JANVIER 1932


MORT-VIVANT AU CIMETIÈRE DE SAINT-EUGÈNE,
CARRÉ 50, TOMBE 233



par Monsieur Choc

dessins de Jean Brua



   Gérald a eu récemment la bonté de publier la coupure de presse que je lui avais confiée au sujet de la mort de Juliette Barja. Et, si j'ai bien compris, ce genre d'histoire triste avec des jeunes-filles s'échappant de la vie à la fleur de l'âge, ces délires d'amour romantique d'un autre temps, ne sont pas la tasse de thé de certains Es'mmaïens... Dommage, c'était une bien belle histoire dans son genre. Bon, je vais donc, pour me racheter, vous proposer aujourd'hui un fait d'hiver (il se déroule en janvier) dont la particularité est justement qu'il n'y a ni cadavre ni même décès. Ça devrait davantage vous plaire, non ? Voici comment l'affaire s'est révélée à l'Algérois lambda ouvrant son quotidien, il y a juste 77 ans, en ce matin du mardi 5 janvier 1932 :




   Les photos ne sont pas terribles, mas je crois que déjà dans le journal elles étaient très médiocres. Voici donc un agrandissement de la légende de la troisième photo...



   Et maintenant, je continue à vous mettre dans la peau du même Algérois qui, sa curiosité déjà passablement mise en éveil par la "UNE", va vite voir en pages intérieures, pour en apprendre davantage sur cette affaire bizarre autant qu'étrange...

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   Et pour terminer, voici un second "papier", paru toujours le même jour, en rubrique "Dernière Heure", qui finit de nous affranchir sur les détails de cette "rocambolesque affaire"...

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   Oui, voilà qui devrait finir de clarifier cette affaire qui passionna nos parents... Et pourtant... Pourtant, direz-vous, quelque part, on reste sur sa faim... Oui, vous trouvez aussi, n'est-de pas ? Eh oui, il demeure un point assez obscur, que nous sommes plusieurs, dont Jean Brua, à estimer qu'il resterait à éclaircir. Ce second article dit que la complice ramène un certificat de décès de chez le médecin. Mais sur quelle base ce dernier l'a t-il établi ? Doit-on comprendre que le médecin ne s'est pas déplacé auprès du corps ? Est-ce un certificat de complaisance ? Certains des termes employés par le journaliste tendraient à nous le faire penser : "avec la complicité de sa maîtresse, la dame Gauthier, et le "je m'en fichisme" de beaucoup d'autres" (écrit-il au début du premier article), "d'autre part, M. Gessen (le juge d'instruction) va faire entendre, par commisson rogatoire... les médecins qui l'ont soigné et ont signé le certificat de décès, et les employés des pompes funèbres qui ont emporté le cercueil au dépositoire" (avant-dernier paragraphe du second article). Oui, ils sont quelques uns à avoir du souci à se faire !

   Car enfin, Louis Durand, si l'on en juge à son récit empreint d'une émotivité de lièvre, vous parait-il capable de faire preuve du sang-froid (si je peux dire) nécessaire à la mystification consistant à donner le change à un médecin, même particulièrement bouché ? Par ailleurs, on saisit encore mal à quel moment "dame Gauthier" a pu substituer, au corps de Louis Durand, le "mannequin" trouvé dans le cercueil lors de l'exhumation. Dans la chambre d'hôtel, assurément. Mais alors comment les employés qui ont assuré la mise en bière n'ont-ils pas remarqué qu'ils refermaient le couvercle sur un ersatz de défunt qui ne pouvait tromper personne ?

   Mais hélas, sur ces différents points, le journaliste ne donne pas davantage de précisions, et moi, M. Choc, je peux vous certifier avoir cherché d'autres articles dans les jours qui ont précédé et suivi ce 5 janvier, et n'avoir rien trouvé. Pour en apprendre davantage, il faudrait savoir à quelle date ensuite eut lieu le procès, car en l'absence de ce repère, autant chercher une aiguille dans une botte de foin (ceux qui ont déjà fait des recherches dans les archives de quotidiens, même récents, me comprendront). Les mots couverts utilisés par le journaliste sont peut-être volontaires, et visent-ils, à ce point de la procédure judiciaire, à ne pas nommément mettre en cause des témoins encore présumés innocents, surtout s'ils jouissent en notre ville de quelque notabilité. Mais si on en apprend davantage, on vous le fait évidemment savoir.

   Tout ce que, pour l'instant, nous savons de la suite, par un article paru dans le "Petit Journal" du 15 juin 1932, c'est qu'ils seront condamnés, lui à 4 ans de prison, et elle à deux ans.

   Cette histoire, qui se passa voilà 77 ans "à Alger et nulle part ailleurs" (pour reprendre l'expression es'mmaïenne consacrée), est-elle, chers amis lectrices et lecteurs, davantage dans vos goûts ?


Votre serviteur, M. CHOC