NOS RUES

"Viens, je t'emmène faire un tour du côté d'mes amours,
du côté d'mes fredaines..."


Belcourt, ma rue de l'Union

Par Jeanjean Llorens

Avec des photos envoyées par
Jacqueline Simon, Richard Cheron, Roger Piola, Jeanjean, Gérald Dupeyrot,
et un plan Vrillon par Jean-Paul Follacci
(c'est pas de l'Union, ça ?)




En juin 1955, Jeanjean à Fort-de-l'Eau,
avec sur la tête le bob donné par un marin américain
lors de la visite d'un bateau de l'US-Navy en 1943,
avec l'école Aumerat.





   Bien souvent, depuis l'arrivée dans ce beau pays, il m'arrive par mes nuits d'insomnies, de refaire "ma rue", celle où je suis né et où j'ai vécu de nombreuses années, vingt-huit pour être exact. Et je pars toujours du même point, pour arriver toujours au même endroit. C'est à dire de "notre" Place Jeanne d'Arc, à la rue de Lyon, artère principale de "notre" Belcourt. Et je rentre dans tel ou tel magasin, des fois pour leur dire un petit bonjour, des fois pour leur faire la bise, selon les degrés de "parenté", mais toujours avec amour, ce sont tous des gens de l'âge de mes parents, et leurs enfants ont tous mon âge à quelque jours ou mois près. Et il y en a même qui sont arrivés d'Espagne avec le même bateau que le Pépé et la Mémé LLorens, alors se sont des tios et tias comme on disait "chez nous", alors là ce sont quelques paroles en espagnol, là d'autres en italien, d'autres en arabe, et même en hébreu, mais ce qu'il y a de bien, "chez nous", c'est que tout est naturel, il n'y a jamais de malice et tout le monde le prend bien, même si cela est dit plutôt par respect, pour toutes ces personnes qui vous estiment et le prouvent par leur réponse et par l'affection qu'ils vous portent.

   Voilà ce qu'était ma rue de l'Union, qui portait si bien son nom. Allez, venez, je vous emmène faire un p'tit tour dans ce qui est pour moi la plus belle rue du monde.



   En partant du bd Thiers sur le trottoir de gauche (numéros impairs) :

   Le café de la place Jeanne d'Arc, tenu par la famille Assante (le père habitait rue Prevost-Paradol, son cousin René dit "MIMI" habitait au 22, tél. 620.60, le 22 étant aussi la maison de mes parents)... Puis la Boulangerie Ferrero, puis un mozabite, puis l'épicerie Ferrer (bises aux deux tio et tia), la cordonnerie Gondolfo, puis une petite droguerie, puis le grand établissement Rebaud Fils Aîné (Liqueurs), puis un beau petit magasin de linge "Tentation", et à côté, au 17, le coiffeur Romano (mon Gino ! Là, deux bises), puis la Boulangerie Balaguer, puis les caves de Monsieur Torres (vins), puis la Quincaillerie Buygues (Bises), puis au 21 la Pharmacie Grimal (la "Pharmacie du Marché", tél 693.60), puis l'Alcazar, notre cinéma (au 21 bis, tél. 695.59), et encore au 21 "La Guinguette", le restaurant de Mme Righetti (tél 651.31), puis Maklouf (marchand de légumes), puis une gargote, puis un marchand de beignets tunisiens, puis un grand dépôt de peinture Demay, puis le "Bazar" de Mme Gambarutti, puis la Charcuterie Woolf, puis un restaurant, puis un grand hangar, puis au 23 la "Boucherie de l'Espérance" de "Mr Robert" (Robert Bensaïd, tél 692.35), bises et Shalom, puis le coiffeur Jo Pernot (bises), puis le magasin Tamzali, puis le magasin de Mr Sandres (linge de maison), puis Mr et Mme Mulet (brodeuse), puis le pressing de Mme Grammont dont le rire égayait toute la rue, puis, dans la petite cour, Mr Beyrouth (photographe), ensuite trois maisons, et au 35 "Turqui", l'auto-école ("Auto-Leçons", tél. 694.37), et Mr Mas le serrurier, puis un boucher, et un café maure (mais bien vivant), un restaurant, et le "Bar Pierrot" (de son nom Pierre Boccanfuso, tél 671.13) à l'angle de la rue de l'Union et du 97 de la rue de Lyon.



