Vous avez dit "Philo" ?
Philo, coefficient 2 et pour un matheux, cela signifiait
aussi deux bouquins : un de Logique, quoi de plus normal que de prendre
conscience de nos facultés de raisonnement, de déduction, ça peut aider
(ne dit-on pas que "science sans conscience n'est que ... "), et un de
Morale pour ceux à qui il aurait manqué alors un brin d'éducation, les
sans âme en quelque sorte : ces livres dont je devais toujours rejeter
l'ouverture en bout de soirée, sur l'oreiller généralement, tant leur
contenu me paraissait évident et ennuyeux.
Des livres ... non, mais un prof ... oui (comme aurait dit
Bourvil en comparant l'eau et l'alcool). Et cette année-là en 1956, par
la magie du hasard ou tout simplement par défaut, nous fut assigné, non
pas un prof de philo, mais un psy. Sy ... sy, un psy, Monsieur Luccioni
: n'était-ce pas alors pièce rare que cet intervenant étranger au milieu
professoral, d'une spécialité qui n'avait pas encore pris pour notre
bien-être le contrôle de notre être ?
La Philo et son représentant à Gautier, c’était Chosky,
l’agrégé, promotion JP Sartre dont il avait été le second par le
classement, chaussé de lunettes, nœud papillon, costume bleu marine
fines rayures et cartable à la main, le port noble et le cheveu
soigné. Luccioni, « y’a rien à voir » aurait dit un célèbre
humoriste sans circuler pour autant.
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Et donc une philo peu conventionnelle, toute émaillée
d’expériences, fut conduite par ce maître au large sourire, très
disponible et tout à fait insensible aux quelques décibels d’une classe
qui se posait souvent des questions tant la philo était matière
importante pour l’élite mathématique que nous étions.
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Moustache, qui n’avait pu revêtir la blouse grise de « Sosthène »
de par sa taille, s’était drapé de noir rendant sa silhouette encore
plus longiligne. Il semblait prendre beaucoup de plaisir à franchir le
seuil de notre classe et faire signer son cahier de présence : lui,
Luccioni, n'attachait aucune importance à ce rite qui rythmait chacune
de nos heures de cours et signait distraitement cette main courante :
absent ou pas, il lui était difficile de faire le tri dans les noms qui
étaient interjetés tant ce moment là était considéré par la classe comme
une pause libératoire notamment par trois piliers du mur du fond.
Une drôle de compo
Généralement située au rez-de-chaussée, notre classe,
exceptionnellement, devait s'élever ce jour là vers l'amphithéâtre de
physique, réservé habituellement à M. Muller, pour une nécessaire compo
dont ni le prof ni ses élèves ne voyaient trop l'intérêt. Carnet
scolaire oblige, l'amphi fut pour une fois transformé en lieu de pensées
peu ordinaire où les sources d'inspiration les plus diverses mais non
moins très orthodoxes coexistèrent.
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Certains la puisèrent dans la boisson, se permettant même
entre deux réflexions (gazeuses, vaporeuses, vaseuses, que sais-je du
contenu de leurs fioles et de leurs copies) de fixer sur la pellicule
leur haut niveau de détachement vis à vis du sujet. D'autres, saintes
écritures sur les genoux, transposèrent directement sur le parchemin la
bonne parole et tous avaient le regard, à défaut de l’esprit, tourné
vers le même objectif.
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Seul le maestro, saint homme visiblement dans un autre
éther, noircissait inlassablement sa copie.
Compo finie, la classe se vidait, et la conclusion ne
semblait pas forcément aisée à Claude ... et pas davantage à votre
serviteur.
Devant l’insistance de Jean-Paul qui demandait le silence
sur cet épisode, nous avons jusqu’à ce jour gardé enfouies ces
images. La prescription nous permet aujourd’hui de rendre publics ces
hauts faits scolaires vieux de 45 ans mais nous tairons la nature des
breuvages qui restera donc à tout jamais secrète.
Des maths, il
en fallait en Mathélem
Avec ce
talentueux professeur qui survolait son cours, main gauche éternellement
dans sa poche, blanchissant le tableau sans répit et qui, d’un revers de
main, balayait de sa manche la fine poudre blanche qui s’y était
déposée.
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Ah ! sacré
Frasnay que je n’ai pu surprendre de face.
Très Physique
Domaine : l'amphi situé au 1er étage en
haut de l'escalier droit situé au fond de la cour.
Nom : répond à celui, ô combien doux, de Popol.
Port : blouse blanche permanente sans attache mais
souvent tâchée.
Attitude courante : bras droit replié, main sous le
menton, geste généralement consécutif à une question embarrassante même
pour les meilleurs d'entre nous.
Parler : non gaulois, mais franc avec des Mmm…mmm,
sorte de murmure jubilatoire accompagnant la question précédente et qui
cessait avec le début de la démonstration.
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La question semble porter, non sur des problèmes d’optique
comme pourraient le suggérer les instruments posés sur la paillasse,
mais plutôt sur de la balistique aérienne : paramètres à prendre en
considération (h, v…) pour que la cargaison d’un avion,
humanitaire ou non, atteigne son but. Et ça ne paraissait pas évident à
Guy, même en occultant la météo.
De la Géo, mais beaucoup d'Histoires
Il y avait de la tristesse
dans sa démarche, de la grisaille dans son costume croisé, et le
cartable qui pendait au bout de son bras, passablement délavé par les
ans, semblait terriblement peser sur ses épaules. Sa silhouette massive,
son pas indolent, donnaient, de plus, à sa démarche un balancement
qui lui valait, dans les rangs, d’être salué du nom de Mogambo : sans
doute quelque gorille débonnaire et lourdaud ! Le cheveu, peu
abondant sur le crâne, se transformait néanmoins sur le front en grande
mèche qu’il lui arrivait de remonter d’un geste de la main : comme la
coquetterie de ces femmes qui s’évertuent à ranger leur chevelure,
abondante ou pas, derrière l’oreille.
Mais qu’il avait le sens du devoir, ce colosse au
pied fragile ! Lorsque la goutte lui montait au pied, qu’il en avait
donc du courage…age (sur un air du petit cheval blanc de Brassens) pour
affronter, chaussé d'une pantoufle, 40 petits gorilles. Cet être
débonnaire, un peu lourdaud, notre maître en histoire et géo, qu’on
nommait aussi Gabriello, peut-être l’aurez-vous reconnu : c’était
Hell !
Un bon souvenir
de ce prof qui m’a coûté pourtant 3 jours d’exclusion pour avoir fourni
de la poudre à éternuer au dénommé Duran qui s’en était bien sûr servi
(archives 3éme B2, année 1953-54).
Nota
- toute confusion avec des faits ou des
personnages qui auraient pu exister n’est pas fortuite et l’auteur
accepte bien volontiers de corriger sa mémoire du passé si celle-ci l’a
conduit à mettre en péril celle d’autrui.
-clichés réalisés avec le concours
exceptionnel de : Luccioni, Moustache, Frasnay, Bringuier et Breuneval,
Cherfils, Claire, Clément, Curutchet R, De Rycke, Follacci, Malléus,
Marciano, Moureaux, Pérez, Sebaoun et bien d’autres dont les noms me
font défaut.
Jacques Soler - 2002 |