ÉTÉ 1958


Dans notre série

"La Fortune vient en buvant"

(c'était le slogan de la campagne ! Mais que faisait la prévention routière ?)


Juillet 1958 : Cap sur la capsule !

avec le mystérieux Monsieur Spips...

par notre correspondant en ce temps, Gérald Dupeyrot.




    Tout a commencé fin juin 1958 dans votre quotidien algérois préféré, avec de petits pavés de réclame résolument énigmatiques parsemant certains pages : juste le nom "Monsieur Spips" et un gros point d'interrogation.


    Comme des cartes de visite glissées ça et là par un aventurier mystérieux, à la façon d'Arsène Lupin ou de Monsieur Choc, dont nous suivons les aventures palpitantes dans Spirou. Procédé banal mais éprouvé, c'est peut-être l'une des premières fois que les Algérois connaissent une campagne de publicité basée sur un "teaser" comme diront plus tard les publicitaires anglomaniaques et cuistres. Le lendemain, ça continue dans la page des spectacles, avec cette annonce à la suite des pavés des cinémas :

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    Une annonce résolument intrigante...

Et puis les jours suivants arrivèrent les explications, avec des annonces qui couvraient une demi-page du quotidien :

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    Nous tenions notre explication : SPIPS était une nouvelle boisson gazeuse (genre "Crush", "Orangina" ou "Verigoud") créée par les BGA (Brasseries et Glacières d'Algérie, honorable maison limonadière et houblonière basée à Maison Carrée). SPIPS, boissson "Au jus d'orange naturel" !

    Monsieur SPIPS serait son prophète, il allait prêcher la bonne parole et surtout distribuer des billets de 10.000 francs pleins de mouettes, souvenez-vous comme ils étaient beaux...


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    Anonyme, incognito, inattendu, il allait durant un mois sillonner tous les quartiers d'Alger et écumer les lieux publics. Si le badaud qu'il abordait lui présentait une capsule ou une boutelle de SPIPS, il en était récompensé illico par le billet de 10.000 francs, ce qui représentait une somme gentillette, à peu-près 900 frs de 2001, 140 euros d'aujourd'hui ! De quoi se laisser convaincre de commander un SPIPS pour être en mesure de produire la capsule et rafler le pactole ! Et qu'est-ce qu'on dit ?

SPIPS SPIPS SPIPS ! HURRAH !!!
(Merci à Jacques Prat de cette contribution !)

    Chaque jour de ce mois de juillet 1958 parut dans "L'Écho d'Alger" une paire de photos comme celle-ci... En tout, plus d'une soixantaine d'Algérois dont nous donnerons les noms, furent récompensés.


    Monsieur SPIPS allait bien sûr chercher ses proies dans les cafés des plages fortement fréquentées l'été, autant que dans les cafés du centre (témoin ce consommateur, Monsieur Foulon, adepte du SPIPS, surpris au bar du Poilu rue Clauzel)...


    ...Il se rendait aussi dans les bistrots des quartiers populaires. Partout, il était partout. Pas un coin d'Alger et ses banlieues qui n'eut droit à sa visite :

    La campagne dura un mois comme prévu initialement...

    Ce pauvre Monsieur SPIPS travaillait comme un forcené. Imaginez ! Il fallait absolument qu'il trouve chaque jour deux personnes qui détiennent une capsule ou une bouteille de SPIPS, deux personnes qu'en plus il devait photographier. Et ceci alors que l'habitude d'acheter du SPIPS n'était pas encore entrée dans les moeurs, loin de là, puisque c'était justement à ça que devait servir cette campagne de lancement ! Donc, des consommateurs de SPIPS, peut-être qu'il n'y en avait pas beaucoup ? Et même pas du tout, non ? D'ailleurs, vous-même, 47 ans après, vous souvenez-vous d'avoir bu du SPIPS ? On peut donc penser que Monsieur SPIPS a dû avoir à fréquenter d'innombrables bistrots pour réussir à débusquer chaque jour son contingent de 2 Spipsophiles. Or c'est ça qui intrigue : par deux fois au moins, sur les deux photos quotidiennes dans le journal, une seule parut. À côté du nom et de la photo du premier gagnant, seulement un cadre blanc ou gris barré d'un texte avec le nom du second gagnant et des mots durs pour Monsieur SPIPS, comme quoi il avait négligé de se munir de pellicule ! Ou qu'il avait loupé sa deuxième photo !