   Maintenant on retourne jusqu'à la place Jeanne d'Arc, et - hop - on remonte du côté des numéros pairs, vers la rue de Lyon :

   La Charcuterie Filiu, qui est devenue ensuite un magasin de matelasserie, le n° 14, cher à pas mal d'Es'mmaiens, un bain maure, une cour avec au fond les Ets Mellet (carrelage), la papeterie de Mme Rousselet (reprise après par les Montiel), un petit magasin de linge d'enfants, une crèmerie (dans le temps Mr et Mme Comte), le coiffeur pour dames Gionola Yolande, "les Galeries du Marché" le grand magasin de Mr et Mme Murré (par la suite un commerce de Vaisselle, Americ), puis (on traverse la rue Berthollet) la perle de la rue, notre beau Marché de Belcourt.





   Continuons... Après le marché (suivez bien sur le plan !), on traverse la rue Louis Blanc, et on est au 22 (comme je l'ai dit, la maison où habitaient mes parents) les Moatti et leurs "Galeries du Bon Coin" (tél. 683.25) là, bises et rebises. Au 1er étage du 22 il y avait un appartement transformé en restaurant : "Le restaurant la Tonnelle" tenu par Monsieur et Madame Bou. Ensuite, un magasin de vaisselle, puis le café de Tony Fuentes (bises et une grenadine), puis au 24 le beau magasin de cadeaux (tél 674.39) de Mr et Mme Joseph Perez (bises), puis, encore au 24, le magasin de Alfred et Odette Kalifa ("Le Palais de la Nouveauté", linge, tél 674.61), bises et rebises, même aux vendeuses et surtout à leurs filles de mon âge, puis un coiffeur, Mr Ségui, puis au 26 le café de Mr Giordano (bises) qui a été repris par Edouard Franck ("Café du Palais des Sports", tél 636.88), puis une impasse avec la menuiserie de Mr Reig (Vincent de son prénom, tél 657.04, il était aussi carrossier), puis une maison où habitait Rita, la fille de Mr Tony, puis la Parfumerie F. Lhéritier (au 30, tél 698.61), puis la Boulangerie Caboni, puis au 32 une impasse avec l'Imprimerie Riviecco (en fait "Imprimerie de l'Union", tél. 692.57), puis une épicerie mozabite, puis, au 32 toujours, la mercerie de Mme Abécassis (Martine, veuve Abécassis, tél. 685.54), puis au 34 un tout petit magasin de mode "Laura" (celui de Madame L. Mesguich, tél 662.96. Était-elle de la famille du Dr Mesguich, du 14 ?), puis un petit Tabac, puis au 36 un garage ("Garage Union", tél 684.76), au 36 encore le magasin "Aimry", vêtements pour hommes (tél 645.41), et, au coin avec la rue de Lyon, une belle bijouterie.



   Et le "bas" de la rue de l'Union, direz-vous ?



   Oui, la partie comprise entre Place Jeanne d'Arc et rue Sadi-Carnot ? Eh bien, c'était la partie de la rue où il se passait moins de choses. Enfin façon de parler... Une bonne partie du côté impair (à gauche en venant de la rue Sadi-Carnot jusqu'à la rue du 14 Juillet), c'était l'Ouest des Halles Centrales, puis au n° 7, les Ets Perez (François, tél. 658.32), "location de chaises" (oui oui), puis le Boulodrome Vve Cote à l'angle de la rue de l'Union et du bd Thiers. Ici c'était la place Jeanne d'Arc, et ici commençait vraiment la vie de notre rue.





