Alger rue Michelet Taverna Romana

124 rue Michelet


À ne pas confondre avec "Chez Romano", qui se trouvait au n°116

photos et texte de Gérald Dupeyrot,
dessin de Jean Brua
(descendre jusqu'au début des courriers des Es'mmaïens)


   Lors de mon premier retour à Alger, en 1984, j'avais été reçu chaleureusement par quelques amis algérois, en tête desquels Azzedine Mabrouki, qui était alors critique cinéma au journal "El Moudjahid", et Roseline, son épouse. Azzedine nous avait guidés, charmés de ses souvenirs cinéphiliques, et présenté un certain nombre d'Algérois qui comptaient et que j'avais envie de rencontrer, dont Slim, fameux dessinateur de presse et auteur de dessins animés, Lakhdar Hamina, le flamboyant réalisateur de "Chronique des années de braise" ou "Vent de sables" (on avait eu le plaisir de dîner avec lui quelques jours plus tôt au restaurant de l'Alhambra), ou encore Boudjemâa Karèche, directeur de la cinémathèque algérienne. Pour remercier Roseline et Azzedine d'une si attentionnée et charmante hospitalité, la veille de notre départ, Françoise et moi les avions invités, ainsi que leur fille (je crois), dans un restaurant qui passait alors, à juste titre, pour l'un des endroits "urf" de notre ville. Ce restau, c'était la "Taverna Romana", j'en suis certain, pour avoir retrouvé l'addition de ce dîner.

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   En 1984, j'avais 37 ans, je renouais depuis peu avec mon enfance algéroise (l'un des syndromes de l'âge mûr !), ES'MMA était encore loin (pas avant seize années !), je commençais à peine à découvrir une ville que j'avais en fait connue comme seulement un enfant peut le faire. Je n'avais pas fréquenté ses cafés, et encore moins ses restaurants. Dans ma famille ce n'était pas la coutume, seul mon père y allait parfois, et encore, pour des raisons professionnelles. Si, une fois de temps en temps, ma grand-mère "cassait la tirelire" et invitait toute notre petite famille pour un repas exceptionnel au "Bon Canard" à Dely Brahim. C'est dire que "Taverna Romana", ça ne me disait rien, je ne savais pas que sous ce nom ou sous celui de "Brasserie Piller", l'endroit avait été l'un des restaurants réputés de la période française.

   C'est pour cette raison que ce soir du 10 septembre 84, je n'ai pas pris de photo, et que, pour n'y avoir guère prêté attention, je n'ai aucun souvenir de ce qu'était le décor de la "Taverna", je me rappelle juste que nous y avions bien mangé, et que la soirée s'était terminée tard. En 1984, nous étions encore avant la "décennie tragique", et on pouvait se promener sans appréhension dans Alger la nuit. La Taverna Romana était le fleuron de cette boucle de la rue Michelet, aussi je consacre le présent écran à cet endroit de notre ville, j'espère que vous aurez plaisir à retrouver ces quelques mètres de trottoir que beaucoup d'entre nous ont parcouru des centaines de fois dans notre trajet vers notre Parc de Galland. Vos souvenirs et tout ce qui pourrait compléter le présent écran sont bien sûr les bienvenus.

   Dans l'annuaire de 1954, le restaurant s'appelle encore "Chez Piller", tout en sachant que son propriétaire à cette date se nomme non pas Piller, mais R. Dominique.


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   Sur la photo ci-dessus, prise en 2006, je viens de sortir de notre Parc de Galland. La rue Michelet amorce une belle courbe descendante qui va nous mener jusqu'à la station BP devant le Sacré-Coeur (ensuite, y'en aura une autre en sens opposé). En face de nous, s'élève la rue des Professeurs Curtillet père et fils. Qui nous dira ce qu'est la drôle de bâtisse qui semble toute en briques dans le haut de la rue, sur la droite ? Je n'ai pas eu la curiosité de monter voir, et je le regrette. Un peu plus loin sur notre droite, à la hauteur du piéton en blanc, la rue Francis Garnier, plonge du côté de l'hôpital Mustapha, et à gauche la rue Enfantin, elle, grimpe vers le Telemly. Et, un peu avant, sur le trottoir de gauche...

