120 rue Sadi-Carnot



ÉLOGE DE LA MOUNA

Mounas chez Kiko et Kika




Llorens Jeanjean 1934 (Alger Belcourt Les Halles)
22/03/2008 09:39

   Et voilà nous y sommes, aujourd'hui c'est journée mouna, car pour rien au monde on passerait à côté, tout à l'heure j'étais assis dans la cuisine et je regardais ma femme préparer le levain, elle avait sa recette sur le coin de la table, avec tout ce qu'il faut, levure, oeufs, farine, sucre, levure, bassine. Enfin tout, et tout en la regardant je retournais des années en arrière, peut-être 50 ou même 60, quand nous étions là-bas chez nous, et encore petits. C'était vraiment un rituel, car tout la monde avait son secret, et sa manière de faire nos bonnes mounas. Mais ce qui était le plus marquant c'était le samedi après-midi quand toutes les femmes et leur marmaille allaient à la boulangerie, une véritable procession, on les voyait sortir des couloirs des immeubles, avec leur plaque sous les bras, recouvertes d'un torchon bien blanc, et direction le four.

   Nous, nous allions chez Kiko Berenguer, qui avait sa boulangerie au 120 de la rue Sadi-Carnot presqu'au coin de la rue de l'Union. Les femmes arrivaient et déposaient leur plaque, en ayant bien soin de faire une marque de distinction, soit un petit papier blanc avec le nom inscrit, soit un morceau de journal dans un coin de la plaque, soit un petit morceau de chiffon, car il ne fallait pas se tromper en récupérant les plaques. Et tout ça dans une atmosphère bon enfant tout était prétexte à rigolade, vous pensez tout le monde se connaissait depuis des années et même depuis leur enfance, alors les habitudes étaient prises depuis des lustres.

  Et le plus drôle c'est que tout le monde faisait des mounas, même Zineb, qui venait toujours accompagnée de madame Cohen, pas assez qu'elles étaient voisines en plus elles étaient toujours une à côté de l'autre, elle avaient toujours une histoire à se raconter, il y avait aussi mes tantes Fifine, Rosette, Carmen, Ma Mère, et toutes les voisines du quartier, à peine rentré dans le four, il fallait embrasser au moins trente ou quarante personnes.

   Et tout ça commençait vers les deux heures, et se terminait vers les huit heures du soir, le pooooovre Kiko, qui avait dejà travaillé une bonne partie de la nuit, jouait les prolongations tout l'après-midi. Et Kika n'arrêtait pas de faire du café, car en plus c'était eux qui offraient les boissons, il y avait de tout, dans un grand baquet en zinc, avec un pain de glace, du Selecto, de la limonade etc, etc.

   Et pendant la cuisson, les conversations allaient bon train, ça parlait de tout, là vous étiez sûr de savoir tout ce qui se passait dans le quartier, toutes ces braves femmes assises sur les balles de farine, ou sur de vieilles chaises basses, dont le cannage avait fait ses preuves depuis tant d'années, mais qui servaient toujours à cette occasion. Et les accents car toute les origines étaient représentées, il y avait des espagnoles des italiennes, des maltaises, des kabyles, des juives, même une famille grecque, je me demande qui lui avait appris à faire des mounas, et nous les mômes pendant tout ce temps nous étions dans la cour, à jouer à la toupie ou aux osselets et les filles à la corde ou à la marelle.

   Et puis vers les cinq six heures, la procession reprenait dans l'autre sens, chacun rejoignait son chez soi, avec sa plaque sous le bras, bien calée contre le côté, et toute la rue sentait cette bonne odeur de mounas biens chaudes. Un jour j'avais demandé à Kiko pourquoi il ne faisait pas de mounas, et il m'a répondu : Pour les vendre à qui ? Toutes les clientes viennent les faire cuire ici, alors je n'aurais personne pour acheter les miennes, et en plus c'etait vrai, qui lui aurait acheté une mouna, car chacune des bonnes femmes avaient les meilleures. Et cet après-midi ma femme les fera, mais nous serons tous les deux seuls dans la cuisine, et l'ambiance ne sera pas du tout la même, mais on aura nos mounas comme là-bas.
Joyeuses Paques à tous et toutes.

Jeanjean.... de Belcourt