'était un fait bien connu, que même Casanova et aussi le Maréchal de Richelieu y avaient eu recours ! Rafale d'anticléricalisme primaire en retour ! On se foutait de ce qu'avait pu raconter un curé, même aussi gradé que cardinal, sûr que pour faire tous ses bâtards, le cardinal, il avait dû lui en falloir des aphrodisiaques, et autre chose que les oeufs de caille d'Armand !

   C'est ici qu'intervint Médail. De son nom complet Robert Médail, mais nous nous appelions par nos noms de famille, et c'était aussi le cas pour lui. Régulier pilier de bistrot mais érudit quand même, finement moustachu et cheveu verni noir, lissé à l'embusqué comme celui d'un danseur de tango ou d'un corbeau famélique, costume étriqué sombre, chemise blanche, élimée mais nickel, et cravate ficelle comme trempée dans du goudron, Médail s'identifiait et se réduisait à une pièce, "Les Canuts", qu'il avait, disait-il, écrite. Personne ne l'avait jamais lue. Il se présentait, claquant les talons du plus désuet et ridicule effet, et, comme on sort une carte de visite, il débitait un toujours identique "Robert Médail, les Canuts, auteur". Donc, à ce point de la conversation, voilà Robert qui la ramène : "Eh oh, attention, faudrait voir à pas confondre Louis François Armand, le Maréchal, avec Armand, son tonton Cardinal !". Têtes stupéfaites des habitués, c'est sûr, une méprise comme ça, jamais elle leur serait venue à l'esprit ! "On s'en tape !" fut la salve de réponses que s'attira l'historien de troquet.

   Le Armand derrière son comptoir, celui qui n'était ni Cardinal ni Maréchal, à son habitude ne suivait ce qui se disait que d'une oreille distraite, mais quand même assez pour réagir quand il discerna dans le brouhaha la mention de son prénom. Il pria sèchement qu'on veuille bien le laisser en dehors de ces histoires. Ce qui eut le don de faire s'écrouler d'un fou-rire monstrueux les loustics qui assurèrent en toute bonne foi que jamais ils n'auraient pensé à faire le rapprochement ! Armand, sombre et digne, laissa passer l'orage de n'importe-quoi qui déferlait et se renouvelait par rafales, ça ruisselait sur sa feinte indifférence, il se disait qu'il venait de louper une bonne occasion de se taire. Rarement le prénom Armand avait dû, à lui seul, déchaîner autant d'hilarité ! Et les imbéciles qui se tenaient les boyaux en essayant de reprendre leur respiration, ne cessaient entre deux hoquets de se le répéter en boucle ! Robert l'incompris déplora à voix haute combien il n'était pas à sa place ici. La réaction de l'ami Haddock fut instantanée, sa main claqua sur la nuque de Médail ! "Tiens, v'là toujours une calotte que le Cardinal il aura pas !". La calbote de l'ami Haddock venait de rappeler Médail à une plus modeste appréciation de sa supériorité ici-bas. C'est pas parce que les bas de plafond qui l'entouraient ne disaient rien qu'il avaient quelque chose à dire ! Là-dessus la conversation dégénéra sur les mérites comparés des différents aphrodisiaques… On aurait eu plus vite fait de dire ce qui ne l'était pas, aphrodisiaque : tout et n'importe quoi semblait réputé être un accélélérateu', comme disait élégamment Abdou, ami sénégalais et vendeur à la sauvette.



A  B  D  O  U

   Abdou, deux mètres de haut, tapis de haute laine sur l'épaule et chapeaux de cuir brut empilés sur la tête, passait de cani en cani proposer sa bimbeloterie, ses grigris et ses onguents. En ce temps, les bureaucrates de Bruxelles n'avaient pas encore établi la composition et les normes d'hygiène pour les produits-miracles qu'Abdou vendait dans les bistrots du Vieux Lyon. Ce qui fait qu'Abdou courait toujours. Armand tolérait Abdou, pourvu qu'on lui payât un canon. Canon qu'Abdou refusait toujours en arguant de sa religion, et comme nous insistions, il se rabattait volontiers sur un p'tit noir, ce qui faisait bien rire Armand et quelques habitués qui en étaient déjà à leur énième petit blanc de la journée ! Le débat sur les mérites comparés entre les divers aphrodisiaques se poursuivait entre clients, dégénérant lamentablement en sous-entendus aussi graveleux que malveillants sur les capacités des uns et des autres, chacun doutant de la moindre amélioration qu'aurait pu apporter à ses compagnons de comptoir même des cargaisons des plus puissants "échauffants", comme disait encore Abdou, fin connaisseur et manieur virtuose du français. Car le plus beau cadeau qu'apportait ce Balthazar orphelin des autres rois mages, c'était pas de la myrrhe, oh non, c'était pas non plus sa pauvre quincaillerie à laquelle personne ne jetait un oeil sinon pour la moquer, non, ce présent dont était prodigue Abdou, cette grand ombre pleine de lumière, c'était son incomparable science du Français.

   Cette érudition tranquille scotchait assez quelques uns de nos piliers de cani prompts à un certain paternalisme ethnique, et enclins à appeler "Banania" tout ce qui avait le teint cacaoté. Avec Abdou, ils étaient tenus en respect. Avec ses voilures de carpettes et sa mâture en équilibre précaire de couvre-chefs baroques, Abdou l'immense avait quelque chose d'un vaisseau du Grand-Siècle, venant s'accoler au comptoir comme pour un abordage grandiose, tous sabords relevés sur une bouche à feu unique, la sienne, mais meurtrière : il en jaillissait tour à tour des noms inconnus et pourtant depuis toujours bien de chez nous, et des tournures inattendues pour un humour placidement assassin. Ses phrases se développaient comme autant de trajectoires de grappins dessinant dans l'air d'invisibles calligraphies, savantes comme des paraphes à la plume d'oie, mais sans emphase pour autant. La pensée d'Abdou était simple, elle s'exprimait peut-être savamment, mais clairement et sans détours. Elle était de belle et élégante maîtrise.

   Pour chaque mot de notre langue, Abdou disposait d'une palette d'équivalences insoupçonnées, évocatrices et fleuries. Faussement modeste et benoîtement cruel, il s'était un jour excusé de cette compétence linguistique qui faisait tache, avec trop de regrets pour être vraiment sincère, en rappelant que dans son pays on parlait le français depuis plus longtemps qu'en Savoie ! On imagine, à l'énoncé de cette vérité historique, l'abîme de perplexité où Armand et ses clients se trouvèrent plongés ! Soucieux d'être bien compris, Abdou préférait, quand c'était possible, comme pour la consommation des huîtres et des moules, recourir aux mois et mots sans "r" ! D'où l'emploi d'"échauffant" qu'il préférait à celui d'"aph'odisiaque" ! Et rien ne lui plaisait tant que les mois de mai à août, pas seulement, donc, pour leurs températures plus clémentes aux gens tels que lui en provenance des tropiques, mais aussi parce que c'était des mois qui manquaient d'"r" ! Passe pour janvier, où le "r" ne se prononce pas, mais septem'be, novemb', decem'b, fev'ier, ma's ou av'il étaient pour lui comme de glaçantes congères de lettres posées exprès sur son chemin pour qu'il y butât ! Pour sa haute et tranquille érudition, ils étaient les révélateurs d'un unique mais désagréable talon d'achille.

   Quand dans la conversation, si on peut appeler ainsi ces interpellations décousues entre habitués "de gaz", comme disait mon père, il fut question, citées au nombre des aphrodisiaques de choc, de "pastilles à la cantatrice", Médail, le fin lettré, sut qu'on avait touché le fond. Il gémit un suppliant "putain, pas cantatrice, cantharide !", plainte déchirante qui fut engloutie, inaudible, dans le brouhaha de la surenchère générale. Le concept de pastille à la cantatrice avait aussitôt fait mouche, les commentateurs y allaient bon train de leur malveillance sur les impensables performances sexuelles que la voix des ténors en général laissait entrevoir, et celle de Maria Callas en particulier… "Onassis il a pas besoin de pastille à la cantatrice, il a la cantatrice en direct !", rugit un maestrophobe en rut intellectuel. La noble assemblée approuva, s'entendit sur l'axiome, désormais incontestable, selon lequel on pouvait déduire la puissance d'un organe de celle d'un autre. Abdou, soucieux de ne jamais la ramener en agitant le chiffon rouge de sa science, linguistique ou autre, sous le nez d'autochtones d'autant plus susceptibles qu'il étaient imprégnés, veilla à ne pas passer pour un donneur de leçons. Il se garda bien de venir au secours de Médail pour tuer dans l'oeuf le mythe de l'hyper-libido des chanteuses et chanteurs d'opéra qui était en train de naître sous ses yeux, légende urbaine prenant corps à partir d'un malheureux quiproquo linguistique ! Il prétexta avec un grand clin d'oeil entendu que ces histoires de "boosters" ne le concernaient pas… "Alo' là, v'aiment, t'ès peu pou' moi ! Est-ce qu'on jette du coke dans un volcan, non, n'est-ce pas ?".

   Abdou avait employé "coke" plutôt que "cha'bon", toujours sa coquetterie consistant à se passer autant que possible des mots intégrant la lettre "r" quand elle n'est pas muette… Certains par la suite avouèrent leur grande perplexité : mais pourquoi Abdou voulait foutre de la bonne drogue dans un cratère qui serait pas une narine ? D'autres étaient de l'avis qu'il fallait prendre "coke" pour Coca-Cola. Oui, mais alors, ça veut dire quoi de vouloir éteindre un volcan avec du soda, hein ? Les loustics accrochés au bar avaient la stupidité logique, têtue et systématique. Et combien qu'il en faudrait, hein ? "Oh, ça veut coûter bonbon", souligna distraitement Armand. Pour lui, l'idée de remplir un Etna de Coca, d'accord, c'était une connerie, mais ni plus ni moins qu'une autre, il était blasé, ses clients l'avaient habitué à pire. À ce comptoir, il se débitait davantage de billevisées en une heure côté clients que lui ne débitait de boisson en un mois ! Il calcula quand même de tête combien d'hectolitres ça pouvait représenter, il estima rapidement le bénéfice prévisible, son soupir exprima qu'il ne fallait pas rêver, ça n'avait pas trop de chances de se concrétiser… Son savoir faire de bistrot se limitait à entretenir la conversation, et il s'y tenait, en relançant régulièrement les discussions qui stagnaient de considérations qui mangeaient pas de pain. Metteur de petit bois dans le feu, entre un "qu'est-ce que j'vous sers ?" et un "j'vous remets ça ?", c'est tout le savoir-faire d'un tenancier de bar. Aussi accueillait-il avec une placidité absolue les élucubrations qui se proféraient devant lui.

   Tous trouvèrent que vraiment, ces Africains, ils sont pas comme nous. "C'était une métaphore", essaiera d'éclaircir Médail, faisant allusion au coke qu'on jette dans un volcan. Le mot "métaphore" était incompréhensible pour le tout venant de la clientèle de Gadagne, ce qui fait que l'intervention de Médail eut pour seul résultat de rendre encore plus obscure la phrase d'Abdou, et de valoir au Médail une ènième calotte de Haddock, qui ne lui passait rien. Le barbu accompagna sobrement sa tape derrière la tête de Médail d'un "T'as vraiment l'chic pour compliquer la complication !". Abdou, donc, prit congé, il afficha un vaste sourire blanc qui par contraste rendit un instant le bistrot encore plus sombre, remercia pour le petit noir (accentuant exprès l'absence de "r" à me'ci et à noi'), et baissa la tête et fléchit les genoux en passant le seuil pour ménager la pile instable de chapeaux qui le coiffait. L'assistance ne s'étonna pas de ce qu'Abdou, pour ce troisième et ultime synonyme d'aphrodisiaque, eût employé le mot "booster" et que ce n'était pas français. Nul ne releva que c'était peut-être là un indice que nous vivions la fin d'une époque. Des voix titubantes préférèrent juger que ces noirs étaient des vantards à la réputation usurpée… "très usurpée" renchérit, index levé, un quidam à ma droite… "et qui voudraient nous en faire acroire", finit de s'effondrer un dernier qui, pour essayer, à son tour, de brandir un doigt, n'aurait pas dû lâcher le comptoir.

   Heureusement, la Madone-portière sans tête, là-haut dans sa niche, n'avait plus les moyens ni d'entendre ces sornettes, ni de fermer les yeux sur les trafics qui se livraient à ses pieds ! L'ami Ahmed, dont je parle par ailleurs au sujet du Midi-Minuit, tenait ici ses quartiers. Armand vendait ses oeufs, Ahmed son herbe, Abdou ses onguents ! Rien que du naturel ! Gadagne, c'était un vrai marché bio avant l'heure ! A.A.A. : Abdou, Armand, Ahmed, une équipe black-blanc-beur avec quarante ans d'avance. Et à eux trois la note triple A, selon les agences de notation du futur !

   L'autre bistrot de Saint Jean où l'on traîne aussi pas mal ses nuits, c'est "le Beaujolais", tenu par l'énergique mère Buisson et son fils. Je n'en ai qu'un souvenir bien atténué, et j'espère que l'un de nous aura une meilleure mémoire de ce lieu pour nous faire profiter de ses souvenirs...



Spartiates et Septentrion


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La place des Terreaux vers 1910. En 1968-69, elle n'a pas beaucoup changé : la fontaine n'a pas encore été bougée de place, et le "Café des Beaux Arts" (flêche rouge), au n° 6, s'appelle encore ainsi. Cliquez pour agrandir.


