Frères de vélo, toujours...

   "Bienvenue chez toi". C'est par cette formule du coeur que notre ami Hubert Ferrer (à dr.) a été accueilli en juin à Mouzaïaville par ses camarades de la plus belle époque du cyclisme algérien : le grand (à tous les sens du terme) Ahmed Kebaïli et Sid'Ali Sayah, vieux rival d'Hubert sur les routes et dans les cols de chez nous. À gauche (porteur d'un symbolique maillot jaune), Ahmed Bouzar, organisateur des championnats d'Algérie 2009, dont l'ancien rouleur du C.C.B.O. était l'invité d'honneur.


   Juste une petite réflexion sur la couleur du L.O. de cette dernière semaine.
Je trouve que certains de nos correspondants y ont manifesté la forme
la plus rare du talent : celle du coeur.
Les messages d'Hubert Ferrer et de Pierre Baudin (1) disent,
mieux que les colères ou les rancoeurs les plus justifiées,
ce que fut notre relation charnelle et spirituelle avec la terre natale
et ce qu'elle demeure en dépit de tout le reste.
C'est bien cela, la "philosophie d'Esmma" que rappelle Jean-Louis Jacquemin (2)
et que maintient Gérald, contre les vents et les marées des idées toutes faites.

J.B.
(extrait du L.O. du 06/05/09)






















   Je n'ai pas l'habitude de me citer en exergue. Si je déroge pour cette fois, c'est parce que les lignes ci-dessus me paraissent indiquées pour introduire ces "écrans Ferrer". En fait, c'est de que j'ai tenté d'exprimer ici qu'est née l'idée de réunir les messages de notre ami Hubert Ferrer sur son retour "chez lui" et parmi les siens : les compagnons de sport que lui avait donnés sa jeunesse algérienne.

   Hubert a été un grand champion cycliste (cf son palmarès sommaire en fin de l'écran "Album"). Mais il a fallu forcer sa modestie (l'ami Jeanjean y est pour beaucoup) pour le décider à parler de lui, de sa carrière sportive des deux côtés de la Méditerranée, de ses "frères de vélo" demeurés sur l'autre bord et toujours fidèles, comme lui-même, à leur mémoire commune. Il nous ouvre ainsi son coeur et ses archives, sans chichis ni tricherie, conformément à son éthique sportive. Et le nez dans le guidon de sa "machine infernale", à savoir un ordinateur plus difficile à maîtriser, à l'en croire, que ses montures de course de la belle époque.

   Ses messages du Livre d'Or forment le "corpus" (à peine remanié) du nouvel écran multiple. Les photos exclusives extraites de ses précieux albums d'hier et d'aujourd'hui les illustrent de façon émouvante.

   Nous avons trouvé bon d'y ajouter quelques commentaires du Livre d'Or, doublés d'un montage de quatre "EsmmaJibé". Et, pour finir, un écran "espécial" sur le tandem Hubert-Jeanjean, qui mouline depuis les années 40 et sans lequel la route d'Esmma n'aurait peut-être pas croisé celle du plus discret de nos anciens princes de la "petite reine".

Jean BRUA



(1) Notre correspondant faisait part de son émotion particulière à l'occasion d'un retour au pays natal (L.O. du 03/05/09).

(2) Voir son message dans l'écran "Fanfares de la Saint-Hubert sur le L.O."...)




Ils sont venus de Cherchell, Koléa, Tlemcen...

