Route dangereuse à Yakouren
Par Juba
Avec dessin de Jibé.
"Les accidents de la circulation ne sont pas dus uniquement aux erreurs humaines comme le prétendent les rapports des services de sécurité et de la Protection civile rendus publics périodiquement, ils peuvent être causés par l'état dégradé des routes (crevasses énormes, nids-de-poule, rétrécissement de la voie, ralentisseurs non conformes) et autres «pièges» qui mettent la vie des conducteurs en danger.
Entre Yakouren et Azazga, sur la très fréquentée RN 12 reliant la wilaya de Tizi Ouzou à Béjaia et à Alger se dresse sur le bas-côté de la chaussée un tombeau à ciel ouvert tant cet endroit a connu de nombreux dérapages et renversements de véhicules, de fourgons de transport public et de minibus qui ont terminé leur chute dans un ravin, causant des morts, des blessés et des dégâts matériels.
Dépourvu de balises ou de glissières de sécurité, ce point-noir du réseau routier dans la région a été maintes fois signalé aux APC d'Azazga et Yakouren ainsi qu'à la direction des travaux publics (DTP) de la wilaya de Tizi Ouzou, nous dit-on, mais rien n'a été entrepris pour remédier à ce problème, déplorent des automobilistes et des riverains ayant assisté par le passé à des dommages corporels et matériels sur ce "tronçon de la mort»."
Ahcene Tahraoui
El Watan, 25 novembre 2020 à 9 h 58 min.
Les choses n'ont pas changé, comme beaucoup, en Algérie. Un fait divers tragique illustre cette remarque contemporaine. Il s'est déroulé le 27 mai 1912.
Ce matin-là, vers 11h deux véhicules circulent sur ce tronçon de route Kabyle proche d'Azazga, flanqué d'un ravin et bordé de ficus et de chênes lièges, où s'agitent en colonies des singes Magot, ou macaques berbères, qui pullulent dans cette contrée sauvage.
Le premier véhicule est conduit par M. "Auguste" Hyppolite Alfred Thinus, un ariégeois de 46 ans, inspecteur adjoint des eaux et forêts à Azazga, frais chevalier du mérite agricole. A son bord quatre enfants. Il semble d'après les rapports de l'époque que l'intéressé conduisait à une allure de bon père de famille.
Un autre véhicule venant en sens inverse, appartenant à Victor Auguste Robinet, 50 ans, chef du service des enfants assistés de la ville d'Alger, dont il est natif, avec sa seconde épouse, Marie Augustine Maysonnave; leur mariage a eu lieu 5 ans plus tôt, soit 4 ans après un divorce d'avec Marie Antoinette Lhoyer. À son bord, également trois autres personnes, Georges Marius Quignon, un Rouannais de 35 ans, jeune veuf de Marthe Clémence Leboucher, avec sa fiancée Hortense Decamp, une Algéroise de 28 ans, et Charles Léon Edouard Oliva, 21 ans, fils issu d'un premier mariage de Marie Augustine Maysonnave, qui visiblement selon les suites de l'enquête devait conduire le véhicule de M. Robinet à une allure plus vive que celui de Mr.Thinus.
Dans ces virages en lacets qui caractérisent cette route de Kabylie, arriva ce qui devait arriver. Les deux véhicules entrèrent en collision et chavirèrent dans le ravin. Certains furent éjectés, comme Thinus et les enfants de son véhicule avec quelques plaies sans importance, d'autres atteints plus gravement, comme M. Robinet, et surtout comme Mme Robinet qui décéda dans le choc, malgré les soins du professeur Goinard accouru sur les lieux.
Accident banal dirait-on, si ce n'est que certaines victimes font partie du microcosme Algérois de l'époque, ce qui explique que l'Écho d'Alger en fit un compte rendu très dramatisé, car au surplus il y avait parmi les victimes un collaborateur du journal : Victor Auguste Robinet, plus connu sous le nom de plume de Musette, père du célèbre Cagayous qui tenait la rubrique théâtrale du journal où il a eu l'occasion d‘écrire des critiques, souvent élogieuses, sur Georges Marius Quignon, connu du monde artistique et musical comme un brillant décorateur de ce qui deviendra l'Opéra d'Alger.
Le corps de Madame Robinet fut ramené en train à Alger et enterré sans que son mari, soigné à l'hôpital car gravement brulé par l'eau du radiateur de l'automobile qui dans le choc l'avait écrasé, fût présent.
Quelques mois plus tard, le 10 janvier 1913, un procès eut lieu mettant en accusation Thinus et Oliva pour homicide par imprudence. Oliva, qui conduisait sans permis fut condamné à 50 frs d'amende pour homicide et blessures par imprudence par jugement du tribunal de Tizi Ouzou en date du 31 janvier 1913. Il bénéficia du sursis parce qu'il était sous les drapeaux depuis 4 mois.
Épilogues :
Musette se remaria pour la troisième fois en février 1913, avec Jeanne Vilma Castel, il décédera en septembre 1930 à Alger, à l'âge de 68 ans.
Quignon a épousé sa fiancée en octobre 1912, il continua à s'illustrer dans la décoration au théâtre municipal, devenu à l'ouverture de la saison 1913-1914, l'Opéra d'Alger.
Ce dernier désormais placé sous la direction de Maurice Saugey succédant à Victor Audisio (le père de Gabriel) qui frappait un grand coup avec des productions de spectacles nombreuses.
Fin octobre 1913 ce n'était pas moins de quatre représentations différentes en une semaine, ce qui finit par créer des problèmes techniques, les décors n'arrivant pas de Paris à temps et "Maître" Quignon, fit alors des prodiges pour permettre les spectacles de la Vie de Bohème et de Don Quichotte avec des décors improvisés à la peinture à peine sèche ou pas, au grand dam des costumes.
On imagine sans peine Quignon, dont l'aspect vestimentaire s'apparentait à celui d'Aristide Bruant (si l'on en croit Gabriel Audisio), s'escrimant dans son atelier sous les toits, qui donnait sur la rue de la Lyre, sur des grandes bâches tel un Michel Ange sous le plafond de La Sixtine !
Il décédera chez lui à Alger rue Cavaignac, quelques mois après son ami Musette en janvier 1931. Il n'avait pas 54 ans.
Le capitaine Auguste Thinus, du 7e régiment d'infanterie mourut au champ d'honneur en 1915 à Souain-Perthes-lès-Hurlus dans la Marne.
C'est la même année dans la Marne, à Épine de Vedegrange, que le caporal Charles Léon Edouard Oliva du 3e régiment de tirailleurs algériens tomba lui aussi au champ d'honneur.
JUBA
décembre 2020