   C'est au Café des Beaux-Arts, place des Terreaux, que je dois de me souvenir que l'une des modes vestimentaires de ces années-là, pour les demoiselles, fut le port de "spartiates". On appelle ainsi des sandales dont les lanières se prolongent bien au-delà de ce qui est utile et raisonnable. Telles les serpents d'un vivant caducée charnel, elles viennent s'entrecroiser autour des mollets, voire au delà, ce qui implique, pour qu'on profite pleinement du spectacle, la mise en valeur du dispositif par le recours à une jupette encore plus haut placée. Une toge, petite, courte, disons une togette, un péplum, c'est encore mieux. "À ras l'bonbon", disait Doudou qui savait rire et n'avait pas sa langue dans la poche. Ainsi se trouve idéalement optimisé, dans sa plus pure conception antique originale, cet attrayant arrangement, déjà stupéfiant en soi, d'évidence conçu pour rendre fous les satyres de l'Olympe et ceux du café des Beaux-Arts, leurs descendants en droite ligne.


   J'ai découvert qu'en 2010, l'appellation "spartiate" recouvre tout et n'importe quoi ! Alors mettons bien les choses au point : la seule vraie spartiate a ses lanières qui grimpent aux jambes en double colimaçon, comme deux fois deux lierres rivaux, fébriles, libidineux et têtus, tout tendus en une compétition quasiment gamétaire vers un objectif émouvant et supérieur. Et aussi, et surtout, retenez ceci : une vraie spartiate est PLATE, elle n'a pas de talons, hauts ou pas hauts, comme on peut en voir chez certains chausseurs, c'est ridicule ! La puissance érotique de la spartiate tire l'essentiel de sa suggestivité du troublant contraste entre l'envol littéralement captivant des brides, et l'innocence de semelles plates, toutes frustes, chastes et quasi pré-pubères, comme un dessin de Balthus. Croire qu'on va en rajouter dans le sex-appeal de la spartiate en l'affublant de talons ruine complètement sa force suggestive, toute de candeur doucement perverse, et s'avère totalement contre-productif ! Quant à ces sandales pourvues de sangles ne remontant pas plus haut que la cheville, du genre qu'affectionnaient nos bonnes soeurs, et "pompeusement" gratifiées de nos jours de l'appellation "spartiates", elles ne méritent pas mieux que le terme "caligasses", en l'honneur des légionnaires romains qui portaient ce genre d'écrase-kilomètres !



Spartiates en 2010. Aucune n'est conforme au modèle de rêve évoqué ici. Y compris celles comme la 3 et la 7, avec leurs tuteurs à cercler les gambettes du Docteur Spounz, évoquant les "cages de gibet" dans lesquelles on laissait pourrir les cadavres de pirates suppliciés, un modèle qui cependant ne devrait pas laisser indifférents les sadiques fétichistes exerçant essentiellement sur d'anciennes fillettes poliomyélitiques ceinturées de prothèses ! Livrées avec masque de fer assorti.


   Mais, direz-vous, quel rapport avec le Café des Beaux-Arts ? L'un de mes plus émouvants souvenirs en ce lieu fut le jour où débarqua une longue et nonchalante déesse blonde. Elle avait la dégaine d'une Diane chasseresse, et, avec une candeur insupportable, promenait sa séduction insolente. Pour tout vêtement, un carré de soie drapait son buste, elle était comme une femme-sandwich avec une pancarte trop petite et qui n'aurait rien dessous… ou presque. Et elle portait une paire de spartiates exactement comme je viens de dire qu'elles devaient être. Oui, nous y voici. Du regard, elle cherchait quelqu'un… Nous étions quelques uns de l'École autour d'une table, plongés, je crois, dans la lecture du même "Hara-Kiri" mensuel, quand l'ami Pépé, assis parmi nous, annonça l'arrivée de sa fiancée. Volontairement décalé et désuet, le mot dans sa bouche surprenait. Il dit ceci mine de rien, presque sans avoir levé l'oeil. Du pouce de la main qui tenait la cigarette, il lissa sa moustache à la mauvais garçon, qui lui faisait une belle gueule implacable d'apache des fortif's, ou de bourreau tartare. Ou de hussard cruel, ou de reconquistador castillan. Dans un registre moins belliqueux, Gilles Dreu, le gars qui depuis le printemps 68 chante "Alouette", en avait une semblable…

   Tout s'immobilisa, les verres s'arrêtèrent dans leur trajectoire vers les lèvres, les cuillères cessèrent de remuer, les mots de sortir des bouches… C'était elle. Elle seule bougeait, s'avançait, serrait les mains que nous tendions machinalement, inconsciente de cet arrêt du temps qu'elle provoquait. Ou se fichant de le savoir. Quand elle s'adressait à nous, ce que révélait le double bavoir recto-verso lui tenant lieu de robe, son regard d'eau limpide et bleue se déversant dans le nôtre comme une cascade d'un paradis de début du Monde, son accent en omelette norvégienne, aussi chaleureux que pourtant nordique, tout ceci nous faisait lamentablement bafouiller. Cette année-là, les déesses de l'Olympe avaient l'accent scandinave. Et les déesses de l'Olympe se prénommaient Ase (prononcer "aus").

   L'un de nous dut se dire qu'il fallait cesser de juste zieuter, et parler un peu, juste histoire de dire quelque chose… On n'est pas des bêtes… N'importe quoi, plutôt que ce silence. Au hasard, il lui demanda ce qu'elle faisait. Mauvaise pioche. Elle lui répondit, aussi simplement qu'il le lui avait demandé, qu'elle était "modèle nu" (elle disait "niou"). Celui qui avait posé la question murmura d'une voix mourante "c'est donc ça", ou quelque chose d'équivalent, et il acheva de se désintégrer. Plusieurs encéphalogrammes autour de la table tombèrent brutalement à plat. Des têtes se mirent à tourner selon des trajectoires cosmiques, des salives ne purent plus passer le cap de la glotte. Ou au contraire des bouches s'asséchèrent instantanément. Le loup de Tex Avery, lui au moins peut se taper la tête sur la table, crever le plafond avec un hurlement de sirène, dérouler sa langue comme un caméleon mort d'amour, et je parle pas des yeux désaxés qui roulent et font "tilt", bref, évacuer l'insupportable tension. Nous pas. Les dégâts furent essentiellement discrets. On l'aura compris, l'adjectif "spartiate" ne désignait que ce genre de chaussures, aucunement le mode de vie de l'ami Pépé. Avec son modèle privatif, il allait passer quelques années de sa vie. Si je me souviens bien, il la suivra dans son pays, et même, pour ses beaux yeux (oui, elle avait aussi de beaux yeux, et je vous dis pas son sourire blond, que celui de Mimsy Farmer à côté, c'était rien !), il se fera un temps jardinier du roi du Danemark ! Son ministre de la culture, en quelque sorte ! Comme quoi, les Beaux-Arts mènent à tout !




En l'honneur de Pépé, tout en admirant le palais royal de Frederiksborg, écoutez
"Le Roi Christian devant le grand mât" ("Kong Kristian stod ved højen mast"),
l'hymne national danois ! (cliquez sur la photo pour la mise en route).
(document : - )



   J'ai oublié de dire que des jambes qui n'en finissent pas, ou du moins seulement au bout d'un bon moment, ou à la rigueur de fines gambettes bronzées d'adolescente, sont indispensables au port de "spartiates". Sinon, les membres inférieurs ressemblent plutôt à des saucissons étranglés dans leur ficelle. Un spectacle qui peut aussi s'avérer exaltant, salivant, je dis pas, mais dans un autre domaine… À Lyon, on n'a évidemment rien contre le saucisson, bien au contraire, mais faut voir à pas tout mélanger, en particulier la chère et la chair !





Fin de la première année du CLEG.




Copie (sur papier pelure) du rapport d'activité dactylographié,
émis par Jean Coquet à destination de sa hiérarchie…

(cliquez pour lire la page entière)
L'idée décomplexée de Jack et Jean-Michel de superposer sur un même écran la projection des deux films montre combien la créativité est débridée et optimiste… On ne doute de rien ! On est encore dans l'ère bénie des happenings ! Le festival de Knokke-le-Zoute, la Mecque du film expérimental, est encore bien actif ! Il va encore durer jusqu'en 1974.


   En fin d'année scolaire, l'un des élèves, Jean-Michel Gascuel, décide de passer son "CAFAS" (10), session de juin 69, en présentant le film qu'il a réalisé au CLEG, "Rythme à trois coordonnées", "Les trois coordonnées étant : le grave, l'aigü, et le plat", ainsi que nous en prévient très scientifiquement et très charitablement le feuillet de présentation qui traînait encore dans mon grenier quarante ans après. On aura compris que c'est un film du genre trépidant-syncopé "qui fait mal aux yeux". Trois minutes 35 de bonheur ! Ils sont trois élèves de l'école à se présenter, et Jean-Michel est l'unique représentant de notre atelier. Et il va être le seul à décrocher son CAFAS ! Coquet est très très content, plus que content, il jubile ! Ça reste à vérifier, mais peut-être Jean-Michel fut il le premier, sinon le seul candidat au CAFAS à avoir jamais obtenu ce diplôme avec un film d'animation ! En tout cas, je peux certifier qu'il y eut, ce printemps 69, un jury ouvert aux "expériences pédagogiques innovantes" - et même drôlement innovantes - prônées par Malraux et mises en place par Coquet ! Avant de nous séparer pour l'été, nous fêtâmes de façon assez déraisonnable, et pas seulement à coup d'oeufs de caille, ce succès de Jean-Michel qui était aussi celui de notre atelier, et je dois dire que je n'en étais pas peu fier.



cliquez pour agrandir (documents : l'Encyclopédisque)



ÉTÉ 1969

   Ce 1er juillet s'est terminée une jolie histoire à deux, commencée en novembre 1965. Ma première vraie histoire d'amour. Je crois me rappeler que j'ai été très malheureux. Je mettrai un certain temps à m'en remettre. Mais il semble me souvenir que le pire est avant, dans la déliquescence, dans ce démembrement au ralenti, dans l'hésitation à inscrire le point final. La séparation, je parle de la terminale, de la définitive, comporte tout à la fois une part de souffrance et une autre de soulagement. Et c'est une souffrance très relative. Et passagère… Tous ceux qui ont vécu la fin d'une histoire le savent (et qui n'a pas touché au terme d'un amour ?), mais à chaque fois on oublie comme ça fait mal. Et on se croit seul. Et on a raison, on est seul. Et aussi on a tort. Car entretemps, la vie nous a changé, on est différent, on est devenu imperceptiblement modifié pour d'autres vies, pour d'autres personnes, d'autres amours. Tout en proie à l'arrachement à un temps achevé, on ne le sait pas encore, mais toutes et tous sont déjà là. Venus des limbes de ce qui sera, silhouettes indistinctes et vagues, ils nous attendent, ils sont les fantômes de l'avenir, venus se pencher sur cette douloureuse métamorphose, cette déchirante renaissance. En nous s'est faite l'empreinte nouvelle où vont venir se glisser le futur et les gens de bientôt. Ce mot, "bientôt", est un philtre de guérison, l'un des plus beaux cadeaux de la vie, il a le souffle, les couleurs et l'allégresse de l'aube. Bientôt…

   En tout cas, grâce à L., j'ai commencé à me reconstruire, à me mettre à redécouvrir le monde… à avoir à nouveau confiance en moi, en lui, et en ma possible relation avec lui. Un commerce apaisé, serein, de plus en plus confiant, et bienveillant. Je sais que je lui dois beaucoup. Elle ne le comprendrait sûrement pas, mais ma gratitude pour elle est immense. Qu'elle m'ait aimé - et je crois qu'elle m'a sincèrement, joliment aimé, en ces années difficiles où je me trouvais - et qu'elle m'ait supporté finalement assez longtemps, n'a cessé de m'émerveiller. Mais pas seulement. Je crains que notre relation n'ait d'évidence bien davantage profité à moi qu'à elle. Et mon émerveillement, depuis longtemps, se ternit indissociablement de remords et de regrets. Mais peut-être est-ce là, de ma part, bien de la présomption ? La vie passe…

   Je l'ai revue en 2009. Quarante ans après notre mot FIN, à quelques semaines près. Non, pas par hasard, un joli dimanche de fin d'hiver, chez notre amie Raymonde, dans le petit village de l'Ain où elle habite aujourd'hui. Oui, Raymonde, celle qui en sortant du ciné-club du lycée Saint-Ex, là-haut à la Croix-Rousse, en une fin d'après-midi de novembre 1965, avait si bien réussi sa prestation de marieuse. Entre L. et moi. Superbement dédaigneuse du temps qui a passé, Raymonde nous réunissait à nouveau, avec nos conjoints à tous… Raymonde, qui m'avait fait ce tendre et ravissant cadeau pour apprivoiser mes vingt ans de hargne et de désarroi. Alors ? Alors rien. Oui la vie passe, et cette alliance qui fut pour moi si importante ne le fut peut être pas, sans doute pas, pour L.. Pourquoi eût-elle été plus importante pour L. que juste ce qu'elle fut, rien de plus et rien de moins qu'une histoire d'amour ? C'est déjà bien, très bien, une histoire d'amour entre deux autres histoires d'amour… Juste le souffle de quelques printemps, quelques films vus ensemble, des rendez-vous pour s'entendre tellement battre le coeur, le temps de croire qu'on s'apprivoise, un avenir esquissé, un avenir décliné… Sans doute pour elle ne reste t-il de mon passage pas plus de trace que la ride que sur la vague la mouette laisse de son aile. Oui, c'est joli, c'est pas de moi, c'est d'un poète de mon pays, Abd-el-Kader. Et un peu lâchement, mais aussi très modestement, et très tendrement, j'espère qu'il en fut ainsi.