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   ... au n°124, la "Taverna Romana", qui avait bien voulu nous attendre plus d''un demi-siècle jusqu'à ce jour de 2006 où j'ai pris ces photos. D'ici, nous avons une belle vue sur le pâté d'immeubles constitué des numéros 124 bis (tout à gauche), 124, 122 et 120bis (le petit immeuble qui fait l'angle avec la rue Enfantin), compris entre le parc de Galland et la rue Enfantin. Durant la première moitié du XXème siècle, quand des villas ou grands hôtels plus ou moins vastes étaient remplacés par des immeubles, les numérotations ont pas mal bougé ! Les "bis", voire les "ter" se sont multipliés, accompagnant la fragmentation des lots. En furetant dans nos annuaires, nous avons retrouvé quelques uns des commerces qui se trouvaient là...

   Le n°124 bis, tout à gauche, là où s'ouvrent les grilles d'un magasin, est un haut et bel immeuble, jouxtant le parc de Galland, d'une estimable architecture Modern Style ou Art Déco, que nous illustra, voilà quelque temps, le beau reportage photo de Tonton Jaja (cliquez pour visiter).
    Grâce au concours de Marie Opper, nous savons que la boutique à gauche était celle de la pâtisserie de Salvator Pignalosa (1954, tél 647.61) "qui faisait aussi de fameuses cocas. Plus à gauche de la pâtisserie (hors de la photo, donc), se trouvait une grande épicerie tenue par des Mozabites qui habitaient dans l'appartement au-dessus. Dans le magasin je me souviens d'un nombre impressionnant d'énormes barriques remplies d'olives de toutes sortes baignant dans la saumure. Puis, un jour, l'épicerie fut fermée définitivement, il avait été trouvé dans la saumure d'une de ces barriques... quelque chose qui n'aurait vraiment pas dû y être." Brrr... Une périphrase digne de Lovecraft ! Marie ne dit pas ce qu'était ce "quelque chose", toutes les hypothèses sont permises, on craint le pire. Cette "Épicerie du Parc" (tél en 1954 : 601 87) n'appartenait pas à Nyarlathotep, le Chaos rampant, mais à M. Zergoun Haadj Abdallah, un commerçant assez puissant, possesseur également d'une autre épicerie située au Climat de France, rue Cambon (tél. en 1954 : 211.96). Lui même habitait 7 rue Henri Rivière (tél. en 1954 : 405.10).

   Grâce à notre amie Chris, nous savons aussi que le n°124 bis abritait "Le Studio des Petits", de M. Vignal, photographe (tél 653.25). L'annonce en page 257 de l'annuaire de 1954 nous informe qu'il vient d'être "transféré au 124 bis rue Michelet", indice qu'à cette date, ce studio venait juste de s'installer ici. Une annonce publicitaire, parue dans le programme de l'Opera pour la saison 57-58, que je ne résiste pas à vous montrer, précise, elle, que le photographe qui préside désormais aux destinées de ce studio est... une photographe, Marcelle Debard. On suppose qu'elle a pris la succession... On peut se demander si la bouille du bébé sélectionné pour cette pub était bien la plus appropriée pour mettre en valeur le talent de la photographe... (je précise que ce bébé, très sympathique au demeurant, n'est pas notre amie Chris ! Enfin, je ne crois pas... Rassure-moi, Chris ! Oui, elle a confirmé ce n'est pas elle !). Françoise, ma femme, toujours portée à beaucoup de compassion pour les êtres défavorisés (elle m'a épousé), me fait remarquer que cette publicité n'est pas banale (ça...), qu'il a un visage intéressant (ça...), et elle est curieuse de savoir à quoi il pouvait bien ressembler quand ses traits reprenaient leur place normale. Question fréquente, à laquelle les parents du petit répliquaient invariablement : "Oui, mais quand ?".

