La Mercière de la place Hoche
"Fréquentable... mais avec retenue !"

Par Jean-Louis Jacquemin


Située à vue du lycée mais hors de sa portée, la place Hoche était une base arrière naturelle. Nous y trouvions nos aises encore que la sociologie de nos rapports avec la place dépendît grandement de notre statut de "grand" ou de "petit" comme le rappelle délicieusement Jean-Paul Follacci. Le baby-foot du café du coin, la petite papeterie, le marchand de journaux, la boulangerie et même le marchand de créponé (juste voisin) avaient des clientèles qui obéissaient à des horaires à des tranches d'âge et des rites différents. Malgré son caractère supposé féminin, la mercerie y tenait sa place et avait parfois notre pratique. Ce n'était pas sans risque.

    La mercière de la place Hoche ne vendait pas que des rubans. Comme toutes les bonnes mercières , surtout près d'un établissement scolaire, elle vendait aussi, derrière le comptoir, des "articles de collégien". En clair, outre quelques babioles sans intérêt, tous ces accessoires de quatre sous pas forcément recommandables et parfaitement interdits en classe mais indispensable à pimenter les menus plaisirs de nos récréations.

    C'était donc la caverne d'Ali Baba au moins pour les élèves des petites classes et on les voyait se glisser périodiquement dans cet antre de féminité avec des airs furtifs d'acheteurs "sous le manteau", pour acquérir boules puantes, pastilles et galets détonants, trompettes en bois, sarbacanes et autres engins balistiques, en bref tout l'attirail nécessaire à "attraper des colles", ce qui, d'ailleurs, ne manquait pas d'arriver.

    Immanquablement, en effet, dès qu'un article suscitait l'engouement, tout le monde - ou presque ; l'achetait et l'anomalie isolée devenait cacophonie collective ce qui déclenchait, en riposte, la "répression aveugle" des troupes de Salini .

    Il y avait donc des cycles périodiques et des modes récurrentes au fil des années, comme autant de campagnes obligées dont on pouvait dire fièrement après coup pour les plus réussies ou les plus meurtrières, "j'y étais".

    J'étais peu friand par nature des accessoires bruyants, détonants et encore moins puants et je passais la main encore qu'il m'arriva stupidement de "prendre 2 heures" en sixième pour avoir essayé (presque dans les bras de Salini) une petite trompette qu'un camarade venait perfidement de me donner juste après que l'ukase signifiant leur interdiction absolue vienne de tomber. Mais ceci eut au moins le mérite de m'apprendre à être circonspect.

    A l'inverse tout ce qui était balistique me paraissait irrésistible et je donnai, comme beaucoup d'autres mais de manière plus vigilante cette fois, dans l'élastique à projeter un papier plié serré entre les dents ou dans la sarbacane, depuis le tube de "Bic" idéal pour lancer des grains de riz ou du papier mâché jusqu'à la pièce plus sérieuse en bambou (ramenée de Boufarik) capable de propulser les petites boules des Ficus de la cour, munition nettement plus dolosive et, en saison, disponible à profusion qui donnait lieu chaque année à des rixes impitoyables, avec ou sans sarbacanes.

    Mais le "must" dans ce domaine, l'objet "culte" à ne manquer sous aucun prétexte et à ne pas se faire "piquer" pour tout l'or du monde, c'était le fusil à pomme de terre.

Je donnerais n'importe quoi (ou presque !) pour en connaître le génial inventeur et sa biographie.

    C'était en effet une arme de génie. Admirable dans sa simplicité et sa robustesse, implacable dans son imparable précision et honorable par sa parfaite innocuité. Et belle avec ça ! Une jolie petite gueule d'arquebuse ou de tromblon d'un autre âge. Et bon marché : 1 franc 30 en 1949, si mes souvenirs sont fidèles.

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    Pour le manier c'était simple : on calait la tige coudée du ressort dans l'encoche prévue à cet effet sur la crosse en plomb (quadrillée, s'il vous plaît), on enfonçait le canon de maillechort (doré, s'il vous plaît) dans une pomme de terre crue en tournant pour décrocher la "carotte" et il ne restait plus qu'à lâcher le coup à bon escient en libérant le ressort d'un coup de doigt.

    Avouez que c'était jouissif ! Et communicatif. Au bout de peu de jours tout le monde avait le sien et la guerre de la pomme de terre prenait de l'ampleur et bientôt faisait rage.

    L'air de la "récré" (et souvent de la classe) était zébré d'éclairs jaunes et gluants qui poissaient quelque peu à l'arrivée (sur les oreilles de préférence), tandis que des rogatons noircis s'accumulaient dans tous les coins parmi des cadavres de pomme de terre vérolés de mille trous et tous ratatinés au grand désespoir de "Sosthène" , préposé au nettoyage.