    Pourquoi, une fois ses amateurs de SPIPS si difficilement dégotés, et alors qu'il n'avait que 2 portraits à tirer par jour, pourquoi Monsieur SPIPS il lui arrivait de les louper ? C'est quand même pas compliqué comme boulot d'appuyer deux fois par jour sur un déclencheur ! Que vous croyez ! C'est qu'il faut l'imaginer, Monsieur SPIPS : épuisé, suant, le souffle court (on est en plein été, et à Alger; et la seule photo qu'on connaisse de lui nous le montre rondouillet), assoiffé, allant de bar en bar à l'affût d'une proie, et tout ce qu'il trouve, c'est quoi ? Des consommateurs de Crush, d'Orangina, de Selecto, de Coca-Cola ou de Verigoud ! L'angoisse ! Alors on le comprend. Oui, on comprend que Monsieur SPIPS ait pu avoir la tentation à chaque estancot visité de ne pas consommer que du SPIPS, surtout si le dit établissement n'en servait pas. Évidemment... Mais il allait boire quoi ? Des sodas de la concurrence ? Sûrement pas, on a sa fierté, et puis si le patron passait par là ! Ou un représentant d'une autre marque ! Alors il devait boire autre chose, Monsieur SPIPS, et pas de l'eau ferrugineuse... Il avait le moral dans les chaussettes... Plutôt des boissons qu'on peut imaginer aussi réconfortantes que rafraîchissantes.

    Et au moment où en fin de journée, enfin, il tombait sur un consommateur de SPIPS, il ne savait plus où il avait laissé son appareil photo, ni la pellicule qui était censée aller dedans, on lui avait fauché son billet de 10 000 francs ou bien il l'avait déjà bu, et peut être aussi il avait oublié le nom du liquide qu'il devait citer au consommateur. Heureusement, même dans son état, la syllabe "Hips" reste assez facile à prononcer. "Est ce que vous auriez pas une caps... huuule... euh ! De... Sp... de Sp... Hips !". C'est une hypothèse... Mais sinon, comment expliquer ces inexplicables manques dans ses tableaux de chasse quotidiens ? Enfin, on le comprend, allez, le Monsieur SPIPS... Parce que moi je vous le dis, faire le Monsieur SPIPS, ça devait pas être de la tarte ! Vivement la fin de ce mois de juillet ! À propos, Monsieur SPIPS, vous faisiez quoi avant, et vous alliez faire quoi, après ? Le saura-t-on jamais ? On aimerait bien mettre un nom sous votre photo et écouter votre version sûrement parfaitement honorable, histoire de faire taire définitivement les élucubrations malveillantes ici développées.


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La seule photo connue de monsieur SPIPS, appréciez le geste auguste du ditributeur de billet de 10.000 francs. En cliquant sur l'image, découvrez l'heureux donataire, Monsieur Rezzou Saïd au Milk-Bar du Passage des Facultés, et aussi la décoration en vogue en cet été 1958 ! Je dois dire que je n'ai pas vraiment compris le rapprochement avec le "bip" du Spoutnik, mais pour faire plaisir et aller dans ce sens, j'ai choisi pour titre général "Cap sur la capsule", emprunté au merveilleux Guy Mouminoux, c'est le titre d'un album de sa série des "Goutatou et Dorochaux". Merci Guy !



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Monsieur SPIPS distribuait-il aussi des porte-clés ?
Ou bien vinrent-ils plus tard ?





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Une autre annonce de la campagne... En l'agrandissant vous discernerez dans le coin inférieur droit la signature de l'agence qui l'a conçue et menée : DG. Vous la retrouverez aussi sur les autres annonces. Il s'agissait de DG Publicité (pour Diffusion Générale de Publicité), qui avait ses locaux au 7 de la rue Marceau, vous savez, la petite rue entre rue Sadi-Carnot et rue Clauzel et parallèle à celles-ci (vous pouvez leur téléphoner au 63 77 02 si vous n'avez pas trouvé de SPIPS chez votre débiteur de boissons). DG, c'étaient aussi les initiales de "Denis et Giraudet" (R. Denis et J. Giraudet), avec Diffusion Générale de Publicité, c'était une seule et même maison. Elle était déjà à cette adresse en 1936.Par contre, si l'on en croit l'Annuaire Fontana de 1922, elle n'existait pas encore à cette date.








Les Brasseries et Glacières d'Algérie profitent que la campagne et l'été battent leur plein pour placer leurs autres produits... Témoins cette annonce parue dans l'Écho d'Alger.






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Allez, une dernière annonce de cet été là pour la route... Un vol d'oranges en formation ? A volé a volé a volé...




Ne terminons pas sans un mot pour une fureur bien légitime qui ne doit pas être passée sous silence... C'est celle de Spip, l'écureuil de Spirou, qui au début de cette année 1958 a joué dans "Vacances sans histoires". À l'époque, nous avions surpris de lui cet écart de langage (Spip, quand il est colère, cause couramment pataouète) que Franquin son auteur a ensuite censuré (vous me croyez pas ? La vérité si je mens !
Voyez l'album, page 53).