Promenade de santé en Es'mmaïe


Dans le miroir du télescope


Par Jean-Louis Jacquemin

dessin de Jean Brua








   On a eu tort de rechercher les Atlantides au fond des flots. Jean Brua a regardé vers le haut et il a eu raison : la mer n'a jamais rendu que des vestiges ou des carcasses rongées par l'ennui et suintant la nostalgie. Bien calé sur son orbite, le satellite Es'mma nous transmet une réalité autrement vivante et passionnante. Curieusement, les images qu'il diffuse ne viennent pas de la Terre mais de cette étrange planète qui depuis quelques années s'entête à braver les lois du Temps, du Big Bang et du bon vieux système solaire. Le télescope de Jibé nous révèle sa surface. Elle est prophétique : au commencement était le verbe. Et le verbe - surtout le nôtre - sera toujours roi.

   Planète des souvenirs ? Pas seulement cher Jibé ! Cette super nova qui parle volontiers pataouète déborde de créativité et coule une vie très actuelle et parfois mouvementée. Le bar du LO n'est pas square du souvenir. C'est le café très "up to date" qui entame gaillardement 2009 après avoir détrôné gentiment nos Otomatic et autres Novelty. Et il est bien de chez nous ce troquet ! Emblématique même ! On y trouve ce brassage sans esprit de caste et cette truculence bon enfant où tout le monde se retrouve sans faire de chichis qui fût, qui est, qui reste, notre plus beau blason.

   L'ambiance est colorée et chauffe certains jours. On y trouve les mêmes piliers de bar que partout, hâbleurs braillards scotchés à leur comptoir, qui s'affrontent à coups de rodomontades et de querelles de bliblis entrecoupées de grands "tape cinq" de réconciliation. Au moment où ils vont presque nous agacer, l'un ou l'autre brusquement, lâche un propos profond ou touchant et nous "tombe" le Boeuf. On leur taperait presque sur l'épaule : "sacré Untel !". Des groupes plus tranquilles mais animés se réunissent, souvent à la même table, pour discuter de tout et de rien, ce qui est l'image même du bonheur entre amis. Des coquettes sympathiques picorent et circulent de table en table en faisant froufrouter leurs atours et minaudent parfois entre elles comme elles n'eussent pas osé le faire à seize ans. Des passants pressés s'arrêtent juste le temps d'un verre et de prendre la température des lieux en serrant quelques mains. Il y a bien sûr le club des poètes, drapé dans ses élégies, qui vient frotter ses alexandrins implacables à l'applaudimètre bienveillant de la salle et faire, hélas, quelques émules ; sans oublier le contingent habituel de Raymonds la Science, abonnés pour le plus grand plaisir de tous à "réponse à tout", qui dorment probablement accrochés à leur Google. Dans une arrière salle c'est la foule autour d'un conteur charismatique et truculent, frappé de cette bonté et de ce bon sens qui n'appartiennent qu'au Juste. On ne se lasserait pas de l'écouter.

   Pas chouette chez Gégé ? Qui donc laisserait passer une journée sans venir y faire un tour ?

   Ce lieu de délices peut même se targuer des visites éclair et soigneusement programmées de délicates Précieuses et autres Princesses attrape-mouches, qui s'avancent masquées, regard incognito derrière des mantilles noires, et s'encanaillent avec jubilation en abritant leurs visages pâmés derrière des éventails en dentelle. Pour couronner le tout et affirmer sa toute présence, ce petit monde possède son humoriste de talent, et pas des moindres, qui ponctue chaque jour d'un (ou plusieurs) nouveaux dessins. Pas belle la vie sur Es'mma ?

   En bref : Un album de souvenirs se feuillette mais Es'mma se vit ! Et même au quotidien.

   Alors, Es'mmaïens ? Vous en connaissez, vous, un autre endroit du cosmos où on peut la vivre au quotidien notre aventure natale telle qu'elle fut ? Car tout ça c'est sur ES'MMA et c'est nulle part ailleurs. Le GDLLDB en est tout retourné et il lévite en permanence sur sa carpette magique en se demandant comment il a fait pour faire sortir tout ça de son narguilé.

   Mais il faut bien retourner sur terre de temps en temps. Déjà 2009 ? Qui l'eût cru ? Là haut le temps n'a pas de prise, les voix restent fortes et les visages figés dans leur radieuse jeunesse. Ne boudons pas notre plaisir : le plancher des vaches a quelques attraits lui aussi. Et puis l'an neuf permet tous les espoirs et toutes les attentes. Je vous souhaite moi aussi une année riche en bonheurs nouveaux et en satisfactions de toutes sortes à commencer par une santé retrouvée ou conservée et une bonne humeur indéboulonnable d'un bout à l'autre de l'année.


Es'mmaïennement vôtre,
Jean-Louis Jacquemin