À mon tour, un petit souvenir de salaouètche, déclenché par la vague de chaleur : la presse chiffre à plusieurs centaines les ouvertures de bouches d'incendie dans les grandes villes par des contrevenants en mal de rafraîchissement. Excusez, mais, dans
mon quartier d'Estonie (cliquez pour vous y rendre), on savait faire dès 8-10 ans, et avec plus de mesure. Il suffisait d'ôter le petit tampon de fonte de la bouche à clef et d'utiliser une brique à trous pour manoeuvrer la tige carrée de la vanne. Juste de quoi alimenter dans le caniveau un ruisselet pour nos bouchons à voile, fétus de paille, bateaux en papier et autres menus esquifs promus vaisseaux de guerre ou galères de pirates.
La consigne de modération n'empêcha pas qu'un jour, un maladroit ayant un peu forcé sur la brique, libéra un geyser qui fusa plus haut que le premier étage de l'immeuble qui faisait angle entre notre rue et les escaliers Lacanaud. Fuite éperdue des navigateurs de caniveau, cris d'alerte des commères de balcon.
On parlait déjà d'appeler les pompiers quand, brandissant sa clef de 10 comme Murat son sabre dans la charge d'Eylau, survint "Alexandre la Foudre". Il faut dire un mot sur ce formidable (et pourtant débonnaire) personnage, baptisé par les "Esthoniens" du nom d'un héros de BD d'après-guerre. Il était le mari de la concierge redoutée du "10", sorte de Tante Pim au chignon planté comme une saucisse au sommet de sa coiffure à bandeaux. Vêtu été comme hiver d'un pantalon bleu et d'un débardeur kaki, Alexandre avait un look de catcheur à faire pâlir les stars des exhibitions télévisuelles d'aujourd'hui.
Après s'être débattu comme un saumon dans le geyser pendant une ou deux minutes, il parvint à couper le jet avant que la cataracte qui dévalait les escaliers n'eût traversé la rue Duc-des-cars devant la pharmacie Michel (le père de Jean-Christian)… Il y eut quelques claques, ce soir-là, dans les chaumières d'Estonie. Mais, en dépit des menaces de quelques harpies, l'affaire ne descendit pas jusqu'au commissariat du Xe…