   Coté pair : au n° 2 la maison où je suis né ainsi que ma petite soeur Lucette dite "La Zoune". À l'angle rue Sadi Carnot et rue de l'Union : une Banque (anciennement une épicerie mozabite), puis un café maure, puis un marchand de beignets, puis l'appartement de Mr et Mme Gusmann, dite "Ramonette", puis les entrepôts Lung jusqu'à la rue du 14 Juillet ; puis, au 8, le magasin Di-Scala (Georges de son prénom, primeuriste et expéditeur, tél. 670.11 et 693.32) avec ses deux belles têtes de cheval (non, pas Georges, le magasin) dans un fer à cheval, elles ornaient l'entrée du magasin. Puis un garage au rez-de-chaussée de l'immeuble où habitait la famille Rolando (les photographes  ).

   Voilà, cette fois-ci, c'est fini.

   J'ai mis volontairement les noms des propriétaires des années 45 à 5O pour les vieux comme moi qui se souviendront mieux de tous ces braves commerçants, supers gentils, toujours prêts à rendre service. Je crois que pour eux l'appât du gain était secondaire. Et voilà cette si belle rue que je refais si souvent, et je crois que je ne m'en lasserai jamais, mais j'aimerais tant la refaire une dernière fois, mais comme on disait là-bas, "à de vrai".

   Plein de bises à tous, salout, a rivedercci, slama, shalom, et... à bientôt.

   Jeanjean... "de Belcourt" à jamais.

   Mai 2006.



Pour ceux qui aiment à se repérer avant de se promener,
ils ont tout intérêt à aller sur le site de Richard Cheron,
ils pourront ainsi parfaitement situer la rue de l'Union
par rapport à son quartier, et à Alger.

Alors, vite, allez sur http://r.cheron.free.fr/Alger0905/GMapsBelcourt.html

Et surtout, usez et abusez du curseur qui vous permet
de vous éloigner et de vous rapprocher, c'est épatant !



La plupart des photos peuvent s'agrandir,
cliquer sur chacune.




Sur le balcon de leur maison du 14 de la Rue de l'Union, 2ème étage,
Jean Pierre, Yvette et Claude Moreaux,
dans les années 40, tout de suite après la fin de la guerre.
Parmi leurs souvenirs : la présence des Alliés débarqués en 1942,
dont un Américain et un Anglais qui furent leur hôtes.
La venue de ces soldats de la liberté signifia beaucoup pour les Algérois.
Sur la droite de la photo, la belle fontaine de la Place Jeanne d'Arc.






Mon coiffeur, Gino Romano, son salon se trouvait au n° 17
et lui même habitait au n°14.




Les parents de Jeanjean place Jeanne d'Arc, en juillet 1945.





... et le n° 22 de la rue, où ils habitaient.
(photo Jacqueline Simon)





Le pépé et la mémé Llorens en janvier 33,
sur leur 31, pour leurs trente ans de mariage.







"J'ai vécu 15 ans au 22 rue Lamartine et au 2 bis rue Prevost-Paradol. L'immeuble au fond à droite, de 5 étages, appartenait à la famille Brinsolles. Au rez-de-chaussée existait la quincaillerie Buigues (beau-frère de Mr Brinsolles). Et une pharmacie. La place disponible devant cet immeuble a vu l'érection d'un cinéma, dont je ne me souviens plus du nom" (Roger Piola, qui nous envoyé cette carte postale). Le cinéma, c'était l'Alcazar, Roger ! Et merci de cet envoi !




Note de la rédaction : oui, on a emprunté le titre à Lény Escudero. On espère que vous aimez... Pour ceux qui aiment, ou qui veulent se rafraîchir la mémoire, un site plein d'extraits de Leny à écouter :
http://www.friendship-first.com/artistes/ leny_escudero/discographie1988_fr.htm
(à taper sans espace après "artistes")
Les mots en italique dans le texte ont été rajoutés en complément au texte de Jeanjean. Juste des bricoles, la mémoire de Jeanjean possède la précision d'un annuaire (celui de 1954), où l'on a retrouvé les commerçants exactement où ses souvenirs les avaient replacés, y compris avec leurs orthographes exactes (en tout cas pour ceux qui avaient le téléphone). Belle performance, Jeanjean ! Sans ta mémoire, il eût été impossible de procéder à cette reconstitution, puisqu'il n'existait pas d'annuaire par rues. Et à partir de l'annuaire alphabétique, c'eût été un travail titanesque !



