Souvenirs d'Hussein-Dey
LE PIQUET BLANC
par Monique Dupeyrot-Pullinger
Dessin-hommage de Jean Brua en bas d'écran.
On ne partait jamais en vacances, mais on n'en a jamais souffert, on n'en n'avait même pas conscience.
La semaine on allait à la plage à pied, tout seuls sans les parents.
On sortait de l'immeuble, on descendait la rue Laurent Sintès jusqu'à la rue de Constantine.
Claude mon frère roulait la grosse bouée tout le long du chemin, on tournait à droite, on passait devant la boulangerie Juan.
On longeait la rue de Constantine jusqu'au marchand de beignets au coin de l'avenue Laure, on traversait et on arrivait à la passerelle qui menait au cimetière et qui enjambait la voie ferrée.
Puis on traversait prudemment la "route moutonnière" qui était dangereuse et on arrivait à la plage, notre plage : "le piquet blanc".
Le dimanche Papa et Maman nous rejoignaient à l'heure du repas.
Papa installait le marabout, petite tente en toile rayée jaune et blanche, très jolie et qui nous servait de cabine de change et nous protégeait du soleil grâce à son petit auvent.
On installait la bouée devant le marabout et j'aidais Claude à combler le trou de la bouée avec du sable puis Maman posait une petite nappe dessus avant de déballer le pique nique et on déjeunait sur la plage.
L'après-midi, après le délai de digestion vers 15 heures, on courait se baigner.
Claude nous précédait dans l'eau en roulant la bouée devant lui. Papa nous rejoignait dans de grandes gerbes d'eau et faisait semblant de couler.
Tout le monde le cherchait et il apparaissait un peu plus loin, tel un cachalot faisant un jet d'eau avec sa bouche. Le jeu nous plaisait tant qu'on en redemandait.
Puis c'était l'heure du goûter : du pain avec une barre de chocolat noir Meunier, ça craque sous la dent avec le sable qui se glisse partout et les mises en garde de Maman : "Attention tu vas encore mettre du sable partout".
En fin d'après-midi on remontait de la plage en traînant un peu les pieds, la rue paraissait longue mais les petites blagues et taquineries de Papa nous faisaient oublier la fatigue de la journée.
Tous les ans, à la période des vacances, tata Andrée soeur aînée de Maman s'installait sur la plage avec une grande tente militaire.
L'installation était assez spartiate : quelques lits de camp, une table, des chaises, sans oublier la lampe à carbure et quelques bricoles dont je ne me souviens plus vraiment.
Mais ce que j'ai retenu de cette période c'est surtout ce plaisir en arrivant à la plage de se retrouver en famille et d'être en vacances…
On retrouvait aussi, tous les ans, Danielle, Ginette, José, Adrien et leurs parents qui avaient également une tente un peu plus loin.
Et puis, bien sûr, ma copine Marlène que je retrouvais toujours sur notre plage au piquet blanc, sans oublier Denise et ses soeurs Alice, Jeannine, Arlette, Huguette et Marie-France, qui habitaient au 3ème étage de notre immeuble et qui venaient souvent nous rejoindre sur la plage.
Claude et le cousin Henri n'étaient pas en reste, il fallait les voir courir et se jeter dans les vagues pour nager jusqu'au bateau brûlé (épave de la guerre 40/45) et faire des plongeons pas toujours très prudents mais complètement insouciants et heureux avec d'autres copains de la plage.
Il n'y avait pas de frigo, alors on prenait des bouteilles, en verre bien sûr, qu'on enterrait au bord de la plage dans le sable mouillé en laissant dépasser juste le goulot pour pouvoir les retrouver et on avait de l'eau fraîche pour le déjeuner et même pour toute la journée.
À l'époque on ne faisait pas sa toilette quand on était à la plage et il n'y avait pas de douche à proximité pour se rincer, l'eau était précieuse et on la gardait pour les repas.
Quand je restais dormir chez tata Andrée, ce que j'aimais bien c'était le matin :
On se levait et, à peine réveillés, on courait se jeter dans la mer puis, en revenant, attirés par l'odeur du réchaud à alcool qui chauffait le café on buvait debout notre bol de café au lait, près de la table de camping, encore tout mouillés de ce bain matinal pris dans la mer encore déserte, plate comme un lac et silencieuse avec juste le bruit des vaguelettes venant mourir sur la plage…
En fin de journée, ce dont je me souviens plus particulièrement c'est la plage devenue pratiquement déserte, le sable encore chaud, le doux clapotis des vagues, et le goût salé de la langue qui passe sur les lèvres en sortant de la mer, le fond du maillot plein de sable mouillé qui colle à la peau et qui pique les fesses et le silence de la mer après le départ des baigneurs …
Beaucoup d'années se sont écoulées depuis mais, curieusement, aussi loin que mes souvenirs remontent et malgré tous les pays que j'ai pu visiter, je crois bien que ces vacances au piquet blanc restent mes préférées.
Monique Dupeyrot-Pullinger
Photo au Piquet blanc, 1950.
Pour le reste de la famille,
c'est en bas ci-dessous !
De ma rue Laurent Sintès au Piquet Blanc…
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Et à l'angle de la rue de Constantine,
juste avant de traverser l'avenue Laure en venant de chez nous,
LE marchand de beignets ! (et de pâtisseries orientales).
Assis sur un tabouret, derrière son petit comptoir, il préparait tranquillement ses pâtisseries avec invariablement le même rituel :
Dès la sortie de friture de ses grands beignets croustillants, muni d'une grande fourchette, il égouttait chaque beignet qu'il roulait dans le sucre puis enveloppait sommairement dans un papier et nous tendait le tout, en souriant, sans dire un mot.
En arrivant c'était toujours la même question fondamentale : Que choisir ?
Beignets, cornes de gazelle, makrouds, zalabias, tous aussi huileux et sucrés et pour certains dégoulinants d'un miel qui coulait entre les doigts et qu'on s'empressait de rattraper du bout de la langue.
Comme pour la madeleine de Proust, il suffit de fermer les yeux et on se retrouve aussitôt transporté sur place.
La recette des makrouds n'a pourtant pas changé, mais curieusement, ils n'ont plus le même goût, allez savoir pourquoi ?
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Notre paradis perdu… Le piquet blanc, 1950.
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