Par Hubert Ferrer

Photos : collection Hubert Ferrer



Message du 03/05/2009

   Je viens souvent vous lire sur Es'mma. Je suis comme vous né là-bas, j'ai comme vous aimé ce pays, je le considère toujours comme mon pays. Je ne me suis jamais senti comme un rapatrié, mais comme un expatrié. J'ai connu de grandes joies d'enfance puis de sportif. J'ai même eu l'honneur d'être champion de France et de faire jouer la Marseillaise pendant les "événements" en 1959. Mais je ne me sens pas aussi nostalgique que certains d'entre vous. La vie a continué avec ses joies et ses peines mais dans les souvenirs, il ne reste que les joies. J'ai connu plein de choses que je n'aurais peut-être pas connues... J'ai voyagé dans une grande partie du monde et même si tout n'est pas beau, il y a beaucoup de beau. Et puis il y a les petits-enfants qui deviennent une priorité très prenante. Mardi, je reçois un ami de Maison-Carrée, Norbert Massip, que je n'ai pas revu depuis de nombreuses années. À cette occasion je dois recevoir un appel d'Alger d'un ancien adversaire sportif, Sid'Ali Sayah ; je suis aussi l'invité d'honneur des championnats d'Algérie de cyclisme qui auront lieu le 18 juin à Alger. Pourquoi j'écris aujourd'hui, je n'en sais rien... Peut-être pour vous dire tout simplement que j'ai aimé ma vie là-bas, que je me suis régalé de ma vie ici. Je pense toujours à... là-bas comme étant chez moi mais jamais avec tristesse, au contraire, je crois que dans tous les cas, lorsque l'on s'en sort on peut dire ça aurait pu être pire.


Message du 25/06/2009

   Gérald,
Je rentre d'Alger et je n'avais pas l'intention de raconter mon histoire sur Es'mma pour ne pas déclencher la mauvaise humeur des pisse-vinaigre. Je pensais réserver cela à quelques amis. Mais à mon retour (hier 24) j'ai changé d'avis. Je te fais donc parvenir le récit de mon voyage.

   Depuis 25 ans, je dis à mon épouse : je veux retourner à Alger, je ne veux pas y retourner comme un touriste mais comme je ne me considère pas comme un rapatrié mais comme un expatrié, je veux être reçu chez moi. Qui plus est (peut-être un peu prétentieux, vu ma carrière sportive), reçu avec les honneurs. J'ai eu un contact avec le vice-président de la Fédération algérienne de cyclisme, tout simple. J'ai seulement écrit, l'évocation du nom a fait le reste. L'invitation a été immédiate. Pour "honorer de ma présence" les championnats d'Algérie qui se déroulaient du 17 au 20 juin à Mouzaïa, je débarque donc à Alger le 16 juin.

   Et là, tout commence à l'aéroport d'Alger : deux personnes m'attendaient, dont mon principal adversaire de l'époque, Sid Ali Sayah, avec un bouquet de roses pour mon épouse et en larmes dès nos retrouvailles. Accompagné d'un commissaire de police qui nous a fait passer les contrôles de police et la douane en 5 minutes et nous a conduits jusqu'à la voiture qui nous attendait. Installation à l'hôtel El Aurassi perché un peu au-dessus du gouvernement général avec vue sur ce dernier, la Grande Poste et toute la baie d'Alger. Je ne peux pas tout raconter pour ne pas être long et pour ne pas donner des boutons à certains. Mais après cette journée qui s'est terminée à 2 heures du matin, le lendemain, réception aux Groupes laïques avec les membres de la Fédération algérienne de cyclisme et son président.

   Après avoir visité les installations et les locaux d'hébergement des délégations étrangères, les interviews radio, presse écrite, télévision, nous sommes rentrés dans la salle de réception où étaient réunis tous mes anciens adversaires de l'époque encore vivants. Ils sont venus de Cherchell, de Koléa, de Tlemcen. Le fils de Zaaf, qui était en déplacement à Annaba, a roulé toute la nuit pour être présent. Tous ces amis, maintenant vieillissants comme moi, en larmes avec l'envie de me toucher et de m'embrasser en me disant "bienvenue chez toi". Et tous les jours ont été ponctués de manifestations toutes plus émouvantes les unes que les autres. J'ai malgré tout revu tout ce que je voulais revoir, et montré à mon épouse qui ne connaissait pas mon pays : le tombeau de la Chrétienne, les ruines de Tipaza, j'ai remonté le Sidi Ben Hour, la forêt de Baïnem, revu ma maison, le stade municipal et le vélodrome, etc etc. Cela ne m'a pas empêché de manger des poissons à la Madrague, des sardines à Bou Haroun, des brochettes à Staoueli, des glaces à Sidi Ferruch...



Avec un des fils du regretté Abdelkader Zaaf.
Mohamed est rentré spécialement d'Annaba où il était en déplacement,
lorsqu'il a appris ma présence à Alger.
À gauche, Ahmed Bouzar, organisateur des championnats d'Algérie 2009.


