
Retour explicatif sur
l'énigme de la machine infernale qui intrigua longtemps les autorités du
lycée Gautier
Le professeur «X »,
en ce jour de la 1950e année de notre ère, donnait son cours
dans la classe de seconde la plus proche de la cage d’escalier. Et
l’immédiat voisinage, aussi bien dans l‘atelier de dessin de Burel que
dans la classe de l’anglissime Helsmoortel, percevait qu’il se passait
quelque chose d’anormal. En effet, la tempête de chahut habituelle
(huées et sifflets, cris d’animaux, claquements de pupitres) était
consignée dans un silence de cathédrale, de façon si inexplicable que,
de l’autre côté du mur, le facétieux « Helsie », œil en coulisse et tête
rentrée dans les épaules, avait fait rire ses élèves avec une mimique de
Gaulois s’attendant à la chute du ciel. Même l’appariteur Sosthène,
son grand registre sous le bras, avait hésité à pousser la porte sur ce
silence de mauvais aloi, puis, sitôt la signature de « X » recueillie
devant trente bouches closes, s’était esquivé presto avec le sentiment
de quitter un cargo de munitions sur le point d’exploser.
Mais il n’y aurait
pas d’explosion. D’ailleurs, s’en serait-il produit une demi-douzaine
que personne n’eût sursauté alentour, tant cette musique pyrotechnique
(de la simple « bombe » lancée contre le tableau aux
pétards-mitraillette retardés par un allumeur à bougie) était familière
aux auditeurs extérieurs du cours de « X ».
Pas la moindre détonation, donc. Mais, au bout du
quart d’heure de silence qui avait fort intrigué Helsmoortel et Burel et
un peu effrayé Sosthène, s’était déclenchée une longue, longue et
apparemment inépuisable plainte en forme de mince sifflet de locomotive,
qui allait courir tout l’étage et, perçant la dalle, faire dresser deux
centaines d’oreilles au rez-de-chaussée, dont celles du censeur
Fantômas, sournoisement tiré de son assoupissement sur la prochaine
livraison de « feuilles de colle ». L’impossibilité où ce puissant
fonctionnaire se trouvait, comme tout le monde, d’identifier le signal
insistant et encore moins sa source, commençait à agiter dans son esprit
le spectre d’une fuite bourdonnante dans une canalisation d’eau ou,
pire, de gaz. Mais au bout de quelques minutes, alors qu’il commençait à
envisager une évacuation générale, la petite sirène s’éteignit dans un
couinement décroissant, tout aussi mystérieusement qu’elle s’était
manifestée. Lui succéda aussitôt une bordée de vivats qui, du même coup,
révélait l’origine du phénomène. « La classe de X…, bien sûr ! » lança
Fantômas à la cantonade, avec ce coup de poing dans la paume
qu’imiterait plus tard le commissaire Bourrel. Le temps de claudiquer
jusqu’au premier étage, le censeur trouva Sosthène bravement
accouru au créneau et perché sur le bureau de X. Le brave appariteur,
partagé entre stupeur et indignation, contemplait au sommet de l’armoire
le pot-aux-roses où il venait de se brûler les doigts. En fait de pot,
c’était une superposition de boîtes de conserves (cf croquis) d’où
pointait comme une cheminée de bateau une de ces petites trompettes de
bois qu’on trouve dans les fêtes foraines ou les pochettes-surprises.
Les élèves, uniformément silencieux, arboraient, selon leur tempérament,
la physionomie pincée du « zbibeur » qui prend ostensiblement ses
distances, ou, plus généralement, celle de l’enfant de chœur, voire de
l’agneau de lait. Un peu de fumée flottait encore au-dessus de
l’armoire et, sembla-t-il à certains, sortait des oreilles d’un
Fantômas muet de colère. Tout le monde paraissait pétrifié dans le
sel. À l’exception de X, cependant, qui allait et venait sur son estrade
avec de petits haussements sur la pointe des pieds, accompagnés de
clins d’œil amusés vers le sommet de l’armoire. On eût dit que la «cible
» tirait une certaine fierté de l’inventivité de ses tourmenteurs et
qu’à tout prendre, l’ingénieux artifice le reposait du chahut agressif
qu’il devait affronter plusieurs fois par jour.
L’affaire, on s’en
doute, fit grand bruit, aussi bien en salle des profs qu’en cours de
récré. Et le coupable ne fut jamais découvert. Aujourd’hui encore, je
pense que le cercle des « initiés » ne dépasse pas une dizaine de
personnes et, bien entendu, je ne trahirai pas plus qu’hier le secret de
Papinus, ainsi que j’ai surnommé pour Es’mma cet émule de
l’inventeur de la machine à vapeur. Assez longtemps après l’affaire, en
effet, (j’étais alors en propédeutique avec le même et insoupçonnable
Papinus), un surveillant que j’aimais beaucoup, Costa (à distinguer de
Costa-Marini, pour qui j’avais aussi de la sympathie) essaya, à
l’occasion d’un pot de rencontre à l’Otomatic, de me tirer les vers du
nez en invoquant la prescription. Il m’en voulut si peu de mon refus
qu’il me confia l’anecdote étonnante que voici, en conclusion de ce
récit.
À la vérité,
l’aimable Costa n’était curieux de l’identité du coupable que par
admiration pour l’inventeur. Et, à ce qu’il me dit, il partageait ce
sentiment avec la plus haute autorité du lycée :
« Mon cher Brua, vous
n’imaginez pas à quel point cette affaire de trompette à vapeur a
tarabusté notre curiosité. C’était vraiment génial ! Je peux vous le
dire maintenant, mais plusieurs fois, par la suite, il est arrivé à M.
Plane de m’appeler dans son bureau pour un rite bien précis. Dans la salle du
conseil de discipline, nous tirions la fameuse machine de l’armoire aux
objets saisis et après l’avoir approvisionnée d’un minimum d’eau (il
n’était pas question de révolutionner à nouveau le lycée), nous la
faisions fonctionner pour nous seuls, en riant comme des lycéens…
».

J. Brua
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