Le Champ de Manoeuvres (9)

HÔPITAL CIVIL DE MUSTAPHA
Le Tour et le Sapindus

Par Henri Garcia



     Un établissement important, contribuant grandement à l'animation du Rond-Point du Champ de Manoeuvres, était l'Hôpital Civil de Mustapha. Les pavillons qui le composaient, comme on peut s'en rendre compte sur le plan, étaient disposés dans un périmètre délimité au nord par la rue Bichat, à l'est partie par le parc à fourrage et partie par la rue Margueritte, au sud par les rues Broussais et de l'Abbé Grégoire, à l'ouest par un chemin de ronde très étroit, qui longeait le mur de clôlure en surplombant de plusieurs mètres la rue Professeur Vincent, bordant un ravineau qui descendait du Plateau Saulière vers la rue Sadi Carnot. Au fond de ce ravineau, se trouvait, en sa partie haute, sur la rue Denfert Rochereau, la Centrale Thermique de la Compagnie Lebon et, à sa partie basse, vers les rues Balzac et Sadi Carnot, l'Usine à Gaz d'éclairage, également de la Compagnie Lebon prédécesseur d'E.G.A.

     Le chemin de ronde, reliant la rue Bichat à la rue Denfert Rochereau, était très peu fréquenté par les piétons car il n'était pas viabilisé et on pouvait chuter d'une hauteur de 5 à 6 mètres sur la rue Professeur Vincent en contrebas. Mais il y avait une autre raison de donner à ce chemin une mauvaise réputation, c'était le "tour".

     Qu'était le "tour" ? C'était une alcôve pratiquée dans le mur de l'Hôpital, toujours ouverte vers l'extérieur, et reliée à l'intérieur de l'Hôpital par une petite porte fermée en permanence. Dans cette alcôve était disposé un berceau fixé sur un axe vertical lui permettant de pivoter vers l'intérieur de l'Hôpital (d'où le nom de "tour"). Dans ce berceau, les mères voulant abandonner incognito leur bébé nouveau-né venaient le déposer et s'esquivaient après avoir alerté par une sonnerie le ou la préposé à ce service. La nuit, une lumière blafarde éclairait le lieu et accentuait l'air sinistre ambiant.

     On accédait à l'Hôpital de Mustapha par une allée particulière, bordée en partie d'arbres, montant en pente de la rue Sadi Carnot (côte de Mustapha) et donnant uniquement accès à l'Hôpital, après avoir traversé les rues Bel Air et Bichat. Les arbres faisaient partie de la famille des "sapindacées" et produisaient ce que nous appelions "boules de sapindus" (savon indien). Enfants du quartier, nous allions les ramasser une fois qu'elles étaient tombées à terre, et nous les rapportions à nos mères pour le lavage à la main de la lingerie délicate (les machines à laver ménagères n'existaient pas, ou en tout cas n'étaient pas encore de notre monde). C'était en quelque sorte l'ancêtre de la "Woolite".

     Cette allée avait été nommée à l'origine Avenue Maillot, mais lorsque l'Hôpital Militaire, sis à Bab El Oued et nommé Hôpital du Dey, fut débaptisé et nommé Hôpital Maillot, l'avenue Maillot de Mustapha fut à son tour (sans doute pour éviter la confusion) débaptisée et appelée avenue Battandier.

     Je voulais simplement évoquer ici la perception que pouvait avoir de l'hôpital un habitant du quartier sans lien particulier avec celui-ci. Son histoire, celle de ses médecins, de ses services, de ses moments dramatiques, a certainement fait par ailleurs l'objet de mémoires et d'articles.

     Quant au personnel soignant subalterne, constitué par une Communauté religieuse, les Soeurs de Saint Vincent de Paul, admirables de dévouement, nous essaierons d'en parler un jour prochain.

     Henri Garcia, 2001.