
Texte et dessin de Jean BRUA
Il suffit d'entr'ouvrir la rubrique RUA d'Es'mma, d'aborder L'Île du bout du quai de Jacques Prat, de goûter aux cocktails de Missou Faglin et aux souvenirs de mancaora (1) de Denis Perchenet, de se faire éclabousser la mémoire par les pantchas et bombas des uns et des autres, pour mesurer la séduction que la légendaire piscine d'eau de mer, son volley, son bar-restau, ses fêtes, exercent encore sur la vieille jeunesse algéroise .
Et on ne vous parle pas, là, d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, tant la nostalgie de ce lieu magique reste présente dans les récits familiaux.
Plus que la rue Michelet, l'Otomatic, le lycée Gautier, le Trou des Facs ? Oui, dans la mesure où l'on peut toujours aller voir sur place comment ces derniers ont vieilli, ou consulter les albums de voyage de Tonton Jaja, du G.D.L.L.D.B. et assaoir qui. Ce qui n'est pas possible avec le RUA. Ce qui fut son club nautique est cloîtré pour toujours derrière les grilles du port et, depuis trente ans au moins, était plus inaccessible aux visites, aux regards et aux téléobjectifs que le harem d'un souverain des plus lointains émirats.
Même la Tour Eiffel rouge qui signalait de loin son emplacement dans le coude du môle à charbon avait disparu...
Et puis, coup sur coup, voilà qu'une indiscrétion de satellite et la bande-annonce d'un film en révèlent des images récentes.
Celles du premier (relayées par le site Wikimapia) nous laissent encore quelques illusions sur l'état des lieux et prouve en tout cas que ces derniers n'ont pas été démolis depuis la fermeture dans la deuxième moitié des années 60, du quasi homonyme Ridja Club qui a brièvement succédé à notre RUA.
Les images du film Delice-Paloma (amusante production franco-algérienne, au demeurant) sont en revanche sans concession. On ne va pas ressortir la métaphore du vieux tromblon qui a failli faire écharper notre Gator de Floride, mais tout de même, la vision d'un amour décrépit, ça prend à la gorge...
On vous en a quand même fait une sélection. Nostalgies trop sensibles s'abstenir... ou se contenter de regarder de haut, grâce à la vue satellite (renseignée par nous) ci-dessous.
(1) Pour ceux qui ne s'en souviendraient pas : la mancaora, en pataouète, c'est l'école buissonnière. Faire mancaora, c'est, littéralement, manquer l'heure (de la rentrée). D'où l'expression taper cao.
Sur cette vue récente à laquelle on peut accéder par www.Wikimapia.org, les principaux points stratégiques relevés dans le polygone bleu de ce qui fut le RUA : 1) Débarcadère ; 2) Garage à bateaux ; 3) Entrée. 4) Bar-restaurant. 5) Volley. 6) Jetée. 7) Local technique. 8) Piscine. 9) Plongeoir. 10) Gradins (vestiaires en sous-sol).
RUA-Today
L'ARRIVÉE : Eh oui, c'était là, à la place même où ces deux techniciens font des mesures de lumière, que se trouvait la table au parasol bleu où l'on vérifiait votre titre d'entrée. Si vous étiez en règle, vous pouviez vous rendre au vestiaire (suivre la chemise bleue, à l'arrière-plan, en longeant la margelle de la piscine, puis tourner à droite : c'est juste après le plongeoir).
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LES GRADINS : D'ailleurs, les voilà, les vestiaires. On ne les voit pas, parce qu'ils se trouvent sous les gradins, légèrement en contrebas. Très humides, malgré les bouches d'aération visibles, et d'un confort très éloigné de ceux du Monte-Carlo Beach. Quant aux gradins, on les a connus plus pimpants, à l'époque où ils étaient le bronzodrome le plus recherché d'Alger.
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LE BASSIN : Là, c'est carrément l'épave du Titanic. Superstructures branlantes, coque fissurée. On reconnaît quand même, à gauche, l'arrivée de l'escalier. Mais on a quelque peine à imaginer, entre les murs morts, la surface miroitante où glissaient tritons et naïades de ce qui fut pendant quelques années l'un des bassins les plus rapides du monde.
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LA PERGOLA : Elle s'est dégarnie du plafond avec l'âge (comme nouzôtres, mes frères), mais c'est mieux ainsi. Comme ça, on peut voir le terrain de volley (sans poteau ni filet, ni volleyeurs), derrière, ainsi que le mur par-dessus lequel on accédait aux blocs et à la mer, et un petit bout du club-house à droite. Le type assis sur le plot n°6 n'est pas un chronomètreur attendant qu'on remplisse le bassin, mais un régisseur harcelé par son portable.
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LA TERRASSE : Il manque les tables, les chaises, les serveurs en veste blanche, les convives court-vêtus. Il y a un pilier qui bat de l'aile et l'interlocuteur de l'assistant metteur en scène a l'air d'avoir arrêté la compétition depuis longtemps. Mais derrière, c'est toujours le port, les bateaux, la ville blanche sous sa crête verdoyante. C'était pour ça aussi, qu'on aimait tant flemmarder sur les fauteuils bleus et blancs de tonton Rossello, d'où l'on bombardait de lazzi les nouveaux débarqués par Négro. Non, non, non, le RUA n'est pas mort... puisqu'il rêve encore !
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Pour finir sur un coup de jeune, une vue de l'Ile du bout du quai,
avec tous les appas de ses plus belles années : les bâtiments pimpants,
la flotte de Négro (à gauche et à quai), les deux débarcadères et la Tour Eiffel, aujourd'hui disparue...
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