SAINTE-MARIE SAINT-CHARLES DE L'AGHA


Monsieur l'abbé-chanoine Le Cocq



Ici, avec Danièle Lemaire,
à Notre-Dame d'Afrique en 1963
(oui oui, 1963 !).
   Il avait droit de vie et de mort sur nous. Enfin, sur nous pas vraiment, mais c'était pire… sur nos âmes. On avait 10 ans, et il fallait dans la pénombre de Saint-Charles s'agenouiller d'un côté ou de l'autre du confessional, en récapitulant ce qu'il y aurait à avouer - et ça, c'est un péché, aussi ? - déjà rien que dans notre tête, notre voix elle tremblait. Et puis venait le moment où glissait le volet derrière lequel l'abbé, profil à peine visible derrière les croisillons de bois, chuchotait son bonjour. On le distinguait vaguement dans l'obscurité la tête penchée et les yeux mi-clos. Lui, il voulait ainsi montrer à quel point il était attentif à notre confession, mais ça pouvait s'interpréter aussi qu'il avait déjà l'air catastrophé rien qu'à l'idée de ce qu'on allait lui annoncer ! Et puis, malgré la grille de bois, on savait bien qu'il reconnaissait le moindre d'entre nous… Il était où, l'anonymat soit-disant garanti, dans cette histoire ?

   Parce que la pénitence, ce n'était pas les "Je-vous-salue" et les "Notre-père" qu'il allait nous condamner à débiter, non, la pénitence c'était l'abbé Le Cocq lui-même, qu'on croiserait dans notre église, dans nos rues. C'était son regard d'aigle, flamboyant comme une épée d'archange, sans peur mais non sans reproche, menaçant comme un couroux divin par intérim, qui se posait sur nous et nous rappelait les pauvres péchés que nous lui avions balbutiés. Qui se posait sur nous pendant la messe, si par malheur on faisait un rien de travers… Comme par exemple passer la langue sur l'orange confite plantée en sommet de rameau avant qu'il n'ait été béni. Ou, quand on a eu grandi, jeter un coup d'oeil sur une consoeur communiante assise de l'autre côté de l'allée centrale, du côté des filles… Une pour qui notre jeune coeur frémissant s'était pris à battre. Ou, encore pire, les deux à la fois, avec un petit air entendu… Le regard en coulisse vers la catuchumène convoitée, et la langue pourléchant le fruit défendu (je fantasme, évidemment, pas un d'entre nous, même le plus effronté, n'aurait jamais osé faire un truc pareil ! Pas même on n'y aurait pensé ! Innocents qu'on était !). Je veux bien croire que pour certaines âmes pures, pour qui le meilleur cadeau Bonux était une blancheur immaculée, l'abbé Lecocq puisse aujourd'hui représenter quelque chose de merveilleux, moi, en tant qu'ex-petit garçon de 10 ans, permettez-moi d'être un chouïa plus réservé…

   Enfin, je dis ça, mais… Le souvenir de mon enfance serait-il meilleur si notre abbé avait été différent ? Moins aigü ? Plus anodin ? S'il m'avait moins impressionné ? Non, au contraire, peut-être même que je ne m'en rappellerais plus, de notre abbé Le Cocq…

   Et puis certains ne se se souvenaient-ils pas de lui un 26 mars 1962, lors du massacre de la rue d'Isly, il était présent, et sous les balles, il allait de corps en corps, dispensant l'absoute à ceux de nos concitoyens en train de mourir. Désormais, il restera à jamais le petit chanoine crâne et fulminant de cette paroisse qui fut la mienne en cet Alger des années 50. Certains, qui auront eu de lui une connaissance moins superficielle que la vision limitée et apeurée de ce petit garçon que je fus, seront capables de nous dire qui il était vraiment. La parole est aux Es'mmaïennes et Es'mmaïens…


Gérald Dupeyrot      

Vos souvenirs sur le L.O. d'Es'mma nous parlent de lui !



EN 2005, VOUS AVEZ ÉCRIT SUR LE LIVRE D'OR…


      Gisèle Vinkler (Lyon)
09/03/2005 08:32

Le chanoine Le Cocq !!! Un homme merveilleux ! Je l'ai revu la dernière fois en 1966 je crois : il était curé à La Fontonne près d'Antibes… Toujours aussi jovial, bon ! Ma mère l'avait bien connu quand il était jeune curé (il vivait avec sa mère - qui portait la coiffe bretonne - et sa soeur). Il les a beaucoup soutenues, elle et sa famille, car ils étaient dans la misère ou presque. Ce prêtre était formidable : il ne jugeait pas, il agissait, il aidait : avec lui j'ai presque cru en Dieu !!!!



Philippe Jollivet
10/03/2005 08:43

À propos du chanoine Le Cocq : j'ai rétrospectivement très honte.
Avec mon meilleur ami nous lui avions donné l'occasion de nous tirer très sérieusement les oreilles… Pendant la préparation à la communion solennelle, nous n'avions pas trouvé mieux que de cibler, avec ces petits tire-boulettes en plastique qui se faisaient à l'époque, les oreilles très décollées d'un copain qui était devant nous. Une oreille chacun ! Et en plein dans le mille. L'autre a poussé un hurlement inhumain, s'est levé et est sorti en courant car la surprise lui avait donné des nausées. Que Dieu nous pardonne.