"When you knew that it was over you were suddenly aware
That the automn leaves were turning to the color of her hair !
Like a circle in a spiral, like a wheel within a wheel,
Never ending or begining on an ever spinning reel
As the images unwind, like the circles that you find in
The windmills of your mind !"

(Michel Legrand, A Thomas Crown Affair,
que L. et moi vîmes encore ensemble, une fin d'après-midi,
au cinéma la Grenette lors de sa sortie en 1968)

    Le 22 juin 1969 à Londres, Judy Garland, la petite chanteuse que, dans ma boulimie de "rattrapage culturel", j'avais bien tardivement découverte dans "Le magicien d'Oz", est passée "over the rainbow". Elle avait 47 ans. C'est l'une des premières fois où je me suis rendu compte avec incrédulité que les gens pouvaient vieillir. Il était temps !

   Un faire-part tiré de mes vieilles archives de ce temps, même pas jauni, me rappelle que le 29 juillet 69, Marc Gilles épousa Brigitte Jouvenet, en l'église Saint François de Salles. Non, je n'y étais pas… Marc, au cours de mes deux premières années à Lyon avait été un ami très cher. Nous partagions des délires semblables, qui se défiaient, s'apostrophaient, s'exaltaient comme deux dragons complices et délirants, s'incendiant l'un l'autre en une tournoyante spirale ascendante, très coloriée, assez jolie, un peu grandiloquente et dédaigneuse comme le sont les dragons, un peu vaine. Nous nous entendions sur un certain nombre de jazzmen, chanteurs de blues, John Lee Hooker, Lightnin' Hopkins… Le "Burnin' in L.A." de ce dernier surtout.

I said just look at the people
Just look at the peoples I got over here
You know a little sixteen-year-old girl come to me `
talked and said Lightnin',
Would you take me for your souvenir ?

   Nous avions aussi en commun une curiosité pour l'art moderne… La galerie "L'oeil Écoute" à Saint-Jean recevait nos régulières visites. Sa direction proposait aux Lyonnais, avec discernement et un bel éclectisme, ce que l'art contemporain offrait de nouveau et de moins vain. Nous y découvrîmes entre autres modernités le Pop Art. Et l'expo "Cinquante ans de collage" au Musée d'art et d'industrie de Saint-Étienne, l'été 1964, eut droit à notre expédition commune. Un été, nous nous rendîmes pour une semaine à Paris où nous fîmes une ripaille de pièces de théâtre : une chaque soir, beaucoup de Ionesco, et quand même "Les escargots meurent debout" avec Francis Blanche. Sauf un soir où nous allâmes voir au cinéma "les Templiers", rue de Bretagne, "J'irai cracher sur vos tombes", qui ne pouvait passer à Lyon pour interdiction de son maire. Nous comprîmes ce soir-là pourquoi ce film avait valu à Boris Vian sa crise cardiaque terminale. Puis nos liens se distendirent. De Marc, presque un demi-siècle plus tard, il me reste quelques écrits, qu'à l'époque je trouvais éblouissants, ils me donnaient bien des complexes, moi qui m'essayais aussi à écrire… Et quand je les relis aujourd'hui, je trouve qu'ils n'ont rien perdu de leur force ni de leur beauté. J'espère que, de tout ce temps écoulé, Marc en aura consacré un peu à ce talent si exceptionnel, qu'il aura été un rien fidèle à ce poète adolescent qui me bouleversa tant.



15-16-17-18 août 1969 : Woodstock !

   Non, je n'y étais pas ! Ni d'ailleurs aucun d'entre nous. Mais nous étions de ce temps, cet esprit imprégnait nos jours, nos amours, et les musiques que nous écoutions, l'espoir de lendemains chantants était encore dans l'air…

   C'est aussi cet été 69 que, pour la première fois, le 20 juillet, des hommes ont marché sur la lune, et que le 9 août, dans le haut-lieu des rêves américains, des humains désespérants ont assassiné la belle et douce Sarah du "Bal des Vampires". Dans le film de Polanski, elle avait tourné vampire, et était du cou(p) devenue immortelle… Pour l'instant, elle l'est toujours.

Cliquez pour agrandir.


Sharon Tate, Roman Polanski, "le Bal des Vampires", 1968.






Année scolaire 1969-1970

L'automne.


   En octobre 1969, nous réintégrons l'école, et l'atelier redémarre. Les succès de l'année précédente ont permis à notre directeur de pérenniser l'expérience. De nouvelles et nouveaux élèves rejoignent les anciens. Comme l'année d'avant, d'autres élèves, d'autres départements, viennent chez nous faire tout autre chose que du cinéma d'animation, faut croire que l'endroit est toujours aussi agréable pour y séjourner. Voici ci-dessous quelques photos prises vers le mois de novembre. Certaines l'ont été dans notre salle, d'autres un jour où nous avions été invités en groupe chez la maman de l'un ou l'une d'entre nous (je dois avouer que je ne me souviens plus qui fut notre hôtesse).

Cliquez su chaque photo pour l'agrandir.

Michel Bachès en disc-jockey près de l'électrophone qui
concourait si puissamment à l'attractivité de notre atelier.
En cet automne 69, c'est "More" ou "In A gadda da Vida"
des Iron Butterfly qui ont la vedette.


Martine en plein boulot. Derrière elle, le tableau où j'ai inscrit les tâches
en cours. Le futur festival du Huitième y est en bonne place.


Gérard Couty, le jour de cette invitation à déjeûner en commun.


Martine encore, ce même jour. Derrière elle, le "prof" du CLEG,
et derrière lui, Gérard Couty.


Oui, nous aimions bien photographier Martine…
Elle était tout à la fois vive et douce,
BCBG et modeste, passionnée et réservée.
Une très attachante petite personne.


Jean "Boris" Berthelier au CLEG.
C'est vraiment de l'art appliqué !


   C'est en cette rentrée 69 que m'est arrivée de Bourges une longue et fine étudiante en dessin pour textile. Elle s'appelle Marie-Laure, évoque un Modigliani joyeux, ce qui est, j'en conviens, un oxymore difficilement concevable, mais pourtant bien réel… Avec sa grâce longiline et nonchalante, elle s'avance comme un paradoxe follement séduisant. Elle me ravit. Elle dessine comme elle vit, comme elle sourit, comme elle veut, son trait s'esquisse en un frémissement improbable et pourtant définitif, aussi léger que nécessaire, se posant sur le papier juste là où il ne pouvait qu'être. Elle croit que l'enseignement de la discipline qui l'a attirée ici participe de l'excellence de la ville de Lyon en ce domaine. Son prof s'appelle Veyrier, et franchement, on ne peut pas dire qu'il brille par ce qui est censé être le dynamisme des métiers qu'il est en charge d'enseigner. Marie-Laure va déchanter, et ne rester ici qu'une année scolaire. Juste le temps que nos chemins se croisent, puis se parallélisent. En atelier textile, elle se lie avec Brigitte, notre affichiste-vedette et surtout future dessinatrice de grand talent pour textiles, pour Bianchini-Ferrier entre autres "soyeux". Et c'est ainsi que Marie-Laure accompagne Brigitte quand cette dernière nous rend visite en notre antre du rez-de-chaussée. Et que nous apprenons à faire connaissance.

   Au premier trimestre, tout va pour le mieux, nous sommes tous deux dans l'École de la rue Neyret. À partir de janvier 70, je me retrouve avec le CLEG au Théâtre du Huitième. Quand en fin de journée, depuis les Beaux-Arts, Marie-Laure regagne la place Bir-Hakeim où elle habite (avec son amie Françoise), je la rejoins depuis l'avenue Jean Mermoz, où du matin au soir je fais le Mickey. Elle me prête même de temps en temps son Velosolex, garanti sans frein, pour que je me rende encore plus vite à notre rencontre. Quelle hâte ! Ma… "chi va piano va sano"… Ce sera le seul accident de deux-roues que j'aurai de ma vie, rue Marius Berliet, en percutant à pile 90 degrés, tous freins serrés sur rien du tout, une voiture qui avait la priorité. Ce soir-là, avec un gant de toilette humide maintenu sur une lèvre éclatée de s'être trouvée prise en sandwich entre la canine qui était dessous et le toit de la voiture ayant accueilli ma trajectoire, ce soir-là, je fus moins faraud. http://pagesperso-orange.fr/cyclo60/cinema-2.html

   Luce Mélite (11), dont j'ai déjà parlé, qui en 1967 et 1968 accepta mes articles sur le cinéma d'animation dans les pages de "La Vie Lyonnaise" quand elle en était la rédactrice en chef, vient d'être nommée, pas plus tard que l'an dernier, administratrice (ou quelque chose comme ça) du tout nouveau Théâtre du Huitième. Il succède à celui du Cothurne, toujours avec Marcel-Noël Maréchal - acteur et metteur en scène - à la création. Il deviendra, dans bon nombre d'années, la "Maison de la Danse".


Jean Sourbier, co-directeur du 8ème, en 1968.

   À l'automne 69, Luce Mélite et Alain Sourbier (co-directeur du théâtre avec Maréchal), invitent notre atelier à venir "s'externaliser" dans leurs nouveaux locaux flambant neufs de l'avenue Jean Mermoz. Notre déménagement est prévu pour la rentrée des vacances de Noël. Après tout, ce ne sera que la troisième fois que nous démonterons et remonterons notre banc-titre ! Coquet, notre débonnaire directeur, ne voit pas d'inconvénient à ce relatif éloignement, au contraire : venant de temps à autre rendre visite à ce que d'évidence il considère comme une légation exotique de son école, il semble prendre plaisir à venir promener ici son noeud papillon et à se mêler au monde des bateleurs. Faut dire qu'ici tout est somptueux. Et neuf ! Ça nous change de la pourtant pas si vieille école de la rue Neyret. Installés dans une salle immense, au cinquième et dernier étage du théâtre, avec de larges baies vitrées panoramiques dominant le quartier, nous avons hérité de gigantesques tables d'architecte en cinémascope, avec contrepoids cylindriques de même largueur démesurée. Pourquoi furent-elles installées ici ? On n'en a jamais eu la moindre idée, mais on ne s'en est pas plaints, au contraire. On s'en sert ! Quel confort ! Quel luxe ! Les tabourets un peu dans le genre des "Tolix A" (en fait issus de l'obscure "Société des Meubles Multiples") en tôle vert jardin que nous avons ramenés des Beaux Arts (dont celui sur lequel je suis assis encore aujourd"hui en tapant ces lignes) nous sembleraient même un peu rustauds dans ce décor de lumière. (12)


Théâtre du Huitième

   Le soir vers 20 heures, quand on en a assez de dessiner et palabrer, un petit escalier quasiment privatif nous permet de nous couler directement et discrètement jusque dans les fauteuils de la salle. Michel Bachès et moi sommes les plus assidus. Ces six premiers mois de 1970, sans avoir besoin de nous déplacer et gratuitement, nous allons voir beaucoup de pièces de théâtre, d'artistes de variétés, de comédiens… Mon préféré est Jean Benguigui, magnifique dans le "Bourgeois Gentilhomme", bouffonnerie baroque montée par Maréchal. Ce dernier, avec sur la tête un turban à aigrette du volume d'un pouf marocain, y tient le rôle du Bourgeois. Quand Jean nous croise, il nous donne du "salut, les p'tits Mickeys" avec une verve - et un accent de chez nouzotres - tout de bienveillance amusée (13).



La première affiche avec "l'oeil" de Nicolas Ledoux, qui serait
pour un temps la marque du Théâtre du Huitième.
Elle porte les quatre premières pièces jouées ici :
"La Poupée" d'Audiberti, le "Dom Juan" de Molière,
"La Mort de Danton", et "la Moscheta". L'affiche est scotchée
sur la baie vitrée du hall. On voit la rampe de l'un des escalators.

   L'une des raisons qui avaient conduit Luce Mélite et Jean Sourbier à accueillir notre atelier au Théâtre du Huitième, était le projet commun que nous avions d'organiser des journées du Cinéma d'animation. Le festival d'Annecy, alors biennal, n'avait pu avoir lieu, comme il aurait dû, en juin 1969. Ses organisateurs, le chaleureux Pierre Barbin, le solide Edouard Chamard, avec lesquels nous entretenions d'excellentes relations (depuis 66 ils fournissent très obligeamment notre ciné-club en programmes de films d'animation), s'étaient compromis avec le pouvoir gaulliste ! Juste avant mai 68, ils avaient consenti - horreur - à pactiser avec l'ennemi en acceptant de prendre la succession de Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque française, qui venait de se faire débarquer. Malraux souhaitait peut-être faire main basse sur les films accumulés par Langlois, mais surtout il entendait donner à la cinémathèque une gestion un peu sérieuse capable d'utiliser à bon escient les crédits publics destinés à assurer la conservation de tous ces films. Mais sans doute n'eut-t-il pas la manière, et surtout, ça ne pouvait arriver plus mal ! Le feu couvait depuis au moins un certain 26 mars, un monde jeune s'étirait pour faire craquer le carcan de la vieille France sclérosée, les journées de mai ne demandaient qu'à s'embraser, et "l'affaire Langlois" fut le plus percutant des détonateurs.