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   Si l'on se réfère à l'annuaire de 1954, toujours au 124 bis, se trouvaient aussi "Alphonsine", haute couture, (en étage, tél 677.36), et, vraisemblablement habitant dans les étages, G. Beaugy, négociant (tél 601.50), Andrée Deyme-Gueirouard (tél 683.11), le Dr Suzanne Mutin (tél 697.87), Pierre Nathan (tél 668.93), le Dr Germain Oualid (tél 683.11) qui avait son cabinet 39 rue d'Isly (tél 375.00), Antoine Riviéri, régisseur aux Ponts-et-Chaussées (tél 699.44), et Robert Thiriet (tél 627.35).

   Au n°124, à la place de la "Taverna Romana", on trouvait ici, en 1922, une épicerie tenue par Mmes Bonnet et Boujard (annuaire Fontana Frères).

   Au n°122 se trouvait ici en 1954 (annuaire des PTT) "l'Hôtel Saint-Marc", tél 651.52 (lire en bas d'écran la seconde communication de notre amie Marie Opper). Trente ans plus tôt, en 1922, se situait ici une "Villa Mariette", résidence d'un Charles Lickel, négociant en vin (à son sujet, on lira dans le bas du présent écran, la communication de Lucien Balaguer). Ce qui est intriguant, c'est que cette première indication est suivie de la mention "Musée".

   Au n°120 bis (en principe la petite maison à l'angle, donc) se trouvait en 1961 G. Meulien, Librairie-Tabac du Parc, tél 651.32.

   Si l'on traverse la rue Enfantin, on trouve le n°120, le haut immeuble faisant l'angle entre les deux rues en face de nous. Ici se trouvaient "IFRAH", un magasin de chaussures (selon une pub parue dans l'Écho d'Alger de janvier 1961), la "Pharmacie Salasc" (annuaire 61, tél 693 68), la "galerie des fauteuils" "L'Établi" de Bernard Bedock (annuaire 61, tél 659 17), "Michelet Ménager" (selon l'annuaire d'Alger 1961). Habitaient ici à la même époque Robert Servajean-Hilst, directeur commercial (1954, tél 645.80), Robert Thibaut, courtier en vins (1954, tél 681.64), Ali Fezari, Vins et liqueurs (1954, tél 676.06).

   En 1922 les avait précédés ici, au n°120, un "Café de l'Avenir" de M. J.-B. Gallice (annuaire Fontana Frères).


Une interprétation (pas si) romancée de la Taverna Romana

par Jean Brua



Sur le Livre d'Or d'E'mma :

Jean BRUA (1934)
06/01/2011 13:21

Au-delà d'un "certain âge", la mémoire démarre à la manivelle. Ainsi, le dessin que j'ai fait d'après le dernier écran de Gérald n'était que l'effet de mon subconscient. Car ce n'est que maintenant, par ce qu'on pourrait appeler un déclic cérébral, que me revient le souvenir de ce restau branché de la fin des années 50, dont la particularité était de servir ses clients couchés. Personnellement, je n'ai jamais déjeuné ni dîné à la Taverna Romana. Mais je me rappelle que cette innovation avait suscité les moqueries des Algérois (les plus nombreux) qui ne faisaient pas partie de la socétgé "znob" : - Oir-moi comment qu'i sont, ces nouveaux Romains. Manger couché !... Antantion qu'on s'endort pas dessur le rôti !

BALAGUER Lucien - 1935 - Alger (qq part en patausie du nord)
05/01/2011 20:07

Je viens de consulter l'exxxxxxxxxcccccccellent écran sur la Taverna Romana. Juste un petit grain de sable à l'édifice concernant le locataire du 122 en 1922, Charles Lickel. J'ai fait pratiquement mes débuts chez ce négociant en vins, dont les bureaux étaient situés 2 rue de la Liberté, vues sous les arcades face au square Bresson combien cher à nos coeurs, comme aide laborantin (je vidais plus les éprouvettes que je ne dégustais les coupages de nos vins destinés à la Patausie et en particulier aux vins Margnat, Marseille) dont la représentation était assurée dans ces bureaux. Encore un coup qui me rajeunit, années 1953/1956 ouahou, 58 ans P...... déjà, bon il ne me reste plus qu'à encaisser ce nouveau coup de vieux. Allez, amitiés, Lucien.