Message du 30/06/2009

   Après avoir envoyé mon message sur mon voyage à Alger, je croyais en avoir terminé. Mais quelques fidèles d'ES'MMA m'ont demandé d'en dire plus sur Kebaïli, sur la sécurité, sur l'accueil... et bien d'autres questions encore. En ce qui concerne Kebaïli, j'ai retrouvé cet homme pour qui j'ai toujours eu un grand respect. Aujourd'hui âgé de 84 ans, il a conservé sa grande stature et est impressionnant par sa prestance. Nous avons énormément parlé et avons abordé tous les sujets... et bien sûr évoqué plein de souvenirs des aînés qui ont participé avec lui aux grandes compétitions cyclistes dont la plus prestigieuse, le Tour de France : les Zaaf, Zélasco, Abbès, Guercy, Molinès... Son souhait est que je retourne en Algérie avec un maximum d'anciens coureurs pieds-noirs tels les Massip, Callifano, etc...

   M. Youssef Amrouche, s'est proposé de nous louer une villa, un minibus et de se mettre à notre disposition une dizaine de jours... En ce qui concerne l'accueil, j'étais attendu, donc l'accueil des gens qui m'attendaient a été fabuleux.

   Et j'en connaissais beaucoup. Mais j'ai demandé de passer une journée seul avec mon épouse et nous nous sommes baladés en ville rue Michelet, rue d'Isly... et là j'ai provoqué des rencontres. Je me suis rendu à la sortie de l'Université où il y avait un attroupement d'élèves qui attendaient les résultats de leurs examens. Fidèle à mes habitudes, je leur posais plein de questions, ils éprouvaient un certain plaisir à discuter et la question posée par eux était invariable (Vous êtes d'ici ? - Oui je suis pied-noir) et la réflexion aussi invariable (Bienvenue chez vous) que la question. J'en ai fait plein d'autres et toutes ont été chaleureuses. En ce qui concerne la sécurité, je ne me suis jamais senti en insécurité, nous avons mangé des glaces à une heure du matin à Sidi Ferruch, nous sommes rentrés toutes les nuits, très tard. Il est vrai qu'il y a beaucoup de policiers qui, quand il le faut, savent très bien se faire comprendre... Il faudrait beaucoup de lignes encore pour dire tout ce que nous avons vécu...

Hubert Ferrer






Une envie enfin satisfaite manger un beignet arabe (sfindj) à Bab El Oued.
En compagnie de Sayah (à g.) et de Youssef Amrouche.





En présence du président de la Fédération algérienne de cyclisme, M. Ryan Fezouine (à dr.),
mon épouse Liliane, qui découvrait l'Algérie, reçoit un service à couscous berbère
des mains du vice-président Youssef Amrouche.




AUJOURD'HUI COMME HIER...

Sayah et Ferrer, en grands enfants qu'ils sont restés, ont voulu rejouer leurs courses et leurs sprints sur les lieux mêmes de l'événement. Quelle plus belle évocation de fraternité sportive que cette confrontation d'images séparées par cinquante années ?

Cliquez pour agrandir la photo d'époque


Au vélodrome du stade municipal d'Alger (avec le nouveau terrain en gazon synthétique). J'y ai gagné de belles courses notamment des championnats sur piste, mais je me suis fait aussi battre au sprint par Sayah (en médaillon, il me devance d'une dizaine de mètres à l'entrée du stade). Il se trouve à ma gauche sur la photo 2009 (de l'autre côté, le vice-président de la Fédération algérienne). Sayah ne m'a pas quitté de tout mon séjour. Il est officier de police à la retraite.


Cliquez pour agrandir la photo d'époque


On refait avec Sayah le sprint dans le Sidi Ben Hour au même endroit qu'il y a plus de 50 ans.
Ce jour-là il m'avait battu, mais pas au coude à coude comme sur la photo. Il m'avait mis à 20 mètres !
(cercle rouge dans le médaillon)




Consultez les trois autres écrans de ce coffret spécial "Hubert Ferrer" :

"Fanfares de la Saint-Hubert sur le L.O."

"Jeanjean-Hubert : le tandem incassable"

"Album".