Compléments (au hasard des pages de l'annuaire de 1954) : au 14, on a relevé Robert Mesguich, docteur en médecine (tél. 615.17). Au 24 Salem AMER, expert-comptable (tél. 629.12). Au 27 : Maurice Tourniaire, agent de fabriques (tél. 631.70). Au 38 : la boulangerie-pâtisserie de E. Dugény (tél. 639.81).



Les Rolando étaient photographes de père en fils. En 1954, Rolando père avait son studio au 92 rue de Lyon (que géra son fils Auguste jusqu'en 1962), et un fils Rolando avait le sien au 54 de la rue Sadi-Carnot (trottoir de gauche avant d'arriver à l'Agha).




Connaissiez-vous Henriette Dalché ?

Non ? Alors, faites sa connaissance
en vous rendant...



"10 janvier 1956 : douk-douk rue de L'Union""


un fait divers à ne pas manquer ! Ça se passait à l'angle avec la rue du 14 juillet...





Et maintenant, quelques autres souvenirs de la rue de L'Union avec vos messages extraits du Livre d'Or d'Esmma...

(À venir, en préparation)



Et pour finir, quelques photos de la rue de l'Union
prises par Jacqueline Simon et Richard Chéron
au cours de retours en 2005 et 2006, nous les remercions de ces contributions. ...



1 - Le n° 12 et le n° 14 avec en dessous le bain maure et l'ancienne charcuterie FILLIU.



2 - La rue de l'Union, prise en 2005 par Richard Cheron,
du même endroit que la photo précédente, mais cette fois dans l'autre sens...
Le marché de Belcourt, avec à l'angle juste avant, au n° 18,
l'ancien magasin Murré (devenu "les Galeries du Marché"),
et à côté, la coiffeuse Yolande Gionolla.



3 - L'entrée du n°14 de la Rue de l'Union où séjourna la famille Moreaux,
et, semble t-il pour un temps, Madame Camus mère, chez sa nièce.



4 - C'est au deuxième étage de cette même maison du 14
que fut prise la photo des trois Moreaux sur leur balcon.
(ci-dessus, colonne de droite).



5 - Toujours au n°14, l'entrée du bain maure où l'on allait se faire une beauté,
du temps où il n'y avait pas de salle de bain dans les maisons.



6 - "Cette photo a été prise côté impair de la rue de l'Union,
presque en face du marché...
Nous cherchions un magasin dont Claude Moreaux m'avait parlé,
Torres ou De Felice, je ne me souviens plus."
(Jacqueline)



7 - De la terrasse du 18 rue Villebois-Mareuil, un petit bout du boulevard Thiers (à nos pieds),
la place Jeanne d'Arc et les 9 et 11 de la rue de l'Union.
On aperçoit, à l'angle, le café de la famille Assante (derrière la camionnette blanche).
À coté : la boulangerie Ferrero, le Mozabite, et l'épicerie Ferrer.
Les toits rouges au premier plan : l'usine Nizière, au 13 du boulevard Thiers.
"Lorsque maman alla rejoindre son cher époux à Marseille
avant qu'il ne prenne le bateau pour l'Indochine (un mois de voyage!!),
j'ai passé la nuit rue de l'Union chez mes grands oncle et tante.
J'avais 4 ans et je me souviens de la chambre où je dormais entre eux qui me consolaient comme ils pouvaient !!
Cette chambre donnait sur la place Jeanne d'Arc. Je m'en souviens encore !!
On peut en voir la fenêtre, c'est celle qui donne sur le toit gris à droite."
(Jacqueline)