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Le Bon Monsieur Césari

 




   Monsieur Césari se faisait un point d'honneur et une joie d'initier au latin en 6ème. Il le faisait d'ailleurs fort bien et c'est ainsi que je l'eus, en l'an scolaire 48-49, en 6èmeAB1.

   Césari était un petit homme affable, discrètement distingué, tout en étant d'une simplicité de bon aloi.

   Intelligent et fin, manifestement bienveillant, il avait juste ce qu'il fallait de fermeté et de distanciation pour que l'idée de le chahuter ou, simplement, d'être désagréables en classe, ne nous vint jamais. D'ailleurs a-t-on jamais chahuté à Gautier, un prof intéressant, sympathique et doué de quelque caractère ?

   Petit, chauve, avec un visage passe-partout, rehaussé par la barre d'une épaisse moustache noire et la "boule de billard" bien lisse, Césari était tout à fait crédible : il avait quelque chose de la netteté modeste et sans aspérités d'un Romain ordinaire, juste un poil modernisé. Cicéron aurait pu lui ressembler.

   Il portait perpétuellement des costumes sombres, discrets sans être solennels et restés à la mode d'avant-guerre ce qui lui donnait une respectabilité un peu désuète, un charme un tantinet vétuste et très personnel. Il égayait parfois ses cols, invariablement blancs, d'un noeud papillon, discret lui aussi.

   Césari était calme et persuasif. Il avait une manière bien particulière de décliner "Rosa, la rose" en nous faisant sentir l'inéluctable logique, l'évidente simplicité, et l'intrinsèque beauté de ces déclinaisons compliquées. Sans nous faire véritablement aimer le latin (encore que..) il nous en rendait la mécanique et le génie perceptibles. Il nous guidait avec vigilance dans le dédale des exercices du "Qayrou" et quand l'un ou l'autre trébuchait sur un mot simple ou une tournure déjà vue, il avait d'abord un soupçon de tristesse étonnée au fond de l'oeil puis, avec un bon sourire et sa bienveillance revenue, ré-expliquait patiemment.

   Nous n'étions pas en section A pour rien. La plupart d'entre nous s'apprêtait à être confrontée pendant six ans au latin et, pour les plus chanceux, au grec. Nous eûmes l'impression d'une année facile, l'aura d'être enfin devenus lycéens faisant le reste.

   Quand aux flemmards indécrottables et aux cancres invétérés, espèces protégées à Gautier (car vivier naturel des futurs pointers), ils se contentèrent de bayer aux corneilles car Césari, ferme à côté de tout cela, ne se serait pas laissé déborder ni importuner.

   Sans en avoir le moindre mérite (j'étais cerné de latinistes à la maison), je fis partie, cette année là, des bons élèves en latin.

   Je fus cependant très involontairement à la base du seul brouhaha notable de l'année et d'un tohu-bohu particulièrement mortifiant pour moi. L'aventure est tellement comique et j'y fis tellement piètre figure qu'elle mérite d'être contée.

   Césari, à l'inverse de "Couillous le Magnifique" (dont je parle ailleurs sur Esmma.), avait le bon goût de prononcer le latin avec la simplicité classiquement admise : cujus restait cujus... et la paix sociale y gagnait ! Il n'y faisait qu'une exception poétique pour Bos-Bovis, Bo-um, qu'on devait dans Virgile prononcer "boum" et il nous tolérait, même, un poil d'exagération joyeuse au passage.

   Je me fis remarquer bêtement en prononçant "bo-hom", pensant mieux faire, et il me reprit avec dans la voix comme un soupçon d'avoir voulu en rajouter ou de jouer les "sbibeurs".

   J'étais pourtant, déjà, passablement dissipé hors les cours de Césari, et pas particulièrement porté à la sbiberie caractérisé ; mais je tenais à mes notes potables et à mon honorabilité en latin qui me permettaient de négocier, à la maison, des notes bien plus vacillantes ailleurs (surtout en maths !).

   J'étais donc vexé et je me promis de rétablir.

   L'occasion se présenta à quelques cours de là.
Césari évoquait les locutions courantes de la vie romaine et il demanda à la ronde, si quelqu'un savait comment on disait "aller à pied".
   Or ça je savais...

   On le disant souvent, en riant, à la maison où on avait le goût de la citation latine.
Là, j'étais sûr de moi ( j'avais 10 ans, n'oubliez pas !)...
Je lâchais fièrement d'une voix forte :

   "Pedibus cum Jambono, M'sieur !"

   Tonnerre de rires dans la classe !

   Et moi complètement abasourdi...

   Césari, pour une fois furieux, qui m'assénait vertement "pedibus cum jambis"... et se découvrait surpris, "attendant tout autre chose d'un élève qui était le neveu d'une latiniste..." (ma chère tante Mariette Paulian), "...collègue de sa propre épouse à Delacroix".

   Je rentrais, vexé comme un pou et furieux, à la maison. Pas de chance, j'y déclenchais un nouveau tonnerre d'hilarité car "pedibus cum jambono" y faisait partie des rites établis dont personne, sauf moi, n'était dupe.

   Ma foi naïve en l'infaillibilité de la référence familiale en prenait un sérieux coup. J'en tirais une leçon définitive : plus jamais de vases communicants entre la classe et la maison... Dans la suite cette habitude s'avéra très prudente.

   Je dus échanger quelques horions pour faire taire les jambonos sur mon passage à la récréation et je passai le reste de l'année dans un mutisme prudent en latin. L'atmosphère resta un peu tendue entre Césari et moi : comment lui expliquer que j'étais sincère et que j'avais été assez sot pour prendre jambono pour latin comptant ?

   Finalement on n'est jamais trahi que par les siens.

   C'est égal, cinquante ans après, je rends grâce à Césari, au brave Dumontet, à Madame puis Monsieur Chiapporée, à Laherre et à Videau (sans oublier, même, en 3ème, le malheureux Baccardatz dont la loufoquerie annihilait les talents). Ils m'ont, pour la vie, donné l'aisance de la Langue et, en prime, ce confort suprême d'être capable d'en percevoir les racines et le sens, à chaque mot.


Jean-Louis Jacquemin, Poitiers, 18 Février 2004.


Jean-Louis, ici sur la photo de classe
de la 6ème AB1
de 1948-49.


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