LETTRES D'ALGER : "M" COMME MOULIN (8)


LE MOULIN À AUBES DE BAB-EL-OUED


Par le G.D.L.L.D.B.

Dessin de Jean Brua



SILENCE, ON TOURNE !




   Peu de temps après que nous ayons mis en ligne l'écran dédié aux moulins d'Alger, nous avons reçu de notre ami Yves Jalabert le mot suivant :

   "Gégé Dupdup, j'ai lu ton texte sur les moulins, bien, très bien, mais, sauf si j'ai sauté une ligne, tu n'évoques pas le moulin qui se trouvait en haut de Bab El Oued, rue Jules Cambon (c'était en face d'une de mes tantes), c'était une ruine (le moulin, pas ma tante...!) au bord du "ravin", il devait s'agir d'un moulin à aubes. Aujourd'hui, la rue a été élargie et les ruines de cet ancien moulin ont disparu.

   Renseignements pris, c'est bien un moulin à blé, alimenté par l'eau descendant de la Bouzaréah, construit en 1890 par des allemands, abandonné entre les 2 guerres, devenu ruine."

   Damned ! Un moulin, et quel moulin, avait échappé à notre sagacité! Non, en réalité, nous ne prétendons pas à l'exhaustivité, et nous espérions bien que des Es'mmaïens se manifesteraient et, ainsi qu'il était demandé, apporteraient de l'eau à notre moulin. À la suite du mot de Yves, nous nous sommes mis en recherche d'informations sur ce moulin, et nous avons déjà trouvé ce qui suit...

   Tout d'abord cet extrait d'un texte, paru dans "Aux échos d'Alger" n°61, de septembre 1998 :

   "Le second oued, l'oued M'Kacel, descend dans une vallée étroite et très escarpée, entre EL-BIAR et la BOUZAREAH, pour terminer son cours dans la mer, après avoir traversé le fameux quartier de BAB-EL-OUED auquel il a donné son nom et dont la célébrité a dépassé les frontières de l'Algérois.

.../...

   Au CLIMAT DE FRANCE, un pont enjambait l'oued, et juste au-dessus, un barrage retenait ses eaux pour alimenter la chute qui se trouvait un peu plus bas, et qui faisait tourner la roue du moulin St-Louis, autrefois car il était en ruine depuis bien longtemps, et je n'ai connu que la carcasse de ses murs sans toit aux fenêtres, sans vitre ni persienne et complètement abandonné. À partir de là, il coule souterrain, lui aussi, transformé en égout collecteur et termine sa course dans la mer entre les BAINS MATARES et les BAINS PADOVANI, d'un côté, et de la plage de la SALPÊTRIÈRE de l'autre."


   Et puis ce très beau passage de "Bab-el-Oued raconté à Toinet", oeuvre de Jean Brune :

   "L'oued impossible. L' Oued descendait des "gorges" qui séparent les hauteurs d'El-Biar de celle de la Bouzaréa... et que nous appelons aujourd'hui le Frais Vallon. Il passait assez près de l'emplacement actuel de l'église St-Louis, frôlait les Trois-Horloges et le marché... l'arrêt des T.A. et le Bar Olympique et courait se jeter à la mer sensiblement en face de ce qui est aujourd'hui la gare désaffectée de Bab-el-Oued. Naturellement il n'y avait alors ni horloges, ni église St-Louis, ni Bar Olympique. La seule église était l'église St-Joseph, construite vers 1870, devant un terrain vague qui devait devenir la place Lelièvre... et qui garde un souvenir ému du jour lointain où Cagayous s'y est marié avant de s'en aller en voyage de noces à l'Hôtel du Jardin d'Essai, dont il ne reste que les palmiers au bord d'une plage déshonorée par les usines.

   Quand l'oued débordait, tout le quartier qui va de la rue Fourchault à la mer était inondé par une crue qui transportait autant de tonnes d'eau que de détritus. C'était inconcevable.

.../...

   Vers 1874, on décide de couvrir l'oued (l'oued M'Kacel, NDLR) pour s'en protéger. C'était condamner le délinquant à la prison perpétuelle. M. Jaubert, le propriétaire des fameuses carrières, fut chargé de cette incarcération. Il accomplit son oeuvre en deux étapes. Un premier tronçon couvrit l'oued depuis la mer jusqu'à l'arrêt actuel des T.A. face au Bar Olympique. Puis on marqua un temps d'arrêt faute de crédits.

   ... et le Moulin. Entre temps, un maltais astucieux nommé Axiach, eut l'idée d'utiliser l'oued (l'oued M'Kacel toujours, NDLR) pour entraîner les roues à aubes d'un moulin. Ainsi naquit "Le Moulin", tellement paradoxal de ce côté-ci de la Méditerrannée que Bab-el-Oued s'en souvient encore.

   Créé vers 1880, le Moulin atteignit le sommet de sa prospérité vers 1900. Mais, en 1900 aussi, M. Jaubert parvint à couvrir le deuxième tronçon de l'Oued maudit.

   Le Moulin s'achemina doucement vers sa ruine. Il figurait une ébauche pour une future cité industrielle qui ne vit jamais le jour parce que les terrains mieux disposés d'Hussein-dey et de l'Harrach naissaient aux réalités économiques.

   Il reste du Moulin un souvenir confus, vaguement inquiétant... quelque chose comme une légende du pays du Rhin... Et Bab-el-Oued murmure qu'ayant été maudites puis vendues, les machines du Moulin furent chargées sur un cargo norvégien qui se perdit corps et bien dans une tempête.

   Le moulin avait frappé trop violemment l'imagination du faubourg pour que le faubourg puisse croire qu'il avait disparu à jamais.

   Bab-el-Oued, délivré des caprices de son oued, en fit une prodigieuse attraction pour ses "poulbots"... et les générations d'enfants du faubourg ont couru derrière des porteurs de torches sous les voûtes construites par M. Jaubert."


Jean BRUNE.
"Bab-el-Oued raconté à Toinet".
Edition Atlantis. Friedberg/Bayern. 1999