    Finalement "Fantômas" , au bout de quelques jours de pagaille (sans grand dommage pourtant), finissait par obtenir du Proto l'autorisation d'une saisie générale et les poches comme les cartables étaient fouillés, la présence de pommes de terre, même en l'absence de fusil, valant pour autant de colles, voire d'exclusions temporaires pour les récidivistes. A la maison on vivait aussi quelques froissements car il fallait bien prélever les précieux tubercules sur les stocks familiaux.

    Pour avoir réglé ce problème en adoptant le riz, plus discret, comme munition, André et moi passâmes au travers des fouilles et des tracas familiaux tout en conservant nos "armes". Quant à Joël, qui selon son code moral habituel "participait sans approuver" il s'était contenté (par solidarité) d'un ou deux tirs avec les nôtres, en nous suivant.

    Notre trio sortit donc indemne et lavé de tous soupçons de la guerre de la pomme de terre (campagne 49-50).

    J'ai comme beaucoup d'entre nous quitté une bonne partie de ma jeunesse et de mes souvenirs en juin 1962 en disposant pour les compacter en vrac de 20 kilos de bagages. Bizarrement et sans que je puisse imaginer comment ce petit fusil devait faire partie du voyage puisqu'il est aujourd'hui encore dans le fond d'un de mes tiroirs en parfait état de fonctionnement et presque neuf. Il n'a pas tiré depuis 50 ans sauf une fois pour l'édification de mon fils. Vous pouvez l'admirer sur la photo que j'ai réalisée pour vous et je gage qu'il déclenchera en vous bien des souvenirs.

    C'est devenu probablement une arme de collection mais n'espérez pas me l'acheter car assez bizarrement, j'y tiens. Il reste un lien irréfutable avec la rue Hoche, l'air léger de la place, le brouhaha de la cour et toute cette odeur chaude d'insouciance juvénile et de camaraderie studieuse et facétieuse qui flotte encore dans les couloirs de ma mémoire avec les mêmes images qui passent en boucle quelque part dans l'arrière-plan depuis 40 ans.

    De temps à autre, je tombe dessus en cherchant autre chose et je le palpe avec un sourire complice. Non. Je n'ai pas rêvé.


Poitiers, octobre 2001. Copyright J.L. Jacquemin.

La place Hoche vers 1900-1910. La boutique faisant l'angle semble être une mercerie. Elle deviendra un jour celle de madame Leblois, marchande de journaux en général, de nos chers illustrés en particulier, et de foules de menus objets divers et variés.

"En 1949-50 et après, la mercière occupait non pas la boutique du coin de la rue Hoche (librairie) mais celle avant la porte cochère à droite (ou éventuellement juste après), je me souviens parfaitement que je passais devant les portoirs avec les illustrés et les journaux avant d'y aller. La façade était peinte en un gris bleu neutre et la vitrine en marron clair un peu pisseux". J.L. Jacquemin

Il serait intéressant de se pencher sur cette tradition des merceries de quartier, constante pendant toute la première moitié du XXe siècle de vendre également tous les menus articles de "4 sous" chers aux enfants et situés en marge des jouets classiques et de leurs distributeurs habituels.

Pour ma part, j'y vois l'héritage des colporteurs du XIXe siècle. Ces "cadets de famille" en surnombre dans leurs montagnes (Jura, Vosges, Alpes, Pyrénées) qui "prenaient la route" pendant de longs mois, pour descendre faire du porte-à-porte, hotte sur le dos, dans les campagnes et les villages.

C'est eux qui apportaient à ces sédentaires, toutes ces petites utilités, souvent fabriquées la-haut pendant l'hiver qui sont indispensables à la vie : bouton, lacets, mèches à briquet, allumettes (au soufre) et aussi tous les accessoires de couture. Camelots ambulants, ils colportaient également les nouvelles (d'où l'expression), étaient des conteurs appréciés et avaient la faveur des gosses car ils proposaient aussi de menus jouets: sifflets de bois, toupies, billes de terre cuite, figurines, et autres babioles à la fois légères,artisanales et bon marché (car tout cela était porté à dos d'homme).

Certains y démarrèrent de fructueux commerces et les "mères-chignons" de notre enfance n'étaient sans doute que leurs héritières sédentarisées.

Notre Censeur. On l'appelait aussi familièrement Fantômas et les mauvais jours (il y en eut) "le diable boiteux".

Je passai régulièrement l'essentiel de mes jeudis et de mes week-ends au "Domaine Chiris" (le Domaine Sainte-Marguerite), à 4 km de Boufarik sur la route de Bouinan (mon Oncle, Gilbert Paulian était directeur).

Il s'étendait de Souk-Ali jusqu'au pied du Djebel Marmoucha. J'y retrouvais mon cher vélo. J'avais donc deux vies, l'une citadine, studieuse et pédestre, l'autre résolument agreste, libre et cyclo-portée dans la somptueuse Mitidja.


L'homme à tout faire du lycée. Sa silhouette et sa dégaine étaient impayables (voir texte "Une rentrée 54").