      Mal en avait pris à la diligente petite équipe des "Journées du Cinéma" de la rue de la Tour d'Auvergne (c'est elle qui animait le festival d'Annecy, mais aussi le festival du court-métrage de Tours) d'avoir accepté de Malraux cette mission ! Toute l'intelligentsia du cinéma leur tomba dessus toutes griffes et crocs dehors, et entreprit une chasse aux sorcières comme peu de régimes totalitaires savent organiser ce genre de traque ! (14) Du coup, l'équipe organisatrice désorganisée, la biennale d'Annecy 1969 n'avait pu se tenir. Nul n'aurait pu dire si elle repartirait un jour… Et contrecoup, depuis le précédent festival de juin 1967, nous étions quelques uns à être sérieusement en manque de films d'animation et de rencontres chaleureuses avec leurs auteurs. Nous avions donc eu l'idée de ces journées pour essayer de combler notre frustration. Ce qui explique en partie l'accueil de notre atelier au Théâtre du Huitième.

      À l'occasion du mariage de Marcel Maréchal - ce devait un week-end de la fin octobre 69 - eut lieu une mega fiesta quelque part dans les Monts du Lyonnais. Ça se passait dans une hôtellerie sise dans un château ou une ancienne abbaye, je ne m'en souviens plus trop… Je m'y étais rendu dans la voiture de je ne sais plus qui… Luce me présenta à quelques uns des piliers de l'ex-troupe du Cothurne. J'en connaissais déjà certains, rencontrés au Français, au "Caveau", au "Midi-Minuit" ou ailleurs, le monde lyonnais est petit. Quand elle me vit arriver, elle m'entraîna par le bras et, à chaque nouvel interlocuteur, disait quelques mots gentils sur ce que j'étais censé être - le "Monsieur je sais-tout" du dessin animé - et ce que je viendrai faire bientôt au Théâtre du Huitième. Elle savait ma timidité et ma propension à me jeter dans le premier trou de souris venu, alors elle en rajoutait malicieusement dans le dithyrambique, elle y alla même de quelques anecdotes à mon sujet complètement inventées et suffisamment loufoques pour qu'à chaque fois je frémisse entre tentation du démenti et souci de ne pas la contredire… Elle s'amusait beaucoup de ma confusion, punaise, qu'est ce que ce champagne était bon, meilleur à chaque coupe (c'est l'un des rares souvenirs que je garde de cette réception), mais l'alcool ne m'a jamais aidé à me donner davantage d'assurance. Tout le contraire, même… Au bout d'un petit moment et de quelques coupes, Luce dut juger m'avoir présenté un nombre suffisant de gens pour que je puisse me débrouiller pour me trouver en compagnie, et, toujours royale, elle alla faire don de son sourire et de sa grâce aux centaines d'invités venus fêter le mariage du grand bateleur. Je ne me souviens plus qui, cette nuit-là, depuis le prieuré où avait lieu la réception, me ramena sur Lyon, j'étais, je crois, joliment pompette.





Année 1970

Dernière année à Lyon, première année à Paris.


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      Les premières journées du Cinéma d'animation de Lyon se déroulent du 16 au 19 février 1970. Malgré le temps pourri du premier jour, le public est au rendez-vous. S'enchaînent quatre jours de programmes épatants, les conférences alternent avec les projections, nous faisons la connaissance de plusieurs pointures du cinéma d'animation, nous en retrouvons d'autres que nous connaissons déjà des festivals de Mamaïa 68 ou d'Annecy 67. Sont présents : Alexandre Alexeïeff, Gisèle et Ernest Ansorge, Raoul Servais et Gaston Roch, Peter et Joan Foldès, Piotr Kamler, Jacques Rouxel, Daniel Szczechura, et Gilbert Dubrisay (15). Ces journées remportent un joli succès, avec beaucoup d'articles dans les quotidiens et mensuels lyonnais. On peut en consulter un certain nombre ci-dessus. En supplément d'"Approches" (le magazine du "Théâtre du Huitième"), est distribué aux spectateurs le bulletin "Le Cinéma d'Animation en France", reprenant plusieurs articles majeurs sur cette forme de cinéma. Il n'aura, hélas, pas de descendance. Je vais me mettre à entretenir des relations suivies avec la plupart des professionnels invités. D'abord en continuant à leur écrire sur le beau papier à en-tête dessiné par Michel. Ensuite, pas plus tard que l'été qui arrive, en les rencontrant à Paris, où pour la plupart ils vivent et travaillent. Certains, comme Alexandre Alexeïeff ou Peter Foldès, deviendront de vrais amis.

   L'hiver se termine, puis le printemps se passe. Je fais toujours des gardes de nuit. Marie-Laure est de plus en plus présente dans ma vie, et moi dans la sienne, il faut que je trouve un "vrai" boulot… Je "monte" à Paris avec Michel Bachès. Nous nous retrouvons à gouacher des centaines de cellulos dans le studio de Manuel Otero (16) à Pantin. Parmi les films publicitaires auxquels nous apportons notre soin, il y a un "Lily Dim" (ré sol la si bémol ré mi bémol !), pour un collant surtout destiné à rendre les petites filles aguichantes aux prédateurs, et une pub pour une nouvelle Carte Bleue qui vient juste de sortir. Elle met en jeu un mammouth velu, mais je ne me rappelle plus ce qu'il y faisait, en tout cas, les porteurs de Carte Bleue vont pouvoir maintenant, grâce à sa nouvelle piste magnétique, retirer de l'argent liquide 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 ! Comme on voit, ces films célébraient des avancées cruciales pour l'humanité ! Ces dessins animés publicitaires sont confiés à "Cinémation", le studio de Manuel, par Jean Fortin, le Directeur artistique de l'agence Publicis. Parfois il vient en personne suivre l'évolution du boulot jusqu'à l'impasse désolée de la rue de Paris où "Cinémation" a ses locaux. Le voir descendre de sa Rolls (à moins que ce ne fût une Bentley) avec son manteau en poil de chameau, et s'avancer sur les pavés gras vers l'escalier d'incendie grinçant qui monte à Cinémation, est un spectacle rare. Pour un instant, la vie devient une photo noir et blanc avec des luisances louches quoique puissamment artistiques.




La Lili Dim telle que Michel et moi l'avons gouachée,
et en cliquant, l'une des publicités parues cette année 1970…

   À midi, nous déjeûnons dans un couscous tout voisin, parfois avec quelques très jeunes réalisateurs (Gérald Poussin, Daniel Suter, Georges Schwizgebel, Claude Luyet) qui sont les nouvelles découvertes et "poulains" de Manuel Otero. Chacun travaille à une séquence d'un film collectif qui sera présenté au festival d'Annecy de juin 71. Cinq séquences en tout, puisque Manuel y va aussi de la sienne. Quand vient le moment de lui choisir un titre, un midi que nous avons de la semoule plein la bouche, je propose un peu trop schpontanément "Patchwork" ! Même pas le temps d'essuyer les projections de graine que dans ma vivacité j'ai pulvérisée alentour, et c'est adopté par un concert d'approbations fleurant bon le harissa. Aussitôt, je me hérisse d'avoir ainsi couvert d'un mot anglais cette oeuvre franco-hispano-helvétique ! Mais comment appeler autrement un film fait de morceaux raboutés ? "Mosaïque" me vient dans la foulée ! Nouvelle bordée de louanges des convives à ma table, cette fois au parfum mielleux de makrout et zlabiah ! Je crois que les deux appellations seront utilisées pour titres de cette oeuvre composite (on aura compris que je ne parle ni de "makrout" ni de "zlabiah", mais de "Patchwork" et "Mosaïque" !). Le soir, Michel et moi logeons gratis rue Mathurin Régnier, dans le XVème arrondissement de Paris, chez l'associé de Manuel, le très brave, l'adorable Jacques Leroux (17) qui, après chaque journée passée à Cinémation, nous ramène chez lui dans sa voiture.



Images de "Patchwork / Mosaïque". Cliquez pour agrandir.

   L'été se passe en péripéties diverses, que je raconterai peut-être par ailleurs… Ce qui est sûr, c'est que Lyon est loin, et que je n'y retournerai pas… Pourtant, à l'École des Beaux-Arts, j'aurais pu poursuivre, "amortir" ces deux premières années, commencer - comme me le suggérait Jean Coquet - à vivre plus officiellement de mon job d'assistant, et imposer le cinéma d'animation parmi les activités proposées par l'École. L'ami Coquet aurait fait en sorte que ça fonctionne ainsi, il avait le sens de la gratitude et du renvoi d'ascenseur. Je vais, en cet été 70, lui écrire une lettre, assez longue, pour le remercier et lui expliquer que je ne souhaite pas continuer à m'occuper du département que j'ai créé. Jean me téléphonera pour me dire ses regrets, et ses remerciements. Il avait la classe, notre Coquet. Il ne donnera pas de suite à notre atelier. Mai 68 est déjà loin, et les revendications des élèves pour un enseignement plus ouvert sur le Monde et plus utilisateur de techniques innovantes et de médias débouchant sur les métiers en développement, sont oubliées. Il n'y aura pas de succession au "CLEG". Aujourd'hui, en 2011 il n'en resterait rien, si ce n'est le présent écran, et les quelques lignes ci-dessous, relevées dans une "Histoire de l'école des beaux-Arts de Lyon", oeuvre de Nelly Gabriel, et consultable à la Bibliothèque Municipale de la ville. Au moins, voici un ouvrage dont la documentaliste, Anabelle Pijot, aura sérieusement travaillé, mettant méticuleusement son nez dans les archives de l'École !



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   En cet été 70, Manuel Otero et moi avions été partie prenante dans la création de l'A.F.F.A., Association Française du Film d'Animation, née (comme le festival du Théâtre du Huitième) du manque qui succéda à l'affaire de la Cinémathèque et à l'annulation du festival d'Annecy 1969. Ceci me valut même, dans le courant de l'été 70 d'accompagner Manuel Otero à Zagreb, où se tenait une réunion du Conseil d'administration de l'ASIFA pour décider si elle parrainerait le festival du film d'animation en train de prendre naissance, et qui serait dans l'esprit de ses créateurs (les dirigeants du studio Zagreb Film) le festival-vitrine du bloc de l'Est. Manuel et moi apportions le salut et le soutien des animateurs français.

   Presque toute la profession avait adhéré à l'AFFA, et contrairement à ce qui a pu être écrit depuis, ce fut un vrai succès et une entreprise sérieuse et prometteuse. C'est bien d'ailleurs ce qui provoqua l'ire d'un personnage dont je ne tiens pas trop à parler. Pour éviter toute confusion, je tiens à préciser qu'il ne s'agit évidemment pas de Manuel, avec qui je n'ai jamais eu que de très amicaux rapports, et encore en ce début de XXIème siècle. Peut-être raconterai-je par ailleurs ce que fut l'hostilité et les menées de ce triste sire qui se sentit agressé, dépossédé par cette initiative et entreprit de la dynamiter. Pour ne la remplacer par rien, sinon par son propre désert personnel, qui tout au long des années 70 manqua d'engloutir dans les sables de l'oubli et de l'insignifiance le festival d'Annecy. Il fumait des cigarillos et son nom évoquait le jeu de croquet. Heureusement pour le festival d'Annecy, il fut débarqué et remplacé par un très grand petit homme qui allait faire tenir à ce festival toutes les promesses qu'il portait en lui. Il serait aussi un ami cher, j'en parle par ailleurs.

   J'ai très vite réalisé que je n'étais pas fait pour les intrigues et les querelles de personnes que suscitait l'existence de l'AFFA. Je n'avais aucune implication professionnelle qui m'eût servi de motivation pour me maintenir et m'affirmer. Et pas davantage d'ambition personnelle, je n'ai jamais eu la vocation d'un apparatchik. Comme Manuel, je m'étais simplement retroussé les manches pour contribuer à faire connaître un cinéma qui nous passionnait, et apporter notre concours dans une passe difficile. Je me pris à me demander ce que je faisais là au milieu…


   Coupure d'un article paru le 14 août 70 dans un quotidien de Zagreb, que m'envoya Zelimir Matko. Je suis à l'extrême-gauche, à côté de Ante Zaninovic (avec moustache et barbe), réalisateur à Zagreb-Film. Qui deviendra un ami, toujours plaisant à revoir chaque fois que je reviendrai ici, ou lorsque nous nous retrouverons en un lieu ou un autre de la planète, dans d'autre festivals, à Annecy, à Ottawa… Ensuite c'est Petar Volk (me semble t-il), écrivain et chroniqueur du studio Zagreb Film. Le monsieur suivant, chauve à lunettes est Bill Littlejohn, fameux réalisateur américain de cartoons, dont une kyrielle de "Charlie Brown". Et que Manuel s'obstinait à appeler "John Littlebill". À côté de lui, la canadienne Françoise Jaubert. Et à sa gauche, Turi Fedele, directeur du festival d'Abano Terme en Italie. Derrière Turi, l'autre personnage chauve à lunettes, dont la tête dépasse, est Milivoj Pogrmilovic. Zelimir Matko, futur patron du festival de Zagreb, veste posée sur les épaules, est à l'extrême droite de la photo. Plus à droite, hors champ, Manuel Otero, Raymond Maillet, fraîchement promu directeur du festival d'Annecy, John Halas, patron du studio londonien "Halas and Batchelor" et président de l'ASIFA, et sa secrétaire, Clare Kitson, qui deviendra un jour l'entreprenante et brillante productrice des créneaux consacrés au cinéma d'animation sur Channel 4. (cliquer pour voir la photo dans la page du quotidien zagrebois)


    Je sais mettre en place des mécaniques qui fonctionnent, et même très bien, c'est d'ailleurs ce que je ferai toute ma vie, et on me paiera, et souvent assez cher, pour ça. Qu'il s'agisse d'associations de revendication, de campagnes de publicité, de dossiers de presse, de sites internet, de conception de films "d'entreprise", d'activités de lobbying, de création de séries télé, de stratégies de développement d'entreprises ou de produits, ou d'articles dans les magazines, le principe est à chaque fois le même : il s'agit de comprendre comment fonctionnent les humains qui sont le coeur et la matière de ces systèmes, puis de faire dire aux uns ce qu'il doivent dire, et de faire entendre aux autres, au public, aux clients, aux consommateurs, aux décisionnaires, ce qu'ils doivent entendre ou voir. C'est pas compliqué, finalement. Mais une fois en place ces dispositifs, au bout d'un certain temps, j'ai un mal fou à me convaincre que je dois encore rester pour maintenir en vie l'organisme que j'ai prioritairement contribué à créer. Si, par dessus le marché, comme c'est le cas parfois, un coucou outrecuidant, médiocre et jaloux s'installe dans le nid, alors mieux vaut aller voir un peu plus loin… Le monde est vaste, et ma créativité intacte. Et puis, aussi, il y a le désenchantement.

