NOS ARTISANS, 1953-1954

103, RUE SADI-CARNOT : LA S.A.L.S. ET L'AILE VOLANTE ALGÉROISE

Article de Jean-Claude CAILLOU dans "L'Écho d'Alger" du 24 mars 1954.



   L'Aile volante, qui devrait plus précisément être appelée "sans queue", a toujours tenté les nombreux techniciens de l'aéronautique du monde. En Angleterre, Avro, en Allemagne, Horten, aux États-Unis, Northrop, entre autres, ont donné à l'aviation des réalisations remarquables de ce type d'appareil, en s'appuyant chacun, toutefois, sur des formules différentes.

   La France, berceau de l'aviation, ne pouvait rester indifférente aux séduisantes perspectives que présente cette formule : avantages de finesse, légèreté, encombrement, etc...


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Le prototype Fauvel A.V. 36 "monobloc" vu de profil.
On remarque particulièrement la faible longueur du fuselage,
ce qui lui fait bien mériter son nom de "sans queue".


   Entièrement consacré au "sans queue" depuis déjà plusieurs années avant-guerre, Charles Fauvel présente au problème ardu que pose cette formule, des solutions aussi simple qu'originales. Le plus gros écueil qui sembla au premier abord handicaper l'Aile volante est la stabilité longitudinale, ou tangage. Sur un avion ordinaire, cette stabilité est obtenue grâce au concours de l'empennage horizontal par ailleurs appelé stabilisateur. L'absence de ce stabilisateur sur l'Aile volante a conduit Horten à construire des ailes en forte flèche, à extrémité vrillée, pour obtenir une bonne stabilité. Northrop utilise dans le même but des "élevons", sorte d'ailerons disposés en bouts d'ailes (1). Fauvel, par contre, préfère un profil d'aile autostable, allié à une forme en plan trapézoïdale rigoureusement sans flèche, ce qui est la caractéristique dominante de ses appareils.

   Après avoir conçu, avant la guerre, de nombreux modèles, dont plusieurs à moteur, Charles Fauvel construisait lui-même, il y a trois ans, avec l'aide de son fils, une nouvelle "aile", l'AV-36 Monobloc, qui devait se révéler immédiatement une réussite incontestable.

   Comparé en vol à de nombreux planeurs classiques de performance, le Monobloc, qui n'est en fait qu'un planeur d'entraînement, devait présenter des caractéristiques égales et même supérieures aux meilleurs, tant au point de vue de facilité de pilotage, stabilité, maniabilité, performances, etc...

   Et la plus belle consécration fut, en particulier, un magnifique vol de 460 kilomètres en ligne droite, effectué le 23 juillet 1952, par Eric Nessler, constituant le record International officieux de la catégorie.

   Toujours à la recherche de l'amélioration du matériel des centres de vol à voile algérois. le S.A.L.S. (Service de l'aviation légère et sportive) et en particulier M. Lucien Saucède, ne pouvaient rester indifférents, en technicien et pilote averti, à de pareils succès. Aussi ce service, qui possède au 103 de la rue Sadi-Carnot un atelier de réparations aéronautiques, entreprenait-il, fin septembre 1953, la construction d'une Aile volante Fauvel, AV-36 Monobloc.

   La saison de vol à voile approchant avec les beaux jours, nous avons voulu nous rendre compte de l'état d'avancement des travaux de ce planeur, qui sera, croyons-nous, le premier modèle de ce type à prendre l'air en Algérie.

   Un avion en construction ressemble à beaucoup de choses, sauf à un avion.




Notre collaborateur installé dans le cockpit de la future aile volante
écoute les explications que lui donne M. Lasserre,
le responsable de laconstruction de l'aile algéroise.


   Treillis de nervures, lignement des longerons, formes géométriques enchevêtrées, telle nous apparut au premier abord la future Aile volante. Quelques explications s'imposaient, et M. Lasserre, responsable de la construction, voulut bien répondre à nos questions :

   "II ne faut pas croire que grâce à la suppression des empennages, une aile volante est beaucoup plus simple à réaliser qu'un planeur classique. La difficulté réside, en effet, dans la mise au point et la réalisation de nombreux détails particuliers à ce genre d'avion. Les gouvernes de direction, par exemple, qui sont doubles, ont nécessité chacune, en raison de l'évolution compliquée de leur bord de fuite, une construction sur chantier spécial, particulièrement délicate. Nous en sommes évidemment à notre première expérience en matière de "sans queue" et je crois pouvoir dire que nous aurons finalement passé, aussi paradoxal que cela puisse paraître, autant de temps à construire une simple "aile", qu'un vulgaire Emouchet ou Nord 1.300.

   "Vous avez devant vous la carcasse terminée à 80 % environ de son achèvement, et non entoilée. La partie bois est pratiquement terminée et nous allons commencer le montage des ferrures. Nous comptons approximativement sur un total de 1.500 à 2.000 heures de travail pour réaliser cette "aile".

   Ce que M. Lasserre ne mentionne pas, c'est le fini et la perfection de la construction. Un avion entoilé et terminé ne permet pas de juger, sous son revêtement, de la qualité de sa construction.

   Squelette nu et sans apprêt, l'aile que nous avons sous les yeux nous a paru dans tous ses moindres détails fignolée, semble-t-il, avec un amour presque religieux : pas de goutte de colle superflue, bords de fuite affinés au maximum, surface soigneusement poncée, caractérisent la construction qui nous est présentée.

   Il n'est d'ailleurs besoin que de jeter les yeux autour de soi, par exemple sur le petit Minicab, avion léger de 65 CV, qui est également en construction dans cet atelier, pour juger du soin et du sérieux avec lesquels est menée ici la construction aéronautique.

   Mais évidemment la question qui nous préoccupait était la date de sortie de cet intéressant appareil. M. Rudel, directeur du S.A.L.S. n'a pu répondre avec précision à notre question. Les délais dépendent en effet maintenant d'une toute petite chose, en l'occurrence la livraison par un atelier en France des ferrures d'articulation des gouvernes. Dès leur date de réception, qui n'est, hélas ! pas encore précisée, la construction sera terminée.

   Et nous souhaitons vivement avoir le plaisir de voir évoluer, dans le ciel algérien, et peut-être algérois, l'Aile volante Fauvel Monobloc, planeur monoplace d'entraînement et de performance français, qui permettra peut-être, suivant le slogan de son constructeur, à de jeunes "vélivoles" d'aller "du premier lâcher à la couronne d'or, suprême récompense du pilote de vol sans moteur."

Jean-Claude CAILLOU.
L'Écho d'Alger, 24 mars 1954.

(1) Quant à Avro, qui a, lui, abouti à la formule Delta, il élargit amplement son aile, joignant en quelque sorte l'aile au stabilisateur horizontal.



L'Aile volante AV 36 une fois en vol...




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