REPONSE : oui, il avait effectivement ses bureaux au 2 rue de la Liberté, son téléphone en 1922 était le 5.16.

Marie Opper
06/01/2011 14:30

Bonne Année à tous !
Ah, la Taverna Romana, j'habitais l'immeuble juste en face. Merci Gérald pour les photos. À gauche la boutique avec la grille était une pâtisserie qui faisait aussi de fameuses cocas. Avant la pâtisserie se trouvait une grande épicerie tenue par des Mozabites qui habitaient dans l'appartement au-dessus. Dans le magasin je me souviens d'un nombre impressionnant d'énormes barriques remplies d'olives de toutes sortes baignant dans la saumure. Puis, un jour, l'épicerie fut fermée définitivement, il avait été trouvé dans la saumure d'une de ces barriques... quelque chose qui n'aurait vraiment pas dû y être.

Chris-(ALGER-ST.LAURENT DU VAR)
06/01/2011 16:16

Bonsoir amis d'Es'mma - Au 124 bis, rue Michelet, se trouvait un photographe - Le Studio des Petits - C'est là qu'a été prise ma photo de Communion faite à l'Église St Charles, le 15 Mai 1952. J'habitais à cette époque, au bout de la rue F.Garnier, rue Naudot. Le magasin du photographe se trouvait, si mes souvenirs sont bons, dans le dernier immeuble avant le Parc de Galland, et à l'angle de celui-ci. En face, du côté de la rue F.Garnier, dans ce bel immeuble qui avait remplacé l'Église Anglicane (note du GDLLDB : en fait l'église écossaise), était faisant le coin, une très belle boutique de cadeaux, que j'admirais à chacun de mes passages. Plus bas, après le petit square, était la Poste (où ma soeur aïnée avait eu son premier emploi). C'est à peu près tout ce dont je me souviens, j'étais bien jeune, et ensuite nous avons déménagé pour la rue Meissonier, et je ne suis presque plus retourné dans ce quartier, toujours très rapidement. Toutes mes amitiés - Chris

Marie Opper
08/01/2011 21:29

Un autre souvenir... Il y avait bien une villa au 122 rue Michelet qui fut détruite en 1961 pour faire place à un immeuble qui en juin 1962 était inachevé. Il existe une carte postale ancienne où on aperçoit une partie de la maison. Cette carte, intitulée "Alger. Rue Michelet et nouvelle station" apparaît souvent sur les sites de vente de cartes postales en ligne. Avis aux curieux !

RÉPONSE DU G.D.L.L.D.B. : Mais bon sang, bien sûr ! Sitôt lu ce mot de Marie, je me suis mis à la recherche de cette carte postale, j'étais sûr de l'avoir quelque part ! Avec ses deux tramways sur le point de se croiser ! Ou qui viennent de le faire, ou qui se suivent ? Mais je n'avais jamais été capable de dire à quelle hauteur de la rue Michelet ça pouvait bien se trouver ! La carte remonte à 1900-1910, alors tellement de choses depuis ont changé dans ce coin ! Et quand j'ai remis la main dessus, quelle joie de redécouvrir cet endroit avec un siècle de moins !



Et effectivement, on retrouve bien le n°120 bis qui fait l'angle avec la rue Enfantin, avec à côté la Villa Mariette au n°122 telle qu'elle fut jusqu'en 1961, et l'immeuble de trois étages du 124 où la "Taverna Romana" se trouve toujours aujourd'hui ! Formidable, mille mercis, Marie ! À droite, derrière le mur et le panneau "Phoscao" se trouve, encore indemne, l'ensemble des bâtiments du Sacré-Coeur de l'Oasis, dont la petite église du Sacré-Coeur. Nous devons nous trouver à la hauteur de la future brasserie "Romano". À gauche, le Bd Marcel Duclos, et hors-champ, derrière la somptueuse pissotière avec clocheton - et vraisemblablement, comme toutes les autres, sa réclame pour le Chocolat Menier - la petite église écossaise, bâtie en 1886, qui sera démolie en 1930. Bon, on a bien avancé, encore merci Marie !