   C'était déjà comme ça dans mon enfance, avec mes soldats de plomb, une fois construites les fortifications de cubes empilés, et les armées disposées en ordre de bataille ! Avec aux créneaux les canons Solido prêts à cracher, leurs petits obus rouges pleins la gueule. Je savais trop combien la suite serait sans surprise… Vient d'abord l'ennui, puis l'agacement, enfin une sorte d'écoeurement. Alors je reprends ma distance d'avec le réel, en maugréant contre moi de m'être encore une fois laissé aller à mon goût de serrurier ou d'horloger du vivant. Il y a en moi un Alceste et un Don Quichotte, et le premier ne cesse d'engueuler le second pour ses initiatives. Laissant à d'autres les fruits de mon travail et de mes victoires, je pars. C'est comme ça que je n'ai jamais réussi à rien capitaliser, et que mon parcours professionnel tient essentiellement de la tapisserie de Pénélope, toujours défaite et toujours recommencée. Ou d'une échelle, dont les barreaux cèderaient sous mes pieds au fur et à mesure que j'avance… Je n'en finirai jamais d'accoucher de ma vie comme une poupée gigogne condamnée à indéfiniment s'engendrer elle-même, de mue en mue, de peau en peau.

   La plupart de mes périodes professionnelles se termineront par un déjeûner où j'inviterai mon patron ou partenaire, pour lui signifier mon départ imminent pour une nouvelle époque, au sens des épisodes des films du muet. Trop soulagé de les laisser à une situation qui ne me convient plus, je pars pour de nouvelles aventures… À chaque fois, ce sera en même temps très chic, et assez déchirant. Car il s'agit de me résoudre à ce que ce qui, pour moi, est encore du vivant, du vécu, et qui pourrait continuer à le demeurer, se transforme en passé. C'est une position de démiurge, entre déchirement et exaltation. Et, je suppose, le propre de toutes les ruptures qu'on finit par se résoudre à déclencher. Donc, en cette fin d'été 70, le moment est venu où il faut que je reprenne quelque distance…

   C'est juste à ce moment, à la fin de l'été 1970, que Marie-Laure, ma fine, douce et drôle étudiante des Beaux-Arts arrive à Paris, pour suivre les cours de l'École des Arts Décoratifs, rue d'Ulm, où elle s'est inscrite. Son père a loué pour elle un appartement dans le 3ème arrondissement, 39 rue Volta. Je récupère mes maigres affaires chez Jacques Leroux et les ramène ici, toujours passager clandestin. Alors commence pour moi une période de latence, d'engoncement dans le bien-être, et d'ici deux ans de pratique plan-plan d'un métier de publicitaire alors sans souci. Tout en continuant mes chères gardes de nuit, cette fois pour le compte de la société Harrison France, histoire de contribuer à faire bouillir notre modeste marmite, je vais suivre durant même pas deux ans (70-71, 71-72) les cours de publicité par correspondance du Centre National de Télé Enseignement. Aussitôt après avoir été exempté de service militaire (pas réformé, j'y tiens !), je serai embauché, d'abord en consultant, le 18 mai 1972, puis en CDI à partir du 1er avril 1973 comme chef de publicité d'un groupe fabriquant et distribuant des produits pour les marchés de la papeterie, de la droguerie-quincaillerie et du bricolage. J'ai 26 ans, et c'est ma première "vraie" place. Dans la foulée, puisque me voici "installé", je peux m'embourgeoiser : Marie-Laure et moi nous marions le 28 avril 73 à la mairie du IIIème arrondissement.

   L'automne 70 aura marqué pour elle et moi le début d'une ère de bonheur et d'insouciance crasses, dont l'évocation simultanée des "délices de Capoue", de "la Belle au Bois dormant" et des "1001 nuits" ne peut donner qu'une faible et approximative idée. Une période de nos vies, pour Doudou et moi, qui va durer une dizaine d'années.

DESSIN GÉRALD DUPEYROT

FIN DE MES ANNEES 60





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(1) Je mentionne cette ressemblance qui nous faisait sourire, parce que je n'ai trouvé à ce jour d'autre photo de lui que celle ci-dessous. Elle rend bien hommage à sa ligne élégante et élancée, mais on distingue mal ses traits.


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Jean Coquet sera directeur des Beaux-Arts jusqu'en 1973. Pour avoir une idée de son oeuvre, une promenade sur le net peut, en morceaux de puzzle successifs, permettre une approche déjà évocatrice.

Lors des journées de mai, Coquet, on s'en doute, ne s'était pas trouvé en phase avec ses élèves. Enfin, principalement avec les "archis", c'est eux qui menaient ici la contestation. On peut même imaginer qu'il avait dû être submergé, physiquement et mentalement, tant sa nature réservée et rêveuse ne le prédisposait pas à ce genre d'évènement.

En tout cas, comme le rappellent ces deux étonnantes photos de René Basset, Coquet se retrouva dans sa propre école "persona non grata" (pour reprendre la langue morte pratiquée par ses principaux clients).

(photos : legs René Basset, Bibliothèque Municipale de Lyon)



C'est à l'endroit que désigne la flêche rouge, que se trouvait l'inscription ci-dessous.

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(2) Le Marly : au 32 rue René Leynaud, une salle ruinée, et "historique" ! La grosse dame brune qui nous loue la salle se fait appeller Mme Marly. Je ne connais pas son vrai nom, qui est Blattes ! Elle tiendra le Marly jusqu'en 1969. Cinéma de 318 places installé dans l'ancienne brasserie Chevallon, aménagée en salle de cinéma par l'architecte Berne de Gervésie au cours des années 1939-1940, il s'appellera LE CANUT à partir de 1974, et fermera en 1981. Actuellement il abrite le "Théâtre de la Platte".


Ici se trouvait le Marly (photo Philippon/Dupeyrot, 19 mars 2010).
En cliquant sur la "contremarque" ci-dessous, vous saurez où aller acheter de la belle fourrure pas cher !

(3) Ce sublime pavillon rococo, tout en baies vitrées et en pignons, avait été mis à la disposition de notre petit groupe de fans d'animation du "Ciné-Club 7bis" par le CEC (Centre d'Etudes Cinématographiques), de même que la caméra Pathé-Webo 16 mm que nous allions monter sur un rustique mais efficace banc-titre de cornières, édifié selon les plans et les directives de Michel Secrétant. La Pathé-Webo, toute de volumes parallépipédiques était bien plus avantageuse qu'une Paillard, elle permettait une "empreinte" et un "sabot" pour la maintenir bien plus faciles à réaliser.

Nos relations avec le CEC ne cessèrent d'être excellentes, témoin cette affichette qu'à ma demande leur dessina l'ami Zwordzky pour leurs journées "portes ouvertes" des 22 et 23 novembre 1968.




(4) Oui, pour toutes les formes d'art, même les dessins pour textiles même les dessins de mode, même la sculpture, comme le démontreront brillamment les films des frères Barletta, ceux de Kathy Rose, ou, pour la sculpture, celui de Jan Svankmajer ("Possibilités du dialogue", 1982).



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(5) Mes petits parents habitent alors 63 bis rue Chazière, au second et dernier étage du petit immeuble de deux étages en entrant dans le lotissement. En ce temps, le premier commerce à l'angle est une boulangerie, et plus loin, une pharmacie. Je cite mes parents avec amour et reconnaisance. Puisse t-il y avoir beaucoup de parents comme eux, qui acceptent sans trop broncher la présence d'un vieil adolescent, en restant persuadés qu'ils ont engendré la huitième merveille du Monde, et que forcément, un jour, la merveille va finir par ètre à la hauteur de leurs espoirs. Et apparemment, retenez bien ça, parents de maintenant et parents à venir de semblables "Tanguys" : ça marche pas trop mal…
Sur la photo, datant de 1970, papa sur le balcon de chez nous, avec "ma" chatte Gertie, ainsi nommée du fait de ses courtes pattes, à l'instar de "Gertie, la dinosaure apprivoisée", de Winsor McCay. En partant de Lyon, je vais la leur laisser…


Dans l'annuaire des PTT de 1962.


(6) La Ronde de Nuit : ses bureaux sont rue Gasparin. Il faudra qu'un jour j'écrive plus longuement sur ce métier qui permettait à des jeunes gens de sexe mâle de gagner une petite rémunération en contrepartie de nuits passées à hanter les locaux sombres et déserts d'entreprises facinantes. Pensez ! J'avais à ma disposition des machines à boule IBM du dernier cri pour taper mes textes, les frigos géants de leurs cuisines dévoilaient dans le rayon de ma lampe électrique des Fuji-Yama de rillettes dans des jattes comme des cratères lunaires, et des stalagtites de saucissons et de jambons (la restauration industrielle en plateaux aseptisés et pré-digérée était encore inconnue). Et quand on était appelé sur des sites industriels pratiquant les 3x8, on avait droit au spectacle, autrement impossible à imaginer, d'une vie nocturne sublime et surhumaine. Se promener seul entre les tapis roulants et rougeoyants de lave d'une briquetterie, ou entre les torchères d'une raffinerie de Feyzin, ce sont des moments grandioses et magnifiques. Et tout ça, rien qu'en acceptant de porter une casquette un peu naze, et en sautoir un "mouchard" bardé de cuir !

Parfois, c'était moins souriant, comme chez Gillet-Thaon, dans les vieux entrepôts qu'ils avaient sur le quai de Saône, à la hauteur du pont Clémenceau, côté Croix-Rousse : j'avançais dans une allée centrale… De part et d'autre s'alignaient les cloisons de planches de réserves où s'entassaient des milliers de rouleaux de textile en attente d'être teints, ou qui venaient tout juste de l'être. Et au sol, recouvrant l'obscurité inerte d'une obscurité vivante, des nappes de cafards s'écartaient devant le faisceau de ma torche électrique. Les blattes raffolent de tissu fraîchement apprêté… L'air était saturé de l'odeur rêche des rouleaux de textile gorgé de pigment. J'étais le Moïse de la mer des blattes. Le flot grouillant se divisait sur mon chemin selon un V inversé, mais jamais assez vite à mon goût ! Surtout que chez les cafards comme chez les humains, apparemment il y a aussi une proportion non négligeable de mal-comprenants, qui partaient pas dans la bonne direction. Au lieu de s'éloigner de la source de la lumière, se prenant pour des papillons de nuit, rôle très au dessus de leur condition, elles décidaient de se diriger vers mes pieds, et je faisais des bonds en criant pour les éviter ! À en parler aujourd'hui, j'en ai encore des frissons dans les poils du cou !

Alors qu'autrefois des étudiants rèveurs et des retraités cacochymes avec leurs petites laines faisaient l'affaire, je crains qu'aujourd'hui, ce métier ne soit désormais réservé à des spécialistes en sécurité, karatékas, maîtres-chiens, ex-mercenaires et autres anciens des services secrets. Dommage.


En ce temps-là, pas d'arme pour le veilleur de nuit, mais, en bandoulière, un "mouchard" qu'il actionne à chaque "pointeau". Comme ici dans "Ascenseur pour l'Échafaud" de Louis Malle (1957).


Il me reste une note de la Brasserie Georges du 19 novembre 1968. Cette nuit-là, j'étais de garde sur le bas-port de Gerland, et un copain était venu me chercher en voiture (je ne me souviens plus qui, il me semble que c'était Jean-Pierre Grunblat, qui habitait aussi 63bis rue Chazières… Ou bien Yves ?), et nous étions allés dîner à la Brasserie Georges. Nous avions la table 12bis, nous avons commandé deux "royales", une omelette norvégienne, et deux bières. En tout, pour 27,20 francs. Il m'avait ensuite ramené. Un peu pompètes, nous avons fait quelques tours en zigzagant largement au volant de l'un des "GMC" du chantier sur les immenses terrains vagues que j'étais chargé de défendre, puis il est rentré. Voici la note de la brasserie :



Cliquez pour agrandir.


(7) En 2010, je ne trouvais pas trace de lui sur Internet, et je m'inquiètais, son superbe coup de crayon aurait dû lui valoir un minimum de notoriété sur ce grand Panthéon que devient le net. Faut dire aussi qu'Yves était du genre misanthrope gentiment insolent, et ceci, c'est sûr, n'aide pas dans une carrière, quel que soit le talent. Finalement, le 24 mars 2010, j'ai fini par le joindre, nous avons parlé, il va bien. Pour le reste, c'est juste la vie… Vous savez comment c'est, la vie… Ci-dessous, son faire-part de mariage...



