Toupies or not Toupies
(à prononcer façon le Cid à Edmond Brua)
par Gérald Dupeyrot





     Le parrain de mon frère Pierre, c'était la patisserie de Joseph Aloy, "La Chantilly", avenue Clémenceau à El-Biar. Rappelez-vous : quand on arrivait en plein centre d'El Biar, juste en haut du boulevard Gallieni, en tournant à droite. Cette patisserie, je l'ai photographiée quand je suis retourné à Alger en septembre 1984. Avec Françoise nous y avons même bu quelque chose. Elle s'appelait toujours "La Chantilly".

     Tonton Aloy (Joseph) c'était le fils de tata Françoise, une Llabrès qui avait épousé un Barthélémy Aloy. Toute la famille de ma mère elle était d'El Biar, du côté de la rue Bizot et du chemin Bücknall. Tata Françoise, mère du patissier Joseph Alloy, donc, était la soeur de ma grand-mère. Oui, je sais ce que ces "donc" peuvent avoir d'abusif et d'horripilant.

     Avec mon frère, certains jeudis (à l'époque, jours du congé scolaire hebdomadaire), nous accompagnions ma mère à La Chantilly et nous y faisions une orgie de ces gâteaux que là-bas, et ici aussi d'ailleurs, on appelait des "toupies". Déjà, quand ma mère était petite, et qu'on lui avait lavé la tête (elle détestait ça), une toupie que ma grand-mère avait ramenée de "La Chantilly" était sa récompense et sa consolation.

     Pierre et moi, nous attaquions du bout des incisives, comme un renard un oeuf, la fine coquille de sucre rose, puis nos lèvres plongeaient dans le blanc battu mousseux qu'elle recouvrait. Il nous faisait autour de la bouche comme du savon à barbe mal essuyé. Enfin, dans les recoins de la patisserie, nous abandonnions en douce un peu partout les bêtes et ronds fonds de pâte à tarte qui soutenaient les fragiles édifices.

     Mais la toupie, c'est de nos jours un gâteau en voie de disparition. Disparition qui m'éprouve au moins autant que celle des éléphants. Ici, pour faire plaisir à ma mère, j'avais trouvé deux pâtissiers qui faisaient encore des toupies : un à Paris, un à Marseille. Mais il ne reste plus que celui de Marseille (voir adresse ci-contre), et c'est désagréable de faire exprès en train Lyon-Marseille et retour avec une boîte à gâteaux que tout le monde y vous bouscule. Et les toupies c'est archi-fragile !

     Alors je pose la question : j'ai rien contre les gâteaux modernes, genre charlottes et autres terrines (encore que...), mais pourquoi que du coup les anciens gâteaux y doivent disparaître ?

QUEL PATISSIER À LYON OU DANS LA RÉGION VOUDRAIT BIEN ACCEPTER DE FAIRE DES TOUPIES ?

D'avance, merci pour ma mère !


Les Toupies dans la grande littérature

Les Toupies, même Camus il en parle :

"Les séances de cinéma réservaient d'autres plaisirs à l'enfant... La cérémonie avait lieu aussi le dimanche après-midi et parfois le jeudi. Le cinéma de quartier se trouvait à quelques pas de la maison et il portait le nom d'un poète romantique comme la rue qui le longeait. Avant d'y entrer, il fallait franchir une chicane d'éventaires présentés par des marchands arabes et où se trouvaient pêle-mêle des cacahuètes, des pois chiches séchés et salés, des lupins, des sucres d'orge peints en couleurs violentes et des "acidulés" poisseux. D'autres vendaient des patisseries criardes, parmi lesquelles des sortes de pyramides torsadées de crème recouvertes de sucre rose, d'autres des beignets arabes dégoulinant d'huile et de miel. Autour des éventaires, une nuée de mouches et d'enfants, attirés par le même sucre,vrombissaient ou hurlaient en se poursuivant sous les malédictions des marchands qui craignaient pour l'équilibre de leur éventaire et qui du même geste chassaient les mouches et les enfants". ...

Albert Camus, "Le premier homme", Gallimard, page 90


    Camus, il procède par fines allusions, ou alors il a pas de mémoire ? Comment il donne pas le nom du cinéma de son enfance ? Comme s'il savait pas que c'est Le Musset, à l'angle de la rue de Lyon (aujourd'hui rue Belouizdad Med) et de la rue Alfred de Musset (qui n'avait toujours pas été débaptisée en 1984, pas plus que le cinéma). Et pareil, pourquoi il dit pas comment ça s'appelait les gâteaux qu'il décrit ? Le nom du gâteau, qui a fait à ce point partie de notre enfance, quand on l'a su on l'oublie pas ! Comment vous dites ? Un roman c'est pas une oeuvre documentaire, il vaut mieux dépeindre au lecteur les choses qu'il ne connait pas plutôt que les nommer ? Ça lui apporterait quoi de plus, le fait de lui donner son nom ? Bon, si vous voulez... Mais vous avez remarqué qu'en moins de dix lignes, Camus il utilise trois fois le mot "éventaire" ? Imaginez que vous auriez fait ça dans une rédaction... "Le mot "étal", il a pas la peste ?", il nous aurait dit le maître, non ? Comment vous dites ? Pourquoi désorienter inutilement le lecteur en appelant de façons différentes les mêmes choses à quelques lignes de distance ? Et puis au troisième coup, après éventaire et étal, on utilise quoi ? "Planche sur des tréteaux en bois" ? Bon, OK, mouché, à vous la manche !

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Septembre 1984 : la patisserie de Joseph Alloy s'appelait toujours "La Chantilly". Sur l'enseigne et sur le store, les caractères arabes signifient "Patisseries" (merci à Alexandre Faulx-Briole pour sa traduction !). Photo © F. Philippon 1984


Elvire Aloy (décédée en 1997) et Joseph, le Maître des toupies (décédé en 1968).

Au XXIème siècle, les toupies de qualité s'achètent à la
Patisserie Louis Dieuloufet,
15 bis boulevard Baille,
13006 MARSEILLE

A noter qu'ils font aussi de somptueuses mounas, et autres délicieusetés de chez nous.



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   Joseph Alloy au mariage de mes parents à Saint Charles de l'Agha le 1er décembre 1945. Devant lui, c'est pas la mariée, mais Huguette Grüber, ma cousine, une des demoiselles d'honneur, et son cavalier. Comme ma mère n'avait plus de papa, c'est Joseph qui l'a menée à l'autel. C'est aussi lui qui fit les gâteaux et la pièce montée de la Noce (mon père rentrait de captivité, ils étaient fauchés). GD.


Ma mère, le dimanche 6 février 1995, avec une toupie ramenée exprès pour elle de la patisserie Dieuloufet à Marseille (c'était la moins écrasée de ce qu'il restait de la boîte, juste présentable pour la photo, mais bonne à manger).
Photo © F. Philippon 1995


Petits mots...

"Je suis issu du lycee Victor-Duruy (début des annees 70). Plus tard j'ai fait le CEM Parc des Pins et le lycée El Mokrani à Ben Aknoun.
Toujours Elbiarois, plus de 7 ans que je n'ai pas vu El Biar, la perle algéroise, la place Kennedy, la pizzeria Chantilly et le milk-bar, à côté du Monoprix".

Arezki (message en provenance de Pologne, samedi 11 avril 2.000)

algerski@hotmail.com


"Moi tes "toupies" on se les achetait dans la rue Hoche à gauche endescendant, vers le milieu, mais c'étaient des "Philippe" ?
Cordialement".

Jacques Robert d'Eshougues,

Wed, 19 Sep 2001 21:16