Les rameaux !



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Rameaux, la branche algéroise
et la branche provençale


      A moi, petit catholique d'Alger de ce temps perdu, ces vers de Samain me rendent ces instants magiques qu'étaient les dimanches matin de Pâques et des Rameaux. Le deuxième juste avant le premier, pour ceux des fois qui sauraient pas.

      Tous les dimanche matin de mon enfance à Alger ont ce goût de pureté et de temps supendu entre ciel et mer, quand on descend des hauteurs, dans des ruelles en escaliers où le soleil d'avril, encore doux mais dèjà lumineux jette des éblouissements entre les pans d'ombre trop fraîche. On est tranquille, on ne va pas à l'école, on a sa main dans celle de son père, la confiance et l'orgueil, le monde est paisible, indestructible, et plein, et somptueux. Cela s'appelle la Gloire, dirait Camus.

      Deux dimanche matin étaient à part : Pâques et les Rameaux (il y avait aussi celui de Noël, et celui du départ en paquebot pour les vacances en France, mais c'était autre chose). La sérennité ces matins là faisait place à la fébrilité et à l'impatience. Pour Pâques, tous les enfants qui attendent le passage des cloches retour de Rome, ont connu les volets qu'on écarte, coeur battant, pour aller voir derrière ce que, contre toute vraisemblance, les cloches ont pu lâcher. Ou les buissons qu'on fouille sans voir la confiserie accrochée à une branche trop haute...

      Mais pour les rameaux, c'est un secret entre nous, ex-enfants de là-bas. Enfin, ceux qui fréquentaient les églises. Je suppose que ça se faisait dans toute l'Algérie ? C'est aussi une tradition provençale (cf interview de madame Chiappero ci-contre), et sans doute que c'est de là qu'elle nous venait. Mais peut-être que ça se faisait aussi ailleurs, en Italie, en Espagne, à Malte ? Des érudits nous le diront, remonteront la piste du rameau. C'était un arbuste sans feuilles, haut de quarante à cinquante centimètres (environ, les gens de Bruxelles n'avaient pas imposé aux rameaux une taille règlementaire, et puis il y en avait de différentes, adaptées aux âges des enfants). Les branches étaient chargées de confiserie accrochées par des rubans. Parfois aussi, des petits jouets (madame Chiappero nous en dit plus ci-contre sur leur fabrication). On les découvrait avec émerveillement, suspendus en ligne au plafond de La Princière ou ailleurs, voilés de reflets dans la transparence de leur papier cristal. On choisissait le sien, celui qu'on allait faire bénir, en même temps que nos parents leur rameaux de buis. C'est depuis cette époque je crois que j'aime l'odeur du marc froid de café, et celle du pipi de chat. Ils ont la même odeur que le buis mouillé. Un copain scientifique m'a dit "ah, normal, ils contiennent la même molécule odorante". Ben oui, sûrement... "C'est la mercapto - z - méthylbutyl - z - formate, on la retrouve aussi dans la valériane, le bourgeon de cassis, l'asphodèle...". Tu m'en diras tant ! Gloire à la mère Capto - z - méthylmachin !


Ici, la scène se passe non pas au square Bresson, mais à l'entrée de Jérusalem.

      Une fois qu'on avait notre rameau, qu'on tenait bien droit avec nos mains gantées de blanc (oui, on avait des bérets la semaine, qu'on retirait quand il fallait, et on allait à la messe en gants blancs, c'était des politesses d'avant, des délicatesses de l'âme). Le plus dur c'était tout ce temps de la messe où il fallait résister à la tentation de ne pas mordre dans la grosse orange confite qui ornait le sommet du rameau. Punaise, rien qu'elle faisait à nous narguer là, sous notre nez ! Tentale et Saint Antoine réunis, à côté, c'était de la roupie de sansonnet ! Le regard terrible de l'abbé Lecoq le bien-nommé (en officiant, toutes ses ouailles, à l'oeil il les avait !), mais en statues de culpabilité il nous aurait changés !

      Alors, en hommage à ce rite de notre enfance, nous dédions cet écran à tous les enfants que les rameaux rendirent heureux. Et rendent encore heureux de nos jours, nous dit-on... Si certains ont encore des photos d'eux avec leur rameau, du temps de notre enfance là-bas, qu'ils veuillent bien nous les envoyer...

Il est de clairs matins, de roses se coiffant,
Où l'âme a des gaietés d'eaux vives dans les roches,
Où le coeur est un ciel de Pâques plein de cloches,
Où la chair est sans tache et l'esprit sans reproches.
Il est de clairs matins, de roses se coiffant,
Ces matins-là, je vais joyeux comme un enfant.

Albert Samain,
"Au Jardin de l'Infante"

Le saviez-vous ?

Vous teniez le bambou !

Il restait en France un fabricant de rameaux! Il y a deux ans encore ! Car le rameau, c'est aussi une tradition d'ici, de Provence ! Peut-être pour célébrer l'olivier... Encore en 2001, il faut voir les enfants du midi aller faire bénir leurs rameaux pareils que les nôtres, à Notre-Dame de la Garde, à la Cathédrale de la Major à Marseille, aux Chartreux, à Saint-Barnabé, aux Pennes, à Aix-en-Provence !

René et Simone Chiappero ont arrêté la fabrication en 1999. Ils habitent les Pennes-Mirabeau, aux portes de Marseille. René avait pris sa retraite, puis ce fut le tour de Simone... Eux ne vendaient pas directement au public. Ce sont des grossistes qui distribuaient leur production dans tous le sud de la France, jusqu'à Perpignan. Ils avaient repris l'affaire voilà une douzaine d'années à une dame très âgée.

"Pour faire un rameau, nous dit Simone avec son joli accent provençal, il faut un bambou. Dans lequel pour les branches, on plante des tiges en fil de fer. Qui doivent se terminer en anneau, pour accrocher les friandises. A chaque branche, on attache quatre plumes, avec un fil de fer tout fin. On emmaillote le tout bien serré avec du papier crêpon qu'on fait frisoter. Les plumes et le papier sont de la même couleur: ou rose, ou bleu, ou blanc. Pour finir, on enroule le bas du bambou (le manche) avec du ruban argenté ou doré. On suspend les friandises, des fois des petits jouets, et au sommet on plante l'orange confite" (on dit que certains mettaient une brioche, mais parole, vers chez nous, jamais j'ai vu ça!).

Maintenant que monsieur et madame Chiappero ils ont arrêté, on va continuer encore quelques années à voir des enfants faire bénir des rameaux que leurs parents auront gardés d'une année sur l'autre (oui, ça peut se recycler et se rafistoler), et puis de plus en plus de guinguois et râpés et déplumés, ils disparaîtront, et ne restera dans les mémoires que comme un soupir de bonheur.

Interview de madame Chiappero, 20 octobre 2001.


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Trois échantillons de la production Chiappero, avant expédition aux patissiers-confiseurs qui les garniront de leurs friandises.