Oui, comme je disais, genre mysanthrope gentiment insolent… Cliquez pour agrandir.



L'affiche de Jim Leon. Cliquez pour l'agrandir.


(8) Les Iron Butterfly ? Un groupe incontournable de la vague acid-rock, et pourtant le groupe d'un seul album, voire même d'une seule chanson, le reste de leur courte discographie étant tombé dans l'obscurité depuis longtemps pour la majorité du public. Mais quelle chanson ! Et quel album, en fin de compte ! Ses 17 minutes (dont plus de 7 de quasi-solo de batteries), son harmonium funèbre, son thème principal reconnaissable entre tous, la voix de Doug Ingle un brin démoniaque et survireuse... enregistrée l'été 68 (si l'on en croit le site officiel des I.B.). Vous voulez les paroles ?

In-a-gadda-da-vida, honey,
Dont you know that I love you?
In-a-gadda-da-vida, baby,
Dont you know that Ill always be true ?

Oh, wont you come with me
And take my hand?

Oh, wont you come with me
And walk this land ?

Please take my hand!


Les films sortant à Lyon cet automne 1968 :

5 septembre 68 : "Baisers volés" de François Truffaut (Jean-Pierre Léaud en Antoine Doinel). Si je vous dis juste "Delphine Seyrig" ? Lisons ce qui suit avec sa voix dans l'oreille...


"Quand j'étais au collège, mon professeur nous expliquait la différence entre le tact et la politesse : un monsieur en visite pousse par erreur la porte d'une salle de bain et découvre une dame absolument nue. Il recule aussitôt, referme la porte et dit : "Pardon madame". Ça, c'est la politesse. Le même monsieur poussant la même porte découvrant la même dame complètement nue sort, lui, en disant : "Pardon monsieur". Ça, c'est le tact. J'ai compris votre fuite, à demain." Delphine Seyrig (Fabienne Tabart dans "Baisers volés").

7 septembre  : "Le gendarme se marie" de Jean Girault avec Louis de Funès, Claude Gensac.

25 septembre : "Roméo et Juliette" de Franco Zeffirelli, pur monument de cucuterie. L'actrice du rôle-titre, Olivia Hussey, et sa gueule de Madone persisteront et signeront dans quelques années en tenant le rôle de la vierge dans "Jésus de Nazareth" (1978). En cliquant sur sa photo, vous aurez d'elle un contre-emploi bienvenu… Une séquence volée par un technicien facétieux lors du tournage de "Roméo et Juliette" ? Vous voudrez bien remarquer les saints… Non, "saints", S.A.I.N.T.S, oui, ceux des trois vitraux à l'arrière plan. N'oubliez pas le guide, merci.



27 septembre : "2001, l'Odyssée de l'Espace" de Stanley Kubrick.
Hall : "I'm sorry Dave, I'm afraid I can't do that."


2001 : première mise à mort d'un ordinateur assassin.

octobre : "Le Socrate" de Robert Lapoujade, grand auteur atypique, aujourd'hui oublié, du cinéma d'animation.

octobre : "L'Affaire Thomas Crown"
de Norman Jewison, Faye Dunaway en Courrèges, Steve McQueen en tendre et cruel joueur d'échecs, "The Windmills of your Mind" de Michel Legrand chanté par Noel Harrison (Oscar de la meilleure bande son en 1969), un film magique !



novembre : "Barbarella" de Roger Vadim, avec Jane Fonda



1er décembre : "Le Livre de la Jungle" de Wolfgang Reitherman (production Disney)




(9) J'ai retrouvé la trace de Jack ce vendredi 5 mars 2010 sur Dailymotion :


Il inaugure une exposition de ses tableaux (Le Catalogue sonore - 31 rue Alsace-Lorraine 30240 Le Grau du Roi, 06 17 85 53 22), le 13 juillet 2009. Salut, Jack ! Les cheveux blancs te vont bien. Ni toi ni ton accent n'avez changé ! Cliquons sur ta photo pour voir ce reportage... Jack a ensuite organisé au même endroit une expo Raoul Dufy, jusqu'à l'automne 2010. Et puis finalement, j'ai joint Jack au téléphone le 31 janvier 2012, je ne pensais pas que retrouver ainsi sa voix inchangée, plein de son accent tout ensemble gouailleur et bienveillant, me ferait autant plaisir ! Il m'a donné aussi des nouvelles de Brigitte, notre ex-talentueuse affichiste et dessinatrice textile, elle est aujourd'hui quelquepart en basse Espagne.

(10) CAFAS : "Certificat d'Aptitude à une Formation Artistique Supérieure", il permettait d'accéder "au corps des adjoints d'enseignement pour le dessin et les arts plastiques". J'ignore si Jean-Michel a jamais enseigné. Plus tard il sera peintre, s'occupera d'un orchestre philarmonique, il écrira, et c'est par une chanson qu'il se fera connaître du grand public : "Le chien aux yeux jaunes" sera le tube de l'été 1984. En 2010, on peut l'écouter sur "Youtube" (http://www.youtube.com/watch?v=2DGn_eT5pZ8). Jean-Michel enregistrera, par la suite, "Dominus" et "Ça m'fait mal au coeur", mais le succès sera moindre.



Musiques de 1969
(une p'tite sélection)


Janvier : "Ob-la di ob-la-da" (Beatles)
Mars : "I started a joke" (Bee-Gees) ; "Le Métèque" (Moustaki)
Avril : "Je t'aime moi non plus", "Jane B." (Serge Gainsbourg, Jane Birkin)
Mai : "Get back" (Beatles) ; "Oh Happy Day" (Edwin Hawkins Singers") ; "Daydream" (Wallace Collection) ; "Jeux interdits" (Narcisso Yepes)
Juin : "The ballad of John and Yoko" (Beatles) ; "Tous les bateaux, tous les oiseaux" (Michel Polnareff)
Juin : "Hair" (Bande originale du film)
Juillet : "Que je t'aime" (Johnny Halliday) ; "Chimène" (René Joly)
Octobre : "Il était une fois dans l'Ouest" (Ennio Morricone) ; "Adieu Jolie Candy" ; "Venus" (Shocking Blue) ; "Come together" (Beatles) ; "Wight is Wight" (Michel Delpech) ;
Novembre : "Dans la maison vide" (Polnareff) ; "L'hôtesse de l'air" (J. Dutronc).

Et aussi : c'est fin 1969 que le groupe "Rare Bird" sort son premier single "Sympathy". Un mega tabac !



C'est enfin cette année 1969 que Leo Ferré chante "C'est extra", son premier très grand succès public !

   "Un Moody Blues qui chante la nuit
   Comme un satin de blanc marié
   Et dans le port de cette nuit
   Une fille qui tangue et vient mouiller
   C'est extra c'est extra
   C'est extra c'est extra"

   Il semblerait aussi qu'on ait entendu pour la première fois cette année : "Cet enfant que je t'avais fait" (Jacques Higelin), "Il suffirait de presque rien" (Serge Reggiani), "Désormais" (Charles Aznavour), "Les P'tits Papiers" (Régine), "Initials B.B." (Serge Gainsbourg), "69, année érotique" (encore Gainsbourg et Birkin), "L'Homme de ma Vie" (Diane Dufresne), "La Californie" (Julien Clerc), "Daydream" (Wallace Collection), "In the Summertime" (Gerry Rafferty)…



Dates des sorties en 1ère exclusivité à Lyon,
de quelques uns des nouveaux films vus en notre ville cette année 1969 :


3 janvier 69 : "Astérix et Cléopâtre", qui a fait sa sortie nationale le 19 décembre dernier, passe au Majestic, au Star et au Festival. Avec ses 3 chansons phares, il va longtemps enchanter nos souvenirs… Voici une image de l'une d'elles, "Le bain de Cléopâtre". Pour les revoir, allez en trouver les extraits sur Dailymotion.




En ce début d'année "Mayerling", avec Omar Sharif et Catherine Deneuve tient l'affiche au Comoedia. Et la tiendra encore jusqu'à fin février. Le film va rester longtemps à l'affiche. Il sera remplacé par "Funny Girl" en mai. Le Coemoedia était la salle des films glamour en costumes falbalas grand tralala pour midinettes de tous âges.

8 janvier : en ce début d'année, le "Livre de la Jungle" est annoncé en 3ème et dernière semaine dans les salles Scala, Ritz et Ariel. Il reprendra toutefois à la Scala fin janvier.

7 février, au Duo : "Théorème", de Pier Paolo Pasolini. Va tenir jusqu'au 18 mars (6 semaines).

7 février, au Majestic : "La Vie, l'Amour, la Mort" de Claude Lelouch. Va tenir au moins jusqu'au 18 mars. Le succès aidant, va être joué en même temps au Star à partir du 19 février. Sera repris au Paris le 17 septembre 69.


Caroline Cellier, Hamidou… La vie, l'amour…


…et Hamidou au petit matin…

12 février, au Pathé et à l'Eldorado : "La Piscine" de Jacques Deray, avec Romy Schneider, Alain Delon, Maurice Ronet, Jane Birkin... Dans deux mois, en avril, la diaphane et exquise Jane nous chantera les chansons qui finiront de caractériser cette année toute tête-bêche et, qui plus est, très lyonnaise : "69, année érotique", "Je t'aime, moi non plus", "Jane B.".



26 fév 69 : "Charge de la brigade légère" au Tivoli et au Gloria. Il s'agit de celle de Tony Richardson, avec le sublime générique de Richard Williams d'après des dessins de presse d'époque victorienne. Un régal ! L'affiche avec le cavalier frappé à mort en pleine charge est assez marquante pour qu'on s'en souvienne encore 40 ans après !




Mercredi 5 mars (et non en août, comme indiqué sur Wikipedia), aux Ritz, Scala et Ariel (puis le 14 mai au Paris) : "Le Diable par la queue", comédie de Philippe de Broca, sans doute sa meilleure, avec Yves Montand, Madeleine Renaud, Marthe Keller, Clotilde Joanno, Maria Schell, Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle, Claude Pieplu, Xavier Gélin, Jacques Balutin, Pierre Tornade... Tourné au château de Fléchères, commune de Fareins, dans l'Ain




Mercredi 12 mars, au CNP Villeurbanne : "Mister Freedom", de William Klein, musique de Serge Gainsbourg, l'histoire d'un superman américain, justicier et moralisateur, qui propose de gré ou de force les bienfaits de la liberté. Avec une figuration assez incroyable : John Alley (Mister Freedom), Delphine Seyrig (Marie-Madeleine), Donald Pleasence (Dr Freedom), Yves Montand (le Capitaine Formidable), Rufus (Freddy Fric)…


…Philippe Noiret (Moujik Man), Sami Frey (Christ Man),


…Serge Gainsbourg (M. Drugstore), Jean-Claude Drouot (Dick Sensass),

et même Daniel Cohn-Bendit dans son propre rôle !

12 mars aussi, au Tivoli et au Gloria : "Le Grand Silence", western de Mario Corbucci, avec Jean-Louis Trintignant. Il ne va tenir qu'une semaine, puisque…

Mercredi 19 mars, Tivoli - Gloria - Astoria - Royal : "Le Cerveau", de Gérard Oury, avec Jean-Paul Belmondo, Bourvil, David Niven, Eli Wallach… Un casse qui casse rien.

19 mars, au Majestic et au Star : "Rosemary's Baby" de Roman Polanski, le film idéal pour rendre les futures mamans paranos et ne plus jamais rien demander à ses voisins !


19 mars au Pathé-Palace et à l'Eldorado : "Z" de Costa-Gavras (sortie officielle en France le 26 février). Avec notre concitoyen Jean Bouise dans le rôle superbe de Georges Pirou, l'ami du député Z, joué par Yves Montand. Jean Bouise, le confident idéal que chacun aurait voulu avoir (il sera pareillement François, l'ami de Philippe Noiret dans "Le vieux fusil").


Deux comédiens grandioses, Denner et Montand…


… et encore deux autres, dans des contre emplois de colonels grecs : Pierre Duc (pas digne), Julien Guiomar (pas comique).


9 avril, au Majestic et au Star (va tenir au moins 8 semaines, la sortie nationale date du 17 octobre 68) : "Bullit" de Peter Yates, toujours avec Steve McQueen, mais en plus, avec Jacqueline Bisset. Je ne sais plus qui lui a décerné le titre de "plus belle femme du monde"… Ben oui.



16 avril, au Duo : "La Voix lactée", de Luis Bunuel.

16 avril aux Scala - Ritz - Ariel (repris ensuite au Grolée) : "La Femme infidèle" de Claude Chabrol, avec Stéphane Audran, Michel Bouquet, Maurice Ronet.



30 avril au Star : "Cérémonie secrète" de Losey.

7 mai au Coemedia : "Funny girl" avec Barbara Streisand qui a obtenu pour ce rôle l'Oscar de la meilleure actrice.

14 mai, au Star : "Le grand Amour" de Pierre Étaix. Premier rôle au cinéma pour Nicole Calfan, elle y fait du Velosolex ! Joli succès. Se continuera à partir du 18 juin au Paris.

