Brouty, croqueur croqué…

Souvenir, texte et dessin de Jean BRUA



   Dès ma première enfance à Alger, j'ai bien connu Charles Brouty, hôte familier de notre table, rue d'Estonie. De cette période (et aussi celle de l'après-exode dont il est question plus loin) je conserve le souvenir de sa "boule de billard" bronzée et curieusement soulignée de sourcils peints, car sa calvitie était absolue.

   Il avait toujours à raconter des histoires de Casbah ou de bled (Kabylie, Sahara, Mzab), ces espaces de dessin où il partageait en nomade la vie de ses modèles, hommes, femmes et enfants simples et accueillants qu'on retrouve dans ses centaines (plutôt milliers) de croquis au fusain ou à la plume et d'aquarelles légères comme des nuages.

   Après 65 et quelques années d'errance entre son cher Sahara, la Corse (1), la Provence et le Languedoc-Roussillon, il avait jeté son bagage à Nice et retrouvé ses habitudes chez mes parents. Chaque jeudi ou presque, ma femme, mes enfants et moi y déjeunions en sa compagnie. Il était resté fidèle à ses anecdotes de table, un peu altérées de nostalgie ou contestées par mon père, qui avait comme lui-même la mémoire contradictoire.

   En 1974, ma mère lui avait "commandé" un portrait de mon fils Marc, alors âgé de 5 ans. S'en étaient suivies quatre ou cinq séances de pose, agitées de contorsions du modèle, dont il s'était accommodé avec plus de patience qu'il en eût témoignée à un adulte.

   À la manière Jibé, j'ai résumé ces rencontres dans le dessin joint, avec le sentiment que c'était moi qui me trouvais à la place de mon fils, et le regret de n'avoir pas été ainsi "croqué" par le maître aux temps heureux de l'enfance.



(1) De ses pérégrinations "à la kabyle" dans les montagnes de l'île, il avait ramené de nombreuses études, dont une centaine ont été rassemblées dans l'album "Grosso Minuto" (un héros populaire corse) publié à Marseille chez Baconnier en 1969.