À JACQUELINE CAZAYOUS

MON AMIE D'ALGER



   Jacqueline Louise Cazayous est née à Alger le 31 Janvier 1942, en pleine seconde guerre Mondiale ; sa famille était originaire du sud ouest de la France, peut être Tarbes.

   Son père, inspecteur de police était bien connu et estimé à Alger, en particulier dans les milieux sportifs.

   Jacqueline avait deux soeurs : Simone, l'aînée, qui réussit l'école normale, et Annie, la plus jeune, qui devint professeur de gymnastique.

   La famille Cazayous, habitait ce que l'on avait coutume d'appeler "Alger centre", au numéro 11 de la rue Daguerre, juste en face de l'école de garçons. Elle commença sa scolarité à l'école de filles de la rue Daguerre, puis fut admise à entrer en 6ème au lycée Delacroix, rue Charles Péguy.

Jacqueline était alors devenue une bien jolie jeune fille, souriante, toujours gaie, adorant rire et s'amuser. C'était également une grande sportive ; très jeune, elle est inscrite au club de l'Algéria Sport ; brillante, très douée, elle pratiquait la gymnastique et excellait aux barres asymétriques avec sa camarade, mademoiselle Bruat. Perfectionniste, elle travaillait sans cesse sans mesurer ses efforts !!!! Elle aurait certainement réussi une grande carrière comme membre de la fédération française de gymnastique.

   Toutefois, elle avait aussi une passion pour un autre sport : le basket. Capitaine de l'équipe féminine de l'Algéria Sport, elle jouait au poste de meneur ; avant un match, Anne-Marie Charraut, son amie, se souvient que sa maman accrochait toujours un petit nounours au panier pour lui porter chance.

   À la fin de ses études, elle avait trouvé une place de secrétaire à Alger, à la compagnie de cinéma "Twentieth Century Fox", dans l'immeuble appelé Maurétania au carrefour de l'Agha, elle y était estimée de tous.

   Pour moi, Gilles, son ami, Jacqueline était une personne attachante, enjouée, avec un joli sourire et des yeux très expressifs ; elle était un peu timide et réservée, et il me semble encore entendre sa voix, si douce et agréable à écouter. Jacqueline avait un regard d'ange et portait la bonté sur son visage. La première fois que je l'ai vue, c'était dans la petite boutique de bonbons juste en dessous de son appartement, elle faisait le coin avec la rue d'El-Biar qui descendait sur le boulevard Saint Saëns.

   Ma grand-mère connaissait bien les propriétaires, et je dois dire que j'étais gourmand ; un jour, alors que je regardais des scoubidous et des réglisses, je me suis trouvé en face de cette belle jeune fille qui me souriait ; nous avons très vite sympathisé, et lorsque j'achetais des bonbons, il y en avait toujours pour Jacqueline !!!! Mes amis et moi, jouions au football avec une petite balle, et elle passait toujours par ce chemin, en bas des escaliers de la rue Daguerre ; on la voyait arriver et commencer à monter la rue, alors je me précipitais à sa rencontre et je la serrais très fort, elle était comme la grande soeur que je n'ai jamais eue !!!! Mes grands parents l'estimaient beaucoup et moi, je l'admirais. Je ne peux pas parler d'Alger sans parler d'elle !!! Lorsque j'étais triste, elle trouvait toujours les mots réconfortants. Jacqueline n'était pas seulement mon amie, elle était beaucoup plus, c'était la jeune fille fierté de mon adolescence !!! Le temps a passé, mais pas mon chagrin, Jacqueline, je ne l'oublierai jamais, mais je laisse la parole à celles et ceux qui l'ont connue :

   Pour Pierre Mathieu, parler de Jacqueline est quelque chose de difficile. Il en parle avec beaucoup d'émotion ; il se souvient qu'elle fut sa petite amie durant tout l'été 1960. Il n'hésite pas à dire combien c'était une jeune fille saine, dévouée, bien élevée, affectueuse et gentille. Aujourd'hui, il est profondément meurtri de l'avoir perdue, et recherche des personnes qui l'ont connue.

   Pour Anne-Marie, elle fut l'une de ses meilleures amies, elle a conservé des photos, elle qui fut sa partenaire à l'Algéria Sport. Ses souvenirs de son amie sont intacts, et on y trouve beaucoup de chaleur et de sincérité.

   Pour Jean-Claude, le souvenir, là encore, est très présent. Il se trouve que sa maman était justement la directrice pour Alger de la "Twentieth Century Fox". Comme je l'ai dit, Jacqueline travaillait dans l'établissement, et Jean-Claude la croisait souvent dans les couloirs ; il en garde une image très forte et, encore une fois, l'émotion est là.

   Le lundi 26 mars 1962, la maman de Jean-Claude a donné congé à Jacqueline pour lui permettre de se rendre a la manifestation de soutien à Bab-el-Oued ; on sait ce que qu'il en est advenu ; la maman de Jean-Claude se l'est reproché toute sa vie !!!

   Le lundi 26 mars 1962, Jacqueline, sa maman, et sa jeune soeur Annie étaient toutes les trois dans la manifestation pour la libération de Bab-el-Oued. Jacqueline a été lâchement assassinée alors qu'elle courait pour se mettre à l'abri... Pendant douze minutes, les tirailleurs s'acharnèrent sur la foule algéroise désarmée et sans défense.

   Jacqueline et sa maman s'étaient allongées à l'angle Isly-Chanzy, on peut les voir sur un Paris Match de l'époque, Jacqueline porte un ensemble bleu ciel et a des couettes.

   Elle a reçu deux balles dont une dans le cou, elle aurait pu être sauvée si elle avait été soignée de suite, mais les secours sont arrivés bien trop tard pour elle. Ce jour là, le beau regard de Jacqueline s'est éteint ... Sa maman fut trépanée, paralysée d'un côté, et resta longtemps dans le coma, elle fut pensionnée à cent pour cent et avait droit à une tierce personne.

   La famille de Jacqueline ne put lui donner des obsèques correctes. Jacqueline n'a eu droit à aucun baiser d'adieu, à aucune cérémonie religieuse, à aucun monument !!!

   Le régime de l'époque a fait disparaître toutes les preuves, aucune photo, aucun film, tout fut saisi par les autorités !!!! Cette manifestation était pacifique, personne n'était armé parmi les manifestants.

   Le lundi 26 mars 1962 fut un horrible crime d'état dont la pauvre Jacqueline fut l'une des innocentes victimes.

   Aujourd'hui, Jacqueline repose dans notre cimetière de Saint Eugène face à la mer ; sa tombe a de beaux carreaux mauves et blancs avec une grande croix mauve en son centre. Elle n'est pas oubliée, et nous, ses ami(e)s, avons commencé à lui rendre visite, car Jacqueline revit, elle revit par nous, par ses photos, par son souvenir, par nos paroles, et c'est à mon sens le plus bel hommage que nous pouvons lui rendre.

Gilles     




Francette Martinez fleurissant la tombe de Jacqueline.


Pour lire le témoignage d'Annie, soeur de Jacqueline, cliquer ICI.