 


21 mai au Duo : "Goto, île d'amour" de Walerian Borowczyk. C'est le second long-métrage de cet auteur majeur du cinéma d'animation ("Renaissance", Annecy 1965, "Jeux des Anges", Annecy 1967). "Boro", le Polonais de Paris nous a déjà enthousiasmés avec ses courts-métrages, et son premier long-métrage en dessin animé, "Mr et Mme Kabal". Les fans des images fixes du film de Chris Marker "La Jetée" (ainsi que les rares qui se souviendront de ses apparitions dans "La maison" ou "Les Astronautes" de Borowczyck) ont la bonne surprise de voir "à de vrai" s'animer à nouveau l'actrice Ligia Branice, épouse de Boro (la fois précédente, c'était dans le beau court-métrage "Rosalie" du même Boro). En 1971, Ligia Branice finira de nous conquérir dans "Blanche", du même Boro.


Ligia Branice et Pierre Brasseur dans "Goto". Cliquez pour un portrait de Ligia.

21 mai au Duo : "L'amour fou" de Jacques Rivette, avec Bulle Ogier, Jean-Pierre Kalfon.



18 juin, au Duo : "Ma nuit chez Maud", d'Éric Rohmer, troisième volet des six Contes moraux du réalisateur. Avec Jean-Louis Trintignant, Françoise Fabian, Marie-Christine Barrault, Antoine Vitez. Avec des considérations brillantissimes sur les probabilités et le hasard des rencontres qui alimenteront d'abondance nos conversations.
Le film va tenir 6 semaines au Duo, jusqu'au 29 juillet.

25 juin, au Tivoli - Gloria - Astoria - Royal : "La Sirène du Mississippi", de François Truffaut, avec Catherine Deneuve et Jean-Paul Belmondo.



23 juillet, au Majestic et au Star : "Le corps de Diane", de Jean-Louis Richard, avec Jeanne Moreau et Charles Denner. C'est l'an dernier, dans "La Mariée était en Noir", que Jeanne faisait une inégalable Diane chasseresse, et, avec le même Charles Denner, un duo autrement fascinant.

Mercredi 17 septembre, aux Scala - Ritz - Ariel : "Il était une fois dans l'Ouest", de Sergio Leone


Un contre-emploi absolu pour Henri Fonda, et un rôle de premier plan pour un modeste harmonica. Celui confié à la cloche n'est pas négligeable non plus. Sans oublier la magnifique et farouche Claudia Cardinale, et le pathétique Jason Robards dans un premier grand rôle, celui de chien mouillé qui lui va comme un gant.



Mercredi 28 août (à vérifier), au Pathé : "Erotissimo" de Gérard Pirès, un film bien dans l'air du temps... et qui s'asphixie à être revu. Au moins son slogan sur l'affiche était honnête…



17 septembre, aux Pathé - Eldorado : "Que la bête meure", de Claude Chabrol, avec Jean Yanne, Caroline Cellier, Michel Duchaussoy, Anouk Ferjac.

Mercredi 24 septembre, aux Grolée et au Gloria : "Hibernatus", de l'excellent Edouard Molinaro, avec De Funès en homme des glaces mystifié, et Paul Preboist, décidément épatant en ahuri lunaire, et tellement émouvant à revoir quand il est si bien employé !




24 septembre encore, au Royal et à l'Astoria : "Slogan", avec Jane Birkin, Serge Gainsbourg.


"Tu es faible, tu es fourbe, tu es fou
Tu es froid, tu es faux, tu t'en fous

Evelyne, je t'en prie,
Evelyne, dis pas ça
Evelyne, tu m'as aimé, crois moi

Tu es vil, tu es veule, tu es vain,
Tu es vieux, tu es vide, tu n'es rien

Evelyne, tu es injuste
Evelyne, tu as tort
Evelyne, tu vois, tu m'aimes encore"


24 septembre toujours, au Majestic et au Star : "L'Armée des ombres" de Jean-Pierre Melville.



De film en film, Melville a permis à de déjà grands acteurs de trouver l'un de leurs plus beaux rôles. Ici, sans exception, ils sont tous magnifiques, bouleversants d'humanité dans un film qui laisse sidéré : Simone Signoret, Lino Ventura, Paul Meurisse, Jean-Pierre Cassel, Serge Reggiani, Paul Crochet, Christian Barbier ("le Bison"). "Filmant ces combattants clandestins comme des fantômes, des morts en sursis, Melville loue leur courage et leur abnégation sans céder au spectaculaire, à l'imagerie héroïque. Si héroïsme il y a, il avance masqué, hanté par la mort. L'Armée des ombres est une épure funèbre et hypnotique dans laquelle les hommes et les femmes, bien qu'unis par des convictions très fortes, sont immanquablement seuls. Au bout du compte, c'est par le bais de cette solitude mélancolique que ces silhouettes souveraines rejoignent le mythe." (www.cineclubdecaen.com)



Mercredi 1er octobre, au Comoedia : "La Bataille d'Angleterre", de Guy Hamilton


Suzannah York. Cliquez pour un site plein de photos du film.


Mercredi 15 octobre, au Duo : "Adalen 31", de Bo Widerberg.

15 octobre aussi, au Royal et à l'Astoria : "Clérambard". Le film est de Yves Robert, Danny Carrel et Philippe Noiret tiennent les rôles principaux, les paroles des chansons, de Jean-Loup Dabadie (également scénariste du film) sont chantées par Marie Laforêt sur une musique de Vladimir Kosma, tout de qu'il faut pour qu'on se souvienne de "Clérambarde" 40 ans après !

22 octobre, au Cinéjournal : "Un amour de Coccinelle", de Robert Stevenson.

29 octobre : "Les Chemins de Katmandou" (ai oublié de noter dans quelle salle), de Cayatte, avec Pascale Audret, J. Birkin, S. Gainsbourg... D'après un roman de René Barjavel.

Mercredi 5 novembre, au CNP Villeurbanne : sortie de "Calcutta", de Louis Malle.

Mercredi 5 novembre aussi, au Duo : sortie de "La Porcherie" de Pasolini.

Mercredi 12 novembre, au Comoedia : "L'Homme perdu", film américain de Robert Alan Aurthur, avec Sidney Poitier et Joanna Shimkus. En 1966, elle était la voisine de palier de Polly Maggoo dont le prince Igor (Samy Frey) tombe amoureux comme par substitution, et tout spectateur comprit ce transfert amoureux et cette manière de dénouement heureux, tant Joanna était belle ! Il y a trois ans, elle nous bouleversait dans "Les Aventuriers", avec sa beauté à la fois saine, paisible et gracieuse, et l'immersion finale de son corps dans un scaphandre, d'un romantisme rare (sur la sublime musique de François de Roubaix !). L'an dernier, elle chantait avec Sacha Distel "Ces mots stupides". Sur le tournage de "L'Homme perdu", elle vient de rencontrer l'homme de sa vie, le non moins beau Sydney Poitier, ils seront pour les décennies à venir l'un des plus rayonnants et durables couples de Hollywood.


12 novembre, au Pathé et à l'Eldorado : "La Horde sauvage", de Sam Peckinpah, western.

19 novembre, au CNP Villeurbanne : toujours "Calcutta", de Louis Malle + "Le temps de vivre".

Mercredi 26 novembre, à la Scala et au Ritz : "More" de Barbet Schroeder, avec Mimsy Farmer, et la musique des Pink Floyd ! Pour de belles images du film et la musique des Pink Floyd, cliquez sur la photo…



26 novembre, au Duo : "Une femme douce", de Bresson, avec Dominique Sanda dans son premier rôle. Elle va être la star française "glamour" de nos années 70…



Mercredi 17 décembre, au Comoedia : "Hello, Dolly !", film musical américain de Gene Kelly, avec Barbara Streisand.

17 décembre encore, au Pathé Palace et à l'Eldorado : "Le Clan des Siciliens" de Henri Verneuil
Pour de belles images du film et le thème musical d'Ennio Morricone, cliquez ICI.

17 décembre toujours, aux cinémas Ritz et scala : "Au service secret de sa Majesté", avec le mannequin australien George Lazenby qui interprète son seul rôle de James Bond. L'intérêt du film : Diana Rigg, ex-Emma Peel de "Chapeau Melon et Bottes de Cuir", joue la comtesse Theresa di Vincenzo, également surnommée Tracy, et qui restera la seule femme étant devenue l'épouse du célèbre espion.


Just married !


James Bond pris en flagrant péché de convoitise : reluquant la Playmate de février 69 en pages centrales de Playboy ! La doublement talentueuse Lorrie Menconi ! On répètera pas à Diana.

Mercredi 24 décembre , aux Tivoli - Gloria - Astoria - Royal : "Mon oncle Benjamin", d'Édouard Molinaro, avec Jacques Brel, et Claude Jade (ci-dessous).




Autres films de 1969,
dont je n'ai pas trouvé trace
d'une sortie en 1969 à Lyon

(peut-être sont-ils sortis en notre ville plus tard ?)



"Anne des mille jours", de Charles Jarrott avec Richard Burton et Geneviève Bujold

"Easy Rider", de Dennis Hopper.


Peter Fonda. Cliquez pour le voir en "biker".

"Les Damnés", de Luchino Visconti.


Charlotte Rampling. Cliquez pour agrandir.

"Macadam cowboy" (Midnight Cowboy) de John Schlesinger

"Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause !" de Michel Audiard, avec Annie Girardot.

"Satyricon" de Federico Fellini, sortie nationale le 1er septembre.


Mon pote le giton... Cliquez pour un site plein de photos du film.

"Waterloo", de Sergueï Bondartchouk avec Rod Steiger (Napoléon 1er), Christopher Plummer (le duc de Wellington), Orson Welles (le roi Louis XVIII).

"Yellow Submarine", dessin animé avec les Beatles. Le triomphe du dessinateur allemand Heinz Edelmann, et une kyrielle de chansons épatantes !


Cliquez pour un site plein de photos du film.

   Celle qui faisait le plus sourire : "When I'm 64". Comme ce futur paraissait lointain ! Et pourtant ! 64 ans, ça y est, j'y suis presque, c'est pour l'an prochain, en 2011 !



   En 2010, la firme Disney s'est battue pour obtenir les droits de remake de "Yellow Submarine". Deux contre un qu'ils vont gâcher ce chef d'oeuvre comme tout ce que touche la firme de Burbank ! Et puis, ont-ils si peu d'imagination qu'il leur faille faire un remake d'une oeuvre qui n'en a pas besoin ? John Lennon se retournerait dans son cercueil s'il n'avait pas été incinéré, lui qui avait bataillé lors de la réalisation de Yellow Submarine, afin "que le dessin animé portant leur nom ne soit ni mièvre ni dans le genre de Disney". Perdu !

    Et je ne parle pas des brillantissimes artistes et techniciens londoniens qui avaient bossé dessus ! Dont George Dunning, le réalisateur, John Coates, le producteur, l'un des mieux inspirés que je connaisse, Alan Ball, Charlie Jenkins, Paul Driessen (futur Grand Prix d'Annecy en 1977), Robert Balser, Tony Cuthbert, Gérald Potterton, et les merveilleuses Dianne Jackson (future réalisatrice de joyaux comme "The Snowman"), l'une des animatrices, et, aux décors, Alison de Vere (autre futur Grand Prix d'Annecy, en 1979 avec "Mr Pascal"). À noter qu'Alison fait dans le film un "cameo", avec son apparition en photo fixe dans la séquence "Eleanor Rigby". Tous sont ou seront parmi les plus éblouissants talents du cinéma d'animation britannique des décennies 70-90 qui pourtant en sera incroyablement prodigue !
    Disney voudrait sortir le film pour les Jeux Olympiques de Londres, à l'été 2012…

"L'étau" de Alfred Hitchcock, avec Frederick Stafford, Dany Robin, Claude Jade, Michel Subor, Michel Piccoli et Philippe Noiret. Si vous voulez une photo de Claude Jade, c'est déjà fait un peu plus haut (dans "Mon oncle Benjamin").

"La Fiancée du pirate"

"Un château en enfer", film de guerre états-unien, réalisé par Sydney Pollack, sorti le 10 octobre.

"Un homme qui me plaît", de Claude Lelouch, avec Jean-Paul Belmondo et Annie Girardot

"Médée", de Pier Paolo Pasolini, qui transforme Laurent Terzieff en inoubliable Centaure et offre à Maria Callas son unique rôle au cinéma.




Cliquez pour agrandir cette sublime image de Chiron le centaure avec Jason enfant.


"Queimada", avec Marlon Brando.

"On achève bien les chevaux",

"Alice's Restaurant", de Arthur Penn.

"Paris n'existe pas" de Robert Benayoun... et son affiche polonaise.


"Andrei Roublev", film russe d'Andreï Tarkovski, tourné en 1966 et sorti en 1969.

"Antonio Das Mortes", de Glauber Rocha.

"Music Lovers", film britannique de Ken Russell

"John et Mary", film américain de Peter Yates, avec Mia Farrow et Dustin Hoffmann.

"L'Incinérateur de cadavres", film tchécoslovaque de Juraj Herz

"M. Kopfrkingl est un employé modèle. Incinérateur de cadavres de son état, il exerce son métier avec amour. Il aime ses morts, il est heureux de libérer les âmes et souhaite, par amour de son prochain, à tous une mort prochaine. À la veille de la Seconde Guerre mondiale un ami nazi le persuade qu'il doit avoir du sang allemand dans les veines. Et M. Kopfrkingl se prend a rêver d'une race pure. Son crématoire va pouvoir tourner à plein régime." (www.psychovision)

"Bob et Carole et Ted et Alice", de Paul Mazursky.

"Élise ou la Vraie Vie", avec...




Et maintenant,
des films que, forcément, on n'aura pas vus
cette année 69 dans les salles :


"Je, tu, elles…", de Peter Földes, d'abord diffusé à la TV puis brièvement dans les salles en 1973.