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Le jeune délinquant Philippe Jollivet (en 1951 ?), avec sa bouille de chérubin à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession… Sans confession ? Enfin, c'est une façon de parler, la confesse, de toutes façons, il fallait y passer, c'était le passeport pour l'hostie… Sinon, direction péché mortel, terminus l'enfer ! Et visez un peu les 4 attributs du véritable communiant : la pochette, la petite croix en or, le brassard et la cravate (jusqu'à la communion, certains ont pu porter des cravates à élastique, des fois avec dessus un cow-boy ou un tennisman peints à la main, mais maintenant, c'est du sérieux !)
L'abbé Le Cocq et ses paroissiennes!

Avec Danièle Lemaire, donc, sur l'esplanade de Notre-Dame d'Afrique, lors des communions solennelles 1963.
La dame en tailleur bleu à parements blancs, c'est sa maman (à Danièle), l'autre dame une amie de sa maman.





Hélène Deslions PONTI (Ollioules)
09/03/2005 13:13

Gisèle tu dis qu'avec le chanoine Le Cocq tu as presque cru en Dieu, moi c'est plus simple : je crois que c'était lui Dieu… ;-)) Il comprenait tout, il pardonnait tout, il tendait toujours la main vers l'autre, il avait cette puissance de partage qui donne sans attendre de retour, et surtout, surtout, il savait encore parler d'amour quand le monde s'écroulait…

Cliquez pour les voir toutes !

Hélène et ses co-communiantes
de 1960, lors du traditionnel défilé
autour de l'église Saint-Charles.


Hélène Deslions PONTI (encore)
08/03/2005 12:55

À Domie Ranucci, Jacqueline Simon, et Bove Michelle. J'ai également fait ma communion à l'église St Charles (j'étais d'ailleurs la seule en aube en 1960 et cela m'a coûté le couronnement à la vierge !!!). Le chanoine s'appelait LE COCQ, il était à l'écoute de tous, et vraiment formidable, je n'en dirais pas autant de Paul CREMONINI qui nous surveillait au patronage…



Jean-Paul Follacci (Nice)
21/03/2005 10:11

Information pour Gisèle Vinkler, Hélène Deslions Ponti et ceux que l'abbé Le Cocq, ancien curé de Saint-Charles surnommé "Serdouk", a pu intéresser. Après un purgatoire de quelques années à la Fontonne près d'Antibes (poste qu'après Saint-Charles de l'Agha, il considérait comme une régression), ce prêtre a pu exercer son ministère à Nice dans la belle paroisse de Notre-Dame de l'Immaculée Conception et on a longtemps pu le croiser dans le quartier du port qu'il arpentait allègrement, toujours barbu et ventripotent dans sa soutane.



Les photos à Notre-Dame d'Afrique (en couleurs) nous ont été confiées par Danièle Lemaire.



L'abbé Le Coq et ses poussins !

Toujours à Notre-Dame d'Afrique et en 1963. Le nombre des poussins chrétiens est en nette régression.
On remarquera le retour des tenues seyantes : les petites filles sont en robes traditionnelles
et les petits garçons à nouveau en costume chic avec brassard.
Et pas en aubes. Est-ce que nous petits garçons, on aurait aimé faire notre communion,
occasion de notre premier costume, de notre premier noeud-pap, EN AUBE, je vous le demande  ?
Qu'est ce qui lui resterait de solennel à la communion ?
Et le premier stylo avec la plume en or ? De quelle poche, comme ça, mine de rien, on le ferait dépasser ?
Le aubes, c'est comme les linceuls, ça n'a pas de poches et c'est triste !
C'est apparemment des choses que comprenait l'abbé Le Cocq…
Une faute de goût atroce : des baskets blanches avec un costume de communiant classique…
Comment ? C'est assorti avec les gants ? Ah, alors, si c'est assorti avec les gants…


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Épilogue…

    Nous sommes à la fin de l'histoire. J'ai repris et actualisé un peu cet écran. Il avait été mis en ligne en 2005, nous sommes en 2020. Quinze ans se sont passés. Ci-dessous, la tombe de l'abbé Le Cocq dans le cimetière de Tregastel (22 Côtes d'Armor) nous apprend le nom de cette femme (celle portant la coiffe bretonne ?), qui souvent accompagnait notre curé dans les rues d'Alger. Le regard sévère, elle scrutait sans aménité les paroissiennes qu'ils croisaient, elle était la duègne de l'abbé, elle le chaperonnait contre les tentatives de séduction que sa trop accorte bonhomie et son oeil si pétillant auraient pu susciter. Ah ça, il ne risquait rien ! Germaine était le champ de mines protégeant la vertu de l'abbé et le salut de son âme ! Car l'inscription sur la tombe nous apprend qu'elle s'appelait Germaine, et sans doute était-elle sa soeur.

Cliquez pour voir la tombe en entier.