C'est cette année 69 que Woody Allen joue dans "Prends l'oseille et tire-toi", et en assure la réalisation (c'est la première fois !), mais le film ne sortira que le 1er juin 1972 !

Cette année 69 aura été une grande année pour Annie Girardot qu'on aura vue (au moins) dans "Un homme qui me plaît" de Claude Lelouch, "Érotissimo" de Gérard Pirès, "Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause !" de Michel Audiard, "La Vie, l'Amour, la Mort" de Claude Lelouch (juste une apparition), "La Semence de l'homme" de Marco Ferreri, "Clair de Terre" de Guy Gilles, "Dillinger est mort" de Marco Ferreri.

"Où avez vous appris à dire autant de conneries ?
- Deux ans de télé."

(Annie Girardot dans "Elle boit pas...". C'est de Audiard)



L'année 1969 est la dernière de la période où j'eus dans ma vie une délicieuse jeune femme blonde, je parle d'elle par ailleurs. Ses yeux étaient d'un bleu magnifique, on l'appellera L., la première lettre de son prénom, et je crois que durant ces cinq ans ans, nous nous sommes beaucoup aimés. Ce final ne fut pas facile, mais, comme il est dit, "à quelque chose malheur est bon". À la rentrée 1969, arrivait aux Beaux-Arts de Lyon… Mais bon, c'est écrit là à gauche. Quelques notes de mon agenda de 1969 :

Samedi 18 janvier : "Un mur à Jérusalem" (depuis le 15 janvier au Majestic et au Star, avec L.) ; dimanche 26 janvier : "Dom Juan" avec L. au Théâtre du Huitième ; février : sortie du n°1 de Charlie mensuel. Entre autres, début de la parution de l'envoûtant "Ulysse" de Pichard et Lob. Pour tout savoir, cliquez sur la couverture.



Samedi 8 février : pot d'adieu avec ses collègues, L. quitte son poste de Crapone , elle est nommée à Chamelet, à 45 Km de Lyon (reçois lettre le mercredi 12 février avec son téléphone : le 5) ; mardi 18 février au cinéma Normandy : "Elle veut tout savoir" ; mercredi 26 mars, soirée William Klein avec L. au CNP : "Polly Maggoo" et "Mr Freedom" ; 31 mars au 05 avril : suis en stage d'animation dans le Nord, au CREPS de Wattignies (animé par le cher Jean Allainmat, conseiller "Jeunesse et Sports") ; dimanche 20 avril : "Cul de Sac" à l'Aiglon avec L. ; mercredi 30 avril : avec L., dîner au "Martell" (un bar-restaurant paisible, feutré, et pourtant archi-central, situé en 1er étage, à peu près au dessus du Ciné-Journal, 73 rue de la Ré. La longue baie vitrée fumée donnait sur la rue, on voyait l'agitation lyonnaise sans être trop vu, c'était un endroit très agréable), puis nous allons voir "La Vie, l'Amour, la Mort" au Chanteclair (Bd de la Croix-Rousse) ;


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samedi 10 mai : avec L., Armand, Mamine, "On ne vit que 2 fois" au "Festival" ; samedi 7 juin : reçu avis de prolongement de mon sursis jusqu'au 16 novembre 1971. J'écris : "Youpee !". Jeudi 12 juin : "allé avec L. et Mamine voir "Requiem" à Fourvières" ; c'est le Requiem de Berlioz, monté par Louis Erlo, de l'Opéra de Lyon, les décors sont du peintre lyonnais Max Schoendorff, c'est grandiose, 500 éxécutants, dont 300 choristes, issus de différents grands orchestres. Nous avons eu de la chance, les deux soirs précédents, des orages monstrueux ont rendu impossibles les deux premières représentations ! Dimanche 15 juin : "Pompidou élu" ; dimanche 1er juillet : "L. quittée". Fin de notre histoire ; vendredi 4 juillet, samedi 5, dimanche 6, lundi 7 : travaille pour "La Ronde de Nuit". Samedi 5 juillet : "ai dessiné invitation Yoji Kuri" (pour une expo au Théâtre du 8ème). Ensuite, plus rien de noté dans mon agenda de 1969.




(11) Luce Mélite : on a beaucoup de mal en 2010 à trouver sur le Net une trace de Luce qui ne soit pas ténue et odieusement fragmentaire. D'elle, si belle, à peine retrouve t-on une minuscule photo riquiqui, et encore, elle est coincée entre M.N. Maréchal et Mick Jagger. Le Net est décidément un Panthéon injuste et paradoxalement amnésique. Comme il est constitué des apports des gens, ce jugement s'applique en définitive à eux, c'est à dire à nous tous.


   Permettez-moi de faire miennes ces quelques lignes - anonymes, mais je pense qu'elles sont d'un chroniqueur théâtral de l'Huma - parues quelques jours après la mort de Luce en octobre 1994 :

   "Très belle toute sa vie, les traits fins et droits, avec son regard bleu de perpétuelle innocence étonnée, son allure de souveraine discrète, Luce a notamment fait merveille dans quasiment toutes les productions mémorables de Marcel Maréchal avant son installation à Marseille. Il me suffit de fermer les yeux pour la revoir dans "le Sang", de Jean Vauthier, par exemple, magnifique "pasticcio" élisabéthain dans lequel elle tenait le rôle de la reine mauvaise mère, elle qui, à la ville, était la bonté même et la douceur à tous attentive."

   Je crois qu'il y eut beaucoup d'humains qui furent redevables, sinon reconnaissants, à Luce d'avoir, à un moment de leur vie, suscité le petit quelque chose qui allait la transformer en mieux. Elle en révéla beaucoup à eux-mêmes, apportant le coup de pouce, l'encouragement, le conseil, qui allait les rendre plus riches, plus féconds. Moi, elle voulut bien accueillir, alors qu'elle était rédactrice de "La Vie Lyonnaise" mes deux tout premiers articles jamais parus (en février et août 67). Et en cette fin d'année 69, elle m'intégrait en sein du Théâtre du Huitième.

PS du 16 avril 2010 : j'ai fini par trouver de Luce une photo prise sur la fin de sa vie, une vingtaine d'années après que je l'aie connue. Le critique a raison : elle est toujours bien belle !



PS 2 : les photos de Luce sont assez inexpliquablement absentes du Net. Quelqu'un aurait-il choisi qu'elles ne soient pas diffusées ? Mais pour quelle raison ? Fini quand même par trouver, en janvier 2019 sur un site d'enchères, cette photo de Luce de 1982, datant de sa période marseillaise :


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(12) Qui se douterait que dans quarante ans, ce mobilier de dispensaire et de réfectoire sera un "must have" (comme on dira), salué comme expression du génie français, et exposé avec une étiquette à trois chiffres et en euros dans les vitrines de Benoit-Guyot, rue Émile Zola, la boutique d'ameublement "urf" des bourgeois lyonnais ?

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(13) Jean Benguigui : assez curieusement, son cursus théâtral officiel, dont celui qu'on peut trouver sur Wikipedia, ne démarre qu'en 1971. Pourtant, je suis certain qu'il jouait, ainsi que je l'écris ici, lors de la saison 69-70. À preuve : cet article du Nouvel Obs du 26 janvier 1970, mentionnant Jean Benguigui dans la distribution de "Capitaine Bada" de Jean Vauthier que Maréchal vient de monter au Théâtre du Huitième ce mois de janvier. Alors ?



(15) Les invités présents à ces premières (et dernières) rencontres du film d'animation de Lyon :

Alexandre Alexeïeff, d'origine russe, réalisateur et illustrateur sur "écran d'épingles", il travaille avec Claire Parker (le prologue du "Procès" d'Orson Welles en 1962, c'est d'eux !) ;


Claire, l'écran d'épingles, et Alexandre.
Ci-dessous "la Porte de la Loi" du Procès.



Gisèle et Ernest Ansorge, réalisateurs suisses auteurs de bien beaux films en sable animé, dont, lors de ces journées, on voit "les Corbeaux" (ci-dessous) et "Fantasmatic",



Raoul Servais et Gaston Roch, réalisateurs belges. Le premier poursuivra une carrière d'enseignant, tandis que Raoul deviendra l'un des auteurs les plus en vue et les plus lauréés du cinéma d'animation. De lui, le programme comprend : "Chromophobia", "Sirène" et le puissant et inoubliable "Goldframe", histoire de Jason Goldframe, le producteur milliardaire qui veut dépasser son ombre.



   Joan et Peter Foldès, auteurs en commun de plusieurs films de la période anglaise de Peter, bien que déjà séparés, sont venus ensemble à Lyon. Peter, d'origine hongroise, après un séjour fructueux dans le "swinging London, "vit maintenant à Paris. À l'occasion de sa rétrospective, nous voyons tous ses films, dont les 23 minutes d'"Éveil", datant de 1967. Dans ce film, la belle Handa danse nue avec les beaux zigouigouis animés nés du crayon de Peter :


En cliquant sur l'image, vous pouvez aller voir "Éveil" sur le site de l'I.N.A.

   En 1969 Peter a sorti son premier long-métrage, "Je, tu, elles". En prises de vues réelles, avec au générique Francis Blanche et une pléthore de belles actrices, les femmes sont une passion de Peter. Parmi elles, une petite bohémienne, six ans au moment du tournage. Elle s'appelle Tess, fille de Peter et de sa compagne, la très belle et fine Sarah Mallinson. En ces années 60, il m'arrive de voir Tess avec son père quand je "monte" à Paris. Une sauvageonne espiègle et craquante. Grandira telle quelle. Serons amis le reste de ma vie. "Je, tu, elles" ne sortira en salles qu'en avril 1973.


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Piotr Kamler, réalisateur d'origine polonaise travaillant alors au service de la recherche de l'ORTF. Il nous montre tous ses films : "Planète Verte", "le Trou", "Araignéléphant" (ci-dessous), "Labyrinthe", et un extrait de "Délicieuse Catastrophe" même pas encore terminé, qu'il a bien voulu nous amener dans ses bagages.



Jacques Rouxel (26-02-1931/25-04-2004), auteur des tout récents Shadoks (la série a commencé d'être diffusée fin avril 1968, et, interrompue, avait repris en septembre 68, juste quand j'installais mon atelier à l'école des Beaux-Arts). Jacques et ses bestioles - n'oublions pas les Gibis - sont les vedettes du moment !



Daniel Szczechura, réalisateur polonais (à l'époque j'apprécie beaucoup ses films surréalisants), venu tout exprès de Pologne…

... et Gilbert Dubrisay, réalisateur et directeur de production des "Films de la Comète", basés à Neuilly-sur-Seine, et spécialistes des films publicitaires en animation (dessins ou objets animé image par image). Il va nous présenter quelques pubs épatantes, dont des animations de dessins de Chaval pour Banania, de Ronald Searle pour ESSO, d'André François pour le Thé Lipton ! Autant de petites merveilles dont je crains qu'elles ne soient aujourd'hui, pour la plupart, irrémédiablement perdues !

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DE QUELQUES UNES D'ENTRE ELLES !




(16) Manuel Otero : d'origine espagnole, il est l'un des très brillants animateurs français de cette période, pourtant riche en beaux talents individuels et cosmopolites oeuvrant à Paris. Manuel a reçu le Grand Prix du festival d'Annecy 1967 avec "Arès contre Atlas" (ci-dessous). Ce fut mon premier festival d'Annecy, et c'est cette semaine-là que je fis la connaissance de Manuel.


En 1965, son "Contrepied" avait déjà fait sensation. Manuel, ne se contentant pas d'être un auteur de valeur, sera aussi un vrai producteur qui, dans une période pas évidente pour les jeunes pousses, sut "découvrir" et porter au moins trois "générations" de talents nouveaux. Dont le moindre ne fut pas Jean-Pierre Jeunet, dont il produira les deux premiers courts-métrages, "L'Évasion" et "Le Manège" (1979, César du meilleur court-métrage d'animation en 1981).

Seule Marcelle Ponti, productrice des "Shaddocks", merveilleuse et inlassable "Pygmalionne", peut revendiquer un semblable "tableau de chasse", du fait des nombreux jeunes talents - dont Michel Ocelot - qu'elle a produits à leurs débuts en sa société AAA.

En plus de ces activités d'auteur et de producteur, Manuel Otero fut, dans ces années à la jointure des décennies 60/70, un infatigable promoteur du cinéma d'animation, avec des programmes de films qu'il allait présenter un peu partout.

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Jacques Leroux, Manuel Otero

(17) Jacques Leroux : Jusqu'en 1950, Jacques a travaillé pour "Les "Gémeaux". Il collabore ensuite avec des réalisateurs comme Henri Gruel, Michel Boschet et quelques autres. En 1962, avec Manuel Otero ils réalisent ensemble "Maître", leur premier court-métrage d'auteur à tous deux (produit par "Paris-Cité Productions"), puis en 1964 fondent leur propre studio, "Cinémation". Ils y produisent de nombreux génériques et films publicitaires, et séparément, travaillent à des films personnels. En 1965, Jacques réalise "Pauvre Pierrot" et Manuel "Contre-pied". "Pauvre Pierrot" est, à ma connaissance, le seul film d'auteur de Jacques, c'est une merveille qui lui ressemble, toute de suavité, de discrétion, de tendresse et de légèreté. Jacques s'orientera ensuite vers d'autres collaborations (en particulier au long-métrage "La Genèse" de Pierre Alibert en 1974 au sein du studio Idefix).




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dupeyrot.philippon@orange.fr

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